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Commentaire biographique

María Eugenia Ignacia Agustina Palafox y Portocarrero est née le 5 mai 1826 à Grenade, deuxième fille de Don Cipriano Palafox y Portocarrero, comte de Teba, et de doña Maria Manuela, fille de William Kirkpatrick, consul des États-Unis à Malaga. Sa jeunesse se déroulera entre l’Espagne, Paris et Londres. En 1849, la jeune comtesse de Teba s’installe à Paris avec sa mère et fait la connaissance de Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, qui deviendra l’empereur Napoléon III en 1852. Son mariage avec l’empereur Napoléon III, de dix-huit ans son aîné, est célébré à Notre-Dame de Paris le 30 janvier 1853. De cette union naîtra un fils, Napoléon Eugène Louis, prince impérial (1856-1879).

L’impératrice Eugénie est marraine de l’expédition de Chine en 1859-1860. En juin 1861, elle reçoit au côté de l’empereur les ambassadeurs de Siam dans la salle de Bal du château de Fontainebleau qui apportent avec eux des cadeaux que l’impératrice fera intégrer dans son « musée chinois ». En 1863, elle fait aménager au château de Fontainebleau le « musée chinois de l’impératrice » dans lequel sont placés les objets provenant de la prise du Yuanmingyuan, le palais d’Été des empereurs de Chine (Droguet, V., 2011, p. 53-57 ; Samoyault-Verlet, C., 1994, p. 16-26). Toujours à Fontainebleau, Eugénie fait installer en 1868-1869 un cabinet de travail avec un décor oriental, où sont placés des meubles et des objets japonais. Quelques années plus tôt, en 1866, Eugénie avait fait construire pour elle-même et sa famille espagnole un hôtel particulier rue de l’Élysée à Paris, dans lequel elle avait disposé une partie importante de sa collection de tableaux. L’un des salons de cet hôtel présentait un plafond de style chinois (pour cet hôtel, voir A. McQueen, Alison 2011 et 2021-3, p. 33-51). À la chute du Second Empire, l’impératrice s’installe avec Napoléon III et leur fils en Angleterre. Elle meurt en 1920 à Madrid, âgée de quatre-vingt-quatorze ans (C. Pincemaile, 2000).

Constitution de la collection

L’impératrice Eugénie (1826-1920) se trouva en possession, à partir de 1861, d’un important ensemble d’objets d’Extrême-Orient, ayant plusieurs provenances, qu’elle installa dans le Musée chinois ou dans son cabinet de travail au château de Fontainebleau.

Le premier ensemble, de loin le plus nombreux et le plus important, est constitué par les envois au couple impérial des objets pris par le corps expéditionnaire anglo-français dans le Yuanmingyuan ou Palais d’Été, qui était la résidence principale des empereurs de Chine depuis le XVIIIe siècle. La prise et le pillage du Yuanmingyuan par les contingents anglais et français intervinrent en octobre 1860 et les objets destinés au couple impérial furent sélectionnés sous la responsabilité du général Cousin-Montauban, commandant l’armée française en Chine. Les objets quittèrent la Chine dès le mois de novembre 1860 et furent acheminés par bateau en France (G. Thomas, 2008). Ils étaient répartis en quatre rubriques : une première intitulée Armée, sous laquelle étaient consignés 96 « objets chinois offerts à S. M. L’Empereur par l’armée » ; deux autres rubriques intitulées 1er et 2e envois sous lesquelles figuraient respectivement 53 et 23 « objets de chinoiserie envoyés à l’Impératrice » ; et enfin un 3e envoi correspondant à 201 « objets en vieille porcelaine de Chine, envoyés à S. M. L’Impératrice », soit au total à peu près 380 objets (ACF, Archives du Château de Fontainebleau 1C160/1 et 2). Arrivés à Paris au début de l’année 1861, ces objets chinois furent présentés, dès la fin du mois de février, au rez-de-chaussée du pavillon de Marsan, à l’intérieur du palais des Tuileries, dans le cadre d’une exposition temporaire décidée par l’empereur et l’impératrice. Des photographies d’Eugène Disdéri, prises à cette occasion, et des gravures publiées dans la presse (Auguste Allongé et Émile Roch, « Exposition des curiosités chinoises offertes à l’empereur pas l’armée expéditionnaire », Le Monde illustré, 5e année, no 203, 2 mars, 1861 ; Jules Gaildrau, « Trophée d’objets chinois », L’Illustration, Journal universel, vol. 37, no 941, 9 mars 1861, p. 149 ; Anonyme, « French Spoils from China Recently Exhibited at the Palace of the Tuileries », in Illustrated London News, vol. 38, 13 avril, 1861, p. 334) montrent comment les œuvres étaient présentées dans l’exposition. Après la fin de cette exposition, les armes et les armures — et notamment l’armure de l’empereur Qianlong — furent envoyées au musée de l’Artillerie, (actuel musée de l’Armée) tandis que les objets d’art étaient pour l’essentiel remis en caisse. Cependant, l’impératrice Eugénie fit disposer quelques-uns de ces objets dans deux pièces à caractère privé de ses appartements des Tuileries : son cabinet de travail et son atelier de peintre. Deux tableaux dus au peintre Giuseppe Castiglione, conservés à la Fundacion Casa de Alba à Madrid et datés de 1861, montrent les œuvres chinoises qu’Eugénie avait gardées près d’elle. On y remarque notamment deux aiguières et leur bassin en or émaillé (F 1467 C), un grand stûpa en cuivre émaillé (F 1359 C), trois chimères en bronze émaillé (F 1362 C et F 1404 C), deux cloches en bronze doré datées de 1744 (F 1363 C), etc. Ce n’est qu’au printemps 1863 que l’ensemble des objets chinois, y compris ceux qui avaient été placés dans les appartements de l’impératrice aux Tuileries, furent envoyés à Fontainebleau afin d’être disposés dans les salles du Musée chinois de l’impératrice, au rez-de-chaussée du Gros pavillon (Archives du château de Fontainebleau, no 18599).

Dans le cadre du musée chinois, les objets provenant du Yuanmingyuan furent rejoints tout de suite par les cadeaux des ambassadeurs de Siam, au nombre d’environ 70, qui avaient été conservés à Fontainebleau depuis juin 1861 et qui constituent le deuxième ensemble le plus important d’œuvres d’Extrême-Orient arrivées entre les mains du couple impérial, après celui des objets chinois. Ces objets siamois étaient arrivés avec l’ambassade envoyée par le roi Rama IV Mongkut (1804-1868), qui avait été reçue en audience par Napoléon III et Eugénie, à Fontainebleau, le 27 juin 1861 (Droguet, V., 2011, p. 53-57).

Les objets chinois et les objets siamois furent disposés, sous la direction de l’impératrice et en sa présence, pour l’essentiel dans des vitrines, sur des meubles ou dans des étagères fabriquées pour le Musée chinois et le salon qui le précède. En raison de leurs dimensions, la peinture représentant le Bouddha d’Émeraude (F 1768 C) ainsi que les palanquins (F 1764 C et F 1774 C), les parasols (F 1748 C, F 1749 C, F 1750 C et F 1771 C) et les armes (F 1755 C, F 1756 C, F 1769 C, F 1770 C, F 1776 C et F 1777 C) qui les accompagnaient furent installés dans l’antichambre de la suite des salons et du Musée chinois. Trois des quatre grands Kesi, découverts dans une « grotte » dans l’enceinte du Yuanmingyuan par le lieutenant Des Garets (Garnier des Garets L., 2013, p. 193-194) furent installés au plafond du Musée chinois. Afin de compléter cette présentation, Eugénie fit sortir du garde-meuble de la Couronne plusieurs objets asiatiques : deux paravents chinois, en laque à fond noir ou à fond or, datant du XVIIIe siècle, qui furent démontés et refendus afin que les panneaux viennent orner les parois du Musée chinois ainsi que des porcelaines confisquées sous la Révolution dans les collections des princes de Condé à Chantilly : deux paires de vases à fond blanc avec des personnages en relief (F 1384 C et F 1388 C) et une paire de chimères montées sur une base de bronze doré (F 1736 C) (Samoyault-Verlet, C., 1994, p. 16-26).

Peu après l’installation de ces objets et l’inauguration du Musée chinois de l’impératrice le 14 juin 1863, le régisseur du château rédigea un inventaire spécifique des objets orientaux qui fut établi avec la collaboration du marchand Nicolas Joseph Malinet (1805-1886) (Archives du château de Fontainebleau, Registre-inventaire du Musée chinois, pièce no 19985). Cet inventaire reprenait notamment les rubriques sous lesquelles les objets chinois étaient arrivés. Toutefois, le régisseur ajouta une dernière rubrique, intitulée Divers, qui comprenait à la fois des objets chinois venant à coup sûr du Palais d’Été, comme le bassin et les deux aiguières en or émaillé (F 1467 C), les deux vases en or repoussé (F 1432 C), les deux grands dragons en bronze doré (F 1360 C) ou les trois grandes tapisseries Kesi (F 1305 C), mais également des objets ayant d’autres provenances et d’autres origines. Parmi ceux-ci, on trouve notamment les objets apportés en présents par l’ambassade d’Annam, venue en France au début de l’année 1864, mais aussi des objets japonais dont certains furent acquis ou récupérés par le couple impérial après la mort du duc de Morny, le demi-frère de l’empereur, en 1865. Ces objets japonais arrivés à Fontainebleau en 1865 (une série de dix kakémono, des boîtes et des vases de laque notamment) correspondent eux aussi à des cadeaux diplomatiques apportés par des ambassades du shôgun (Droguet V., 2021, p. 19-21).

Les salons et le Musée chinois de l’impératrice au château de Fontainebleau constituèrent, jusqu’à la fin du Second Empire, un lieu très fréquenté par le couple impérial et leurs invités lors des séjours de la cour. Octave Feuillet notamment, qui fut le bibliothécaire du château à la fin des années 1860, relate dans ses lettres à son épouse l’atmosphère des soirées passées au Musée chinois qui assumait donc le rôle de salon de réception pour la souveraine (Mme O. Feuillet, 1894). Les collections asiatiques y étaient installées et montrées dans un but purement décoratif, sans souci de classification scientifique et le terme de musée appliqué à la salle où étaient conservées la plupart des curiosités orientales ne doit donc pas être pris dans le sens que l’on donne actuellement à ce mot, mais bien plutôt dans le sens d’un cabinet de curiosités comme il en a existé de nombreux exemples au XVIIe et au XVIIIe siècle dans toute l’Europe.

Contrairement aux grands appartements du château, les salons et le Musée chinois de l’impératrice n’étaient d’ailleurs pas accessibles aux visiteurs et seules les rares personnes de haut rang ou particulièrement recommandées, ayant obtenu un laissez-passer spécial, pouvaient accéder à ces salles et aux collections orientales réunies à Fontainebleau par Eugénie. De la même manière, a priori aucune photo de ces salons et du muséene fut publiée sous le Second Empire et aucun catalogue de la collection ne fut établi. Les objets restèrent donc inconnus des amateurs, en dehors de leur présentation aux Tuileries au début de l’année 1861 pour les objets chinois venant du Yuanmingyuan.

En 1868 débutèrent les travaux d’installation d’un cabinet de travail pour l’impératrice, au rez-de-chaussée de l’aile Louis XV, non loin des salons et du Musée chinois, et en liaison directe avec le cabinet de travail de l’empereur, lui-même aménagé en 1864. Ce nouveau cabinet de travail de l’impératrice reprenait pour son décor les ingrédients déjà utilisés au Musée chinois : les murs furent recouverts de panneaux de laque de Chine provenant d’un paravent acquis en 1805 auprès du marchand Rocheux (Samoyault, 2004, p. 321-328, no 262) et ayant fait partie de l’ameublement du château de Fontainebleau depuis cette date, tandis que le plafond de la pièce reçut le dernier des quatre kesi trouvés au Yuanmingyuan. L’antichambre de ce cabinet fut même tendue d’un papier peint chinois, livré par la maison Maigret frères, et disposé dans des moulures de faux bambou (Archives du château de Fontainebleau (Bâtiments), 1868/2, Attachements de Maigret frères, fabricant de papier peint, 3 boulevard des Capucines à Paris, 22 et 29 décembre 1868). L’ameublement du cabinet de travail intégrait des meubles orientaux et notamment deux cabinets en laque aventurinée (F 1796 C 1-2), un paravent peint sur fond d’or (F 1815 C) et des meubles à étagères également en laque (notamment F 1799 C) correspondant à des cadeaux diplomatiques japonais offerts par les ambassadeurs du shôgun dans les années 1860 (E. Bauer, 2021, p. 65-74). Venaient s’y adjoindre un fauteuil chinois (F 1779 C) dont la provenance n’est pas connue, des vases japonais en bronze incrustés d’argent (F 1320 C), qui furent montés en lampes, achetés en 1868 par le garde-meuble directement au peintre François-Auguste Ortmans (Archives du château de Fontainebleau (Régie), pièce no 21149, Lettre de Thomas Moore Williamson, en date du 29 juin 1868), une petite table portant l’estampille de l’ébéniste Grohé, dotée d’un plateau en laque du Japon (F 1801 C), des tables gigognes en laque rouge (F 1802 C) livrées par le marchand Chanton en 1869 ainsi que trois autres tables « genre chinois », à pieds en bambou doré et plateau de laque, acquises auprès du marchand Stecker. Une niche ménagée dans la pièce avait été tendue d’un tissu de soie brodé de perles de verre, à motifs chinois, acquis auprès de la veuve Perrier (F 1791 C) (Droguet, V., 2013, notamment p. 114-125).

L’installation de ce cabinet de travail, destiné à devenir une pièce très privée de la souveraine, n’était pas totalement terminée en 1869 et l’impératrice Eugénie n’en prit sans doute jamais complètement possession. Néanmoins, le goût oriental qui présida à son aménagement, tant pour le décor que pour l’ameublement, confirme à quel point la souveraine, à la fin du Second Empire, appréciait le fait d’être environnée, dans les espaces les plus intimes de son existence, par des œuvres provenant d’Extrême-Orient. On peut s’interroger naturellement, au-delà de l’inclination manifeste d’Eugénie pour ces objets et ces meubles exotiques, sur son investissement quant à leur choix et à leur sélection. Les objets et les meubles chinois, siamois, japonais ou provenant d’Annam qui avaient été réunis à Fontainebleau dans les salons et le Musée chinois, puis dans un second temps à l’intérieur du cabinet de travail dit aussi salon des laques, n’avaient pas été collectionnés ou choisis par l’impératrice. À de très rares exceptions près, Napoléon III et Eugénie avaient reçu ces œuvres en cadeau et l’impératrice s’était en quelque sorte contentée de les installer et de les disposer dans un cadre entièrement conçu pour les mettre en valeur. De ce point de vue, la position d’Eugénie par rapport à ces objets se révèle bien sûr très différente de celle de véritables collectionneurs d’art oriental, comme pouvaient l’être Edmond et Jules de Goncourt à la même époque.

Cependant, l’investissement personnel de l’impératrice dans la mise en œuvre de ces ensembles décoratifs et dans l’installation des œuvres au sein de pièces qui étaient devenues — ou allaient devenir — des lieux fréquentés quotidiennement par le couple impérial et ses invités lors des séjours à Fontainebleau, témoigne d’une réelle projection d’Eugénie dans ces collections orientales et d’un authentique attachement vis-à-vis de ces objets d’Extrême-Orient auxquels elle était disposée à accorder un rôle important dans son cadre de vie.

Après la chute du Second Empire en 1870, et l’exil de la famille impériale en Angleterre, les objets restèrent conservés à Fontainebleau. Un contentieux opposa la République et l’ex-souveraine à propos de la possession des collections orientales installées à Fontainebleau, mais Eugénie ne devait jamais récupérer les objets du Musée chinois (E. Viollet-le-Duc, 1874). Cependant, un certain nombre d’objets et de meubles installés dans le cabinet de travail ne furent considérés jusqu’à la toute fin du XIXe siècle comme des biens propres de l’impératrice, mais jamais restitués.

Les salons et le Musée chinois de Fontainebleau furent réaménagés sous la Troisième République en faisant disparaître leur aspect de salons de réception. Ils furent ouverts au public en tant que musée à partir de 1876. De son côté, l’ancien cabinet de travail d’Eugénie fut inclus dans l’appartement du président de la République.

C’est à partir de 1984 que fut entreprise la restauration des salons et du Musée chinois de l’impératrice, ainsi que celle du cabinet de travail d’Eugénie, dans le but de reconstituer le plus fidèlement possible les aménagements du Second Empire. Le Musée chinois, restauré avec les objets remis en place d’après les inventaires et les rares photographies de l’époque fut ouvert au public à partir de 1991. De son côté, le cabinet de travail de l’impératrice ou salon des laques, restauré durant la même campagne, dut attendre 2013 et la fin de la restauration du cabinet de travail de Napoléon III pour être visible des visiteurs du château. Ces deux lieux conservent encore de nos jours — malgré la ponction opérée par le vol perpétré au Musée chinois en 2015 — la quasi-totalité des collections orientales que l’impératrice Eugénie y avait installées.