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Commentaire biographique

Georges Edgard Marteau naît le 21 décembre 1851 à Chizé, petit village des Deux-Sèvres (Peli, 2000-2001, p. 4-5). Les premières années du jeune homme sont marquées par la mort précoce de son père en 1858, et par son départ pour Paris en 1868 (Peli, 2000-2001, p. 4-5). Il entre au lycée Saint-Louis et, après l’obtention de son baccalauréat en sciences et en lettres en 1871, il est admis en 1872 à l’École centrale des arts et manufactures (Peli, 2000-2001, p. 5-6). Il y suit le cursus de métallurgiste puis, en 1876, celui de mécanicien, pour en sortir diplômé ingénieur civil la même année (Peli, 2000-2001, p. 5-6).

Dans les premiers temps de son arrivée à Paris, il réside chez son oncle Baptiste Paul Grimaud, fabricant de cartes à jouer depuis 1851. C’est sous son aile protectrice que l’avenir professionnel de Georges Marteau se dessine : à tel point, d’ailleurs, que l’on croirait sans peine son orientation judicieusement choisie par cet oncle, habile et visionnaire, qui, ne laissant passer aucune des opportunités propres à ce temps de mécanisation effrénée, a sans doute œuvré à travers son neveu autant pour le bénéfice de ce dernier que pour celui de son industrie. Jeune ingénieur civil, Marteau entre en 1877 au service de la firme Aubert, spécialisée dans la fabrication de machines à vapeur et de locomotives. Le 16 septembre 1878, en association avec l’ingénieur-mécanicien Émile Gontard, il rachète la manufacture Steinmetz et fonde la firme « Gontard, Marteau et Cie ». Le nouvel établissement a pour double objet la fabrication de fermoirs pour articles de voyage et la construction de machines-outils à l’usage des relieurs, papetiers et fabricants de papier de tenture. Le travail du métal, l’art du papier : deux ingrédients révélateurs, voire fondateurs, de l’attrait précoce qu’exerceront sur le collectionneur Georges Marteau ces deux matières, supports du génie industriel et artistique. L’affaire périclite en mai 1884 et, en juillet de la même année, Marteau devient inspecteur divisionnaire du Travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie, d’abord à Limoges puis à Nancy. Il quitte ces fonctions en juillet 1886. Le 5 décembre 1887, il épouse à Suresnes Marguerite Seiler (1863-1899) fille du directeur des Cristalleries de Saint-Louis, en Moselle (AD 92, E_NUM_SUR_M1887/53). Le contrat de mariage rédigé à cette occasion ne mentionne aucune collection, ni de cartes à jouer, ni d’art japonais, ni d’art persan, mais relève néanmoins l’existence d’une bibliothèque où se côtoient « divers ouvrages de science, d’art et de littérature ».

Quelques mois plus tard, le 2 juillet 1888, Marteau entre comme associé dans la société « Grimaud et Chartier ». Désormais, et pour les 21 années suivantes de sa vie professionnelle, il se consacre à la fabrication et au commerce des cartes à jouer. Le terreau familial, l’opportunité professionnelle et l’intérêt technique de Marteau pour la fabrication des cartes et leur matière première, le papier, constituent de probables motivations à la naissance de sa collection de cartes à jouer. Elles transparaissent en 1894 dans sa traduction de deux essais allemands, Analyse et essais des papiers et Étude sur les papiers destinés à l’usage administratif en Prusse (Normal-Papier), et dans sa participation en 1906 à l’ouvrage de Henry-René d’Allemagne, Les Cartes à jouer du xive au xxe siècle. Pour les besoins de cette étude, Marteau ouvre largement sa bibliothèque et sa collection à D’Allemagne et lui permet d’en reproduire de nombreuses pièces. Il y rédige même une note sur la fabrication des cartes à jouer au xixe siècle. Support privilégié de l’écrit et de l’image, le papier n’a pu être étranger à la constitution de la collection de cartes de Marteau, et il y a tout lieu de penser que l’attirance du collectionneur pour les dessins, les gravures de Dürer, les estampes japonaises comme les miniatures persanes, y trouvera d’autres échos. Très rapidement, car elles intéressent peu alors les collectionneurs et s’achètent à bon compte, Georges Marteau réunit une extraordinaire collection de cartes à jouer, complétée d’enveloppes, de moules à impression et d’autres documents témoignant de leur histoire. À sa mort, elle compte « 856 feuillets appartenant à 382 jeux anciens ou modernes ; 132 types de papiers de tarots ; 30 reproductions de cartes anciennes ; 95 estampes relatives au jeu de cartes ; 69 arrêts, ordonnances, édits… ; 115 ouvrages relatifs aux jeux de cartes ». Dès 1902, les membres de l’association « Le Vieux Papier », qui, sur son invitation, viennent l’admirer, y voient l’exemple rare d’une véritable « collection, tant la qualité s’y allie à la quantité » (Flobert, 1902).

En juillet 1907, Georges Marteau en présente une sélection à l’Exposition internationale du livre, des industries du papier, des journaux et de la publicité, au Grand Palais. Classée chronologiquement, importante et structurée, la collection s’accompagne d’une bibliothèque d’ouvrages, d’arrêts, de matériel publicitaire et de documents officiels, témoins d’un souci documentaire évident que l’on perçoit également au travers des nombreuses annotations dont Marteau couvre les cartons sur lesquels il présente ses jeux. Pour rassembler cet ensemble considérable, il s’approvisionne auprès d’un large réseau de libraires et d’antiquaires français, de correspondants et de marchands étrangers, également en puisant au fur et à mesure des tirages dans les productions Grimaud. S’il a continué, jusqu’à sa mort, à la remanier et à l’enrichir, Georges Marteau s’est sans doute consacré plus intensément, dans les premières années du xxe siècle, à la constitution d’une collection d’art japonais riche de près de 2 000 pièces, puis d’une importante collection d’art persan.

L’art japonais

L’attirance de Georges Marteau pour l’art japonais semble assez tardive : il n’adhère à la Société franco-japonaise de Paris qu’en 1906 ou 1907 et aucune des œuvres de sa collection japonaise ne provient directement des ventes Burty (1891) ou Goncourt (1897). Il ne rejoint d’ailleurs que tardivement la Société des amis de l’art japonais, dont font déjà partie l’imprimeur Charles Gillot, le haut fonctionnaire Edmond Taigny, le collectionneur Alexis Rouart, le peintre et graveur Henri Rivière, le marchand Siegfried Bing et son ami Henri Vever. Pourtant, les premiers achats documentés et datés de pièces japonaises par Georges Marteau interviennent dès 1894 et 1898. À la vente de la collection Montefiore, en mai 1894 (vente Montefiore, 1894, 12 ; AN, *9DD7/20144787/17), il fait l’acquisition d’un somptueux casque en fer forgé, orné de trois larges feuilles de mauve, à visière et couvre-nuque en fer damasquiné d’argent et décoré de feuillages de mauve, pièce dont Louis Gonse vante déjà la beauté en 1883 (Gonse L., 1883, p. 121). Quatre ans plus tard, il achète à Londres trois peignes ou kushi issus de la collection Ernest Hart, tous trois incrustés de nacre, de corail et d’écaille, et à décor floral (vente Hart, 1898, 299, 301 et 316 ; AN, *9DD7/20144787/17). À partir de 1900-1902, il semble se lancer dans une collecte effrénée, rendue possible par la multiplication des grandes ventes, consécutive à la disparition d’une première génération de collectionneurs d’art du Japon. Encore n’est-ce pas là l’événement déclencheur : Marteau perd successivement, en avril puis en août 1899, son oncle Baptiste Paul Grimaud et son épouse, et devient, par héritage, directeur de la fabrique de cartes à jouer. « Frappé dans ses plus chères affections, il [cherche] dans l’art une consolation » (Kœchlin R., 1917), achète dès lors massivement auprès des marchands Siegfried Bing et Charles Vignier, et participe à la plupart des ventes d’art japonais : Hayashi, Gillot, Suminokura. En 1902, il entre en possession à la vente Hayashi de plusieurs estampes, dont une magnifique pièce par Hokusai figurant un faucon près d’un prunier en fleur – estampe qui lui a coûté le plus cher. Il l’assortira deux ans plus tard de son pendant, représentant deux grues sur un pin enneigé. En 1904, les deux ventes de la collection Charles Gillot le voient emporter aux enchères 180 pièces, et réunir d’un seul coup la moitié de sa collection d’estampes et de livres japonais (Vente Gillot, 1904 ; vente Marteau, 1924 ; BnF, Estampes, Inventaire Marteau, 1909). Mais il y achète aussi nombre de gardes de sabre amovibles appelées tsuba, de boîtes à compartiments, les inrō, de fuchi-kashira (colliers de garde et pommeau de sabre), chawan (bols à thé) et de figurines miniatures (netsuke). Il augmentera sans relâche sa collection jusqu’en 1913, date à laquelle il acquiert encore dix-huit pièces de la vente Édouard Mène (vente Mène, 1913 ; vente Marteau, 1924). Guidé par un goût sûr et une bibliothèque qui comporte notamment les ouvrages sur l’art du Japon de Louis Gonse, Gaston Migeon et Edmond de Goncourt ainsi que Le Japon artistique de Bing, Georges Marteau agit dans cette collecte en véritable amateur d’art, moins soucieux peut-être de technicité que de beauté – beauté qui vaut à ses pièces japonaises d’être reproduites dans les monographies consacrées à l’art japonais et empruntées lors des nombreuses expositions sur l’art japonais ou chinois organisées à Paris entre 1909 et 1914 (Lambert, 1909 ; Verneuil, 1910 ; musée des Arts décoratifs, 1909-1914). Au contraire de ses collections de cartes et de miniatures persanes, il n’en tire aucun écrit personnel, non plus qu’il n’annote ou n’en documente spécifiquement les œuvres. Il les classe selon une organisation qui tient compte de la matière et de la fonction. D’abord viennent les objets sculptés, les verres et les céramiques ; puis la cohorte des ustensiles corollaires du vêtement japonais, ceux que l’on porte sur soi, inrō, peignes, netsuke, pipes et fourreaux, ojime ; les arts graphiques, ensuite, avec les katagami, les estampes, les livres illustrés, les dessins et les peintures ; puis les étoffes et les pièces de vêtement ; la collection s’achève enfin avec plus de 700 armes, éléments de sabre et d’armure (BnF, Estampes, Inventaire Marteau, 1909 ; AN, *9DD7/20144787/17). De cette profusion ressortent quelques objets particulièrement remarquables. Acquis à la vente Paul Brenot de 1903 et provenant précédemment de la collection Goncourt, un kodansu, ou cabinet, de forme rectangulaire, en laque mura nashiji, décoré à la laque d’or et orné d’applications de nacre, de corail et de métaux divers, se distingue par sa taille minuscule et la virtuosité de son exécution. Monumental au contraire, un large paravent à quatre feuilles, décorés de pivoines et de fleurs des champs, occupe presque entièrement l’un des murs de l’appartement de Marteau. Attribué à l’école de Rinpa, il provient du fonds de Siegfried Bing et Marteau l’achète en 1906 pour la somme, considérable alors, de 16 500 francs (vente Bing, 1906 ; AN, *9DD7/20144787/17). C’est peut-être dans l’un des recueils de modèles imprimés au xixe siècle (BnF, Estampes, RÉSERVE DD-3131-4) qu’il puise le motif de l’ex-libris de sa collection d’étoffes coptes et islamiques et de sa collection persane (Maury, 2019, p. 17). Cette dernière monopolise bientôt toute son énergie et occupe les dix années qu’il lui reste à vivre.

L’art persan

Aux dires de Raymond Koechlin, « l’Orient musulman le séduisit bientôt et la collection qu’il rassembla de miniatures persanes et hindoues, sans compter les armes et les cuivres, est parmi les plus importantes qui fussent à Paris. Il ne se borna pas à se plaire à cet art ; il voulut le connaître et des études approfondies qu’il entreprit est sorti un ouvrage écrit en collaboration avec M. Vever qui fait autorité en la matière » (Kœchlin R., 1917). Comme par extension naturelle et, à l’instar de nombreux collectionneurs d’art japonais, Marteau se prend de passion pour l’art persan, notamment l’art du livre, jusqu’à en devenir expert. Dans le catalogue des miniatures persanes exposées au musée des Arts décoratifs de juin à octobre 1912, Marteau et Vever datent de 1907 « le développement marqué que prit à Paris le goût pour les manuscrits illustrés et la formation rapide des collections qu’on y admire aujourd’hui. Pendant les années qui suivirent, et principalement en 1908, lors de la révolution qui bouleversa la Perse, affluèrent en Europe et surtout à Paris une grande quantité de miniatures et de manuscrits, d’une qualité de beaucoup supérieure à celle des spécimens considérés jusqu’alors comme les plus beaux » (Marteau G. et Vever H., 1913, p. 6-7). La collection de miniatures persanes et indiennes, de reliures, de manuscrits, d’armes et de cuivres que Georges Marteau rassemble jusqu’en 1913 prend le pas sur ses collections cartières et japonaises et opère en Georges Marteau la synthèse de l’amateur et de l’érudit. À l’invitation de son ami Henry-René d’Allemagne et pour les besoins de son rapport sur la Perse (D’Allemagne H-R., 1911), Georges Marteau rédige en 1911 une notice sur « Les livres à miniatures », sujet sur lequel D’Allemagne lui reconnaît une « compétence spéciale » (D’Allemagne, H-R., 1911). Marteau y déplore notamment que les marchands et les amateurs d’art persan privilégient les miniatures et les dessins, au détriment des textes, ce qui revient selon lui à s’en tenir « à la beauté de la pièce sans se préoccuper du sujet, de la date et de l’attribution » (D’Allemagne, H-R., 1911). Le goût de l’œuvre d’art, l’attrait du document, Marteau les considère également, et Edgard Blochet ne s’y trompe pas quand il voit « dans la perfection de [l’]écriture, dans le nom des calligraphes qui les ont signés, dans leurs peintures et leurs enluminures, dans le souvenir des princes qui ont tourné leurs pages pour en admirer leur décoration [le seul intérêt] que Marteau ait jamais recherché » (Blochet E., 1918) dans les manuscrits persans. En témoignent les nombreuses pages de calligraphies qu’il recueille et documente de traductions, d’attributions et de commentaires, qui couvrent d’une écriture serrée les marges et les versos des feuillets sur lesquelles elles sont montées. « S’il n’alla pas jusqu’à apprendre le persan, il travaillait avec un Persan qui lui traduisait les documents nécessaires » (Koechlin R., 1920) – un certain docteur Djalil Khan, dont la signature apparaît sur l’un de ces albums de calligraphies assemblés par Marteau. Il fait aussi appel à l’épigraphiste Max van Berchem, qui déchiffre pour lui les inscriptions arabes gravées sur certaines pièces de métal de sa collection. Il se nourrit également d’un ouvrage pionnier publié par l’orientaliste Clément Huart en 1909 et intitulé Calligraphes et miniaturistes de l’Orientmusulman. Dans les années 1910, quand le marchand Georges Demotte propose à la vente les pages d’un rare Shâhnâma de grandes dimensions, Marteau n’hésite pas à lui en acheter trois pages isolées à miniatures et un feuillet double de texte. Il dépense pour les seules miniatures 40 000 francs. Son ami Vever en acquiert également sept feuillets, dont les achats s’échelonnent entre le 27 juin 1913 et le 29 mars 1914. Par la suite, et faute de miniatures dont les exportations vers l’Europe se raréfient aux alentours de 1911-1912, Marteau augmente sa collection de bronzes, de cuivres, d’armes, de céramiques et d’étoffes coptes. Le 24 décembre 1912, il acquiert ainsi auprès de Demotte, l’un de ses principaux fournisseurs avec les marchands Vignier et Rosenberg, cinq pièces importantes : une hachette de derviche et quatre sabres, dont un ayant appartenu à Soliman le Magnifique (AN, *9DD7/20144787/17).

Georges Marteau meurt le 21 septembre 1916. Malgré les vicissitudes du conflit mondial, alors à son apogée, sa collection est répartie, comme il le souhaitait, entre le musée du Louvre et la Bibliothèque nationale (inventaire après décès, étude de Me André Prudhomme, 1916). Sans doute sur la recommandation d’Henry-René d’Allemagne, qui, pour en être envieux, la savait inestimable, la collection de cartes à jouer rejoint dans son entier les collections du département des Estampes. Il en va de même pour les estampes et les livres japonais, à l’exception de quatorze gravures sur bois japonaises. Deux manuscrits japonais sont versés au département des Manuscrits. La collection d’art du livre persan est divisée entre le musée du Louvre, qui reçoit les pages à miniatures, et la Bibliothèque nationale, qui obtient les manuscrits et les albums de calligraphies. Les objets japonais entrent, quant à eux, à la section Extrême-Orient du Louvre. En 1945, ils seront cependant transférés au musée Guimet, en même temps que les miniatures indiennes, ces dernières étant depuis 2012 revenues au Louvre. Enfin, un don complémentaire de son légataire universel, Ferdinand Seiler, au musée des Arts décoratifs en janvier 1917 fait aussi entrer dans les collections nationales une partie des textiles orientaux et les poncifs japonais (katagami) de Georges Marteau. En 1924 puis en 1933, deux ventes entérinent la dispersion du reste de la collection japonaise, soit près de 700 pièces, et de la collection persane, dont ne demeurent qu’une douzaine de miniatures de moindre qualité et une reliure. Cent six gravures de Dürer subissent aussi à cette occasion le feu des enchères.