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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

BERTIN Henri Léonard (FR)

Commentaire biographique

Henri Léonard Jean-Baptiste Bertin est le douzième enfant de Jean Bertin (1679-1754), depuis 1711 conseiller au parlement de Bordeaux, et de son épouse Marie-Lucrèce de Saint-Chamans. Lorsqu’il vient au monde, en 1720, les acquisitions de charges et de terres titrées ainsi que les mariages réalisés par les générations successives ont permis aux Bertin, bourgeois de Périgueux et maîtres de forges, d’atteindre la position de grands propriétaires munis des apparences de la noblesse. Les qualités décelées chez le jeune Henri Léonard Jean-Baptiste décident son père à le prendre pour principal héritier de sa fortune et de ses charges. Tout en suscitant un tragique conflit avec l’aîné de la famille, qui sera embastillé de 1752 à sa mort en 1779, ce choix devait conférer à l’élu la responsabilité d’un chef de clan. Son ascension est rapide : après des études de droit à Paris (1737-1740), il est successivement reçu, en 1741, avocat au parlement de Bordeaux, puis conseiller au grand conseil. En 1745, son père résigne en sa faveur l’office de maître des requêtes qu’il a acquis en 1724. Bénéficiant de la protection du maréchal de Noailles et de la marquise de Pompadour, il obtient, en 1749, une commission de président au grand conseil et est nommé, en 1750, intendant en Roussillon. À la suite d’un conflit avec le gouverneur du Roussillon et la noblesse locale, dont le ressort est l’opposition, au sommet de l’État, entre le comte d’Argenson, secrétaire d’État de la Guerre, et Mme de Pompadour, Bertin est révoqué, en 1753, mais très vite porté à de plus hautes responsabilités, en 1754, comme intendant du roi à Lyon, où il manifeste notamment son intérêt pour le développement des routes, pour le projet de canal de Givors, amorce de liaison entre le Rhône et la Loire, ainsi que pour la soierie. En novembre 1757, les fonctions de lieutenant général de police le ramènent à Paris. Deux ans plus tard, en novembre 1759, alors que la guerre de Sept Ans ne peut qu’accentuer la difficulté de la tâche, il accepte le poste de contrôleur général des finances, succédant ainsi à Silhouette, dont les projets fiscaux ont provoqué le renvoi. Tout en accroissant les impôts, Bertin projette la création d’un cadastre, visant à leur donner une assiette plus juste. Il préconise la libre circulation des grains, favorise le développement des sociétés d’agriculture, fait aboutir, en 1761, le projet de création d’une école vétérinaire à Lyon. Il prend par ailleurs l’initiative de donner une orientation historique au travail de recueil de textes législatifs confié, sous son prédécesseur, à l’avocat Jacob Nicolas Moreau (1717-1803), qui s’emploie, à partir de 1762, à faire rassembler des copies d’archives françaises et bientôt étrangères au sein du « cabinet d’histoire » ou « cabinet des chartes ». En butte aux tracasseries de Choiseul, qui concentre alors les leviers de l’action militaire et diplomatique, Bertin peut s’appuyer sur l’amitié et le soutien sans faille du roi et de la Pompadour. À la fin de l’année 1762, il est élevé à la dignité de ministre d’État, ce qui lui donne accès au conseil d’En haut, et fait grand trésorier de l’ordre du Saint-Esprit. Quelques mois plus tôt, il a acquis, à Chatou, un vieux manoir, amorce d’un domaine qu’il va progressivement étendre et dont il espère notamment faire le terrain d’expérimentations agronomiques. Signe de la faveur dont il bénéficie, un département ministériel nouveau est alors créé pour lui, regroupant les domaines d’action qui lui sont chers, prélevés parmi les attributions du contrôleur général des finances. Ce cinquième secrétaire d’État – les détracteurs de Bertin parleront du « petit ministère » – est principalement chargé, à sa création, des manufactures de porcelaine, d’une partie des haras, de questions agricoles et vétérinaires, des mines, des transports par terre et par eau, d’une partie des loteries, du cabinet d’histoire de Moreau, de la compagnie des Indes, des manufactures de toiles peintes et de coton. Ses réalisations les plus notables seront la rénovation de l’agriculture, la création des écoles vétérinaires de Lyon (1764) et d’Alfort (1766), la rationalisation de l’administration des Mines, qui aboutira notamment, en 1783, à la création de l’École des Mines, et l’essor du cabinet des chartes.

Mais l’entreprise la plus originale est celle qui débute en 1764 lorsque Bertin accueille deux jeunes catholiques chinois, Louis Ko et Étienne Yang, envoyés en France, une dizaine d’années plus tôt, par les missionnaires jésuites de Pékin. Après des études dans les collèges jésuites de La Flèche et de Paris, au moment où les adversaires de la compagnie de Jésus parviennent à la faire interdire en France, Ko et Yang sollicitent le secrétaire d’État afin de pouvoir prendre passage sur un navire de la compagnie des Indes pour regagner leur patrie. Bertin perçoit alors que les relations qu’il peut établir avec les deux jeunes Chinois, pensionnés par le roi, peuvent constituer pour le royaume une occasion unique d’accéder à une connaissance plus riche et plus précise de l’Empire du Milieu et de s’approprier les principes et les savoir-faire qui lui valent, aux yeux des milieux éclairés français, sa supériorité dans bien des domaines, politiques, économiques et techniques notamment. Pour que ces connaissances puissent trouver en France leur pleine utilité, il convient que les deux jeunes Chinois aient eux-mêmes une vision aussi précise que possible de l’état des sciences et des techniques de leurs hôtes. Aussi, après les avoir engagés à prolonger leur séjour, Bertin les fait-il former aux connaissances françaises notamment en matière de sciences naturelles, de physique, de chimie, de dessin, gravure et imprimerie, en leur faisant en particulier visiter des manufactures à l’occasion d’un voyage organisé pour eux à Lyon, à Saint-Étienne et dans leurs environs. En janvier 1765, ils s’embarquent enfin, munis de présents et d’une instruction définissant les principes de la correspondance qu’ils auront à entretenir depuis la Chine et l’ensemble des informations et des spécimens qu’ils auront à recueillir et à adresser à leur protecteur. Une fois Ko et Yang parvenus à Pékin, démarre un échange continu de mémoires, de livres, d’objets et d’œuvres d’art, les deux jeunes Chinois étant relayés, dans cette entreprise, par les missionnaires français de Pékin, le principal maître d’œuvre en étant le père Joseph-Marie Amiot (1718-1793). Parvenue en France, la documentation est analysée, sous la direction d’érudits, l’abbé Charles Batteux (1713-1780), puis Louis Georges Oudard Feudrix de Bréquigny (1714-1795), chargés par Bertin d’en assurer la publication. Quinze volumes de Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois [...] paraissent ainsi de 1776 à 1791. Quant aux manuscrits, estampes, peintures et objets de toutes natures, ils vont, pour une grande part, former le cabinet chinois du ministre, aussi exceptionnel par sa richesse que par son origine. L’action parallèle de Bertin en faveur du cabinet des chartes et de la correspondance littéraire et scientifique avec la Chine justifie sa présence à l’Académie des sciences, dont il est membre honoraire (1761), vice-président (1763-1769) et président (1764-1770), comme à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, dont il est membre honoraire à partir de 1772 (Huard P., Wong M., 1966).

À l’avènement de Louis XVI, Bertin conserve son ministère. Le roi ayant choisi Vergennes, alors ambassadeur à Stockholm, pour le secrétariat d’État des Affaires étrangères, Bertin est chargé d’en assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée du nouveau ministre. Il n’est cependant pas question de retrouver auprès du nouveau roi l’amitié que lui témoignait Louis XV. La défiance de Necker, nommé à la tête des finances en 1776, à l’égard du « petit ministère » et la découverte, en 1778, de malversations commises à la manufacture de Sèvres, relevant de son autorité, conduisent, en mai 1780, à la démission de Bertin, dont le secrétariat d’État sera quelques mois plus tard supprimé.

Ayant renoncé, en février 1781, à sa charge de grand trésorier des ordres du roi, Bertin conserve en revanche, sans relâche, la responsabilité de la correspondance littéraire et scientifique avec la Chine. En avril 1781, il s’installe à demeure à Chatou, où il avait confié à Soufflot (1713-1780) la construction d’un nouveau château. Resté célibataire, il est accompagné d’un frère, l’abbé de Bertin, et d’une sœur, Mlle de Creyssac.

Alerté par les désordres de l’été 1789, l’ancien secrétaire d’État quitte la France, probablement à l’été 1791 (Silvestre de Sacy J., 1970, p. 154) et séjourne à Aix-la-Chapelle, faisant procéder, à distance, à la liquidation de ses propriétés. Habitué des eaux de Spa, il y meurt le 16 septembre 1792.

Constitution de la collection

Si, compte tenu de son intérêt déjà ancien pour la Chine et de l’engouement général, il paraît peu vraisemblable que Bertin n’ait pas été personnellement en possession, avant même 1766, de quelques objets d’art chinois, en particulier de porcelaine, ce qu’il convient de désigner comme la ou les collections asiatiques de Bertin est naturellement la somme d’objets, de livres et de documents figurés qui lui sont envoyés, à partir du retour à Pékin de Ko et de Yang, en 1766, par les missionnaires français de Pékin, certains de la part même de l’empereur Qianlong. Ces documents, objets et autres spécimens sont fréquemment expédiés en réponse à des commandes précises de Bertin (Bienaimé C., Michel P., 2014, p. 153). Dans le cadre des fonctions officielles de Bertin, ils contribuent à la formation d’une collection personnelle, que le ministre souhaite mettre à la disposition des savants et dont il entend diffuser le contenu par les Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois. Certains des envois reçus par Bertin sont des cadeaux destinés à ses frères et sœurs ou au roi ; le ministre offre lui-même certaines pièces, ainsi à Mme de Pompadour (voir par exemple Monnet N., 2014b, p. 169). Les missionnaires français de Pékin sont ainsi amenés à doubler leurs envois de livres, soit en expédiant deux exemplaires, soit en réalisant une copie manuscrite supplémentaire, un exemplaire étant adressé à Bertin, un autre étant destiné à la bibliothèque du roi. Les plus beaux exemplaires sont adressés au ministre (Huard P., Wong M., 1966, p. 158 et 224 ; Monnet N., 2014a, p. 144). La multiplicité des envois peut rendre difficile la distinction entre les ouvrages ayant précisément appartenu à la collection de Bertin et ceux étant parvenus en France grâce à sa relation avec la mission de Pékin sans entrer pour autant dans la collection du ministre. Au sein des albums d’estampes et de peintures accumulés voisinent « d’“authentiques” albums chinois, sans lien avec l’entreprise des Mémoires », et des albums spécialement réalisés en Chine dans le cadre de cette entreprise (Bienaimé C., Michel P., 2014, p. 153). Sont ainsi réunis des livres manuscrits et imprimés en français et en chinois, incluant des éditions Xylographiques, et un exceptionnel ensemble de dessins et peintures documentant notamment la faune et la flore, les cultures, les arts, métiers et techniques, les paysages, les constructions, le costume, les rituels, le panthéon et l’histoire. En se concentrant sur le cas des vases chinois, Kee Il Choi Jr (2018) a décrit les modalités d’envoi des albums et images et les méthodes selon lesquelles ces dernières ont été classées, reliées, légendées et annotées. Une vision d’ensemble des objets venus de Chine qui composent par ailleurs la collection est fournie en 1786 par le Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris de Luc-Vincent Thiéry, qui insiste sur la collection d’instruments de musique, les minéraux, les vêtements et ornements de mandarins, les laques et vernis, bambous et ivoires, les porcelaines, monnaies, pains de cire, les modèles de charrue et de brouette (Thiéry L.-V., 1786-1787, t. I, p. 135-136). On peut compléter cette énumération en évoquant les vases, boîtes, pots, figurines, pagodes, éventails, écrans et autres nattes (AN, F/17/1188 et 1231). Sur les différentes catégories d’objets, voir également Silvestre de Sacy J. (1970), p. 167, ainsi que Huard P. et Wong M. (1966), p. 166-167.

Minéraux et naturalia venus de Chine enrichissent parallèlement le cabinet d’histoire naturelle et le cabinet de minéralogie du ministre (Huard P., Wong M., 1966, p. 142).

Une compilation des listes d’objets expédiés de Chine de 1765 à 1786 est conservée dans les papiers de Bertin à la bibliothèque de l’Institut (Ms. 1524, fo 126-193v). Un rapprochement méthodique du contenu des dix-sept tomes de Mémoires concernant les Chinois parus de 1776 à 1791, puis en 1814 et des textes, venus de Chine, en ayant constitué la source, a été proposé par le p. Joseph Dehergne (1983).

Des trésors reçus de Pékin, Bertin constitue donc un cabinet chinois dans son hôtel parisien, sis à l’angle des boulevards et de ce qui est alors la rue Neuve des Capucines, qui est aussi le siège du « petit ministère ». L’existence du cabinet est mentionnée dans une lettre de Bertin à Ko et Yang du 18 janvier 1774 (BIF, Ms. 1522). La description la plus détaillée est celle fournie à partir de 1786 par Thiéry.

À partir d’avril 1781, Bertin, libéré de ses fonctions ministérielles, s’installe à Chatou (Bussière G., 1909, p. 278). Son implantation à Chatou et Montesson a débuté en 1761, par l’acquisition d’un vieux manoir ; son domaine n’a cessé de s’agrandir dans les années 1760 et 1770, par acquisitions successives (Curmer A., 1919, p. 125-127). Il a confié à Jacques Germain Soufflot (1713-1780), en pleine activité à Lyon lorsque Bertin y était l’intendant (1754-1757), l’aménagement des jardins et la construction d’un nouveau château. Soufflot fait notamment intervenir ses collaborateurs Jean-François Chalgrin (1739-1811), Jean Rondelet (1743-1829) et Jean-Jacques Lequeu (1757-1826) (Catinat J., 1974, p. 28, 38, 40-43, 70). Outre des hortensias, dites roses de Chine, et de pivoines arborescentes venues de Pékin (Catinat J., 1974, p. 94), les jardins s’agrémentent de deux constructions célébrant la passion du maître des lieux : un jeu de bague chinois et un pavillon chinois, qui sont l’œuvre de Lequeu, dont plusieurs dessins nous font connaître l’apparence. Le jeu de bague dérive de celui construit par Lequeu à Monceau pour le duc de Chartres (Catinat J., 1974, p. 38-41, Rochebrune M.-L., 2014, p. 268-269).

La disposition des collections de Bertin après l’installation de ce dernier à Chatou n’est pas connue de manière absolument certaine. Selon Curmer et Bussière, la bibliothèque et les collections de Bertin ont bel et bien rejoint leur maître à Chatou, où, selon le second, les originaux des Mémoires concernant les Chinois, la documentation écrite et figurée et la correspondance reçues des missionnaires occupent la plus vaste pièce du logis (Curmer A., 1919, p. 147-148 ; Bussière G., 1909, p. 161, 240). Rappelons qu’en 1786-1787 le Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris décrit la collection en l’hôtel parisien de Bertin. En dépit de l’indication d’Hillairet (1963, t. I, p. 267) selon laquelle Bertin aurait dès 1785 légué cet hôtel à sa sœur et à sa nièce, qui l’auraient elles-mêmes vendu en 1786, aucune source ne témoigne précisément du transfert de la collection à Chatou. Quelques documents, en revanche, attestent de l’intention de Bertin d’y donner à son cabinet un cadre particulièrement raffiné : des mémoires destinés au père François Bourgeois, de la mission de Pékin, évoquant le souhait de Bertin de construire, dans les jardins de Chatou, un bâtiment authentiquement chinois et sollicitant à cette fin l’expertise d’un architecte chinois (BIF, Ms. 1526, fo 40-46 et Ms. 1524, fo 104-107v ; Inha, Ms. 131, fo 91 ; voir Bienaimé C., 2013, p. 142, Finlay J., 2015, p. 91, Finlay J., 2020, p. 108-109), une lettre du père Amiot à Bertin, du 16 octobre 1790, dans laquelle le missionnaire répond à la demande, exprimée sans doute près d’un an plus tôt par l’ancien ministre, de le « diriger dans l’arrangement de son cabinet chinois » à Chatou, en visant à conférer à celui-ci une distribution et un décor en pleine harmonie avec les objets rassemblés, ladite lettre étant accompagnée de plusieurs caisses contenant les éléments du décor chinois des différents espaces appelés à former le futur cabinet (BIF, Ms. 1517, fo 139, cité par Bussière G., 1909, p. 159-161, Bienaimé C., 2013, p. 142, Bienaimé C. et Michel P., 2014, p. 156-157). Si Jacques Catinat (1974, p. 108) croit pouvoir estimer qu’en 1790 le cabinet chinois est presque achevé dans le nouveau château, les sources font défaut pour affirmer que l’ensemble de la collection ait rejoint Chatou. Et c’est vraisemblablement sur la disposition parisienne du cabinet chinois que se prononce l’ancien imprimeur-libraire Louis François Delatour (1727-1807) lorsqu’il témoigne, dans ses Essais sur l’architecture des Chinois (1803, p. 172), du « peu d’arrangement et d’ordre » qui affectait selon lui le « magnifique cabinet de curiosités chinoises » de Bertin.

L’un des traits majeurs de la collection, souligné par Bertin lui-même, reste qu’elle est généreusement mise à la disposition des curieux, des savants et des artistes, qui y trouvent spécimens et modèles (voir notamment Bienaimé C., 2013, p. 143-144 et Rochebrune, M.-L., 2014, p. 155, 175-177, 198, 228, 230, 236).

Mais à l’été 1789 s’ouvre le temps de la dispersion. Bertin, qui n’a ni épouse ni enfant, procède en 1790 et 1791 à la vente ou à la donation de ses terres, une grande partie de ces transactions étant conduite par son secrétaire et fondé de pouvoir François Étienne Fouillette-Desvoyes (Bussière G., 1909, p. 279-280). Le domaine de Chatou est vendu à Anne Marie Thérèse de Pelser-Berensberg, future marquise de Feuquières, qui s’y installe. À défaut de sources plus précises sur la collection, l’on doit s’en remettre au témoignage de Delatour, selon lequel le cabinet serait « passé, avant 1791, en d’autres mains par dispersion, ou par la vente que l’ancien ministre, dépouillé de ses pensions et de sa fortune, a été obligé de faire » (Delatour L. F., 1803, p. 244). Après la mort de Bertin (septembre 1792), la disparition de sa collection finit par intriguer. En décembre 1793, convoqué devant le Comité de sûreté générale, Desvoyes offre son aide « pour recouvrer, s’il le peut, les débris de ce cabinet mutilé dans les transports, dilapidé par ailleurs, donné par Bertin en 1790 » (AN, F/17/1072, d. 5 et Tuetey L., 1912, t. I, p. 370). Les recherches seront menées jusqu’en Périgord (Tuetey L., 1912, t. II, p. 170). Une quinzaine d’œuvres est découverte en janvier 1794 chez le graveur Isidore Stanislas Helman (1743-1806?), dont on sait l’intérêt pour les entreprises artistiques franco-chinoises de Bertin, qui certifie qu’elles lui ont été déposées depuis 1785 et en avril 1789 (AN, F/17/1231, d. 4, F/17/1269 et Tuetey L., 1912, t. I, p. 54 et 60). Les recherches de Desvoyes aboutissent à la découverte, apparemment à Paris, de près de 250 articles, qui sont déposés au Muséum national de la rue de Beaune, alias dépôt de Nesle, où ils sont inventoriés en avril 1794 (AN, F/17/372, p. 18-20, F/17/1072, d. 5, F/17/1188). Notons que, lorsqu’à l’automne 1794, après l’exécution de la marquise de Feuquières, on procède à l’inventaire du mobilier du château de Chatou, l’on n’y relève aucune trace de biens provenant de Bertin (Curmer A., 1919, p. 184-185).

Les annotations portées sur le registre du dépôt de Nesle (F/17/372) font apparaître le partage des dépouilles : 109 articles consistant en livres manuscrits et imprimés et en peintures sont destinés à la Bibliothèque nationale ; quarante, consistant en minéraux, sont destinés au dépôt des Mines (voir sur ce sujet précis Laboulais I., 2013, p. 183) ; sur les 161 articles consistant en objets ou œuvres d’art, une grande part est destinée au Muséum d’histoire naturelle, au Muséum des antiquités ou à la Bibliothèque nationale. Les livres manuscrits et imprimés, les peintures et autres documents figurés sont transférés en 1794 et avril 1796 à la Bibliothèque nationale, où ils sont répartis entre le département des Manuscrits et le cabinet des Estampes (BnF, Estampes, Réserve, Y E-1 (1797-1808) – PET FOL, pièces 397-399, 401, 402 ; Tuetey L., 1912, t. I, p. 87, Balayé S., 1988, p. 420, Monnet N., 2014a, p. 144, Cohen M. (en ligne)). En septembre 1796, 97 objets ou œuvres d’art sont transférés au cabinet ou Muséum des Antiques, conservatoire ethnographique établi au-dessus du cabinet des Médailles (Hamy E. T., 1890, p. 29, 83-86). (Sur le sort des collections chinoises, voir aussi Finlay J., 2020, p. 148-149.)

En 1811, le libraire parisien Antoine Nepveu publie La Chine en miniature, ou choix de costumes, arts et métiers de cet empire, représentés par 74 gravures [...], de Jean-Baptiste Breton de la Martinière, ouvrage dont la préface expose qu’il a pour matière essentielle la collection « d’environ 400 dessins originaux faits à Pékin, des arts et métiers de la Chine » de Bertin, le « hasard » ayant procuré à Nepveu l’occasion de l’acquérir presque totalement, en même temps que la correspondance des missionnaires, de Ko et de Yang avec Bertin (Breton de la Martinière J.-B., 1811, p. XXI-XXII). Ainsi refont surface des éléments de la collection vraisemblablement évanouis durant les premières années de la Révolution. Un certain nombre de pièces provenant de la collection de Bertin rejoignent d’ailleurs le département des Estampes par achat lors de la vente Delatour, en 1810, ainsi que vraisemblablement par achat auprès de Nepveu (Balayé S., 1988, p. 421, n. 374 ; Guibert J., 1926, p. 126, 236 ; BnF, Estampes, Réserve, Y E-1 (1797-1808) – PET FOL, pièces 400-401).

Durant les premières décennies du XIXe siècle, les collections de Bertin réapparaissent à l’occasion de plusieurs ventes publiques. La première et la principale est celle de février 1815, essentiellement composée d’objets (169 lots représentant environ 500 articles), dont le procès-verbal n’est malheureusement pas connu. D’après le catalogue (Notice des articles curieux composant le cabinet chinois de feu M. Bertin. Paris : Imprimerie de Crapelet, 1815), certainement inexact sur ce point, il s’agirait de l’intégralité du cabinet chinois de Bertin, complété de quelques objets persans. En avril 1828, une vente à la requête d’Auguste Nicolas Nepveu réunit peintures chinoises et japonaises, laques, porcelaines et autres objets de la Chine provenant notamment du cabinet de Bertin. En mars 1832, la vente de la collection Théodore Moreau réunit elle aussi livres, manuscrits, mais aussi objets chinois et japonais provenant notamment de la collection Bertin. Sans doute parmi bien d’autres, Jean Huzard (1735-1838), directeur de l’école d’Alfort (Huard P., Wong M., 1966, p. 142-143, n. 5, p. 158), et Chrétien Louis Joseph de Guignes (1759-1845) ont aussi possédé, durant ces années, des fragments de la collection.

En juin 1830, Nepveu vend la correspondance de Bertin avec les missionnaires de Pékin ainsi qu’avec Ko et Yang au baron Benjamin Delessert (1773-1847). Ils seront, en 1874, légués à la bibliothèque de l’Institut par le baron François Marie Delessert (1780-1868) [BIF, Ms. 1515-1526 ; Huard P., Wong M., 1966, p. 142, n. 5 ; Bienaimé C., Michel P., 2014, p. 164-165). Les papiers de Bréquigny, successeur de l’abbé Batteux à la tête de l’entreprise des Mémoires concernant les Chinois, légués à son collaborateur La Porte du Theil, sont quant à eux entrés au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale après la mort de ce dernier en 1815 (voir Dehergne J. [1983], qui décrit la dispersion de la documentation ayant servi aux Mémoires, et Silvestre de Sacy J. [1970], p. 170).

En 1880, les objets attribués en 1796 au Muséum des antiques, à la Bibliothèque nationale, éventuellement enrichis d’autres, sont quant à eux remis au musée d’Ethnographie du Trocadéro, prédécesseur du musée de l’Homme (Hamy E. T., 1890, p. 29) ; c’est le cas, notamment, d’instruments de musique (Picard F., 2006, p. 23-24). À côté des grands ensembles aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale et à la Bibliothèque de l’Institut, un grand nombre d’objets et surtout de livres et de documents figurés peuvent encore être signalés dans les collections publiques. Peuvent, à titre d’exemple, être cités les manuscrits et albums représentant animaux et végétaux détenus par le Muséum d’histoire naturelle (cités par Huard P., Wong M., 1966, p. 158, 224, 225) et les manuscrits sur la fabrication de la porcelaine et sur les vases chinois conservés notamment par les bibliothèques de la manufacture nationale de Sèvres et de l’Inha, cités par Huard P. et Wong M. (1966, p. 226) et Kee Il Choi Jr (2018).