CAHEN D'ANVERS Louise (FR)
De Trieste à Paris, Louise de Morpurgo et les Cahen d’Anvers
L’intérêt de la famille Cahen d’Anvers pour les affaires de la péninsule italienne se reflète dans les mariages de Louis (1837-1922) et Raphaël (1841-1900) avec deux descendantes de la famille Morpurgo. Installée à Trieste depuis près de trois siècles, cette prestigieuse maison ashkénaze avait obtenu la baronnie, en la personne de Carlo Marco (1827-1899) ; cette même année 1866 avait vu le patriarche Meyer Joseph Cahen d’Anvers (1804-1881) devenir comte italien. Luigia (1845-1926) et Irene (1849-1890), ensuite connues sous les noms de Louise et Irène, étaient les filles de Giuseppe Morpurgo (1816-1898) et d’Elisa Parente (1818-1874) [Catalan T., 1997, p. 165-186]. Fondée en 1812, la maison Morpurgo & Parente se distingue en tant que comptoir financier, lié au développement des réseaux ferrés, à la construction du canal de Suez et à la création de la ligne maritime Trieste-Bombay. Au milieu du XIXe siècle, Giuseppe Morpurgo prend place à la tête de la Banca Austro-Orientale et devient l’un des correspondants étrangers des Rothschild (Polsi A., 1993, p. 271).
L’union entre Louis Cahen d’Anvers et Louise de Morpurgo est célébrée à Paris le 30 juin 1868 (Montefiore R., 1957, p. 58) : ce n’est que le début d’une longue collaboration familiale qui s’exprime des deux côtés des Alpes, et notamment dans la participation des Morpurgo aux investissements d’Édouard Cahen d’Anvers (1832-1894) dans le secteur immobilier de la Rome post-unitaire. En simplifiant une réalité très complexe, les alliances matrimoniales des Cahen d’Anvers avec les Morpurgo, ou encore avec les Warschawsky, les Montefiore et les Camondo, constituent la base d’un microcosme économique presque autosuffisant. Les politiques matrimoniales permettent aux familles concernées de se constituer comme de dynasties financières, en disposant de filiales aux quatre coins de l’Europe, ayant à leur tête un membre de la parenté. Le fait que cela a lieu au sein de la haute société juive de l’époque ne doit pas nous surprendre : loin de constituer la preuve d’une endogamie cohérente à toute théorie du complot, cette attitude relève autant de la reconnaissance de pairs que de l’impossibilité de s’ouvrir à une classe entrepreneuriale chrétienne tout autre que bien disposée (voir Grange C., 2005 et Legé A. S., 2022, p. 55-83).
Résolument parisienne, la génération des enfants de Louise Morpurgo et Louis Cahen d’Anvers s’efforce de consolider le réseau ou bien de franchir la barrière du sang par des mariages mixtes plus ou moins aboutis. Robert (1871-1933) et Charles (1879-1957) célèbrent leurs unions avec des descendantes des familles Warschawsky et Lévy. Irène (1872-1963), dont les traits sont connus du grand public grâce au portrait La Petite Fille au ruban bleu de Renoir (1880, Zurich, collection Bührle, inv. 90) est donnée en mariage à Moïse de Camondo (1860-1935). Alice (1876-1965) et Élisabeth (1874-1944) – également portraiturées par Renoir dans le tableau Rose et Bleu (1881, musée d’Art de Sao Paulo, inv. 99P.1952) – associent leur nom à celui de deux grandes familles de l’aristocratie chrétienne : les Forceville et les Townshend.
C’est chez leur beau-fils Charles Vere Ferrers Townshend (1861-1924), dans le Norfolk, que Louis et Louise Cahen d’Anvers trouvent refuge pendant la Première Guerre mondiale, avant de rentrer en France et de transformer le château de Champs en hôpital militaire (Serrette R., 2017, p. 175-176).
Portraits d’une salonnière
Louise Morpurgo – dont les traits nous sont connus par une série de photographies (BnF, Estampes et photographie, 4/NE/74) ainsi que par plusieurs portraits peints – tient salon tous les dimanches d’été. Au 2, rue de Bassano, ou encore dans les pièces du château de Champs, « un petit groupe d’amis et des nombreuses connaissances » forment celle que sa belle-fille Sonia Warschawsky (1876-1975) définit comme « une assemblée ultra-mondaine » (Cahen d’Anvers S., 1972, p. 47). Depuis son arrivée à Paris, à l’occasion de son mariage, en 1868, Louise s’entoure d’un ensemble remarquable d’artistes, de diplomates et d’hommes de lettres. Elle fréquente Guy de Maupassant (1850-1893) et Marcel Proust (1871-1922). Elle est proche d’Alexandre Natanson (1867-1936), ou encore d’artistes et de musiciens tels que Jacques-Émile Blanche (1861-1942), Federico de Madrazo (1815-1894), Charles Malherbe (1853-1911) ou Fernand Halphen (1872-1917). Des collectionneurs réputés tels que Charles Ephrussi (1849-1905), Edmond Taigny (1828-1906) et Louis Gonse (1846-1921) fréquentent son salon. Parmi les invités de la rue de Bassano se trouve également un personnage qui partage avec Louise un amour profond pour les voyages : le vicomte Florimond de Basterot (1836-1904). Parfaits représentants d’un esprit cosmopolite qui mélange la curiosité à un certain goût du risque, Louis Cahen d’Anvers et son épouse voyagent sans cesse tout au long des dernières décennies du XIXe siècle. Ils explorent l’Italie à plusieurs reprises – notamment en compagnie d’hôtes de prestige tels que Joachim, quatrième prince Murat (1834-1901) – mais ils visent également des destinations lointaines. Un intéressant récit, écrit par Louise en 1893, nous permet de connaître les détails d’un voyage que le couple entreprend à travers l’Amérique latine (Paris, coll. part., Notes de voyage).
Parmi les invités des Cahen d’Anvers figure un écrivain qui, par l’importance des relations qu’il tisse avec la famille, mérite une place à part : Paul Bourget (1852-1935). Louise et ses belles-sœurs Loulia et Marie Warschawsky se lient au poète par des amitiés qui mélangent les échanges intellectuels à un érotisme plus ou moins affirmé. Elles gagnent dans l’ordre les surnoms de Belle et bonne ou l’Ange, Sa Perfection et la Parthe (Mansuy M., 1985, p. 58). À partir de 1881, Bourget confie à Louise Cahen d’Anvers ses mémoires de voyage. Ces Memoranda, débiteurs d’une pratique stendhalienne, le soutiennent dans la rédaction de Sensations d’Italie (1891) : ils témoignent du niveau de confidence qui lie l’écrivain à sa mécène (BnF, Ms., NAF 13714-13719).
Outre à Bourget, le commensal le plus assidu de Louise et de son époux est sans doute Léon Bonnat (1833-1922). Entre 1875 et 1903, le peintre réalise au moins six portraits des membres de la famille Cahen d’Anvers (Saigne G., 2017, cat. 100, 101, 101E, 102, 103, 104, 105). En 1893, montrant le caractère atemporel de la beauté de son hôtesse, il réalise un portrait de Louise de profil qui reprend les formes et le cadrage d’un tableau que Carolus-Duran (1837-1917) avait peint en 1880 (Saigne G., 2017, cat. 104 ; Carolus-Duran, 1919, n. 120). Quelques années plus tard, chez les Cahen d’Anvers, Bonnat a une autre occasion de mettre son œuvre en communication avec celle de son collègue. En 1901, il réalise un portrait d’apparat de Louis, qui sert de pendant à celui que Carolus-Duran avait consacré à son épouse en 1875 (Saigne G., 2017, cat. 105 ; Carolus-Duran, 1919, n. 119). Sur un fond sombre, confortablement assise dans un fauteuil, Louise pose son coude sur un coussin doré : sa position, son regard et son élégance renvoient au statut acquis et à la dignité de son rôle de mécène.
À la fois choqué et conquis par l’aplomb de la comtesse, « la tête abandonnée de côté et montrant au sommet un enroulement de cheveux qui ressemblait à un nid de couleuvres », Edmond de Goncourt lui consacre une description qui, une fois épurée des préjugés, nous laisse bien comprendre la force de son caractère (Goncourt E., 2004, II, p. 858). Le goût de Louise pour les arts et les sciences, ou encore sa capacité de nouer des relations fertiles avec les cercles politiques de son époque, contribuent à l’ascension sociale de la famille. Souffrant d’artériosclérose, Louis Cahen d’Anvers s’éteint le 20 décembre 1922 (AP, état civil, 16D/125 n. 2377). Son testament, daté du 8 mai 1918, confie à son épouse « l’usufruit pendant sa vie, avec dispense de caution et d’emploi, de la moitié des biens meubles et immeubles » de sa succession. La nue-propriété de son hôtel particulier passe à leur fils aîné, Robert, pendant que celle du château de Champs-sur-Marne va au cadet, Charles (APR, Ét. not. Casagrande et Labrousse, s.c.). Après la mort de Louis, Robert quitte son appartement du 83, avenue Henri-Martin pour s’établir avec sa mère. Louise de Morpurgo s’éteint le 21 juin 1926, dans l’hôtel de la rue de Bassano, entourée par ses proches et par les objets d’art qu’elle a soigneusement recueillis à travers cinquante années de recherches.
Deux demeures, une collection
Après plusieurs saisons passées en location au château de La Jonchère, à Bougival (Yvelines), Louis et Louise Cahen d’Anvers s’élèvent au rang de châtelains pendant l’été 1895 : le 5 août, Louis achète à la famille Santerre un domaine de 318 hectares, situé sur une boucle de la Marne (AN, Min. cent., LXIV, 989, 1895, 5 août). Quarante ans plus tard, son fils Charles offre le domaine à l’État français, qui le classe au titre des monuments historiques, par arrêté du 13 août 1935 (Paris, CNM, Service de doc., dossier Champs-sur-Marne). Édifié par les architectes Pierre Bullet (1639-1716) et Jean-Baptiste Bullet de Chamblain (1665-1726) entre 1703 et 1708, le château avait été élevé pour l’un des financiers de Louis XIV, Paul Poisson de Bourvallais (†1719) [Serrette R., 2017]. Sa restauration est confiée au cabinet des architectes Destailleur, où Hippolyte (1822-1893) a laissé la place à son fils Walter-André (1867-1940). Dans les pièces du château, à travers les décors commandés vers 1747 à Christophe Huet (1700-1759) par Louis-César de La Vallière (1708-1780), s’exprime le premier engouement pour l’art chinois que l’Europe a vécu au XVIIIe siècle (Garnier-Pelle, Forray-Carlier et Anselm, 2010, p. 97-111). Miraculeuse survivance de l’époque où le château avait été habité par Madame de Pompadour (1721-1864), ces « chinoiseries » communiquent avec les acquisitions récentes de Louise et de son mari. Par l’évocation de l’Exotique, elles répondent parfaitement au goût d’une bourgeoisie financière qui s’inspire des coutumes de l’aristocratie. Par l’ostentation du luxe, par la mise en valeur du cosmopolitisme et par le plaisir de la collection, Louise et Louis expriment leur réussite économique et sociale. Dans une France profondément antisémite, l’intégration passe également par des politiques immobilières soignées. Achevée en 1883, la demeure parisienne du couple surgit sur la colline de l’Étoile, au numéro 2 de la rue de Bassano : l’architecte Hippolyte Destailleur est chargé de sa construction en 1880. Très attentif au développement du confort, Destailleur joint l’esthétique du XVIIIe siècle aux nouveautés d’une révolution industrielle qui a radicalement modifié le modus vivendi des élites européennes. Par son style néo-Louis XIV et par la modernité de ses services, l’hôtel particulier des Cahen d’Anvers montre au monde l’élégance des commanditaires et la puissance de leurs moyens.
À l’angle de la rue de Bassano et de la rue Bizet, le Salon de Madame – également appelé « boudoir rond » – calque les proportions du petit salon du rez-de-chaussée. Une cheminée est surmontée par une pendule attribuée à Clodion (1738-1814), représentant Les Trois Grâces (Cahen d’Anvers S., 1972, p. s.n.). Relié au hall par un couloir, le boudoir sert d’élément de liaison entre les espaces masculins et féminins du premier étage. C’est probablement cette pièce qu’il faut reconnaître dans le dessin qui clôture le journal de voyage de Louise en Amérique latine (Paris, coll. part., notes de voyage). Dans les lignes esquissées par Édouard Lévi Montefiore (1826-1907), on reconnaît des objets qui, se trouvent aujourd’hui au château de Champs-sur-Marne : le Portrait présumé d’Anne Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse du Maine, et deux bustes en terre cuite de Mars et de Minerve (inv. CSM1935003718 et CSM1935002780-81).Dans la même pièce se trouve une vitrine remplie de porcelaines de Saxe, parmi lesquelles figure une boîte ayant fait partie de la collection Max Kann (Champier V., 1879, p. 143). Plus loin, un tableau d’Hubert Robert et un petit portrait par Greuze témoignent d’un goût pour la peinture du XVIIIe siècle qui connait un nouvel essor grâce à des amateurs tels que les Goncourt. Avec d’autres tableaux et une sélection de tapisseries, ces deux toiles servent de fond à une importante collection d’émaux japonais et de porcelaines chinoises des époques Ming, Kang-Xi, Yong-Cheng et Qianlong. Soigneusement recueillis dans des vitrines, ces objets sont le fruit des recherches que Louise Cahen d’Anvers mène à Paris, dans les salons de vente et chez des antiquaires tels que Louise Mélina Desoye née Chopin (1836-1909) et Philippe Sichel (1840-1899).
Sociabilité et collection
Le caractère exotique des créations japonaises et chinoises ne peut que charmer les générations d’entrepreneurs cosmopolites qui vivent l’aube de la globalisation. Par l’action de Louise et de son neveu Hugo, les Cahen d’Anvers entrent pleinement dans cette catégorie d’amateurs. La passion de Louise Morpurgo répond probablement à un goût bien ancré dans sa famille d’origine (Crusvar, L., 1998), mais elle doit également son essor à l’influence de plusieurs connaisseurs. Deux grands amateurs d’art oriental, Edmond Taigny et Louis Gonse, sont des amis proches de la comtesse, un troisième – Charles Ephrussi – est probablement son amant. Le premier, dont les collections ont été partiellement dispersées à l’hôtel Drout en 1893, est l’un des invités habituels du chalet d’Albert Cahen d’Anvers (1846-1903) à Gérardmer. Il fréquente régulièrement la rue de Bassano : le « noble et grand amour » qu’il éprouve pour Louise ne manque pas de provoquer la jalousie de Paul Bourget (BnF, Manuscrits, NAF 13718, f.8).
Le deuxième, Louis Gonse, est l’un des plus grands amateurs d’arts orientaux de son temps. Son amitié avec Louise s’ajoute à celle qui le lie à d’autres personnages de l’entourage des Cahen d’Anvers : il fréquente Henri Cernuschi, les Camondo et les Montefiore. Néanmoins, selon les mémoires de Sonia Warschawsky, c’est surtout Ephrussi qu’introduit Louise « aux porcelaines bleues de Chine, qui l’enchantèrent, la poussant à former ses collections quand elles n’étaient pas encore revenues à la mode » (Cahen d’Anvers S., 1972, p. 108). De son côté, Louise soutient son ami dans la création d’une collection de 264 netsuke dont l’histoire a fait l’objet d’un livre devenu très célèbre : La Mémoire retrouvéed’Edmund de Waal(Waal E. de, 2011).
Ephrussi, qui est très proche de Philippe Burty (1830-1890) et du milieu de la Gazette des beaux-arts, a un poids important dans la formation et la circulation des collections de son amie. En 1878, par exemple, il conseille à Louise Cahen d’Anvers de prêter quelques objets pour l’exposition de laques japonais qui a lieu au palais du Trocadéro, lors de la troisième Exposition universelle de Paris. Par les mécanismes du prêt et par la visibilité qui en dérive, la collection assure un certain rayonnement social à son propriétaire. À cette occasion, Ephrussi publie une recension dans les pages de la Gazette des beaux-arts : sur un total de huit illustrations, trois montrent aux lecteurs des objets de son amie. Les fac-similés, réalisés par Charles Goutzwiller (1819-1900), d’une boîte en laque blanche « d’une surprenante délicatesse » et d’un cabinet japonais, s’ajoutent à celui d’une boîte en laque d’or en forme d’éventail (Ephrussi C., 1878, p. 957, 960-961).
Cinq ans plus tard, en 1883, Louise prête d’autres objets pour l’Exposition rétrospective de l’art japonais, organisée dans les salles de la Galerie Georges Petit par Louis Gonse. Dans son catalogue, Gonse mentionne deux céramiques d’Imari appartenant à Louise, ainsi que 64 autres entrées, correspondants à des objets laqués datés du XIIIe au XIXe siècle. Cinquante boîtes de formes diverses côtoient deux plateaux, un encrier, une tirelire, une coupe à saké, une bonbonnière, un brûle-parfum, un pot à poudre de thé, ainsi que quatre petits cabinets, un petit gobelet et quatre tableaux en cuivre laqué noir avec des vues de Rome en or (Gonse L. 1883a, p. 153-165, cat. 1-64, 65-66). Toujours en 1883, ce dernier ensemble est publié par Gonse dans le volume L’Art japonais. Particulièrement remarquables par leur caractère syncrétique, ces quatre panneaux ont été « commandés au Japon par les jésuites » (Gonse L. 1883b, p. 215). Dans leurs formes, l’on reconnaît le « Palais de M. le marquis Muti, derrière l’église des Saints-Apôtres », une « vue du palais Barberini », une « vue de l’église de Saint-Ignace » et enfin une « vue de la place de Monte-Cavallo » (Gonse, L. 1883a, p. 157, cat. 15). Un autre objet en laque particulièrement remarquable est publié par le même auteur dans la seconde édition de L’Art japonais (1886) : « Une boîte ronde, décorée sur le dessus de deux personnages à cheval » porte tous les signes de la manière d’Hon’ami Koetsu 本阿弥光悦 (1558-1637), se rapprochant beaucoup d’un encrier qui porte « la signature et le cachet du maître »(Gonse L., 1886, p. 264-265).
Un goût d’Ancien Régime
Le goût de Louise Morpurgo pour les arts de l’Extrême-Orient n’est pas complètement étranger à la passion de son mari pour l’Ancien Régime. Du château de Champs-sur-Marne aux salons de la rue de Bassano, les silhouettes de Madame de Pompadour et de Marie-Antoinette semblent relier l’intérêt de Louise pour l’Orient aux fastes du XVIIIe siècle. En 1880, pendant que Louis Cahen d’Anvers projette la construction de son hôtel particulier, Charles Ephrussi publie une transcription intégrale et commentée de l’inventaire des collections orientales de l’épouse de Louis XVI (Ephrussi C., 1880). Louise possédait un exemplaire de ce volume « cordialement offert » et dédicacé par « son respectueusement affectionné Charles » (Neauphle-le-Château, coll. Leroy).
La passion de Louise pour les porcelaines se lie solidement au goût de son temps, anticipant une mode qui traverse l’Europe entière dans les décennies suivantes. Une fois de plus, l’art et le mécénat placent les Cahen d’Anvers au sommet d’une pyramide sociale modelée par plusieurs facteurs, dont l’actualité et le prestige des apparences. Collectionner des objets qui ont rencontré le goût d’une reine donne une certaine allure à l’épouse d’un banquier. L’hypothèse que Louise tente de faire revivre la « royauté » de ces collections par la création d’un recueil contemporain ne relève pas de l’absurde. Dans L’Art japonais, Louis Gonse remarque déjà comme Mme Cahen d’Anvers a « recommencé d’une façon très supérieure l’œuvre de Marie-Antoinette » (Gonse L., 1883b, p. 219). Le livre jouit d’une grande fortune éditoriale : dans ses pages et aux yeux de ses lecteurs, le nom des Cahen d’Anvers s’associe une fois de plus à la grandeur d’un passé d’Ancien Régime, à laquelle la famille semble viser constamment. Contribuant au rayonnement de sa lignée, Louise Cahen d’Anvers se fait connaître par la valeur de sa collection, par l’originalité de son goût et par son activité de mécène. Dans une société qui refuse souvent aux femmes toute reconnaissance culturelle, l’engagement de la comtesse dans le monde des arts exprime une certaine volonté de revanche. Par l’autonomie de ses choix esthétiques Louise Cahen d’Anvers affirme son indépendance, son identité, sa « distinction ».
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