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Commentaire biographique

Un grand bourgeois rentier

Né le 1er décembre 1853 à Paris au 1, rue de Rivoli, Hugues Krafft est l’aîné d’une riche famille bourgeoise d’origine allemande. Le 3 juin 1852 à Francfort, son père Guillaume Hugues Krafft (1804-1877), voyageur de commerce puis associé de Louis Roederer (1809-1870), épouse Maria Elisabeth Emma Mumm (1828-1880), cousine du fondateur de la prestigieuse maison de champagne. Élevé dans la foi protestante, le jeune Hugues entre en 1860 au petit lycée de Reims, ville où sa famille s’est installée en 1855 à proximité des caves des établissements Roederer (SAVR, s.c.). Cette même année, son père acquiert dans la campagne marnaise le château de Toussicourt (SAVR, s.c.). Bien qu’inscrit de 1865 à 1875 au lycée de Reims, Hugues poursuit une scolarité chaotique contrariée pour raisons de santé et perturbée par de nombreux séjours à l’étranger et par la guerre franco-prussienne : la famille se réfugie à Boulogne-sur-Mer. De 1873 à 1874, il perfectionne son anglais à Eton outre-Manche. À son retour, il s’engage dans l’armée française au 3e régiment de génie à Arras de 1875 à 1876. Il est alors embauché comme caviste chez Roederer jusqu’en 1877, année de la mort de son père : il devient l’héritier d'une immense fortune qui lui permet de vivre ses passions pour l’art et les voyages. Il embrasse alors une vie de rentier à Paris : en 1879 notamment, il est admis au Cercle de l’Union artistique qui permet de rapprocher les hommes du monde avec les artistes.

Un voyageur photographe

Après la mort de sa mère en 1880, il entreprend l’année suivante en compagnie de son frère, Édouard-Hermann, et de deux amis, Louis Borchard et Charles Kessler, un tour du monde. Du 31 octobre 1881 à mars 1883, calquant leur itinéraire sur le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne, ils visitent l’Égypte, les Indes, l’île de Ceylan, la Cochinchine, l’île de Java, la Chine (Hong Kong, Canton, Macao, Shanghai et Pékin) et le Japon, puis ils traversent le Pacifique (Honolulu) vers les États-Unis avant de regagner le Vieux Continent. Pour Hugues Krafft, le clou du voyage reste le Japon qui le fascine tant pour ses paysages que pour sa civilisation. Du 13 août à novembre 1882, il s’installe avec ses compagnons à Yokohama, point de départ d’une excursion d’un millier de kilomètres empruntant les deux grandes routes reliant Tokyo à Kyoto : le Tokaïdo à l’est et le Nakasendo à l’ouest. Les principales villes visitées sont Yokohama, les trois villes du Kansaï (Kyoto, Osaka et Kobé), brièvement Nagasaki et Tokyo, la nouvelle capitale. Après le départ de ses camarades pour l’Amérique du Nord en novembre 1882, Hugues prolonge son séjour jusqu’au 22 mars 1883 pour se consacrer à la photographie et au bibelotage. Il poursuit ses visites entre Tokyo et Yokohama à Nikko, Hakone, Atami, Kamakura, etc. C’est un globe-trotter qui, toute sa vie, assouvit sa passion des voyages et de la photographie (il est membre de la Société française de photographie de 1884 à 1890 et il se déplace avec son appareil photographique à plaque de verre au gélatino-bromure d’argent). Par la suite, il visite la Grèce, l'Italie, la Bavière, le Maghreb (Algérie, Tunisie), l’Égypte, la Palestine, l’Espagne, l’Écosse, l’Autriche, la Bosnie, le Monténégro et la Suède. Il voyage plusieurs fois dans toutes ces destinations pour des raisons touristiques ou thérapeutiques : sa santé fragile le contraint à de nombreuses cures dans des villes thermales européennes essentiellement allemandes et françaises. Il fait partie des voyageurs ayant découvert l’Asie centrale sous domination russe. Une première fois, en mai 1896 : il assiste au couronnement du tsar Nicolas II à Moscou accompagné du baron Joseph Berthelot de Baye (1853-1931), archéologue champenois de ses amis. Krafft le suit dans sa mission archéologique au Tatarstan, puis en Sibérie jusqu’à Ekaterinbourg en juillet 1896. Le 11 août, Krafft poursuit son voyage seul en direction de la Géorgie occidentale via Kiev en Crimée jusque mi-octobre. Deux ans plus tard, il y rejoint de Baye, alors en mission archéologique et ethnographique dans la région, pour un second périple à travers le sud du Caucase (républiques de Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan) de début octobre à mi-décembre 1898. Il rallie ensuite seul le Turkestan russe (républiques de Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan) qu’il explore durant cinq mois (Samarcande, le Ferghana, Tachkent, Boukhara…) en 1899.

Un défenseur du patrimoine philanthrope

Il devient naturellement membre de nombreuses associations patrimoniales et sociétés de voyageurs : la Société de géographie de Paris devant laquelle il expose ses photographies agrémentées d’objets japonais en décembre 1883 et fait de nombreuses communications comme celle du 4 avril 1884 (SAVR, s.c.) sur son voyage nippon. En 1885, il devient sociétaire de la Société de géographie commerciale de Paris devant laquelle il communique sur le Japon dès le 15 janvier 1884. Le 19 mai 1890 commence sa participation au premier dîner de la Réunion des voyageurs français qui sera suivi de beaucoup d’autres. Il adhère à différents cercles de japonisants comme la Société franco-japonaise de Paris en 1900, année de sa fondation : il en devient membre à vie et occupe régulièrement un des sièges de son conseil d’administration. Il adhère également à l’Association française des amis de l’Orient créée au musée Guimet en 1920. Membre de la Société des amis des monuments parisiens à partir de 1886 et ce jusqu’à sa dissolution au début du XXe siècle, il appartient dès 1891 au Comité composé de de 60 membres nommés par l’assemblée générale en charge d’administrer la société. En 1908, il adhère à la Société française d’archéologie et, le 4 juin 1920, il est élu au sein de la Commission des monuments historiques dans laquelle il s’investit jusqu’en 1933. Depuis 1890, il est membre du conseil d'administration de l’Union centrale des Arts décoratifs (dont il est 2e secrétaire de 1894 à 1898). Il y rencontre l’érudit rémois Ernest Kalas (1861-1928) avec lequel il fonde le 3 février 1909 la Société des amis du vieux Reims (SAVR), dont le siège n’est autre que la demeure de Kalas, l’hôtel Coquebert sis 5, rue Salin, au premier étage duquel est aménagé un appartement pour Krafft, le président-fondateur. L’année suivante, il achète l’hôtel Le Vergeur, 1, rue du Marc, qu'il doit restaurer après les dommages subis par les bombardements allemands lors de la Grande Guerre, afin d'en faire sa résidence et le siège de la SAVR à partir de 1930. Il s’y éteint le 10 mai 1935, à l’âge de quatre-vingt-un ans et lègue à la Société l’hôtel devenu également musée depuis 1932. 

Une personnalité connue et reconnue

Krafft partage sa vie entre ses appartements du Nord-ouest parisien des 8e, 16e et 17e arrondissements, ses propriétés de Loges-en-Josas et Toussicourt ainsi que ses résidences rémoises. Il y reçoit ou est reçu par le Tout Paris littéraire et artistique ainsi que les grands de ce monde (SAVR, s.c.). Sa notoriété et son implication dans les activités artistiques et patrimoniales lui accordent reconnaissance et honneurs : le 30 avril 1886, il est nommé officier d’académie en tant que membre de la Société de géographie de Paris, puis le 9 avril 1903 officier de l’Instruction publique en qualité d’homme de lettres et lauréat de l’Institut (SAVR, s.c.). Le ministre du Commerce l’élève à la dignité de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par décret du 29 octobre 1889 à la suite de son investissement dans l’Exposition universelle de Paris de 1889 en tant qu’exposant et secrétaire du comité de la section de l’histoire rétrospective du travail (AN, 19800035/187/24381). Parmi ses nombreuses décorations, citons l’ordre de Danilo I, prince de Monténégro, en 1897 et chevalier de l’ordre de Stanislas le 21 septembre 1901. En 1902, il est nommé membre correspondant de l’Académie nationale de Reims avant d’être élu membre titulaire en 1909 et devenir son président annuel en 1930.

Constitution de la collection

Un collectionneur éclairé

La passion d’Hugues Krafft pour la collecte d’objets d’art s’explique tant par sa personnalité d’esthète que par son héritage familial. L’artiste Jacques-Raymond Brascassat (1804-1867) était un ami de son père qui devint son mécène et principal collectionneur (Foucart P., 1887). À côté des autres collections européennes, Krafft hérite de ce fonds qu’il expose chez lui après avoir donné de nombreuses œuvres graphiques ou peintes à des musées français ou étrangers (Foucart P., 1887, p. 51-52). Lui-même est un artiste amateur dont le talent transparaît tant dans ses aquarelles réalisées sur le motif au Japon que dans ses photographies qu’il colorisait parfois et qui restent des témoignages patrimoniaux et ethnographiques de premier plan.

Une collection éclectique d’un voyageur et amateur d’art

Mais sa collection est surtout le fruit de ses voyages et découvertes. La place du Japon y est prépondérante même si l’Asie centrale est le second pôle d’intérêt lié à son voyage au Turkestan notamment. Il a la passion d’un ethnographe et collecteur d’œuvres folkloriques authentiques. Dans ses écrits, il avoue ne pas céder à la mode des objets touristiques modernes adaptés aux goûts des Occidentaux tant en Inde qu’au Turkestan où il déplore la dégénérescence de l’artisanat (Krafft H., 1902, p. 28). C’est particulièrement vrai au Japon où il recherche la préservation d’un patrimoine, souvent fantasmé, en cours de disparition. Il appelle d’ailleurs de ses vœux la création de « musées d’art décoratif indigène – ainsi qu’on l’a fait à Tachkent » (Krafft H., 1902, p. 29). Sur place, ses achats se font auprès de marchands souvent réputés comme à Delhi Manik Chund fin décembre 1881 : « Que de séances chez eux ! Que de colloques interminables ! que de déballages et de marchandages pour les costumes commandés, pour les broderies et les cachemires choisis !... » (Krafft H., 1885, p. 43-44). En Chine, « Guidé par son expérience (M de Semallé à Pékin, bibeloteur et photographe), nous nous sommes lancés ici dans des achats considérables […]. Ainsi emporterons-nous des pièces exceptionnelles : fourrures précieuses, bronzes et cloisonnés anciens, porcelaines des bonnes époques, soieries de provenance impériale, etc. » (Krafft H., 1885, p. 240-241). Au Japon et principalement à Tokyo, il achète auprès de marchands d’art et d’antiquaires de nombreux objets comme des laques, des céramiques, des textiles, des bronzes, des armes, etc., mais aussi environ 350 photographies souvent complémentaires de ses propres clichés dans les studios de Felix Beato (1832-1909), Stillefried & Andersen, Suzuki Shinichi (1835-1918) à Yokohama. En février 1883, il commande à un architecte tokyoïte une maison traditionnelle de bois destinée à être assemblée par un charpentier nippon dans la propriété familiale de Jouy-en-Josas rebaptisée Midori-No-Sato (la colline de la fraîche verdure) [Omoto, K., 2018, p. 222-237]. Les 12 hectares sont transformés en jardin japonais par des ressortissants nippons comme Wasuke Hata (1865-1929) qui aménage même un jardin miniature. Inauguré le 19 juin 1886, ce « coin de Japon aux portes de Paris » (Régamey F., 1891, p. 213) lui permet de recevoir l’élite littéraire et artistique parisienne lors de cérémonies de thé qu’il organise dans le pavillon de plaisance. En 1893, il achève l’ensemble en faisant construire une cour mauresque. À partir du début du XXe siècle, il complète sa collection notamment japonaise en achetant des objets auprès de marchands d’art comme le japonais Tadamasa Hayashi (1853-1906) ou probablement Siegfried Bing (1838-1905), mais aussi aux enchères lors de la dispersion à Drouot des grandes collections comme la vente Hayashi (février 1903), Charles Gillot (février 1904) ou encore J. Garié (mars 1906), Siegfried Bing (mai 1906) et Louis Gonse (mai 1924) [Collection Hugues Krafft. Objets d'art d'Orient et d'Extrême-Orient, 1925, p. 1].

Une exposition privée souvent montrée…

Les collections sont présentées dans ses différentes résidences et plus particulièrement dans le pavillon japonais de Midori dans lequel Krafft dispose une partie de sa collection d’art japonais pour s’en délecter et la montrer à son cercle d’amis japonisants : Louis Gonse (1846-1921), Siegfried Bing ou encore Raymond Koechlin (1860-1931). Plusieurs de ces voyages ont fait l’objet d'une publication à l'instar du Souvenirs de notre tour du monde en 1885 ou À travers le Turkestan russe en 1902 largement illustrés de ses clichés photographiques. Il participe également à des expositions de photographies, de peintures et d’objets rapportés de ses pérégrinations : à Bruxelles en 1883, à Toulouse en 1884 et à Beauvais, ou encore à Anvers en 1885. Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, il prête 160 pièces dont le tiers issu de ses photographies pour la section anthropologie ethnographie de l’exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques (Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Catalogue général officiel : exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques,1889). Le lot le plus important reste les 73 figurines de bois peint et habillées de kimonos de toile de chanvre ou de soie constituant 52 scènes de la vie quotidienne du Japon dans une vision fantasmée et anthropologique du pays. Ces poupées peuvent s’apparenter aux ningyo porte-bonheur. Du 22 juin au 8 juillet 1899, à son retour du Turkestan russe, il expose dans les locaux de l’Union centrale des Arts décoratifs à Paris plus de 500 photographies accompagnées des objets achetés ou collectés : costumes, textiles, bijoux, céramiques, dinanderie, objets folkloriques, faïences archéologiques… (Balmont, J., 1899, p. 237-238). Pour l’exposition des arts musulmans organisée par l’UCAD au pavillon de Marsan au Louvre du 21 avril au 30 juin 1903, il prête cinq objets dont des cuivres égyptiens des XIIIe et XVIIIIe siècle, un casque mongol du XIVe siècle et une pièce d’armure perse du XVe siècle (Migeon, G., 1903). Avec la création en 1905 du musée des Arts décoratifs dans ce même lieu, des expositions sont organisées dans la grande nef. Dès 1906, il participe à celle des tissus japonais anciens. En 1911, il figure parmi les 24 prêteurs d’objets nippons lors de l’exposition Inro (boîtes à compartiments médicamenteuses à l’origine devenues accessoires de mode) et garnitures de sabre. Il réitère l’année suivante pour l’exposition sur les laques japonais…

Puis donnée et dispersée

De son vivant, Krafft fait régulièrement des dons aux institutions muséales naissantes souvent après des expositions. Membre fondateur de la société des amis du Louvre en 1897, il offre tout naturellement au musée dès décembre 1893, puis en janvier 1919 une série d’œuvres du Japon : un fukusa (carré de soie) brodé (EO 62), une peinture de faucon sur son perchoir de l’école Kano du XVIIie siècle (EO 2432), une peinture d’« écuyer de daïmio » attribuée à Mitsunobu (EO 2431) du début du XVIIe siècle pendant d’un « cavalier » (EO 2433) offert par Louis Gonse (1846-1921) et deux remarquables paravents à huit feuilles de peinture sur papier sur fond d’or par Mitsousoumi de l’école de Tosa du XVIIie siècle (EO 61). Seul un brûle-parfum en bronze représentant une montagne des Immortels provient de Chine de l’époque Ming. L’ensemble a été transféré au musée Guimet en 1927-1928. À l’issue de l’exposition de 1889, il donne au musée de l’Homme les 73 statuettes japonaises, première collection nipponne du lieu. Elle est conservée aujourd’hui au musée du Quai-Branly à Paris au département Asie (no 71.1889.142.1 à 73). En 1899, il fait don de la majorité des objets rapportés d’Asie centrale à l’Union des Arts décoratifs, futur musée des Arts décoratifs (MAD). De la dinanderie avec une aiguière en cuivre de l’orfèvre Ata Oulla datée de 1874 (9104) côtoie des textiles utilisant la technique ouzbèke de la broderie suzani (9111 ; 9113 à 9117) ainsi qu’un très intéressant lot de céramiques contemporaines et archéologiques : « Dans les terrains déserts d’Afrâsiâb, près de Samarkand, on trouve des vases ornementés de croix chrétiennes […]. L’auteur a rapporté de ces poteries, ainsi que des fragments de poteries musulmanes du Moyen Âge, et les a offerts, avec des faïences émaillées de différentes époques musulmanes, au Musée de la Manufacture Nationale de Sèvres et au Musée de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (Krafft H., 1902, p. 214). Cinquante-sept cotes sont repérées aujourd’hui au musée national de la céramique à Sèvres (no 12924.1 à 47) sur environ 90 fragments du lot donné en 1899. Au MAD, l’ensemble offert la même année et déposé au musée du Louvre de nos jours, comprend 57 pièces archéologiques à la fois chrétiennes (MAD 9087) ou musulmanes (9088 3 ou 226-651) provenant du site d’Afrasiab, près de Samarcande, ou de bâtiments de la ville dont l’état de dépravation due aux séismes permet de supposer que Krafft a sauvé des éléments qu’il a prélevés sur le terrain (Krafft H., 1902, p. 46). Jusqu’à sa mort, il donna au MAD (1904, 1907, 1919, 1924, 1933) plus de 200 œuvres de tout type (textiles, céramiques, mobilier, dinanderie, armes…) en plus des 1 300 photographies réalisées lors de ses différents voyages. Le don le plus important après celui de 1899 reste les textiles japonais et chinois et autres objets nippons offerts en 1933. Parmi eux, les exceptionnels costumes de soie chinois datant de la dynastie Qing (28822 à 25 et 38 39) auquel se rajoute l’armure complète (24035 1 à 18) de même époque déjà donnée en 1924. L’essentiel des textiles japonais, sans oublier sept précieux fukusa, s’inscrit dans la période Edo avec des pièces remarquables que ce soit par leur qualité que leur état de conservation : des vêtements d’armure alliant la soie, l’or, la peau d’animal imprimée (28831) ou des plumes de paon (28833). À côté d’éléments de mobilier traditionnel comme des inros ou boîtes à thé et d’armes blanches, on note un ensemble de coiffures avec des exemplaires laqués de chapeaux de chasse (28844 à 47). Mais le chef-d’œuvre de la collection reste le palanquin (21772) exposé en 1889 et donné en 1919 qu’il avait acquis probablement lors de son voyage au Japon et déposé aujourd’hui au musée de la Voiture du château de Compiègne depuis 1934. C’est un exceptionnel norimono qui date de la fin du XVIIIIe siècle en bois laqué noir et or à décor végétal et héraldique (armes de la famille Tokugawa), tandis que l’intérieur présente des papiers peints illustrant Le Dit du Genji (Lacambre, G., 2010, p. 174-175). Pour payer en partie les restaurations de l’hôtel Le Vergeur, il disperse l’essentiel de ses collections à l’hôtel de vente Drouot les 26 et 27 février 1925 en 295 vacations dont 90 % émanent de la Chine et du Japon (laques, émaux cloisonnés, armes, sculptures, textiles, céramiques, œuvres peintes…) [Collection Hugues Krafft. Objets d'art d'Orient et d'Extrême-Orient, 1925). Parmi les pièces remarquées par Raymond Koechlin dans la préface du catalogue de vente : une estampe de Sharaku, un brûle-parfum japonais en bronze représentant un cheval du XVIIIIe siècle, un plateau de Mossoul du XIIIe siècle, un chandelier d’un sultan rassoulide du Yémen, ces deux derniers faisant partie des quatre objets qu’il prêta lors de l’exposition des Arts musulmans en 1903.

Des lieux de conservation éclatés

En plus des institutions muséales déjà citées, c’est l’hôtel Le Vergeur à Reims comme siège de la SAVR qui est le légataire de l’essentiel des collections d’Hugues Krafft. Outre les ensembles (meubles, arts graphiques, céramiques…) issus de sa famille d’origine allemande, dont le fonds Brascassat d’une centaine d’œuvres, le musée conserve les centaines de plaques de verre photographiques de vues asiatiques : ses photos, mais aussi ses achats comme les 350 clichés achetés au Japon. Les œuvres extraeuropéennes du musée en cours de récolement et d’analyse reflètent ses goûts et ses voyages avec le Japon pour une vingtaine de pièces (mobilier, laques, estampes, objets d’art), dont du mobilier de l’époque d’Edo provenant du clan Tokugawa (un coffre à pieds en bois laqué no 2006.0.81 ; un brûle-parfum no 2006.0.80.1-2 ; une flûte en métal s. n.). Les objets ramenés de son voyage au Turkestan russe figurent en bonne place avec des lots exceptionnels d’orfèvrerie (dizaine d’occurrences de bijoux féminins ou plaques boucles), de textile (tissus, vêtements, couvre-chefs…) de maroquinerie et autres objets ethnographiques comme des armes ou des courges servant généralement de boîtes à tabac (2006.0.315.1-4). Par ailleurs, des tessons ont été rapportés de Samarcande par Krafft dans un esprit de sauvetage du patrimoine : l’un d’entre eux porte la mention manuscrite Samarkand Bibi Khani en référence au médressé de Biby-Khanim de Samarcande fortement endommagé par le séisme de 1897 (Krafft H., 1902, p. 46). Il en est de même pour les collections chinoises avec deux reliques (2006.0.264.1 et 2) de la décoration de faïence du « palais d’été de Yuen-Ming-Yuen de Pékin datant du XVIIIIe siècle et détruit par les alliés en 1861 », nous renseigne le guide de l’Exposition universelle de Paris de 1889 où Krafft les exposa. Mentionnons particulièrement de Chine un vase en émaux cloisonnés (2006.0.293), des statuettes en ivoire (2006.0.298.1 et 2) ou encore de bois (2006.0.255). Rappelons l’importance du MAD comme sanctuaire des œuvres de Krafft, sachant que les pièces d’art musulman (céramiques, dinanderie et tapis – excepté les autres textiles) ont été mises en dépôt au musée du Louvre depuis 2005.

Consultez les collections léguées par Hugues Krafft à la ville de Reims ici : https://musees-reims.fr/fr/musee-numerique/oeuvres-en-ligne