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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

RANDON de BOISSET Paul Louis (FR)

Financier et amateur

Paul Louis Randon de Boisset est né à Reims le 25 octobre 1709 de Paul Louis Randon de la Randonnière, receveur des Finances à Montdidier, et de Françoise Juillet (Mazel G., 1987, p. 47). Son père est issu d’une riche famille de marchands lainiers d’Anduze. Après avoir reçu une éducation brillante, Randon de Boisset devient avocat au Parlement de Paris en 1736, puis embrasse la carrière de financier (Ris de C., 1877, p. 361-362). C’est par goût, mais aussi poussé par sa famille, qu’il s’intéresse aux affaires et devient fermier-général de 1757 à 1758. Il abandonne cependant cette fonction pour une charge de receveur général des Finances à Lyon. Selon le marchand Lebrun, il aurait préféré cette fonction « qui, moins coercitive que la première, lui donnait plus de temps pour se livrer à son goût pour les lettres et les beaux-arts » (Mazel G., 1987, p. 4 n. 1 ; p. 41). Randon de Boisset est de fait un ardent collectionneur. Il s’intéresse d’abord aux livres, ses débuts de bibliophile remontant aux années 1740 (Beurdeley M., 1988, p. 48-55). Sa collection, importante en nombre, est alors également connue pour sa qualité et la rareté de certains exemplaires (Rémy P., 1777, p. 5). La peinture est un autre de ses centres d’intérêt. Randon de Boisset se lie d’ailleurs avec plusieurs artistes, tels que François Boucher ou Jean-Baptiste Greuze, et fait deux voyages en Italie, en 1752 au cours duquel il rencontre Joseph Vernet, puis en 1762 (Rémy P., 1777, p. 2-4). Son goût encore récent pour la peinture devient alors une véritable passion et il consacre des sommes considérables à sa collection. Il visite la Hollande et les Flandres avec Boucher en 1766 et se découvre un enthousiasme sans fin pour la peinture hollandaise. Désormais, les trois écoles (du Nord, française et italienne) sont présentes dans son cabinet, enrichi grâce aux conseils de Pierre Rémy, marchand mercier que Boucher lui a présenté (Beurdeley M., 1988, p. 6). Ce remarquable ensemble est dispersé lors de la vente de la collection en 1777 (Rémy P., 1777). Cependant, Randon de Boisset ne s’intéresse pas seulement aux livres et aux tableaux ; il collectionne également les arts décoratifs. En 1772, il quitte la place Vendôme pour la rue Neuve des Capucines, où il s’installe dans un vaste hôtel qu’il a fait construire par l’architecte Gabriel. Cette nouvelle demeure abrite bien sûr sa bibliothèque et son cabinet de peinture, mais aussi des meubles et objets d’art admirablement présentés (Rémy P., 1777, p. 5).

L’étude du catalogue de vente après décès permet d’entrevoir la richesse de cette collection. La première partie du catalogue, rédigée par Pierre Rémy, regroupe ce qui concerne les Beaux-Arts. Le reste du catalogue concerne tout ce qui relève des arts décoratifs et de la curiosité, « le surplus des effets curieux et précieux de ce Cabinet » (Julliot C.-F., 1777). Cependant, malgré sa renommée, la collection de Randon de Boisset est alors peu visible au public. Contrairement à d’autres collectionneurs de l’époque, Randon de Boisset n’ouvre pas son cabinet (Rémy P., 1777). Sa collection fut en fait découverte par les amateurs et autres curieux lors de la vente publique, comme en témoigne peu après Pierre Rémy dans le catalogue de la vente du prince de Conti : « M. de Boisset, aussi doux, aussi honnête, mais moins communicatif, regardoit, pour ainsi dire, son Cabinet comme un sanctuaire où tout le monde ne pouvoit pas être admis. Pour y arriver, il falloit être lié avec M. de Boisset, le prier, le solliciter : aussi son Cabinet, avec de la célébrité, étoit malgré cela connu de peu de personnes. Ses héritiers, pour remédier à cet inconvénient, l’ont ouvert. Avec quelle ardeur et quelle affluence le Public y est venu ! on en sortoit rempli d’admiration, & partout on se répandoit en éloges sur les chefs-d’œuvres que renfermoit ce Cabinet » (Rémy P., 1777). Randon de Boisset décède au milieu de ces splendeurs en septembre 1776. Il est inhumé le 30 septembre 1776 au cimetière de la paroisse de Saint-Roch. Célibataire, il avait désigné comme légataires universels ses deux neveux, Jean-Louis Millon d’Ainval, receveur général des Finances de Lyon, et Augustin Million d’Ailly, receveur des Domaines et Bois de Paris, tous deux fils de l’une de ses trois sœurs (AN, M.C., LXXXIV/546, 18 octobre 1776, inventaire après décès de Paul-Louis Randon de Boisset). Ce sont eux qui décident de mettre en vente la collection. La vente a lieu in situ, dans l’hôtel de la rue Neuve des Capucines. Paul Louis Randon de Boisset était principalement connu pour être le possesseur d’une des plus belles collections du royaume, dont la dispersion en février, mars et avril 1777 est un épisode significatif du goût de l’époque. Les résultats de la vente atteignent des prix très élevés. Michel Beurdeley (1988, note 9 p. 6) cite en exemple de l’engouement suscité par la vente un passage d’une lettre de l’académicien Watelet à l’un de ses amis : « …vous auriez vu le spectacle de la vente de M. de Boisset, où tous les objets se vendent à des prix inconcevables… »

Il existe peu de documents sur ce collectionneur, qui permettraient de mieux connaître sa carrière et sa personnalité, mais le catalogue de vente et l’inventaire après décès apportent des informations précieuses quant à l’histoire du goût dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, en particulier en matière de collections d’arts asiatiques.

Une collection de valeur

L’étude de la collection de Randon de Boisset, au-delà de son intérêt intrinsèque, permet d’appréhender l’ampleur du goût pour les arts asiatiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En effet, la façon dont sont présentées les pièces dans les catalogues de vente, estimées selon leur forme, leur provenance et leur passage dans des collections renommées, montre qu’on ne les considère plus seulement comme des objets de curiosité, mais qu’une véritable « culture » extrême-orientale se fait jour, chez les amateurs comme chez les marchands : on attache désormais plus d’importance à l’origine des objets, à leur ancienneté ou à leur technique. Pour l’étude des parties du catalogue concernant les laques et les porcelaines, on peut s’inspirer de l’essai de Krzysztof Pomian intitulé « Marchands, connaisseurs et curieux à Paris au XVIIIe siècle » (Pomian K., 1987). Dans cet article, l’auteur montre l’évolution des catalogues de vente au cours du XVIIIe siècle : dans les notices des tableaux, on passe d’une simple description avec une attribution plus ou moins certaine, à une mise en avant du nom de l’artiste avec une description plus précise, ce qui permet au marchand qui propose ces attributions justifiées d’accéder au titre de « connaisseur ». On peut transposer en partie cette démarche pour les laques et les porcelaines, marqueurs du goût asiatique dans les collections de l’époque. Ainsi, en ce qui concerne les laques, on peut noter dans les catalogues, y compris celui de Randon de Boisset, une volonté de mettre en avant les différences de provenance et de qualité des objets.

Dès le XVIIe siècle, les importations de produits d’Extrême-Orient deviennent plus fréquentes, et les armateurs et marchands européens commencent à distinguer le laque du Japon de celui de la Chine, préférant le premier pour sa qualité nettement supérieure ; on distingue également l’ancien et le nouveau laque. Cependant, la connaissance des laques par les experts français s’affine de façon encore plus nette à partir du deuxième quart du XVIIIe siècle : la distinction entre ancien et nouveau laque correspond alors à une véritable différence de datation, soit « ancien laque » pour les laques du siècle précédent, de meilleure qualité, et « nouveau laque » pour les laques contemporains. Cette distinction est souvent reprise par les experts dans la seconde moitié du siècle et entraîne une différence de prix importante (Wolvesperges T., 2000, p. 12).

Randon de Boisset détient, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une des plus importantes collections de laques, après celle de la marquise de Pompadour. Sa collection est majoritairement composée d’objets décoratifs et de seulement trois meubles en laque, deux commodes de Levasseur qui présentent des tiroirs en laque du Japon et un bas d’armoire. Ces meubles ont été vendus à des prix élevés lors de la dispersion de la collection (respectivement 3 500 livres (lot 772 du catalogue) et 1 410 livres (lot 771)) et se rangent alors parmi les biens les plus luxueux. Le reste de la collection de laques de Randon de Boisset se compose, selon le catalogue rédigé par Julliot, d’une trentaine de lots regroupant des cassolettes, bouteilles, barils, plateaux, baquets, figures d’animaux et de fruits, vases et boîtes. Les descriptions mettent l’accent sur l’origine et la qualité, les laques japonais étant les plus prisés, ainsi que sur la provenance, certaines pièces étant issues de cabinets d’amateurs célèbres. Ainsi, la boîte « Van Diemen » (selon l’inscription sur le couvercle ; aujourd’hui conservée au Victoria & Albert Museum de Londres) provient, avec quatre autres lots, de la collection de la marquise de Pompadour. Cette dernière est à l’époque considérée comme connaisseur en laque et objets d’art, et on peut penser que le fait que cette boîte lui ait appartenu a contribué au prix élevé (6 900 livres) obtenu lors de la vente Randon de Boisset.

Les porcelaines de Chine et du Japon constituent elles aussi un pan important de la collection d’arts asiatiques de cet amateur, à la fois en nombre et en qualité.

Le catalogue rédigé par Julliot nous apprend ainsi que la collection ne compte pas moins de 167 lots. On peut distinguer une trentaine de types d’objets, utilitaires ou décoratifs, regroupés en quatre catégories : les porcelaines entrant dans la composition de services de table (tasses, soucoupes, théières, sucriers, gobelets, assiettes, pots à eau, bouteilles, etc.), les porcelaines utilitaires (boîtes à thé, à sucre, à tabac, cannes à tabac, vases, pique-fleurs, coffres de toilette, etc.), les porcelaines à usage décoratif (magots, pagodes, animaux, fruits, urnes, cassolettes, mortiers, etc.), et enfin les objets d’ameublement (bras de lumière, lustres, magots en forme d’écritoire ou de pendule, etc.).

De nombreuses pièces possèdent une monture en bronze doré ou en argent (Julliot C.-F., 1777, p. 9). En effet, les marchands merciers n’hésitaient pas à percer ou couper des pièces de porcelaine pour y ajouter des montures exécutées dans la capitale. On y ajoutait aussi des socles en matériaux précieux, montures et socles formant alors des objets d’art composites sur lesquels la céramique le disputait en valeur au marbre et au bronze.

Dans le catalogue, Julliot choisit de classer les porcelaines par type : on trouve tout d’abord les « porcelaines première qualité coloriée », catégorie la plus importante, par le nombre comme par la qualité ; elle regroupe quatre-vingt-sept lots (lots 499 à 586). Viennent ensuite les « porcelaines d’ancien Japon » qui regroupent douze lots (lots 587 à 599), les « porcelaines d’ancien céladon du Japon » composées également de douze lots (lots 600 à 612), deux lots de « porcelaines de couleur lapis d’ancien la Chine » (lots 613, 614), trois lots de « porcelaines d’ancien blanc du Japon » (lots 615 à 618), puis vingt-trois lots de « porcelaines bleues célestes d’ancien la Chine » (lots 619 à 642). Suivent, dans le catalogue, les « porcelaines violettes d’ancien la Chine » (lots 643 à 645), les « porcelaines coloriées de la Chine » (lots 646 à 653), les pièces regroupées sous la rubrique « ancienne terre des Indes » (lots 654 à 661), les « anciennes porcelaines bleu et blanc du Japon » (lots 662 à 664) et, enfin, les « porcelaines d’ancien bleu et blanc de la Chine » (lots 665 à 674). À la suite du catalogue, on trouve les porcelaines de Sèvres et de Saxe, puis les pièces de service.

Les porcelaines japonaises, ou identifiées comme telles, figurent en bonne place dans la collection de Randon de Boisset. De fait, elles font l’objet, à partir de 1720, d’un véritable engouement, car les ruptures d’approvisionnement dues à la chute des Ming à la fin du XVIIe siècle ont détourné la clientèle de la porcelaine de Chine. Cette dernière est cependant bien présente dans le cabinet de Randon de Boisset, dont notamment des « bleu et blanc de la Chine » exposés dans un salon du premier étage de sa somptueuse demeure. Certaines porcelaines, tout comme les laques, sont passées entre les mains d’amateurs célèbres. Julliot cite dans ses notes le passage des pièces dans des cabinets qui faisaient alors figures de références. Ainsi, on apprend que certaines pièces de « porcelaine première qualité coloriée » étaient passées par les cabinets de M. de Fontpertuis (vente en 1747) et du duc d’Ancezune (lot 520 par exemple), ou encore de M. de Jullienne (lot 514) (Julliot C.-F., 1777, p. 9). On trouve également mention dans le catalogue de pièces venant des cabinets de M. le baron de Thiers, M. le Comte de Fontenay, (pour des céladons), M. Boucher, M. le duc de Tallard (notamment pour des « porcelaines d’ancien bleu et blanc de la Chine »), et enfin de Mme la marquise de Pompadour (par exemple, une pièce figurant un chat, en « porcelaine bleu céleste d’ancien la Chine »).

La vente du cabinet de porcelaines produisit des recettes assez exceptionnelles pour l’époque (presque 88 000 livres). Julliot fut probablement l’acheteur le plus important, pour les laques comme pour les porcelaines. Non seulement il servit d’intermédiaire pour de nombreux personnages, mais il acheta également beaucoup pour lui-même. Comme un certain nombre de marchands, il eut apparemment des difficultés à effectuer ses paiements. Après le décès de son épouse, il procéda à la vente de la totalité de son fonds en octobre 1777 et effectua une compensation, par l’intermédiaire du commissaire-priseur Chariot, entre le produit de cette vente et les 11 219 livres 17 sols dus lors des achats de la vente de Randon de Boisset (Beurdeley M., 1988, p. 6). On peut noter que si les prix restèrent relativement élevés lors de la vente Julliot, ils ne dépassèrent que rarement ceux atteints lors de la vente Randon de Boisset. Ainsi, le lot 102 du catalogue Julliot, deux bouteilles en porcelaine à monture de marbre et bronze doré, ne fut vendu que 500 livres, alors qu’il avait été acquis à la vente Randon de Boisset pour 670 livres.