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Commentaire biographique

Raymond Kœchlin est à la fois un grand collectionneur d’art européen et asiatique, un historien de l’art et un homme de musées. Il est né en 1860 à Mulhouse, au sein d’une des plus anciennes familles protestantes de la ville, ayant fait fortune dans l’industrie textile. Les membres de sa famille sont très investis dans la vie publique, économique et culturelle locale, en particulier à travers la Société industrielle de Mulhouse. Son père, Alfred Kœchlin-Schwartz (1829-1895) est conseiller municipal à Mulhouse, puis maire du 8arrondissement de Paris (Vaugenot-Deichtmann M., 2011, p. 30-33). En 1888, il est élu député du Nord, aux côtés du général Boulanger. Le père de Raymond Kœchlin, sa sœur Florence Mezzara (1857-1896) et son frère le général Jean-Léonard Kœchlin (1870-1951) ont tous trois développé une pratique artistique. Leurs œuvres sont conservées par diverses institutions publiques.

Pendant la guerre franco-prussienne, Raymond Kœchlin poursuit sa scolarité à Paris. Les Kœchlin sont francophiles depuis plusieurs générations. Son père s’oppose au rattachement de l’Alsace à la Prusse. Il est expulsé du territoire au lendemain de la guerre (Vaugenot-Deichtmann M., 2011, p. 30-33. AN, P/LH/1405/20). Raymond Kœchlin intègre en 1881 l’École libre des sciences politiques. Il est ensuite engagé par le Journal des débats, dont il dirige pendant quinze ans le Bulletin de politique étrangère. À partir de 1887, il devient maître de conférences d’histoire diplomatique européenne, à l’École libre des sciences politiques.

En décembre 1888, Kœchlin épouse la peintre Hélène Bouwens van der Boijen (1862-1893), fille de l’architecte d’origine néerlandaise William Bouwens van der Boijen, qui a notamment réalisé l’hôtel Cernuschi. Celle-ci meurt cinq ans plus tard. À la mort de son père en 1895, la situation matérielle de Raymond Kœchlin évolue, il se consacre alors entièrement à l’étude des arts et à sa collection. En 1897-1898, il voyage en Égypte avec le collectionneur et critique d’art Marcel Guérin (1873-1948) (Guérin M., 1932a,p. 4, p. 77). Au cours de sa vie, il parcourt également le Maghreb, Jérusalem, la Palestine, la Turquie, la Grèce et la Scandinavie. Il se rend régulièrement en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse. Kœchlin est une figure centrale du cercle des collectionneurs parisiens.Sa sphère amicale réunit artistes, conservateurs, archéologues, érudits et collectionneurs. Le peintre et collectionneur Étienne Moreau-Nélaton (1859-1927) réalise son portrait en 1887 (musée d’Orsay, RF 35724). Kœchlin rencontre Claude Monet (1840-1926) en 1897. Il lui rend visite à Giverny, défend son œuvre et acquiert certaines de ses toiles (Aitken G., Delafond M., 1987, p. 24). Il côtoie étroitement le conservateur du musée du Louvre Gaston Migeon (1861-1930), le grand collectionneur Jules Maciet (1846-1911), ou encore Paul Poujaud (1856-1936), avocat et grand amateur d’art, et Paul-André Lemoisne (1875-1964), conservateur au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Autre ami intime, Louis Metman (1862-1943), conservateur du musée des Arts décoratifs de Paris, se confieaprès la mort de Kœchlin : « […] je n’ai jamais rien fait ici sans être d’accord avec lui. Chaque jour, jusqu’à ses derniers mois, il venait passer au moins une heure dans ce fauteuil » (Betz M., 1931, p. 1036).

« L’ami dévoué des musées français » (René-Jean, 1932, p. 3)

Son dévouement auprès des musées français est tel que, selon Guérin, lorsque Kœchlin acquiert un objet, il « ne songeait nullement à revendre et qu’il achetait uniquement en vue d’enrichir les musées auxquels il destinait ses collections » (Guérin M., 1932a,p. 13). En 1897, il est un des membres fondateurs de la Société des Amis du Louvre, dont il est nommé secrétaire général (Alfassa, P., 1932, p. 6). En 1899, il rejoint le conseil de l’Union centrale des Arts décoratifs. En 1900, il s’associe au comité de l’Exposition rétrospective de l’art français à l’Exposition universelle de Paris et contribue à l’organisation du pavillon des Arts décoratifs français. La section japonaise de l’Exposition universelle, dont Hayashi Tadamasa 林 忠正 (1853-1906) est commissaire, marque particulièrement Kœchlin (Kœchlin R., 1930a, p. 45-46). Il plaide à partir de cette période pour une ouverture accrue des musées aux arts extrême-orientaux et islamiques et multiplie les dons.

Kœchlin collabore à l’aménagement du musée des Arts décoratifs au pavillon de Marsan du palais du Louvre (Kœchlin R., Metman L., 1900, p. 2. ; Alfassa, P., 1932, p. 13). Deux salles sont consacrées aux collections d’arts musulmans et extrême-orientaux. Pour ce même musée, il assiste Gaston Migeon, Max van Berchem (1863-1921) et Clément Huart (1854-1926) dans l’organisation de l’exposition d’art musulman de 1903, décisive pour le cercle des amateurs d’art musulman. De 1909 à 1914, il met sur pied, accompagné de Louis Metman, Inada Hogitaro 稲田賀太郎 et Charles Vignier (1863-1934), un cycle de six expositions d’estampes japonaises. Grâce aux prêts de 66 collectionneurs, 2 300 œuvres sont présentées, proposant un vaste panorama (Luraghi, S. D., 2014). En 1904, il prend part au comité d’organisation de la section peintures et dessins de l’exposition des primitifs français au musée du Louvre et à la Bibliothèque nationale (Bouchot et al., 1904). Avec Paul Alfassa (1876-1849), il organise en 1911 le pavillon des Arts décoratifs français de l’Exposition internationale de Turin. En 1910, Kœchlin est nommé vice-président du conseil de l’Union centrale des Arts décoratifs, succédant à Jules Maciet. À la mort de ce dernier, Kœchlin est élu en 1911 président de la Société des Amis du Louvre. Ainsi, il siège au Conseil artistique des musées nationaux, dont il est secrétaire à partir de 1917 (Alfassa P., 1932, p. 14 ; Vaugenot-Deichtmann M., 2011, p. 101), et soutient la création du musée Rodin (L’Art et les Artistes, 1914, p. 41-44).

Kœchlin est très affecté par les affres de la Première Guerre mondiale et ses destructions. Il s’engage auprès de l’Union des femmes de France, fondée par sa mère Emma Kœchlin-Schwartz (1838-1911). Il déplore de devoir renoncer à certaines de ses relations épistolaires, notamment avec des savants allemands (Alfassa, P., 1932, p. 14-15). Il se réjouit à la fin de la guerre du rattachement de l’Alsace-Lorraine à la France. Il rédige pour cela dès 1918 un rapport sur les musées de ces régions (BMAD, AUCAD, Br. 4422). En 1920, il est délégué par la France à Vienne dans le cadre de la Commission interalliée des réparations (1919-1931). Raymond Kœchlin est chargé de dresser un inventaire et d’estimer la valeur des collections de la Couronne d’Autriche (Gay V., 2014, p. 5-7). En 1921, il est élu membre de la Commission des monuments historiques. À ce titre, il est associé en 1926 à une délégation chargée d’examiner l’état des monuments classés d’Alsace-Lorraine (Procès-verbaux de la Commission des Monuments historiques (1848-1950)…, 2014). En 1922, il est élu vice-président, puis à la mort de Léon Bonnat (1833-1922), président du Conseil des musées nationaux (Callu A., 1994). Parmi ses innombrables fonctions, il est un des vice-présidents de la Société des Amis du musée Guimet créée en 1926 et membre du Comité-Conseil du musée. (Le Musée Guimet (1918-1927), Annales du musée Guimet, 1928, p. 99).

Sa démarche d’historien de l’art

Kœchlin ne cesse, parallèlement de mener des recherches et de publier. Il entretient de multiples relations épistolaires avec des historiens, paléographes et conservateurs, tels que le directeur du Victoria & Albert Museum, Arthur L. B. Ashton (1897-1983) et Laurence Binyon (1869-1943) conservateur au British Museum. Kœchlin prend part aux comités de la Gazette des beaux-arts (Comoedia, 1923, p. 3) et de la Revue des Arts asiatiques. Il a marqué de son empreinte la recherche sur les arts médiévaux et les ivoires gothiques, principalement avec deux vastes campagnes photographiques à travers la Champagne, puis l’Europe, ayant abouti à deux publications majeures (Kœchlin R., Marquet de Vasselot J.-J., 1900 ; Kœchlin R., 1924b). La photographie joue un rôle essentiel dans sa pratique d’historien et de collectionneur, en tant qu’outil de comparaison aisément échangeable entre spécialistes.

Son approche est formaliste, ses descriptions minutieuses le mènent à l’analyse (Tomasi M.,2006, p. 137-139). Il interroge certaines sources contemporaines de ses objets d’étude, mais il est peu probable que Kœchlin se confronte aux sources japonaises. Il puise dans les textes japonais traduits pour la première génération des japonisants et les écrits de ces derniers. Il se place au cœur de l’actualité archéologique et de la recherche, en commentant articles et ouvrages récents européens et américains. Selon lui « […] en matière d’art, et d’art japonais particulièrement, le document n’est pas tout » (Kœchlin R., 1904, p. 109). Il recommande de partir de l’œuvre même (Fierens-Gevaert H., 1903, p. 143-144). Sa démarche d’historien est influencée par sa pratique de collectionneur, établissant des séries. Ses intérêts pour les écoles régionales, les phénomènes d’acculturation et les éléments de continuité, peuvent être reliés à sa formation en sciences politiques (Tomasi M.,2006, p. 139).

Son œuvre d’historien des arts japonais et chinois se concentre principalement de 1900 à 1925. En 1901 et 1902, il dédie aux arts japonais des cours à l’École des hautes études sociales (Tomasi M., 2006, p. 137). En 1902, il tient une conférence devant la Société industrielle de Mulhouse sur le même sujet. Il se consacre après la guerre aux « arts musulmans ». Ses publications reflètent un renouvellement du discours sur ces arts dits orientaux, dont l’étude s’établit plus scientifiquement. La vision fantasmée d’un lointain Orient disparaît progressivement. Toutefois, le discours d’amateur passionné prend parfois le pas sur celui de l’historien (Luraghi S. D., 2014, p. 89, 95). Comme chez la plupart de ses pairs, l’histoire de ces arts est avant tout écrite à travers les collections particulières parisiennes et européennes, voire publiques. Quoi qu’il en soit, les publications de Kœchlin sont autant de contributions à l’avènement d’une histoire de l’art japonais, entreprise en France depuis les années 1880 et 1890. Néanmoins, ce n’est que dans les années vingt que les études japonaises évoluent « […] d’un orientalisme de cabinet vers des recherches de terrain et des échanges entre spécialistes des deux pays, insérés dans les milieux académiques respectifs », étape à laquelle Kœchlin ne prend pas directement part (Marquet C., 2014).

Dans ses divers écrits, l’histoire des arts du Japon et de la Chine est mêlée à celle de leur découverte et leur réception par l’Occident. Kœchlin est soucieux de diffuser les formes les plus remarquables des arts orientaux et non les « bibelots d’étagère japonais qui pullulent en Europe », de « simples articles d’exportation » (L’Art japonais. Conférence de Raymond Kœchlin…, 1902, p. 1). Comme d’autres intellectuels de son époque, tels que Louis Gonse (1846-1921) ou Edmond Pottier (1855-1934), Kœchlin multiplie les parallèles entre les arts japonais, chinois et musulman. Ces derniers sont eux-mêmes rapprochés des arts médiévaux européens et grecs. Bien que procédant d’une conception de l’Orient marquée par une présumée continuité esthétique, ces associations ne signifient pas systématiquement une confusion scientifique (Labrusse R., 1997, p. 288). Il s’agit de familiariser l’œil européen à la « grammaire ornementale » de ces arts. Il conclut la plupart de ses textes sur l’enjeu pour les artistes français de s’inspirer des arts orientaux pour la formation d’un art décoratif moderne, de « remettre l’art contemporain dans la voie que lui trace le véritable art japonais » (Kœchlin R.,1903a, p. 132). Objectif qu’il défend au sein de l’Union centrale des Arts décoratifs, une des premières institutions à s’intéresser à l’art japonais, dont le conseil d’administration réunit d’éminents japonisants, et lors des expositions auxquelles il prend part. L’ensemble de ces considérations caractérise la deuxième génération des japonisants et le cercle des amateurs d’art de l’Islam.

« Un goût rare, une sensibilité très fine et aussi très avertie » (L’Art et les Artistes, 1932, p. 318)

Kœchlin déclare en 1927 : « J’ai acheté mon premier tableau en 1885 : c’était une petite vue du Jourdain par Ary Renan. Je me suis lancé ensuite dans l'Extrême-Orient » (Vaugenot-Deichtmann M., 2011, p. 6). Il découvre l'art de l'estampe lors de l'exposition organisée par Siegfried Bing (1838-1905) en 1890, à l’École des beaux-arts de Paris. Grâce aux relations de sa femme Hélène Kœchlin, qui partage son enthousiasme, Louis Gonse l'invite à contempler sa collection et leur offre deux estampes. Kœchlin précise que « de ce jour date ma vie de collectionneur » (Kœchlin R., 1930a, p. 14-15). Chez Hayashi, il acquiert ses premières estampes, deux triptyques d’Utagawa Hiroshige 歌川広重 (Kœchlin R., 1930a, p. 18). Kœchlin se lie d’amitié avec Hayashi et Bing et rencontre les collectionneurs gravitant autour d’eux. Dans les premiers temps, il se consacre presque exclusivement aux estampes, avant de s'initier aux autres formes de l'art japonais. En 1900, il acquiert ses premières céramiques chinoises d'époque Han, auprès d’Hayashi (Guérin M., 1932a, p. 75). Kœchlin s'intéresse aux arts des périodes dites « archaïques », qui pénètrent depuis le début du XIXsiècle les collections parisiennes. Il fréquente les boutiques d'art japonais, chinois et musulman, de Florine Langweil (1861-1958), de Charles Vignier, de Marcel Bing (1875-1920), de Paul Mallon (1884-1975), de DikranKélékian (1868-1951), de Léon Wannieck (1875-1931), d’Adolphe Worch (1843-1915) et de Loo Ching Tsai (1880-1957). Raymond Kœchlin enrichit sa collection lors des ventes des collections de la première génération des japonisants, comme celle de Philippe Burty (1830-1890) en 1891, de Georges Appert (1850-1934) en 1892, des Goncourt en 1897, puis d’Hayashi en 1902, de Charles Gillot (1853-1903) en 1904 et de Siegfried Bing en 1906, ou encore à la vente de la collection de Jean Dollfus (1800-1887) en 1912. Il acquiert des gardes de sabre au pavillon japonais de l’Exposition de 1900 (Guérin M., 1932a, p. 72). Selon Guérin, il achète peu lors de ses voyages, hormis celui en Égypte (Guérin M., 1932a, p. 77). Parallèlement, il fréquente les galeries de Paul Durand-Ruel, Paul Rosenberg et Bernheim Jeune. Il achète aussi des œuvres directement auprès des artistes. Après la guerre, il collectionne à un rythme moins élevé, ayant des moyens plus restreints et des obligations nombreuses dans le monde des musées. En 1926, il se résout à la vente à l’hôtel Drouot de 48 objets japonais et chinois, boîtes en laques, inrô, bois sculptés, bronzes et émaux cloisonnés. (Objets d'art du Japon et de la Chine provenant des collections Raymond Kœchlin, Edmond et Marcel Guérin, Ch. Salomon, 1926)

Henri d'Ardenne de Tizac (1877-1932) définit ainsi la pratique de collectionneur de Kœchlin : « Il est la plus parfaite figure de l'amateur moderne, informé de tout, attentif à tout, mais ne suivant d'autres règles que son goût, d'autres décisions que son agrément » (Alfassa P., Migeon G., et d'Ardenne de Tizac H., 1925, p. 93). L’éclectisme de sa collection rejoint celui de nombreux marchands tels que Bing et Kélékian et amateurs comme Henri Rouart (1833-1912), Michel Manzi (1849-1915) et Jacques Doucet (1853-1929). Dans son appartement, décrit par Georges Salles (1889-1966), Kœchlin dispose en regard des œuvres des différentes régions du monde, anciennes et modernes (Salles G., 1992, p. 16-19). L’Égypte antique, l’Occident médiéval ainsi que des tableaux et des dessins du XIXsiècle de Delacroix à Maillol côtoient la Chine, le Japon et la Perse. Ce rapprochement entre les arts résulte de la notion partagée d’« unité des arts de l'Asie » (Kœchlin R., 1930a, p. 75-76). L’attrait pour les arts du Japon et plus généralement orientaux est associé chez de nombreux amateurs à la défense de l'impressionnisme, procédant d'une même ouverture d'esprit, en rupture avec la peinture académique. Néanmoins, Kœchlin n'est pas, contrairement à d'autres, un défenseur des avant-gardes européennes (Labrusse R., 1997, p. 280, 287).

Kœchlin évolue parmi les amateurs d'arts extrême-orientaux et musulmans. Ces sphères se croisent et sont proches des conservateurs, marchands et archéologues. Relativement restreints, ces cercles font figure de pionniers, du moins par leur approche nouvellement scientifique. En effet, « sur la plupart des domaines, l’amateur ici s'avançait en terrain souvent contesté, et fréquemment aussi sur les “terres incognitae” de la curiosité » (Alfassa P., Migeon G., et d'Ardenne de Tizac H., 1925, p. 93). Les japonisants de la seconde génération connaissent l'apogée de leur activité de 1890 à 1900. Les Mémoires de Kœchlin, publiées en 1930, sous le titre, Souvenirs d'un vieil amateur d'art de l’Extrême-Orient,sont une source précieuse pour appréhender ce milieu. Il y décrit ses acteurs et l’enthousiasme avec lequel les amateurs échangent autour de leurs dernières acquisitions. Kœchlin participe aux dîners des amis de l'art japonais organisés à partir de 1892 par Siegfried Bing, repris par Henri Vever (1854-1954) en 1906 (Kœchlin R., 1930a, p. 21-22, 59).

À sa création en 1900, Kœchlin devient membre du conseil d'administration, puis vice-président de la Société franco-japonaise de Paris (« Nécrologie Raymond Kœchlin », 1932, p. 45.). Il y prononce une conférence sur l'art japonais en 1902 et participe aux dîners lors desquels se mêlent amateurs, personnalités japonaises et savants (Société franco-japonaise de Paris, 1906, p. 54 ; Kœchlin R., 1930a,p. 59). Il est nommé en 1901 à la cinquième classe de l’ordre du Soleil-Levant. (BMAD, AUCAD, Archives Privées de R. Kœchlin, Koechlin 1, [s.c.]). Dès la seconde moitié du XIXsiècle se développe le marché des arts chinois en France. Néanmoins, Kœchlin dans ses Souvenirs, dont la deuxième partie est consacrée à la « Chine archaïque », affirme que l'attrait pour le Japon a détourné les amateurs de l'art chinois, à l'exception de quelques-uns. Toutefois, selon lui, une nouvelle génération de marchands a su raviver le goût pour l'art chinois et convaincre les collectionneurs, qu’il énumère (Kœchlin R., 1930a, p. 62-67).

La vie de sa collection

Kœchlin prête ses œuvres pour de nombreuses expositions en France et à l'étranger. En 1909, il confie par exemple dix-huit estampes au musée des Arts décoratifs pour l'exposition d'« Estampes japonaises primitives ». En 1925, il expose 133 de ses objets d’art à l’« Exposition d’art oriental : Chine, Japon, Perse » à la Chambre syndicale de la curiosité et des beaux-arts. Il s'est beaucoup impliqué dans l'organisation de cette exposition, à travers laquelle il étudie l'influence de la Chine entre les XIe et XIIIsiècles. (Catalogue de l'exposition d’Art oriental, Chine, Japon, Perse, 1924 ; Alfassa P., 1932, p. 17 ; Kœchlin R., 1925c, 1925e)

Dès 1894, Raymond Kœchlin offre au musée du Louvre quatre estampes japonaises d’Harunobu (1725 ?-1770), Choki, Shunsho Katsukawa (1726-1792) et d’Hokusai (1760-1849), depuis 1945 conservées au musée Guimet (inv. EO 245 à EO 248) [Diesbach V., 1993, p. IV ; Migeon G., 1929, p. 53]. Dès 1899 et son entrée au conseil de l’Union centrale, il fait don de céramiques japonaises (inv. 9029, 9030). Ses dons réguliers aux musées français puis son legs le placent parmi les plus grands donateurs d'arts asiatiques. À partir de 1896, Kœchlin fait don successivement à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs d'environ 7 000 photographies. Au sein de ce fonds se trouvent des clichés d'objets extrême-orientaux et une trentaine d'albums offerts en 1903, composés « de vues pittoresques, costumes et monuments » de divers pays d’Asie et d’Amérique. Sur certaines épreuves prises en Chine se distingue la marque du photographe anglais Thomas Child (1841-1898). Neuf albums sont issus du studio du photographe japonais Kusakabe Kimbei (1841-1932). La Médiathèque de l'architecture et du patrimoine conserve un ensemble d'épreuves réalisées par Kœchlin, dont il a fait don au cours des années vingt, reproduisant quelques objets d'art japonais et chinois (Fonds Beaux-Arts, BAOA00682, 683, 788, 1054, 1263, 1318, 1319).

À travers son testament de 1926, révisé en 1930, Kœchlin précise le legs de sa collection à quelques proches, dont Louis Metman, Paul Goute (1860-1943), Marcel Guérin, Georges Salles, etc. (Diesbach V., 1993, p. 16). Toutefois, il prévoit de léguer la plus grande partie de sa collection aux musées nationaux, spécifiant que les œuvres devront porter la mention « Legs de M. et Mme Raymond Kœchlin ». Il les laisse relativement libres dans leur choix parmi ses œuvres, mentionnant simplement entre autres « mes estampes japonaises, mes sculptures et objets d'art anciens de tous les pays avec leurs vitrines » (Préfecture de la Seine, 1932, p. 178-179). Cent vingt-quatre gardes de sabres et cent-vingt-six estampes japonaises sont ainsi léguées aux musées nationaux. À part quelques mentions spécifiques, le musée des Arts décoratifs « gardera à titre de legs tous les objets que j'y ai déposés et pourra prendre les œuvres qui lui conviendraient parmi celles que les musées nationaux n'auraient pas retenues » (Préfecture de la Seine, 1932, p. 178-179). Ses « livres japonais » sont destinés à la Bibliothèque nationale, principalement une trentaine de volumes (DD-3188-4 à DD-3219-4, DD3207, DD3208), dont certains sont attribués à Hokusai et à Masayoshi (1764-1824) et comportent des annotations d'Edmond de Goncourt (1822-1896) et de Kœchlin. Il réserve au musée Guimet trois œuvres khmères et javanaises (MG 13230, MG18314, MG18315). Enfin, le reste de sa collection d'art occidental, médiéval et moderne est réparti entre les musées des Beaux-Arts de Lyon, Troyes, Gray, Mulhouse et de Strasbourg. Kœchlin meurt le novembre 1931. À partir de mai 1932 est organisée par Metman et Guérin, ses exécuteurs testamentaires, une « Exposition des collections léguées par Raymond Kœchlin aux Musées de France », au musée de l'Orangerie, au sein de laquelle l'art asiatique domine (Betz M., 1932, p. 508-509 ; René-Jean, 1932, p. 3).