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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

SAINT-SAUVEUR madame de (FR)

21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Si l’on en croit les registres de baptême de l’église Saint-Eustache, à Paris, Madeleine-Suzanne Goullet de Rugy est née le 22 juillet 1720 (AN, MC/ET/LXXXIV/548). Comme c’est généralement le cas lorsqu’on cherche à savoir qui fut une femme ayant vécu au xviiie siècle, les documents détaillant sa vie manquent entre sa naissance et son mariage, le 1er mars 1743, à Jean-Anne de Grégoire, plus tard marquis de Saint-Sauveur, résident depuis 1721 à la Petite Écurie de Versailles (AN, MC/ET/XCII/622), qui entretient des relations étroites avec la Cour. Le contrat de mariage, rédigé les 17 et 18 février 1743, est un témoignage de la condition du couple et des familles des nouveaux mariés : il fixe le douaire à 200 000 livres, et porte mention de la « présence et de l’agrément »de Louis XV, de la reine Marie Leszczyńska, du Dauphin Louis et de Mesdames Henriette Anne et Marie Adélaïde (AN, MC/ET/I/411). Parmi les témoins, on compte Henri Camille, marquis de Beringhen, mécène enthousiaste des artistes contemporains, dont Nicolas Lancret, François Boucher et Jean-Baptiste Oudry, ami de Jean-Anne de Grégoire. Le marquis de Saint-Sauveur semble néanmoins n’avoir montré que peu d’intérêt pour l’acquisition d’œuvres d’art : les inventaires après décès effectués en novembre et en décembre 1751, après sa mort soudaine d’une crise d’apoplexie, ne mentionnent que quelques peintures décoratives et quelques estampes  (LUYNES 1860-5, vol. 11, p. 274; AN, MC/ET/XXIX/489). Madame de Saint-Sauveur et son mari eurent trois enfants : Louise Jeanne Marguerite Grégoire de Saint-Sauveur (1745-v. 1816), Jean Baptiste Amédée (1746- ?) et Hyacinthe Philémon Louis (1749-1778).

Nommée « sous-gouvernante des enfants de France » par Louis XV le 24 mars 1751 (AN, O/1/95, fol. 75) ; LUYNES 1860-5, vol. 11, p. 89), Madeleine-Suzanne jouit à Versailles d’une certaine position. Elle est dispensée de ses devoirs par autorisation du roi le 13 février 1768, en raison d’une médiocre santé (AN, O/1/113, fol. 69). Entre cette date et 1771, elle établit sa résidence au couvent parisien des Dames Religieuses de Bellechasse, à l’angle de la rue de Bellechasse et de la rue Saint-Dominique (AN, MC/ET/LXXXIV/526). Il n’était pas inhabituel qu’une femme de la noblesse célibataire ou veuve vînt vivre dans des logements séculiers d’un couvent parisien – mademoiselle Julie de Lespinasse vécut aussi à Bellechasse, et la salonnière madame du Deffand vécut ainsi aux Filles de Saint-Joseph de la Providence, également rue Saint-Dominique (E. Asse, 1877, p. 23, p. 53). Ce déménagement place madame de Saint-Sauveur au cœur de la société parisienne et près des salons qu’elle fréquente. Elle est citée plus d’une fois en 1775 dans les carnets que tenait Horace Walpole où il évoque notamment les dîners conviés par madame du Deffand (H. Walpole, éd. 1937-1983, vol. 7, p. 344, p. 347, 23 août et 6 septembre 1775). Madeleine-Suzanne meurt le 4 mai 1777 à Paris ; son décès est annoncé dans la Gazette de France et dans le Mercure de France, et elle est enterrée à Saint-Sulpice (AN, MC/ET/LXXXIV/548 ; Gazette de France, lundi 19 mai 1777, p. 186 ; Mercure de France, juin 1777, p. 212-213).

Constitution de la collection

Sources concernant la collection

La collection de madame de Saint-Sauveur est d’abord connue par le catalogue de sa vente, qui se tient le 12 février 1776 sous la supervision de Pierre Rémy (v. 1715-1797). Malheureusement, on ne tint pas d’inventaire de la succession de Madeleine-Suzanne, un point mentionné par le commissaire dans les scellés après décès (AN, Y//14562). Le document des scellés mentionne sans plus de précision huit peintures dans des cadres dorés, qui sont peut-être l’indice d’une plus vaste collection, dont le commissaire n’aurait consigné que les pièces de plus grande valeur. Que la vente de la collection de Madame de Saint-Sauveur se fût tenue en 1776, soit un an avant sa mort en 1777, pourrait expliquer pourquoi les scellés n’incluent pas de pièces maîtresses, précédemment cédées.

Origine et acquisition de la collection

Comme nombre de femmes collectionneuses (mais pas toutes, tant s’en faut), Madame de Saint-Sauveur a bénéficié financièrement de la mort de son mari en 1751 et de son père en 1754. Sa succession est estimée à sa mort à presque un million de livres et le premier article du document fait état d’une importante somme en argent liquide (118 813 livres) (AN, MC/ET/LXXXIV/549). À la recherche des provenances des œuvres identifiables dans le catalogue de la vente de 1776, il apparaît, semble-t-il, que l’essentiel est acquis au début des années 1770, ce qui correspond au déménagement de Madeleine-Suzanne de Versailles à Paris. Plusieurs œuvres sont obtenues sur le marché secondaire, après que des marchands comme Vincent Donjeux les aient achetées dans des ventes aux enchères (le lot 10, un paysage avec figures attribué à Jan van der Heyden et Adriaen van de Velde, fut acheté par Vincent Donjeux à une vente du 19 juillet 1773 pour 1 105 livres). Trois peintures de Louis de Boullogne – une Vénus à sa toilette et deux Fables (lots 41 et 42) – seraient venues de la collection de la comtesse de Verrue. Quoique cette dame fût une collectionneuse enthousiaste et une mécène des frères Boullogne, il n’est pas fait mention d’une Vénus à sa toilette dans la vente de la comtesse de Verrue, et comme les œuvres de son inventaire après décès sont laissées dans l’anonymat, il est difficile de savoir si cette assertion est vraie ou ne relève que d’une stratégie de publicité du commissaire-priseur (voir Catalogue des tableaux de feue madame la Comtesse de Verrue[…], 27 mars 1737). La pièce de provenance la plus ancienne est une petite gravure sur bronze d’Il Borgognone représentant L’Enlèvement d’Europe d’après Claude le Lorrain ; elle est achetée à la vente de madame Hayes le 18 décembre 1766 par Caulet avant d’entrer dans la collection Saint-Sauveur. Madame de Saint-Sauveur est la plus ancienne propriétaire connue de plusieurs œuvres importantes, dont La Lecture à la chandelle de Nicolas Lancret (vers 1743, collection particulière) et L’Abreuvoir de Jean-Honoré Fragonard (vers 1763-1765, musée des Beaux-Arts de Lyon, inv. 2013.3.2), ce qui permet de penser qu’elle les aurait elle-même commandées et ait eu une activité de mécène.

Peintures et dessins de la collection

Ce qu’il y a de plus frappant dans la collection de peintures inscrites au catalogue, c’est la prédominance d’œuvres des écoles française, hollandaise et flamande. Parmi les 105 peintures, cinq seulement des œuvres attribuées proviennent de l’école italienne, alors que trente-huit sont issues des écoles nordiques et trente-quatre de l’école française. La grande majorité de ces œuvres sont des scènes de genre, puis viennent des paysages, des descriptions historiques de l’Ancien et du Nouveau Testament et des sujets mythologiques ou allégoriques. On peut cependant identifier d’après la description du catalogue de la vente une peinture de Jan Wijnants, The Farmhouse(vers 1655-1684, Rijksmuseum, Amsterdam). La collection comprenait aussi 230 dessins, dont plusieurs de François Boucher. Plus de 400 gravures sont en outre inscrites au catalogue, dans plusieurs cas compensant les « absences » d’artistes en vogue auprès des collectionneurs dans les années 1760 et 1770, lorsque cette collection fut formée, notamment des gravures de Flipart d’après La Piété filiale et L’Accordée de village de Greuze (lots 140 et 141), ou encore L’Aveugle Trompé, œuvre grâce à laquelle Greuze fut agréé à l’Académie en 1755, gravée, quant à elle, par Laurent Cars (lot 142).

Objets asiatiques dans la collection

Si les pièces d’art chinois ou japonais jouent un rôle relativement mineur dans la collection, il n’est pas indifférent de noter qu’elles constituent l’essentiel des pièces de porcelaine et des meubles compris dans la vente – un témoignage du goût de madame de Saint-Sauveur pour les « chinoiseries », comme de la vogue de ces pièces sur le marché secondaire. Parmi la collection, trois lots sont identifiés comme des porcelaines japonaises : deux gobelets avec leur soucoupe dans une finition craquelée, deux bouteilles avec des reliefs et un vase ancien de porcelaine blanche additionné d’ornements de bronze doré à l’or moulu, soulignant le mélange d’Orient et d’Occident. Quatre bols ne sont pas mentionnés comme provenant d’Orient, mais, avec leurs décors de dragons et de fleurs, affichent au moins un style de « chinoiserie ». Les quatre lots de meubles compris dans la vente sont tous de laque ancien. Deux sont désignés comme chinois : deux secrétaires avec des dragons et des dorures sur bronze et une garniture de cheminée composée de six vases.