Skip to main content
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Les années de formations

Né le 3 novembre 1817, Ernest Hébert appartient à la bourgeoisie grenobloise. Son père, Auguste Hébert, a repris l’étude notariale paternelle, mitoyenne du logement situé dans le centre de Grenoble. Sa mère, Amélie Durand est fille d’un aristocrate d’origine provençale, négociant-banquier. De leur mariage naissent trois enfants : Ernest, l’aîné, Valérie et Oscar qui se noiera dans un bassin du jardin de La Tronche.

Bien que le couple se sépare en 1834, les deux parents s’appliquent à entourer au mieux Ernest. Son père lui fait donner à la maison des cours de latin, grec, mnémotechnie et sténographie. Des leçons de piano, violon, escrime, équitation et peinture — sa passion — viennent compléter son éducation.

À dix ans, Ernest Hébert entre dans l’atelier du peintre Benjamin Rolland (1777-1855), élève de Jacques-Louis David (1748-1825). Au moment où il doit partir faire ses études de droit à Paris, le professeur intervient auprès de son père pour qu’Ernest puisse s’inscrire parallèlement à l’École des Beaux-Arts. À Paris, installé dans un petit appartement au 30 rue des Saint-Pères. Hébert profite d’un atelier situé au fond de la cour de la rue du Pot-de-Fer et d’une pension paternelle de 500 francs. Il intègre l’atelier du sculpteur David d’Angers (1788-1856), puis celui de Paul Delaroche (1797-1856). Reçu avocat le 22 février 1839, Hébert obtient la même année le Prix de Rome, qui lui ouvre les portes de la Villa Médicis, Académie de France à Rome, que dirige alors Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867).

La vie à la Villa Médicis, entre étude, musique et excursions

Débarqué dans le port de Civitavecchia, Hébert rend visite à son cousin, le Consul de France, Henri Beyle (1783-1842), plus connu sous le nom de Stendhal, qui le recommande auprès de ses amis romains. Arrivé à la Villa Médicis en janvier 1840, il y séjourne les cinq années réglementaires « menant entre la musique et la peinture une vie d’une tranquillité antique », écrit-il à sa mère. Le soir, Dominique Papety (1815-1849) lui apprend l’aquarelle, le jour il parcourt la campagne romaine y puisant ses sujets de prédilection. Parfois, il fait des excursions pendant quelques jours : à Naples, à l’automne 1842, où il copie les antiques au musée ; à Florence en 1843, pour étudier les chefs-d’œuvre de la Renaissance. À l’abbaye de San Salvi, il fait la rencontre de la princesse Mathilde Bonaparte (1820-1904) et de son frère, le prince Napoléon-Jérôme Bonaparte (1822-1891). Il entretiendra avec la princesse une profonde amitié jusqu’à la fin de sa vie.

La musique tient une place importante dans la vie d’Ernest Hébert, qui joue du violon depuis son plus jeune âge. Avec son ami Charles Gounod (1818-1893), ils organisent, pendant leur séjour à la Villa Médicis, de nombreuses soirées musicales, dont certaines, plus intimes, leur permettent d’entendre Ingres jouer du violon dans un quatuor de Beethoven.

Après une fracture de la jambe qui l’immobilise à Florence, Ernest Hébert obtient de Jean-Victor Schnetz (1787-1870), successeur d’Ingres au directorat de la Villa Médicis le prolongement de son séjour de deux années. De ce premier séjour dans la péninsule, Ernest Hébert restera profondément marqué, au point d’en faire sa terre d’adoption ; il y séjournera trente ans de sa vie, reculant à chaque fois la date de son retour en France.

La vie parisienne : Hébert, portraitiste mondain

Après un séjour forcé d’un an à Marseille, à la suite d’une nouvelle chute, Ernest Hébert rentre à Paris en mai 1848 et s’installe dans l’hôtel particulier de son père, 11 rue de Navarin, dans le quartier de la nouvelle Athènes (9e arrondissement). Il est alors accaparé par la peinture de La Mal’aria composée en Italie ; elle lui offre son premier grand succès au Salon de 1850 (Paris, Musée d’Orsay, inv. 5299). Lassé de la vie parisienne, il retourne en Italie en septembre 1853 avec deux amis paysagistes, Édouard-Auguste Imer (1820-1881) et Eugène Castelnau (1827-1894), pour un voyage de quatre mois dans la campagne romaine et celle des Abruzzes. De ce voyage datent deux de ses meilleures œuvres, Les Filles d’Alvito (Paris, musée Hébert, inv. RF1978-54) et Les Cervarolles (Paris, Musée d’Orsay, inv. MI 225). Les Filles d’Alvito, ainsi que Crescenza à la prison de San Germano (Paris, musée Hébert, inv. RF1978-58), sont couronnées par une médaille de première classe (genre historique) à l’Exposition universelle de 1855.

Il s’ensuit une période de huit années à Paris, durant lesquelles il rejoint le cercle des artistes à la mode. Familier de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III (1808-1873), il fréquente ses salons (à l’hôtel de la rue de Courcelles et à Saint-Gratien, près d’Enghien), hauts lieux de la vie culturelle du Second Empire. Il y côtoie des artistes — Paul Baudry (1828-1886), Victor Giraud (1840-1871), Alexandre Cabanel (1823-1889), Charles Jalabert (1818-1901) — et des écrivains — Hippolyte Taine (1828-1893), Ernest Renan (1823-1892), Gustave Flaubert (1821-1880), Les frères Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt, Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), Alexandre Dumas fils (1824-1895)… Les commandes officielles affluent, notamment de la famille impériale. Le portrait, genre préféré de la bourgeoisie et de l’aristocratie, est parfaitement maîtrisé par Ernest Hébert qui sait révéler, avec élégance et subtilité, le statut social du modèle. Les nombreuses commandes exécutées lui donnent une grande liberté matérielle : « C’est pour moi que je travaille quand je fais des tableaux ; quand je fais des portraits, c’est différent » écrit-il à sa mère. Mondain, Ernest Hébert ne peint presque exclusivement que des femmes de la belle société parisienne. Le peintre les situe dans un cadre clos et feutré, devant des tentures saturées de couleur, ou en plein air. Il accorde le fond à la figure, modulant les couleurs à l’extrême, excluant le noir et le blanc, conférant ainsi aux tableaux une douce nostalgie. Dès 1890, Ernest Hébert fait preuve d’audace technique en intégrant dans ses portraits des perles ou des brillants de pacotille. Au cours de l’année 1900, il réalise vingt-six portraits, avec une prédilection pour les familles princières d’Europe, surtout les Bonaparte. Il privilégie également le milieu artistique et celui de la Haute Banque. À la fois représentations du physique et de l’âme, ses portraits soulignent les caractères et leurs particularités.

L’Italie, terre d’adoption, d’inspiration et de création

Nommé directeur de la Villa Médicis en 1867, grâce à la princesse Mathilde et au comte Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892), surintendant des Beaux-Arts, il repart en Italie avec grand bonheur. Au cours de ce premier directorat, Ernest Hébert s’investit dans une vie sociale intense, organisant réceptions mondaines, sorties collectives sur ses sites préférés et concerts, tous les dimanches soir. En 1872, il peint La Vierge de la Délivrance (Paris, Musée d’Orsay, inv. RF 1978 211, réplique), présentée à l’Exposition universelle de 1889, et réinstallée dans l’église de la Tronche. En 1874, nommé membre de l’Institut, il regagne Paris, où il assumera plus tard la fonction de professeur aux Beaux-Arts. Ernest Hébert s’installe au 55 du boulevard Rochechouart. Il fait la connaissance de Gabrielle d’Uckermann (1853-1934), jeune aristocrate allemande, férue d’art et admiratrice de son travail. Ils se marient à l’église de La Tronche en novembre 1880. De leur union naît Mathilde-Ernestine, enfant unique, morte à la naissance le 25 novembre 1882. La commande du directeur des Beaux-Arts, pour un projet de décor en mosaïque de l’abside du Panthéon, lui donne l’occasion de retourner en Italie, pour étudier une nouvelle fois les grands anciens. En 1884, la mosaïque est inaugurée.

En juin 1885, alors âgé de 67 ans, Ernest Hébert est appelé pour un second directorat de l’Académie de France à Rome. Mais, Rome a changé ; il en décrit la modernisation destructrice dans Roma Sdegnata (Hébert E., 1896, Rome, Museo di Roma). Remplacé à la Villa Médicis par Ernest Guillaume (1822-1905) en 1891, Ernest Hébert reste encore cinq ans en Italie. En 1894, il a l’opportunité de recevoir Émile Zola (1848-1902), venu prendre des notes pour Rome (Zola E., 1896), son futur roman. Les Hébert lui font découvrir la Chapelle Sixtine et les Chambres de Raphaël au Vatican. Zola rapporte de Rome un masque antique, que le peintre rachète à sa mort en 1902 pour l’installer dans le jardin de La Tronche. Au cours de ce dernier séjour en Italie, Ernest Hébert peint entre autres, Bibiana en 1889 (Grenoble, musée d’Art, inv. MG 1616), La Vierge au chasseur en 1892 (Paris, Musée d’Orsay, inv. RF 1978 218) ou encore en 1892 la Vierge Addolorata.

Revenu à Paris en octobre 1896, Ernest Hébert, d’un âge avancé, continue à peindre et mène une vie sociale intense, sortant presque chaque soir au concert ou au théâtre et recevant des célébrités littéraires, telles qu’Anatole France (1844-1924), Marcel Proust (1871-1922), ou Edmond Rostand (1868-1918). En décembre 1896, il est fait grand officier de la Légion d’honneur. En 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle, il reçoit la Grand-croix. Le 2 août 1908, Ernest Hébert revient en Isère retrouver la maison de son enfance. Atteint d’une pneumonie, il s’éteint le 4 novembre 1908, âgé de 91 ans. Il repose dans le caveau édifié dans le jardin de sa maison de La Tronche.

Constitution de la collection

En 1867, le premier pavillon de l’empire du Soleil levant, présenté lors de l’Exposition universelle, obtient un succès considérable et lance la mode des objets japonais. De nombreuses boutiques de « chinoiseries-japoneries » ouvrent et proposent toutes sortes d’articles exotiques importés, souvent réalisés spécialement pour les Européens. Parmi les précurseurs, les frères Goncourt, Jules et Edmond, sont absolument fascinés par ces objets qu’ils collectionnent dans un cabinet oriental débordant jusque sur les marches de l’escalier de leur maison d’Auteuil. Jules de Goncourt écrit, en 1867, une lettre à Philippe Burty (1830-1890), inventeur du concept de « japonisme », qu’il termine par « Japonaiserie for ever ». Edmond de Goncourt est l’un des premiers, dans La Maison d’un artiste (Goncourt (de) E., 1881) puis dans le Journal (Goncourt (de) E. et J., t. 7, 14 décembre 1894, 1894) à attirer l’attention sur ces céramiques, panneaux de laque, coffres, éventails et estampes. Le goût des bibelots, objets rares ou de pacotille, se développe peu à peu et « descend aux bourgeois » ainsi que le notent déjà les deux frères dans leur journal du 29 octobre 1868 (Goncourt (de) E. et J., t. 3, 1888). Hayashi Tadamasa (1854-1906), venu en tant qu’interprète pour l’exposition universelle de 1878, s’établit en 1883 comme marchand d’art. En tant que commissaire général du comité japonais de l’exposition universelle de 1900, il va largement contribuer à la propagation du japonisme. Devenu la coqueluche du Tout-Paris, il est lié aux frères Goncourt, notamment à Edmond qu’il aide pour ses écrits sur les artistes japonais (Outamaro, le peintre des maisons vertes, 1891, et Hokusaï, 1896). Par leur intermédiaire, Hayashi Tadamasa devient l’ami de la princesse Mathilde et du peintre Ernest Hébert. Ce dernier, ainsi que son épouse, est sollicité dans une lettre de la princesse en date du vendredi 9 novembre 1900 : « Voulez-vous dîner lundi prochain et dire à Hayashi de venir aussi ? J’ai égaré son adresse. Mille amitiés. Mathilde » (Paris MNEH, 1978-7-452). C’est sans doute sous l’influence du Japonais qu’Hébert fit l’acquisition — ou les reçut-il en cadeau ? — des objets nippons figurant dans les collections du musée : kimonos, céramiques, éventails, orgue à bouche, mobiliers, etc., aux côtés d’objets chinois. Ce véritable bric-à-brac confirme l’engouement pour l’exotisme extrême-oriental qui s’affiche dans les salons et les ateliers d’artistes, à Paris (Claude Monet, 1840-1926) comme en province (général Léon de Beylié, 1849-1910), à la fin du XIXe siècle.