GOUJON DE THUISY Eugène de (FR)
Commentaire biographique
Eugène-Marie-Joseph de Goujon de Thuisy est le fils d’Auguste Charlemagne Macchabée de Goujon (1788-1838) et d’Eulalie Charlotte Julie de Béthune-Hesdigneul (1808-1853). Bien que la famille de Goujon de Thuisy se distingue par ses hauts emplois dans la magistrature et les armées, le marquis de Thuisy (registre de mairie du village de Baugy, état civil) n’est pas l’héritier d’une richesse financière et culturelle. Dès 1792, ses parents perdent les droits seigneuriaux de leurs terres et voient toutes leurs propriétés être vendues au profit de la nation (AD 51, J 5693). Eugène de Goujon de Thuisy ne se présente donc pas comme l’héritier d’une collection familiale.
En 1858, le marquis de Thuisy devient maître d’une très grande fortune suite à son mariage inscrit sous la communauté des biens avec Marie-Marthe-Claire Clérel de Tocqueville (1840-1907) (AD 60, 2E 30/469). Elle est la fille d’Édouard Clérel, vicomte de Tocqueville (1800-1874),et la nièce de l’écrivain Alexis de Tocqueville (1805-1859). Édouard de Tocqueville est propriétaire du château de Baugy, demeure de style Louis XVI entourée d’un vaste parc de plus de cent hectares. En 1883, le couple et leurs quatre enfants emménagent à l’intérieur du château de Baugy suite au décès de la mère de Marthe.
À l’aide d’Édouard de Tocqueville, le marquis de Thuisy fait ses premiers pas dans le milieu de la diplomatie en 1866 (CADC, 393QO/3933). En tant que secrétaire d’ambassade au département des Amériques du ministère des Affaires étrangères, il est en 1875 promu au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Cependant, le marquis de Thuisy ne semble pas voyager à l’étranger dans le cadre de voyages diplomatiques et n’achète donc pas d’objets d’art lui-même à l’étranger (CADC, 393QO/3933). Dès 1877, il s’éloigne de la vie politique parisienne, quitte le ministère des Affaires étrangères et intègre la mairie de Baugy en tant que conseiller de mairie. Il devient maire de cette commune en 1884 et conseiller général de l’Oise en 1886, postes qu’il occupe jusqu’à la fin de sa vie (registre des délibérations du conseil municipal de la commune de Baugy, à partir du 12 juin 1875). Quitter Paris est un moyen pour le marquis de Thuisy, également compositeur et poète, de se consacrer pleinement à ses créations (CADC, 393QO/3933).
Constitution de la collection
Le marquis de Thuisy est le créateur d’une collection de plus de mille objets d’art. Bien qu’attaché tout au long de sa vie à sa région natale, il ne porte pas d’intérêt pour les antiquités, les médailles et les monnaies, contrairement à la majorité des collectionneurs du nord de la France (Ris-Paquot O.-E., 1912). Le marquis de Thuisy se passionne pour les boîtes. La majeure partie de sa collection est ainsi composée de boîtes diverses : de toutes tailles, en tous matériaux et aussi bien d’origines européennes qu’orientales.
Les tabatières, bonbonnières et boîtes à portrait en porcelaine française sont issues des manufactures de Vincennes, deSèvres, de Chantilly et de Mennecy. Le marquis de Thuisy collectionne également des boîtes d’origine allemande. De plus, les boîtes européennes de facture chinoise manifestent son goût profond pour les motifs orientaux. La collection d’objets japonais en laque peut être considérée comme l’un des plus complets et luxueux rassemblements français d’objets de vitrine extra-européens. Qu’il s’agisse de pièces anciennes ou modernes, les laques japonais et chinois sont de très belle facture. Lesboîtes européennes sont en écaille ou en or, ciselées avec une grande habileté ou ornées d’exquises miniatures et de diamants. Les fourreaux des sabres sont en galuchat et la laque est incrustée de nacre et d’or. De plus, bien que composée majoritairement de boîtes, la collection du marquis de Thuisy est complétée par différents types d’objets, tels que des sabres, des masques de théâtre japonais nô et des netsuke.
Les choix effectués par le marquis de Thuisy dans sa collection sont motivés par sa sensibilité personnelle et par le rôle social imposé par son titre de noblesse et sa profession. En effet, au cours de sa vie parisienne, c’est un personnage public, qui participe aux plus prestigieuses expositions d’objets d’art de la fin du XIXe siècle. En 1878, lors de l’Exposition universelle de Paris, des boîtes en laque japonaises de la collection du marquis de Thuisy sont exposées au Trocadéro auprès de laques de fabrication ancienne appartenant aux amateurs parisiens les plus importants (Étienne-Gallois A.-A., 1879, p. 144). Ensuite, au Trocadéro en 1889 (Hoffman H., 1889) et au Petit Palais en 1900 (L’Univers, 15 juillet 1900), les visiteurs de l’Exposition rétrospective de l’art français et de l’Exposition universelle découvrent les objets en porcelaine les plus remarquables de la collection du marquis de Thuisy.
Le marquis de Thuisy commence à collectionner des objets d’art au début des années 1870 et cesse les achats pour sa collection à la fin des années 1880. Cette borne chronologique est inhérente à sa carrière professionnelle et politique. En effet, le futur collectionneur intègre le ministère des Affaires étrangères en 1866 et n’est nommé attaché rémunéré dans le même département qu’à partir de 1872 (CADC, 393QO/3933). De même, le collectionneur perd la proximité qu’il a pu avoir avec le monde artistique parisien lorsqu’il est élu en 1886 au conseil général de l’Oise. Il se fournit principalement en lots d’objets dans les boutiques des marchands d’art parisiens et sélectionneses masques de théâtre nô dans les boutiques de Philippe Sichel (1839-1899) et de Siegfried Bing (1838-1905). De surcroît, il est adjudicateur lors de ventes aux enchères ayant eu lieu à l’hôtel Drouot entre 1875 et 1886 (Bourroux F., 2019, p. 51-55). Durant les ventes publiques, le collectionneur de l’Oise se concentre sur des pièces onéreuses et de belle facture et achète des objets ayant appartenu à des esthètes admirés pour leurs collections et leurs connaissances des objets d’art d’Asie. Une grande tasse en porcelaine de Sèvres de M. Fournier intègre la collection du marquis de Thuisy en 1885 (vente de la collection de M. Fournier, Paris, hôtel Drouot, du 2 au 6 mars 1885). Pendant presque quarante ans, Fournier tient une boutique au faubourg Montmartre,« où le Tout-Paris de la curiosité l’a connu » (Eudel P., 1886, p. 253). Les grands amateurs d’objets d’Extrême-Orient viennent s’approvisionner dans la boutique de ce collectionneur et vendeur reconnu pour son honnêteté et son désintéressement. Cependant, contrairement à de nombreux amateurs d’art asiatique, le marquis de Thuisy n’enrichit pas sa collection lors des ventes posthumes des fameux collectionneurs d’art oriental tels que Philippe Burty (1830-1890) en 1891, Octave du Sartel (1823-1894) en 1894 et Edmond de Goncourt (1822-1896) en 1897. Il ne participe pas à ces ventes posthumes et il semblerait que le collectionneur n’ait jamais été acheteur lors de ventes aux enchères par le biais d’un intermédiaire (Bourroux F., 2019, p. 37-40).
La collection du marquis de Thuisy est exposée dans son appartement parisien et dans les salles du château de Baugy. Ainsi, le collectionneur vit au contact de ses objets : ils font partie de sa vie quotidienne. Une photographie nous présente le salon du château de Baugy bordé de vitrines dans lesquelles des objets de différentes origines sont accumulés : les boîtes en laque japonaises avoisinent les boîtes en porcelaine européennes.
Le marquis de Thuisy fréquente également l’hôtel des ventes en tant que vendeur. Il se sépare d’une portion non négligeable de sa collection à trois reprises. En 1901, il se sépare de cent cinquante-huit boîtes en porcelaine européennes (Catalogue des objets de vitrines […] composant la collection de M. le marquis de Thuisy, Paris, hôtel Drouot, salle no 6, Me Paul Chavallier, 30-31 mai 1901). En 1902, il vend des pièces de faïence et de porcelaine françaises et allemandes, et des céramiques chinoises et japonaises (Catalogue des anciennes faïences et porcelaines, faïences françaises, hollandaises, etc., porcelaines de Vincennes […] dépendant de la collection de M. le marquis de Thuisy, Paris, hôtel Drouot, salle no 7, Me Paul Chevallier, 19 décembre 1902). La vente de 1903 est exclusivement composée d’objets orientaux (Catalogue des objets de curiosité chinois, japonais et orientaux, émaux cloisonnés et peints, laques de Peking et du Japon, objets divers européens […] provenant des collections de M. le marquis de Thuisy, Paris, hôtel Drouot, salle no 10, Me Paul Chevallier, 27 février 1903). Outre la création d’un bénéfice économique et d’un gain de place, le marquis de Thuisy affine sa collection avant la fin de sa vie dans l’espoir d’atteindre un équilibre parfait entre les différents types d’objets qui la compose. En effet, la réorganisation de sa collection dès l’entrée dans le XXe siècle est une manière pour le collectionneur de dessiner la composition idéale de son legs. De même, la dernière vente d’objets du marquis de Thuisy est la vente posthume de 1913 (Catalogue des objets d’art et d’ameublement, porcelaines tendres […], objets de vitrine, armes orientales, tenture, meubles dont la vente [aura lieu] après décès de monsieur le marquis de Thuisy, Baugy, château de Baugy, Oise, Me Wilhélem, 12 et 13 juin 1913). Durant la rédaction de son testament en 1912, il prévoit la vente de dix-sept armes orientales durant sa vente posthume (AD 60, 2 E 30/779 1911). Il s’agit certainement là d’un tri établi entre les trois cents armes qui intègrent les collections du musée Antoine Vivenel en 1913 et celles moins dignes d’entrer dans un musée (AD 60, 2 E 30/779 1911).
Le marquis de Thuisy rédige son testament auprès de son notaire compiégnois en 1912 (AD 60, 2 E 30/779 1911). Il décide de léguer la majeure partie de sa collection à trois musées : le musée Antoine Vivenel, le musée du Louvre et le musée Carnavalet. Sous dispositions testamentaires, chaque donation est un regroupement cohérent d’objets d’art aux origines ou aux sujets similaires. Le musée Antoine Vivenel de Compiègne se voit attribuer un lot de 1 095 objets d’art décoratif d’une grande richesse. Il s’agit de boîtes en laque, d’armes, de bois sculptés et de pièces en bronze de diverses origines (chinoise, japonaise, persane, indienne, siamoise et cochinchinoise). On y trouve également 85 boîtes et tabatières en porcelaine tendre fabriquées dans les plus grandes manufactures françaises et européennes : Sèvres, etc. Le musée Carnavalet, consacré à l’histoire de la ville de Paris, accueille trente-quatre boîtes illustrant la période pré-révolutionnaire et post-révolutionnaire. Enfin, la valeur du legs adressé au musée du Louvre est particulièrement haute. Il s’agit d’un lot de quatre boîtes en porcelaine française et allemande du XVIIIe siècle décorées de matériaux d’exception tels que la nacre, l’or, l’écaille et des pierres précieuses (Service d’études et de documentation du musée du Louvre, section objets d’art, notices des objets d’art OA-6687 à OA-6690). Grâce à ses choix raisonnés, le collectionneur assure un cadre favorable à la conservation et à l’exposition de ses objets après sa mort.
Notices liées
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