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Commentaire biographique

Louise-Jeanne de Durfort de Duras naît à Paris le 1er septembre 1735, de l’union d’Emmanuel-Félicité de Durfort, duc de Duras (1715-1789), maréchal et pair de France, et de Charlotte-Antoinette de La Porte Mazarin (1719-1735), fille de Guy-Paul-Jules de La Porte Mazarin (1701-1738), descendant d’Hortense Mancini (1646-1699), nièce de l’illustre cardinal Mazarin (1602-1661). Charlotte-Antoinette meurt peu de temps après la naissance de sa fille, la faisant héritière du titre de duchesse de Mazarin et d’une incroyable fortune. Louise-Jeanne épouse son cousin germain, Louis-Marie-Guy d’Aumont (1732-1799), fils de Louis-Marie-Augustin, cinquième duc d’Aumont (1709-1782), célèbre collectionneur et premier gentilhomme de la chambre du roi. Le contrat de mariage a lieu le 10 juillet 1746 (AN, MC, ET/XXIII/778), mais, à cause de leur consanguinité, il faut une dispense du pape et le mariage religieux n’est célébré qu’en décembre 1747. De cette union naît Louise-Félicité-Victoire d’Aumont, duchesse de Valentinois (1759-1826), qui épousera le prince de Monaco, Honoré IV Grimaldi (1758-1819).

Par sa naissance, la duchesse appartient à la haute aristocratie de la cour de France et vivra à Versailles de nombreuses années. Ses contemporains la décrivent comme une très belle femme, grande, avec des yeux splendides, mais avec un fort embonpoint (Bachaumont L., 1783-1789, 25 mars 1781). Elle occupe la charge de dame ordinaire de Madame Adélaïde (1732-1800), quatrième fille du roi Louis XV, entre 1756 et 1760. Les mémorialistes prêtent à la duchesse de nombreux amants avec qui elle s’avère généreuse financièrement, dont Antoine de Malvin de Montazet, archevêque de Lyon (1713-1788), Louis-François de Bourbon, prince de Conti (1717-1776), et Claude-Pierre-Maximilien Radix de Sainte-Foy (1736-1810), surintendant des finances du comte d’Artois (1757-1836) (Bachaumont L., 1783-1789, 6 mars 1773).

Malgré une interdiction de la gestion de ses biens dès 1763, elle continue à dépenser sans compter pour aménager ses luxueuses et nombreuses résidences à Paris, Chilly, Versailles, Fontainebleau, Compiègne et dans bien d’autres lieux. Elle meurt à Paris, dans son hôtel quai Malaquais, le 17 mars 1781, laissant l’une des plus belles et des plus importantes collections d’objets d’art et de curiosités… à la hauteur de ses dettes. En effet, sa fille, la duchesse de Valentinois, son unique héritière, refuse dans un premier temps son héritage sous bénéfice d’inventaire et il faut attendre plusieurs années pour que la succession de la duchesse de Mazarin soit liquidée (Faraggi C., 1995, p. 75).

Constitution de la collection

Dès 1760, au vu des importantes dettes et de la vie dissolue de Louis-Marie-Guy d’Aumont, la duchesse de Mazarin demande la séparation de biens avec son époux (AN, MC, ET/XXIII/778). Il s’ensuit plusieurs ventes du mobilier contenu dans leurs résidences de Paris, Versailles, Compiègne et Fontainebleau, mais la duchesse se porte adjudicataire de tout l’ensemble pour 160 356 livres (AN, MC, ET/XXIII/778). Suite à cette séparation, la duchesse de Mazarin a un train de vie dispendieux afin de posséder les plus novateurs et esthétiques décors d’intérieurs, meubles, pierres dures, porcelaines, laques, bijoux et pièces d’orfèvrerie. Le 19 juillet 1767 (AN, MC, ET/XXIII/690), elle achète pour 400 000 livres à Louis-François de Bourbon, prince de Conti, l’hôtel de La Roche-sur-Yon, appelé hôtel de Lauzun, sis à Paris au 11-13 du quai Malaquais, qui devient avec le château familial de la ville de Chilly-Mazarin (Essonne) deux véritables écrins pour ses collections. L’hôtel parisien, construit en 1630 par Clément Métezeau (1581-1652), comporte un corps de logis principal et une seule aile en retour ; cette demeure n’est pas habitable en l’état en 1767. C’est pourquoi la duchesse fait entreprendre, entre 1767 et 1774, une première campagne de travaux qui est menée par l’architecte Pierre-Louis Moreau-Desproux (1727-1794) : il s’agit de remettre en état le bâtiment, dont la toiture, la cour et le chauffage sont à rénover et les décors intérieurs à refaire. Ces derniers sont tout d’abord réalisés par Pierre-François Maurisan, puis, à partir de 1769, par Gilles-Paul Cauvet (1731-1788) ; tous deux sculptent les lambris de l’hôtel (Faraggi C., 1995). Les peintres doreurs, comme la veuve Bardou et Huet, réalisent les peintures. Puis, à partir de 1774, l’architecte François-Joseph Bélanger (1744-1818), secondé à partir de 1777 par Jean-François-Thérèse Chalgrin (1739-1811), effectuent la seconde campagne d’aménagement jusqu’en 1781. En prévision du mariage de sa fille, en 1777 avec le prince de Monaco, les appartements de la future duchesse de Valentinois sont rénovés avec un décor arabesque à la dernière mode effectué par le sculpteur Nicolas-François Lhuillier (1736-1793) et le peintre Jean-Marie Dussaux. Les menuisiers, Saint-Georges (1723-1790), Pluvinet (?-1793), Jean-Baptiste Boulard (1725-1789) et Louis-Charles Carpentier (vers 1730-1788), fournissent la plupart des sièges de l’hôtel (Faraggi C., 1995). Pour son mobilier, la duchesse fait appel à de célèbres marchands-merciers qui se fournissent auprès des meilleurs ébénistes comme Pierre Garnier (1726-1800), Jean-François Leleu (1729-1807), Martin Carlin (1730-1785) ou encore Joseph Baumhauer (?-1772). C’est dans le grand salon, ou grande galerie, à partir de 1778, que le marbrier Adam, le sculpteur Jean-Joseph Foucou (1739-1821) et le fameux doreur-ciseleur Pierre Gouthière (1732-1813) ont un rôle des plus importants (Vignon C. et Baulez C., 2016). En effet, ils réalisent pour ce salon un ensemble en marbre bleu turquin garni de bronzes dorés faits par Gouthière, comportant deux piédestaux (collection particulière), une cheminée aux faunesses (anciennement au château de Ferrière) et une console inachevée à la mort de la duchesse (New York, Frick Collection, 15.5.59). Gouthière fournit également pour ce salon une paire de bras de lumière à cinq branches à fleurs de pavot (Paris, musée du Louvre, OA 11995-11996) (Duclos C., 2009) et un feu aux aigles (Paris, Mobilier national, GML 3600).

Louise-Jeanne, suivant la mode du Siècle des lumières, se passionne pour les laques et les porcelaines d’Extrême-Orient. Son cabinet comporte plus de quarante-cinq objets en laque de Chine ou du Japon et pas moins de deux cent cinquante porcelaines orientales, tant japonaises, à décor Kakiemon ou en grès, que chinoises en céladon, en bleu et blanc, en flammée, en aubergine ou turquoise, en blanc de Chine. Toutes les porcelaines orientales trouvent grâce à ses yeux. Ainsi, des vases, urnes, pots-pourris, cornets, fontaines, magots et animaux de toutes sortes, le plus souvent enrichis de bronze doré, ornent les appartements de ses différentes résidences. Sa chambre à coucher de l’hôtel du quai Malaquais est entièrement décorée des plus riches meubles en laque, notamment une commode à panneaux de laque et porcelaine de Sèvres (collections royales anglaises, la plaque en porcelaine a été depuis retirée, RCIN 35826) accompagnée de deux encoignures (collections royales anglaises, RCIN 29) faites par Joseph Baumhauer et livrées par le marchand Darnault (vers 1718-1790). Cette commode supporte divers objets en porcelaine de Chine d’époque Kangxi à couverte turquoise, notamment deux grands lions en porcelaine qui provenaient de l’ancienne collection Gaignat (1697-1768) (vente Gaignat, 1768-1769, lot 101) et une paire de vases à décor gaufré d’écailles de carpe et anses en serpent (collection particulière), que la duchesse a acquis chez le marchand-mercier Claude-François Julliot (1727-1794) en 1773 (Vriz S., 2011). La pièce dénommée « cabinet chinois » expose la plus grande quantité de porcelaines d’Extrême-Orient avec quatre-vingt-quatre œuvres, presque toutes ornées de montures en bronze doré d’or moulu, comme une paire de vases en céladon d’époque Ming (1368-1644), datant du XVe siècle et ornée d’une monture parisienne en bronze doré vers 1775 (collection particulière), qu’elle achète à la vente Julliot en 1777 par l’intermédiaire du marchand Jean-Baptiste-Pierre Le Brun (1748-1813) (Vriz S., 2018, p. 72-79). La duchesse possède également des grès de Kyoto, comme le pot-pourri orné d’une monture à têtes de satyre et provenant de l’ancienne collection du peintre François Boucher (1703-1770) (collection particulière) (Vriz S., 2019, p. 101).

L’enrichissement progressif de ses collections est relativement bien connu. En effet, de nombreux mémoires conservés permettent d’affirmer que la duchesse se fournissait chez les plus importants marchands-merciers parisiens et lors des ventes aux enchères des grands cabinets. On sait ainsi qu’elle est une cliente régulière de Simon-Philippe Poirier (vers 1720-1785) dès 1764, puis de Dominique Daguerre (vers 1740-1796), de Claude-François Julliot (1727-1794) dès 1768, mais aussi de François Charles Darnault (vers 1718-1790) (Farragi C., 1995). Ces factures montrent très clairement que la duchesse n’hésite pas à troquer des objets, à faire changer des anciennes montures en bronze doré contre d’autres plus modernes et même à fournir elle-même certaines porcelaines aux marchands-merciers pour qu’ils réalisent des objets selon ses propres souhaits. Elle choisit également d’acquérir une partie de sa collection par l’intermédiaire de Jean-Baptiste-Pierre Le Brun, marchand et expert, particulièrement des laques et des porcelaines orientales lors des ventes de Pierre-Louise-Paul Randon de Boisset (1708-1776) en février 1777, de Julliot en novembre 1777 et de l’abbé Jean-Bernard Le Blanc (1707-1781) le 14 février 1781.

Le cabinet oriental de la duchesse de Mazarin est très renommé au XVIIIe siècle. Lors de sa vente après décès, qui a lieu en son hôtel du quai Malaquais à partir du 10 décembre 1781, les célèbres marchands et les grands amateurs, à l’instar de la reine Marie-Antoinette, se disputent sa collection d’objets les plus rares. La reine y fait notamment l’acquisition du kiosque avec sa boîte à encens en laque du Japon (Paris, musée du Louvre, MR380-86 ; MR380-87) et d’une boîte hexagonale également en laque du Japon de type inrō-buta-zukuri (Paris, musée Guimet, MR380-70).