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Éducation (1878-1904)

La vie de Victor Victorovitch Goloubew (12 février 1878 – 19 avril 1945) est bien documentée par les nécrologies que Louis Malleret (1901-1970) rédigea à son sujet (Malleret L., 1964, 1967). Second fils du conseiller d’État et ingénieur Victor Fedorovitch Goloubew (1842-1903) et de son épouse Anna Petrovna, née Lossef, il appartient à une riche famille de l’aristocratie russe. L’éducation de Victor Goloubew accorde une large place aux langues étrangères et aux arts. Il apprend le français, l’anglais, l’allemand, l’italien et devient un excellent violoniste.

Victor Goloubew entame ses études supérieures en Russie. Il passe quatre années (1896-1900) à la faculté des sciences de l’université de Saint-Pétersbourg (Malleret L., 1967, p. 332), avant de quitter son pays natal avec sa femme Nathalie Cross (v. 1882-1941), épousée à Kiev en 1900, afin de suivre des cours à l’université de Heidelberg. Il y rédige entre 1901 et 1904 une thèse de philologie sur les œuvres de Marivaux – Marivaux' Lustspiele in deutschen Übersetzungen des 18. Jahrhunderts – qui s’accompagne d’une spécialisation en histoire de l’art et archéologie. Son fils aîné, Victor (1901- n.c.), naît en Allemagne pendant la première année de résidence du couple.

Séjour à Paris (1905-1920)

Sa formation achevée, Victor Goloubew s’installe en 1905 à Paris (Malleret L., 1967, p. 333). Son second enfant, Ivan (1905-n.c.), voit le jour en France la même année. La fortune qu’il tire de ses terres en Ukraine et de ses actions en bourse – Victor Goloubew était notamment membre du conseil d’administration de la Lena Goldfields Limited, une société anglaise exploitant des mines d’or en Russie (Annuaire Desfossés, 1910, p. 415) – lui permet de vivre en rentier jusqu’à l’avènement de la Première Guerre mondiale. À son arrivée dans la capitale française, il s’installe dans un appartement luxueux de l’actuelle avenue Foch (Malleret L., 1964, p. 437) et dédie la décennie suivante à l’enrichissement de sa collection ainsi qu’à diverses activités liées à l’histoire de l’art, telles que l’enseignement. Il réalise notamment des recherches qui mènent à la publication d’une étude en deux volumes portant sur les carnets de croquis de Jacopo Bellini (1400-1470) [Goloubew V., 1908 et 1912].

Victor Goloubew commence à manifester vers 1907 un intérêt croissant pour l’Orient. Il effectue en 1907-1908 plusieurs voyages (EFEO, fonds Victor Goloubew, D-1, 60, notice individuelle), d’abord en Turquie, puis en Égypte et au Soudan où il remonte le Nil Blanc accompagné de son ami l’écrivain Charles Müller (1877-1914). À la même époque, il signe son premier article ayant trait à l’Asie : « Les races mongoles dans la peinture du Trecento », qui paraît en 1907 dans le Bulletin de la Société des antiquaires. Il adhère l’année suivante à la Société Asiatique. L’an 1908 marque également la séparation du couple Goloubew, Nathalie étant devenue la maîtresse du poète Gabriele d’Annunzio (1863-1938) [Malleret L., 1967, p. 334-336]. Toutefois, Victor Goloubew, après avoir versé un million de francs à sa femme à l’occasion du départ de celle-ci (Berenson, Stewart Gardner et Van N. Hadley, 1987, p. 475), continue à lui payer une mensualité jusqu’à sa mort en 1941. En 1910, il retrouve Charles Müller pour un circuit de six mois à travers l’Inde et le Sri Lanka (Malleret L., 1967, p. 336-337). À son retour, il donne à l’École des langues orientales vivantes un cours portant sur l’art indien. Il est chargé de conférences et examinateur au sein de l’établissement de 1912 à 1914 et de 1919 à 1920 (EFEO, fonds Victor Goloubew, D-1, 60, titres scientifiques).

Très sociable et mondain, Victor Goloubew développe un important réseau de relations dans les sphères artistiques et politiques en Allemagne puis en France. L’éditeur Gérard Van Oest (1875-1935), rencontré en 1905 et avec lequel il avait déjà collaboré pour publier ses travaux concernant Jacopo Bellini, lui permet de concrétiser un projet conçu lors de son voyage en Inde : la création d’une collection intitulée « Ars Asiatica », dirigée par lui, dont le premier tome titré La Peinture chinoise au musée Cernuschi. Avril-juin 1912 paraît en 1914. Auguste Rodin (1840-1917) compte également au nombre des connaissances du couple Goloubew : il réalise en 1906 un buste de Nathalie, dont une version en marbre se trouve au Pola Museum of Art de Hakone (Japon) et un bronze au musée Rodin à Paris (S.01037) [Kessler H., 2017, entrée du 29 mai 1905, note no 1). Rodin, qui partage l’intérêt de Victor Goloubew pour l’art indien, accepte de collaborer au troisième tome d’Ars Asiatica. Il paraît en 1921 sous le titre Sculptures çivaïtesc.Goloubew entretient également des liens amicaux avec René-Jean (1879-1951), le bibliothécaire du couturier et collectionneur Jacques Doucet (1853-1929). Il participe à la constitution de la bibliothèque d’art et d’archéologie de ce dernier par des dons d’ouvrages.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Victor Goloubew – qui n’est naturalisé français qu’en 1926 (Journal officiel, 1926, p. 10226) – est exempté de toute obligation militaire dans son pays de résidence. Il choisit cependant de participer au conflit et dirige jusqu’en 1916 le Service des ambulances mises à disposition du gouvernement français par la Russie (Malleret L., 1967, p. 338-340). Il fait le reste de la guerre comme soldat dans la brigade d’infanterie russe envoyée par le tsar. En 1917, la révolution russe met fin à son eXIstence prospère. Ruiné, Victor Goloubew se trouve dans l’obligation de se séparer de ses biens de valeur. Il doit quitter son luxueux appartement pour emménager rue Théodore-de-Banville, vend son stradivarius et se défait de ses œuvres d’art. Grâce à ces ventes, il « vécut encore pendant quelque temps avec les débris de sa fortune » (Malleret L., 1967, p. 341) avant de trouver un emploi d’orientaliste grâce à des « amis qui lui firent rencontrer Louis Finot [1864-1935] » (Malleret L., 1967, p. 341), le directeur de l’École française d’Extrême-Orient.

Membre de l’École française d’Extrême-Orient (1920-1945)

Victor Goloubew obtient par arrêté du 4 août 1920 le titre de membre temporaire de l’École française d’Extrême-Orient (Malleret L., 1964, p. 437), dont le siège se trouve alors à Hanoï, au Tonkin. Il part pour l’Indochine française à la fin de l’année. Débarqué à Saïgon, il séjourne quelques mois au Cambodge, puis rejoint Hanoï en juin 1921 (Malleret L., 1967, p. 342). Il conserve sa résidence principale dans cette ville jusqu’à sa mort.

Les vingt-cinq années que Victor Goloubew passe au service de l’École sont riches de publications et de missions scientifiques en Asie et en Europe. Il donne tout au long de sa carrière de nombreuses conférences sur des sujets variés ayant trait à l’art de l’Asie du Sud-Est. Son entregent et sa maîtrise de plusieurs langues le désignent naturellement pour représenter son institution à l’étranger. Il se rend à plusieurs reprises à des congrès scientifiques internationaux et fait des communications dans des instituts européens afin de faire connaître les travaux de l’École (BEFEO, 1929, p. 466 ; BEFEO, 1934, p. 772-792 ; BEFEO, 1938, p. 453 ; BEFEO, 1939, p. 350 ; Archives EFEO, fonds Victor Goloubew, C-1, dossiers 27, 35 et 39). En France, il contribue à l’organisation des expositions coloniales de Marseille (1922) et Paris (1931), lors desquelles l’École française d’Extrême-Orient présente ses activités aux habitants de la métropole (BEFEO, 1923, p. 503-569 ; Archives EFEO, fonds Victor Goloubew, C-1, dossiers 22 et 45).

En Indochine, il participe à des fouilles au Vietnam (BEFEO, 1923, p. 505) et au Cambodge et joue un rôle pionnier dans l’utilisation de la reconnaissance aérienne pour repérer des vestiges archéologiques. Victor Goloubew prend part aux fouilles d’Angkor, où il effectue des campagnes à plusieurs reprises (BEFEO, 1933, p. 1046-1047 ; BEFEO, 1936, p. 619-623 ; BEFEO, 1937, p. 651-656). Ses observations le conduisent à formuler une hypothèse concernant la délimitation de la plus ancienne ville du site. Selon lui, elle adoptait la forme d’un quadrilatère centré sur la colline du Phnom Bakheng. Un article de 2000 (Pottier C., 2000) analyse en détail l’hypothèse émise par Victor Goloubew. Son auteur démontre qu’elle « a très sensiblement participé à propager l'image de la cité angkorienne, rigoureusement conçue, entourée d'une enceinte carrée, renforçant ainsi l'idée d'un modèle géométrique délimité et axé […] » (Pottier C., 2000, p. 79) et prouve grâce à de nouvelles analyses qu’elle doit être abandonnée. Bien que la théorie de Goloubew relative aux limites de la ville se soit finalement avérée erronée, son écho à l’époque lui vaut de recevoir le prix Giles en 1935 (BEFEO, 1935, p. 497).

Dégagé de ses obligations militaires en raison de son âge, Victor Goloubew passe la Seconde Guerre mondiale à Hanoï, où il occupe les fonctions de délégué général adjoint de la Croix-Rouge française pour l’Indochine (Archives EFEO, fonds Victor Goloubew, carton C-1, dossier 1). En 1941, il effectue au Japon sa dernière mission pour l’École. Le 19 avril 1945, il meurt des suites d’une maladie cardiaque à la clinique Saint-Paul d’Hanoï.

Premiers achats : la peinture française

La collection de Victor Goloubew reflète sa curiosité et ses goûts éclectiques : l’évolution de ses centres d’intérêt le mène de la peinture française aux miniatures persanes, puis à la statuaire chinoise.

Son milieu d’origine joue sans doute un rôle déterminant dans la création de cet ensemble. Au-delà de l’aisance financière nécessaire à l’acquisition d’œuvres, son cercle familial lui donne également le goût de l’art : son père, Victor Fedorovitch, possédait lui-même une collection de peinture européenne. Celle-ci, connue grâce à un inventaire d’assurance de 1897 détaillé par Marina Polevaya (2008, p. 316-317), comportait des tableaux d’artistes tels que Canaletto (1697-1768), Charles-Antoine Coypel (1694-1752), Bartolomé Esteban Murillo (1618-1682), Peter Rubens (1577-1640), Diego Velazquez (1599-1660) ou encore Anton Raphael Mengs (1728-1779). À la mort de son père, en 1903, Victor Goloubew hérite de certaines œuvres. Il reçoit notamment une aquarelle de Paul Gavarni (1804-1866) intitulée L’Indienne, ainsi que Le Cloître, un tableau de François Marius Granet (1775-1849). Ces œuvres, qui apparaissent dans l’inventaire de Victor Fedorovitch (Polevaya M., 2008, p. 316-317), sont répertoriées comme la propriété de son fils à l’occasion des expositions d’art français où il les prête en 1912 et 1914 (Exposition centennale de l’art français à Saint-Pétersbourg. 1812-1912 et Exposition d’art français du XIXe siècle à Copenhague). Bien qu’elles aient changé de titre, elles demeurent identifiables grâce à leur sujet.

Victor Goloubew possède plusieurs toiles de Paul Gauguin (1848-1903), probablement acquises alors qu’il était encore étudiant à Heidelberg grâce à l’action indirecte du comte Harry Kessler (1868-1937). Un article de 2005 (Joyeux-Prunel B.) met en évidence le rôle d’intermédiaire de Kessler entre les collectionneurs allemands et Ambroise Vollard (1868-1939), le marchand du peintre. « Kessler sut […] amener à Vollard son ami le baron Eberhard von Bodenhausen […]. Par l’intermédiaire de ce dernier, le marchand eut accès au baron et à la baronne de Golubeff, de Wiesbaden » (Joyeux-Prunel B., 2005, p. 134). Victor Goloubew et Ambroise Vollard sont en contact en 1904, et le couple Goloubew fréquente Kessler après son installation à Paris.

Les acquisitions de Victor Goloubew sur le marché parisien commencent dès l’année de son arrivée dans la capitale française, avec notamment l’œuvre Paysage à l’Étang-la-Ville d’Édouard Vuillard (1868-1940), achetée à la galerie Bernheim-Jeune « le 22 février 1905, pour 750 frs » (musée d’Orsay, fiche œuvre no 21255 [en ligne]). La qualité des œuvres qu’il possédait lui vaut de participer en tant que prêteur aux expositions d’art français de Saint-Pétersbourg (1912) et Copenhague (1914). Les catalogues de ces expositions (Exposition centennale de l’art français à Saint-Pétersbourg. 1812-1912, 1912 et Exposition d’art français du XIXe siècle, 1914) font état d’œuvres de Gauguin, Maurice Denis (1870-1943), René Piot (1866-1934), Odilon Redon (1840-1916), Jules Flandrin (1871-1947), ou encore Charles Daubigny (1817-1878) lui appartenant.

Victor Goloubew s’intéresse également à l’art italien du Quattrocento, avec un attrait particulier pour la peinture vénitienne. La situation privilégiée de Venise, point de passage commercial entre l’Orient et l’Occident, avait conduit à l’introduction d’éléments étrangers dans la production des peintres de la lagune. Louis Malleret (Malleret L., 1967, p. 335) relève l’intérêt avec lequel Victor Goloubew se penche sur ces influences, par l’intermédiaire desquelles il découvre l’art oriental.

La découverte de l’Orient : les miniatures du monde islamique

La première œuvre asiatique acquise par Victor Goloubew est une miniature persane (René-Jean, 1914, p. 10). Cette nouvelle passion prend rapidement une ampleur considérable : son propriétaire rassemble entre 1908 et 1911 l’une des plus importantes collections européennes dans le domaine. Le voyage qu’il effectue en Inde est une occasion d’enrichir cet ensemble ; Victor Goloubew « comp[te] sur [s]on séjour dans l’Inde pour compléter [s]a collection de miniatures persanes et hindoues » (Malleret L., 1967, p. 336). Il réalise à cette fin des achats auprès de marchands du nord du pays : cité par Louis Malleret (1967, p. 336), Victor Goloubew écrit « ma chambre [regorgeait] de Korans et de Chah-namehs aux fines enluminures, d'albums calligraphiques, de peintures mogoles et radjpoutes que des marchands silencieux et affables m'apportaient tous les jours par brassées. Parfois, nous nous rendions au bazar chez quelque antiquaire de haute caste qui se déclarait possesseur de manuscrits précieux. C'est à Delhi que le hasard m'avait fait découvrir un lot de peintures chinoises récemment apportées du Thibet. Un rouleau de l'époque Ming, particulièrement riche en cachets impériaux et en légendes habilement tracées me parut l'œuvre d'un maître. »

À la même époque, d’autres amateurs parisiens, tels que Georges Marteau (1851-1916) ou Henri Vever (1854-1942), forment des collections similaires (Miniatures persanes tirées des collections de MM. Henry d’Allemagne, Claude Anet, Henri Aubry […] et exposées au Musée des Arts Décoratifs. Juin-octobre 1912, 1913). La constitution de ces grands ensembles de miniatures du monde islamique est favorisée par l’arrivée de nombreux manuscrits persans à Paris, consécutive aux troubles politiques que traverse l’Iran au début du XXe siècle (Hillenbrand R., 2010, p. 205). La collection de Victor Goloubew (Coomaraswamy A., 1929) compte un peu moins de cent soixante peintures présentant une certaine diversité stylistique et thématique. Les miniatures persanes de la dynastie safavide sont majoritaires, mais il possède également de nombreuses œuvres mogholes ainsi que des miniatures ottomanes et abbassides en plus faible quantité. La richesse de cet ensemble lui permet de participer à une grande exposition d’art islamique organisée à Munich en 1910 : Meisterwerke muhammedanischer Kunst, où il prête seize œuvres (Ausstellung von Meisterwerken muhammedanischer Kunst, Musikfeste, Muster-Ausstellung von Musik-Instrumenten : amtlicher Katalog, 1910).

En 1912, il dépose l’ensemble de ses miniatures au musée des Arts décoratifs, situé dans le pavillon de Marsan (Miniatures persanes tirées des collections de MM. Henry d’Allemagne, Claude Anet, Henri Aubry […] et exposées au Musée des Arts Décoratifs. Juin-octobre 1912, 1913, p. 7). La présentation de cette collection exceptionnelle constitue pour le conservateur Louis Metman (1862-1943) l’occasion d’organiser une manifestation de plus grande ampleur en faisant appel à d’autres amateurs. Ainsi voit le jour l’exposition Miniatures persanes, présentée de juin à octobre 1912. Les œuvres de Victor Goloubew sont installées à l’écart des autres, dans la première salle du parcours. Cette singularité s’explique probablement par un motif commercial : l’exposition constitue une excellente publicité pour en faciliter la vente (Zaras E., 2019, p. 78). En effet, Victor Goloubew souhaite alors se défaire de ses miniatures pour se tourner entièrement vers l’art de l’Extrême-Orient, qu’il collectionne concomitamment.

Du Moyen-Orient à l’Extrême-Orient

En 1914, Victor Goloubew vend par l’intermédiaire du marchand Rudolf Meyer-Riefstahl (1880-1936) l’intégralité de ses miniatures au Museum of Fine Arts de Boston (Coomaraswamy A., 1929, p. 5). Leur acquisition donne lieu en 1929 à la publication d’un catalogue exhaustif par Ananda Coomaraswamy (1877-1947), dans la collection Ars Asiatica (Coomaraswamy A., Les Miniatures orientales de la collection Goloubew au Museum of Fine Arts de Boston, 1929). Bien que Goloubew ait auparavant refusé des offres pour cet ensemble d’œuvres, leur vente doit lui permettre de rassembler les fonds nécessaires pour financer un deuXIème voyage en Inde, prévu pour avril 1914, ainsi que la réalisation d’un autre projet : la construction d’une « villa-musée » (Ploegaerts L., 1989, p. 81) au 39, rue Cortambert. Il a l’intention d’y installer ses collections extrême-orientales. Pendant la Première Guerre mondiale, il écrit à René-Jean : « J’ai pensé l’autre jour à notre projet asiatique, en visitant la maison rue Cortambert. Rien de plus facile que d’y installer des bibliothèques, des armoires à cartes, des collections […] » (Archives Inha, 191, 21, pièce no 853). Les plans – aujourd’hui conservés au musée d’Orsay, inv. ARO 1985 78 à ARO 1985 85 1 et ARO 1982 102 à ARO 1982 115 – sont confiés à l’architecte belge Henry van de Velde, qui avait déjà aménagé son appartement de l’avenue Foch. Toutefois, Victor Goloubew n’habita jamais l’immeuble qui est « placé sous séquestre avec tous les biens allemands durant le conflit […] » (Ploegaerts L, 1989, p. 94), puis vendu.

L’intérêt de Victor Goloubew pour l’Extrême-Orient est né par le biais des influences chinoises qu’il a décelées dans la peinture persane (Collection Victor Goloubew. 5e Exposition des Arts de l’Asie, 1913, p. IV-V). Peu à peu, il se détourne des arts de l’Islam pour se consacrer à ceux de la Chine, du Japon et du sous-continent indien. Tout comme sa collection de miniatures, l’important ensemble d’objets extrême-orientaux et sud asiatiques qu’il possède suscite l’intérêt des connaisseurs. Le nombre, la diversité et la qualité des pièces qu’il détient font de lui un prêteur privilégié pour les expositions du musée Cernuschi. Avec la collaboration de son conservateur, Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932), il participe entre 1911 et 1914 à quatre expositions : les première, troisième, quatrième et cinquième rétrospectives des arts de l’Asie. Il prête des œuvres pour chacune et s’investit également en collaborant aux catalogues de la troisième et de la quatrième.

Victor Goloubew commence par prêter 5 œuvres en 1911, dont un tapis chinois, puis 24 peintures en 1912, et 43 objets en 1913 (Sudre A., 1998, p. 28). L’exposition de 1913-1914, entièrement dédiée à sa collection, rassemble 157 œuvres de diverses provenances (Collection Victor Goloubew. 5e Exposition des Arts de l’Asie, 1913). La Chine occupe la première place dans sa collection. Il possède plusieurs dizaines de peintures, des terres cuites, des tapis et des statues bouddhiques, parmi lesquelles une stèle de la dynastie Wei représentant le Bouddha accompagné de deux bodhisattva et de deux moines. Cette pièce, qui comptait parmi les plus notables de l’ensemble, est vendue en 1914 à Isabella Stewart Gardner (1840-1924) par l’intermédiaire de Bernard Berenson (1865-1959) (Berenson, Stewart Gardner et Van N. Hadley, 1987, p. 517). Elle est aujourd’hui conservée dans le fonds du musée créé par la collectionneuse à Boston (nS8w4). Le deuXIème pays le mieux représenté est le Japon, dont il possède des peintures sur soie et des statues en bois laqué et doré, ainsi que cinq paravents (Collection Victor Goloubew. 5e Exposition des Arts de l’Asie, 1913). Victor Goloubew est également propriétaire d’objets indiens, tibétains, indonésiens et cambodgiens, mais ceux-ci ne représentent qu’une minorité au regard de l’ensemble. Parmi eux se trouvent plusieurs fragments de char cérémoniel et un petit Krishna dansant provenant d’Inde du Sud, un buste de Bouddha khmer et une statue du Gandhara (Collection Victor Goloubew. 5e Exposition des Arts de l’Asie, 1913).

Enfin, Goloubew s’intéresse de manière plus restreinte aux arts africains : l’exposition Collection Victor Goloubew. 5e Exposition des Arts de l’Asie de 1913-1914 au musée Cernuschi compte parmi tous les objets asiatiques quatre statuettes congolaises en ivoire. Il prête également un fétiche Baoulé à la « Première exposition d’art nègre et d’art océanien » organisée à la galerie Devambez par Paul Guillaume (1891-1934) en mai 1919 (Première exposition d’art nègre et d’art océanien organisée par M. Paul Guillaume, 1919).

Dispersion de la collection Goloubew

La révolution russe met fin à l’activité de collectionneur de Victor Goloubew. Peut-être dans un souci de discrétion pour sa réputation, il n’organise pas de vente aux enchères publique. Il semble qu’il ait préféré vendre à des amateurs de sa connaissance en se défaisant progressivement de parties de sa collection. En 1919, le catalogue de vente de la collection d’Adrienne Baddly (hôtel Drouot, 7-9 avril 1919, Collection de Mademoiselle Adrienne Baddly. Objets d’art et d’ameublement du XVIIIsiècle. [...] Miniatures persanes – Peintures chinoises & japonaises anciennes. Étoffes anciennes – Tapis d’orient & d’Extrême-Orient), que Goloubew a fréquentée avant la Première Guerre mondiale (Inha, René-Jean, Autographe 191, 21, 855), contient plusieurs dizaines d’œuvres européennes ou asiatiques lui ayant appartenu. D’autres objets sont cédés à M. Pridonoff (n.c.) et revendus avec le reste de la collection de ce dernier en 1935. La préface de ce catalogue de vente est rédigée par Goloubew (hôtel Drouot, 11-12 décembre 1935, Catalogue des tableaux modernes, aquarelles, pastels, dessins, par Berton, Besnard […]. Objets d’art d’Extrême-Orient, céramiques de la Chine et du Japon […] provenant de la collection d’un amateur).

La majorité des œuvres de l’ancienne collection Victor Goloubew se trouve probablement aujourd’hui sur le marché de l’art. Certaines réapparaissent périodiquement, telle une Nature morte aux fruits et piments de Paul Gauguin, vendue chez Christie’s à New York le 6 novembre 2007, un tapis chinois (même maison de vente, 16 mars 2017) ou encore un manuscrit persan (Christie’s, Londres, 24 octobre 2019). D’autres ont intégré des collections publiques. Elles y sont parfois entrées du vivant de Victor Goloubew, à l’image de la stèle vendue à Isabella Stewart Gardner, des miniatures du musée de Boston (Paull, F.V., 1915) ou encore d’un groupe de trois statuettes en terre cuite, données au musée Cernuschi en 1914 (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris. XXXIIIe année, no 43, 13 février 1914. No M.C. 5601 à M.C. 5603). À l’inverse, certaines sont entrées dans des musées après être passées entre les mains d’autres collectionneurs, telle une statue de Mahakasyapa (musée de Cleveland, no 1972.166) ou les miniatures numéros 1986.142.1 et S1986.142.2. de la Sackler Gallery de Washington.