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21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Enfance et début de carrière

Édouard-Simon Ariel, fils de Simon Ariel et Victoire-Aglaë Gautron, est né à Nantes (Loire-Atlantique) le 5 octobre 1818 (AD 44, 96 J 7). Son père, Simon Ariel (né le 10 septembre 1772), était lieutenant des douanes royales à Nantes (AD 44, 96 J 6). Ce poste lié au port de la ville offrait à l’époque une rare fenêtre sur les mondes lointains. Les influences de ce milieu et les préoccupations de sa famille portent naturellement Édouard Ariel vers une carrière dans la Marine. À partir du 1er août 1836, il est attaché au service administratif du port de Nantes, en tant qu’écrivain de la Marine (BnF, Indien 1061, f. 8ro). Il occupe ce poste jusqu’au 7 décembre 1840, date à laquelle il devient attaché à l’administration centrale de la maire de Paris (BnF, Indien 1061, f. 9ro). Il est nommé commis de la Marine de deuxième classe le 24 décembre 1840 ; environ quatre ans plus tard, le 10 février 1844, il devient commis de la Marine de première classe (ANOM, EE 40/12). Le 3 avril de la même année il est affecté à Pondichéry et il s’embarque à Brest le 13 juin 1844 (BnF, Indien 1061, f. 9ro).

Carrière dans l’administration coloniale en Inde

Après cinq mois de navigation, Ariel débarque à Pondichéry le 19 novembre 1844 (BnF, Indien 1061, f. 9ro). Dès lors, il entame une carrière dans l’administration coloniale des établissements français dans l’Inde. Il est nommé secrétaire archiviste du gouverneur Louis Pajol (1790-1855), par un arrêté de nomination provisoire le 24 février 1845. Cette nomination est confirmée le 28 avril 1847 (AD 44, 96 J 7). Au fil des ans, il occupe d’autres fonctions : le 5 janvier 1846, il est nommé conservateur de la bibliothèque publique de Pondichéry ; le 31 décembre 1852, alors que, le 23 décembre 1847, il avait déjà reçu le titre d’aide-commissaire de la Marine, il est appelé à remplir les fonctions de garde-magasin, commissaire aux approvisionnements, chantiers et ateliers (AD 44, 96 J 7). En outre, par arrêté du 15 janvier 1849, le nouveau gouverneur, Hyacinthe Marie de Lalande de Calan (1802-1850), désigne Ariel pour présider le bureau électoral de Bahour, à partir du 22 janvier de la même année (AD 44, 96 J 7). Une lettre d’archives nous apprend que, depuis le mois de juillet 1852, Ariel a cessé ses fonctions de secrétaire archiviste et est remplacé par un certain Chauvet de Cavrolais ; dans la même lettre, datée du 4 août 1852, M. Le Peltier suggère au gouverneur de l’employer comme secrétaire particulier (AD 44, 96 J 7). Nous n’avons pas d’informations sur les fonctions qu’Ariel exerce dans l’administration coloniale de Pondichéry en 1852, mais nous savons qu’il monte en grade et devient sous-commissaire de la Marine le 21 mars 1853 (ANOM, EE 40/12). Le 31 décembre de la même année, il est rétabli dans ses anciennes fonctions de secrétaire archiviste du gouvernement (BnF, Indien 1061, f. 15ro). C’est à peu près à cette époque qu’il doit tomber malade ; d’après Léon de Rosny (1837-1914), « les médecins lui déclarent alors qu’il n’avait de chance de recouvrer la santé qu’en retournant de suite en Europe ; mais M. Ariel ne voulait pas abandonner l’Inde avant d’avoir achevé ses recherches. En dépit de sa maladie, il se mit donc au travail avec plus d’ardeur que jamais, espérant ainsi rapprocher le moment de son départ pour la France. Il n’en fallut pas davantage pour aggraver rapidement sa situation ; et, le 23 avril 1854, la mort vint le contraindre de renoncer à toutes ses espérances » (Rosny L. de, 1868, p. 177, n. 1).

Savant et orientaliste

Parallèlement à sa carrière officielle, Édouard Ariel a poursuivi tout au long de sa vie une carrière de savant et d’orientaliste. Dès son plus jeune âge, il s’est intéressé à la poésie, à la littérature, à l’histoire et à la médecine. En témoignent les papiers restés en possession de sa famille, aujourd’hui conservés dans les archives départementales de Loire-Atlantique (AD 44, 96 J 7). On y trouve, par exemple, de nombreux poèmes dédiés à sa mère, ainsi que des recettes pour fabriquer l’« élixir de longue » vie ou d’autres remèdes. Peut-être Ariel a-t-il déjà commencé à fréquenter le cercle des orientalistes au cours des années 1840-1844, qu’il a passées à Paris avant son départ pour l’Inde. Il apparaît qu’il a étudié sous la direction d’Eugène Burnouf (1801-1852), linguiste et indianiste français, par ailleurs membre fondateur de la Société Asiatique en 1822. Peu après son arrivée à Pondichéry, Ariel entretient une correspondance savante (BnF, Indien 1061, f. 11ro) avec Burnouf, qu’il appelle « Cher Professeur » (Ariel E., 1848, p. 416). Cette relation privilégiée semble expliquer aussi le lien étroit d’Ariel avec la Société Asiatique : c’est dans le journal de cette société savante qu’il publie tous ses travaux de recherche et c’est à elle qu’il lègue sa bibliothèque à sa mort. Certains détails de ces legs nous sont connus par deux lettres de Gallois Montbrun, exécuteur testamentaire d’Édouard Ariel, envoyées au notaire nantais Auguste-Julien Aubert qui était chargé des affaires de la famille Ariel. Dans une la première en date du 23 février 1855, Montbrun écrit à Aubert : « [...] au terme de la liquidation de la succession Ariel, j'embarque demain, sur le Frimaquet, qui mettra dans quelques jours à la voile pour Bordeaux, 15 colis destinés tant à la famille qu’à la Societé Asiatique. Veuillez avoir la bonté de faire ouvrir une police d’assurance pour une somme de six mille francs (5 500 pour la collection destinée à la Societé Asiatique et 500 francs pour les effets destinés à la famille). » Un second courrier de Montbrun, datée du 10 mars 1855, explique à Aubert la question de l'héritage monétaire d'Ariel, qui devait être utilisé principalement pour l’éducation de sa fille Marie, née d’une femme tamoule nommée Ellammaḷ (AD 44, 96 J 7).

Quoi qu’il en soit, peu après son arrivée à Pondichéry, Ariel a commencé à s’intéresser à l’histoire, à l’archéologie, à la langue et à la littérature de la région, comme le montrent ses divers papiers aujourd’hui conservés à la BnF (NAF 8883-8941, Indien 160-168). Surtout, Ariel se passionne immédiatement pour la langue tamoule, dont il obtient une maîtrise exceptionnelle qui lui permet de réussir un concours difficile. Julien Vinson (1843-1926) nous apprend que « le gouvernement colonial a établi par deux arrêts des 28 février 1843 et 12 août 1849 une prime de 3 750 francs (1 500 roupies anglaises) “à l’étude des langues natives ou orientales”, l’hindoustany, le tamoul, le télinga. Cette prime, décernée après un concours oral et écrit des plus sérieux, n’a été obtenue jusqu’à ici que cinq fois : [...] le 27 avril 1850 par M. Ariel [...] » (Vinson J., 1879, p. 21). Nous savons, par une résolution du conseil d’administration des établissements français dans l’Inde de Pondichéry, daté du 20 août 1851 et attribuant cette prime à Ariel, que le concours ne comportait pas moins de neuf épreuves : « 1. Exercice, Grammaire tamile ; 2. Lecture et traduction de vive voix d’ouvrages tamils en prose ; 3. Dictée en tamil ; 4. Traduction en français de vive voix d’une requête en tamil et conversation dans cette langue avec le pétitionnaire ; 5. Déchiffrement d’écritures difficiles en tamil ; 6. Traduction par écrit d’un passage en prose tamile et d’un procès-verbal écrit en cette langue concernant les revenus territoriaux ; 7. Traduction en tamil d’un jugement ; 8. Établissement d’un compte en tamil et traduction d’un autre compte du tamil en français ; 9. Rédaction d’une lettre officielle en tamil » (AD 44, 96 J 7). Sa mort précoce empêcha Ariel de partager ses prodigieuses connaissances avec un large public, comme le note Gallois Montbrun dans sa nécrologie (Gallois Montbrun A., 1854). Il a cependant publié dans le Journal de la Société Asiatique trois études importantes, avec des traductions, sur le Tirukkuṟaḷ (திருக்குறள்) de Tiruvaḷḷuvar, un texte classique de la littérature tamoule (Ariel E., 1847, 1848, 1852).

Constitution de la collection

La collection d’Édouard Ariel est constituée principalement de manuscrits indiens et livres imprimés en Inde. La plupart sont en langue tamoule, mais il y a aussi quelques ouvrages en sanskrit et en d’autres langues sud-asiatiques. S’y ajoutent divers objets, dont des monnaies et des statuettes, ainsi que les papiers d’Ariel, à savoir ses notes diverses.

La collection a été rassemblée entre 1845, après qu’Ariel soit arrivé à Pondichéry (le 19 novembre 1844 précisément ; voir BnF, Indien 1061, f. 9ro) et 1854, quand il y meurt de maladie. La plupart des objets proviennent donc de l’actuel État d’Inde du Sud Tamil Nadu.

Par testament, Ariel légua sa bibliothèque (manuscrits et livres imprimés) à la Société Asiatique de Paris (Rosny L. de, 1868, p. 177). Il avait initialement pensé faire ce legs à Eugène Burnouf (1801-1852), mais ayant appris sa mort, il opta alors pour la Société Asiatique (Rosny L. de, 1868, p. 224). Le 12 octobre 1855, une commission composée de Joseph Garcin de Tassy (1794-1878), Édouard Lancereau (1819-1895) et Léon de Rosny fut chargée par la Société Asiatique de faire un rapport sur le contenu des treize caisses du legs Ariel (Finot L., 1922, p. 51 ; Rosny L. de, 1868, p. 178).

En 1868, Léon de Rosny publia un extrait de ce rapport (Rosny L. de, 1868), enrichi de données bibliographiques collectées postérieurement (Rosny L. de, 1868, p. 178, n. 1). Il y donne une description inégalement détaillée des imprimés (p. 179-191), des manuscrits (p. 191-223) et des objets d’art (p. 223-224). Rosny distingue plusieurs sortes de manuscrits et ne donne pas systématiquement leur nombre (Rosny L. de, 1868, p. 191-193), à savoir 1. Les manuscrits en tamoul gravés sur feuille de palme, 2. Les manuscrits en tamoul écrits à l’encre sur papier (24 volumes de plusieurs formats et 10 autres volumes dont on peut se demander s’il ne sont pas à compter plutôt parmi les papiers d’Ariel), 3. Les manuscrits en langues indiennes autres que le tamoul, 4. Les papiers d’Ariel (notes autographes, correspondance, fragments d’ouvrage recopiés ; au total 500 liasses). À défaut de lire le tamoul, Rosny se concentre sur les papiers d’Ariel, dont il cite des extraits, et donne la liste la plus détaillée, à notre connaissance, des objets d’art (Rosny L. de, 1868, p. 223-224). Parmi ceux-ci, on compte des statuettes, en divers matériaux (bois, bronze, albâtre, ivoire), représentant des divinités, des personnages ou des animaux, ainsi que quelques objets de la vie courante (un bracelet, un flacon, des chapelets, des grelots).

Le legs Ariel à la Société Asiatique suscita des discussions au sein de celle-ci, comme en témoignent les comptes rendus de ses séances (Finot L., 1922, p. 51-54) : la Société Asiatique devait-elle conserver des manuscrits ? Dans le cas du legs Ariel, les discussions aboutirent à son éparpillement, à l’encontre de ses volontés (Finot L., 1922, p. 52) : il fut décidé de donner les manuscrits et papiers d’Ariel à la Bibliothèque impériale, aujourd’hui la BnF (Finot L., 1922, p. 54). Le registre B des dons de la BnF, no 1192, en date du 1er août 1866, enregistre ainsi le don par « la Société Asiatique de Paris » de « 1o Trois cent vingt-quatre manuscrits tamouls sur oles ; 2 o Un manuscrit tibétain contenant différentes parties du Kandjour ; 3o Un manuscrit sanscrit en caractères népalais ; 4o Différents papiers, extraits, études, etc. de M. Ariel. »

En l’absence de description détaillée des manuscrits d’Ariel par Rosny ou dans le registre de la BnF, nous ne sommes pas encore en état d’identifier dans les collections de la BnF tous les manuscrits d’Ariel. Un bon nombre des manuscrits tamouls a pu être repéré grâce au catalogue de Cabaton (Cabaton A., 1912), fondé lui-même sur celui resté non publié, de Vinson (Vinson J., 1897-1868), qui mentionne la provenance des manuscrits.

Les manuscrits sur feuilles de palme d’Ariel, identifiés (pour la majeure partie sous la cote « Indien » de la BnF), ont la particularité de comporter en général une page de titre d’une autre main, donnant le contenu du manuscrit ainsi qu’une cote dans un système de classement par lettre et chiffre. Une hypothèse vraisemblable est qu’Ariel, probablement peu au fait de la technique d’incision sur feuille de palme, commandita ces pages de titre à un copiste indien. Il reste à déterminer si elles furent créées avant l’acquisition des manuscrits, dans le cadre d’un plan d’acquisition raisonné de textes tamouls (le contenu de la page de titre et du manuscrit ne correspond en effet pas toujours exactement ; certaines pages de titre ont été corrigées), ou après (le format des pages de titre correspond en général à celui du manuscrit). Celles-ci portent aussi souvent une étiquette collée portant une cote (un chiffre), qui pourrait être, comme nous l’a suggéré notre collègue Jérôme Petit (conservateur, département des Manuscrits, BnF), un vestige de classement propre à la Société Asiatique. Dans l’hypothèse où les pages de titre sont bien l’œuvre d’Ariel, leur présence permet d’identifier ses manuscrits, dont la provenance n’a pas été dûment enregistrée, notamment des manuscrits sous la cote “Sanscrit” de la BnF. Les papiers d’Ariel reçus par la BnF se répartissent pour leur part entre des cotes « Indien » et « NAF ».

Les livres imprimés sont encore aujourd’hui à la Société Asiatique. Ils sont identifiables à leur estampille « Société Asiatique Don Collection Ariel » (Drouin E., 1892, p. 369). D’autres, à défaut d’estampille, portent la signature autographe d’Ariel. En ce qui concerne les livres tamouls, que seuls nous avons pu consulter, certains portent très souvent la transcription/traduction de la page de titre par Ariel. Un examen approfondi des collections de la Société Asiatique permettrait de préciser le nombre de livres légués par celui-ci.

Quant aux objets d’art, ils furent mis en vente par la Société asiatique, qui conserva cependant deux Bouddhas en marbre, pour orner sa salle des séances, ainsi que les monnaies (Drouin E., 1892, p. 369 ; Finot L., 1922, p. 59). Ces derniers objets s’y trouvent donc encore probablement. Les monnaies ont été décrites (Drouin E., 1892, p. 369-370).

Les manuscrits tamouls d’Ariel constituent un fonds exceptionnel. Ariel était un connaisseur de la littérature tamoule et sélectionna avec soin les manuscrits qu’il acquérait, veillant à obtenir, autant que possible, des exemplaires de tous les ouvrages importants. En outre, Ariel put acquérir, probablement grâce aux facilités que lui procurait son poste, des manuscrits anciens datant du XVIIIe siècle. Ils sont aujourd’hui parmi les plus anciens manuscrits tamouls conservés, leurs semblables n’ayant pas connu en Inde des conditions de conservation aussi clémentes que sous le climat parisien. La collection d’imprimés en tamoul d’Ariel est elle aussi notable : elle contient de rares exemplaires de livres imprimés dans la première moitié du XIXe siècle à Madras, au moment de l’essor de l’imprimerie en caractères tamouls.

Les papiers d’Ariel n’ont livré jusqu’ici que peu d’éléments sur la façon dont Ariel put constituer sa collection de manuscrits. Il existe cependant quelques listes d’ouvrages (BnF, Indien 164, f. 239-241). L’une (f. 239) donne une série d’ouvrages de la main d’un certain B. Gnanappragassen (Tamoul Nanappirakacan) indiquant le prix correspondant à un grandam (ligne de texte copiée). Il semble donc s’agir d’un devis pour des copies demandées par Ariel via un intermédiaire indien. Ce dernier note (en français) : « Les copistes demandent pour 1 000 grandams une roupie. Je vais pouvoir diminuer quelque chose. » On notera qu’Ariel avait obtenu une prime conséquente (1 500 roupies = 3 500 francs) de l’administration de Pondichéry (BnF, Indien 1061, f. 10ro). Il est probable qu’il ait mis à profit, en plus de ses émoluments de fonctionnaire, ce capital pour acquérir des manuscrits anciens et pour commander des copies à des copistes professionnels.