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Une poétesse empreinte de mysticisme

Pauline Tarn est née le 11 juin 1877 à Londres dans un milieu bourgeois, de l’union de John Tarn et de Mary Gillet Bennett. L’héritage de John Tarn permet à sa famille de vivre à l’abri du besoin. Un an après la naissance de Pauline, la famille Tarn déménage à Paris. Le 26 mai 1881, Harriet Antoinette Tarn, la petite sœur de Pauline, voit le jour. Pauline Tarn suit un enseignement très complet comprenant celui du piano qui fera naître chez elle une passion pour la musique. C’est durant son enfance qu’elle situe sa rencontre avec ses voisines Violette et Mary Shillito (BNF, NAF 26580, f.13). Violette et Pauline deviennent très amies et Violette aura une grande influence sur Pauline. Alors que Pauline semble vivre une enfance paisible, son père meurt brusquement le 10 octobre 1886. Il s’agit d’un évènement très douloureux pour Pauline. Dès lors, elle est contrainte de revenir vivre en Angleterre, pays qu’elle n’affectionne guère (BNF, NAF 26580, f.8). Lorsqu’elle est âgée de vingt-et-un ans et a atteint sa majorité, elle décide de retourner vivre à Paris afin de retrouver Violette. Les deux amies passent le plus clair de leur temps ensemble et développent des liens très forts. Cette première année à Paris représente la « seule année peut être heureuse de sa vie » (Germain A., 1917, p. 25). En novembre 1899, Pauline rencontre Natalie Clifford Barney par l’intermédiaire de Violette qui connaît le penchant de ses deux amies pour l’écriture. Le coup de foudre est immédiat entre Pauline et Natalie qui entament une liaison dès le début de l’année 1900 et emménagent ensemble en janvier 1901. L’année 1901 voit également la parution du premier recueil de Pauline Tarn Etudes et Préludes sous le pseudonyme de R. Vivien. Le 8 avril 1901, Violette Shillito décède après avoir contracté une fièvre typhoïde. Pauline est bouleversée par cet événement dont elle ne se remettra jamais totalement. A cela, vient s’ajouter la première d’une longue série de ruptures avec Natalie après lesquelles Pauline tente de se suicider. Le 1er novembre 1901, Pauline s’installe seule au rez-de-chaussée du 23, avenue du Bois de Boulogne. A la fin de l’année 1901, elle entame une liaison avec Hélène de Zuylen de Nyevelt. Cette relation avec cette héritière Rothschild - de quatorze années son aînée et femme d’un riche baron - apporte à Pauline une certaine stabilité. A partir de l’année 1902, elle entame une période d’écriture intense sous le pseudonyme de Renée Vivien. C’est à partir de cette année qu’elle commence à multiplier les voyages - durant lesquels elle écrit beaucoup - et qui ne cesseront dès lors de rythmer sa vie. Elle se rend beaucoup en Allemagne, Autriche et Hollande avec Hélène, qui y possède des propriétés. Elle se rend également de nombreuses fois à Nice où elle loue une villa. En 1905, Pauline Tarn va jusqu’au bout de sa fascination pour Sapho en se rendant à Mytilène. En chemin, elle s'arrête à Constantinople pour rencontrer Kérimé Turkhan-Pacha, une admiratrice turque avec qui elle entretient une relation épistolaire de 1904 à 1908. A partir de 1906, Pauline se sent de plus en plus seule suite à l’éloignement d’Hélène, au déménagement de son ami et correcteur Charles-Brun et d’une brouille avec le peintre Lévy-Dhurmer, illustrateur de la plupart de ses publications. Elle trouve alors du réconfort auprès de sa sœur et son mari, le capitaine Francis Alston et se lie d’amitié avec Colette, dont elle est voisine. Lorsqu’elle n’est pas en voyage, Pauline organise des soirées dans son appartement parisien où elle réunit quelques connaissances pour pallier l’éloignement de ses proches. Parmi les convives, figurent notamment l’orientaliste Eugène Ledrain, Colette, Willy - le mari puis ex-mari de cette dernière - Léon Hamel, Louise Faure-Favier ou encore Marcelle Tinayre. Lors de ces soirées, Pauline refuse de se nourrir et s’adonne de plus en plus à l’alcool, qu’elle va même jusqu’à consommer en cachette. Ceci marque le début de son repli progressif sur elle-même ; durant les deux dernières années de sa vie elle ne voyage presque plus. Au cours de l’été 1908, elle tente une nouvelle fois de se suicider à l’aide de laudanum. Durant l’année 1909, l’état de santé de Pauline ne cesse de se détériorer - Hélène redevient alors présente à ses côtés. Au matin du 18 novembre 1909, Pauline Mary Tarn décède dans son appartement parisien. Si l’opinion prétend qu’elle est morte d’une congestion pulmonaire après avoir pris froid en Angleterre, Pierre Louÿs affirme qu’elle souffrait d’une polynévrite due à son alcoolisme. Celle-ci entraîna une fausse route à l’origine d’une infection pulmonaire dont elle mourut trois jours plus tard (Un Passant, 1910, p. 865). Selon Marcelle Tinayre « sa mort passa presque inaperçue. Il n’y eut pas de communiqué à la presse, aucune lettre de faire-part. Quatre ou cinq amis seulement, furent avertis par dépêche particulière » (Tinayre M., 1910, p. 3). Les photographies et écrits des contemporains de Pauline révèlent la personnalité de cette dernière, empreinte de mysticisme. Elle est toujours vêtue de tenues aux tons sombres et se montre très discrète, préférant l’écriture aux dîners mondains. Elle consacre d’ailleurs sa vie à son œuvre, publiant entre 1901 et 1909 pas moins de vingt-cinq volumes, sous le pseudonyme de Renée Vivien, afin de conserver l’anonymat, préférant que la gloire revienne à son œuvre et non à sa personne. A travers ses écrits - majoritairement des poèmes en vers mais aussi des textes en prose - elle livre les sentiments qu’elle éprouve, notamment pour Natalie, présente dans une grande partie de son œuvre. Ce travail d’écriture couplé à ses nombreux voyages lui permet de fuir le monde qui l’entoure et dans lequel elle ne se sent pas à sa place.

Une collection au service d’un monde intérieur

Le testament de Pauline Tarn n’a pas été retrouvé et son nom est absent du fichier nominatif des successions déclarées des Archives de Paris (AP, DQ7 13168). Aucun document n’a été retrouvé concernant l’arrivée en 1909 des soixante-et-un instruments de musique de Pauline au sein des collections du musée instrumental du Conservatoire national supérieur de musique (Getreau F., 1996, p. 301). Les soixante-dix-sept pièces acceptées en 1909 par le musée Cernuschi bénéficient quant à elles de documentation plus importante. Dans une lettre d’Eugène Ledrain - proche de Pauline Tarn et conservateur au département des Antiquités orientales du musée du Louvre - adressée à Henri d’Ardenne de Tizac, alors conservateur du musée Cernuschi, il est mentionné que Pauline Tarn laisse « de beaux bouddhas aux musées sans préciser à quels musées». Compte tenu de l’origine extrême-orientale de la plupart des objets que souhaite léguer celle-ci, le musée Cernuschi semble être le plus adapté à accepter ce legs (note 129 p.23). Le 20 décembre 1909, l’inspecteur en chef de la Ville de Paris autorise le déplacement des œuvres léguées par Pauline Tarn dans les réserves du musée Cernuschi (Musée Cernuschi, Don Tarn, lettre de l’Inspecteur en chef des Beaux-Arts de la ville de Paris datée du 20 décembre 1909). L’entrée des collections a exceptionnellement lieu avant les formalités administratives relatives au don car l’appartement doit être loué à nouveau. De plus, « les visiteurs viennent et se font remettre à titre de souvenir ce qui peut leur plaire » (Musée Cernuschi, Don Tarn, brouillon d’une lettre d’Henri d’Ardenne de Tizac à Monsieur Verrat daté du 18 décembre 1909), rendant la chose d’autant plus urgente. L’acceptation officielle de ces œuvres a lieu lors du Conseil Municipal du 18 mars 1910. Elle est établie sous la forme d’un don de la part de son exécutrice testamentaire Madame Antoinette Alston, la sœur de Pauline (AP, 3115 W2, Don Tarn). Du reste, il semblerait que la famille de Pauline ait également récupéré quelques objets d’origine orientale tels des jades chinois, des bronzes, des estampes japonaises mais également des objets de toilette et des bijoux. Hélène de Zuylen, elle, a probablement récupéré toute la correspondance ainsi que les papiers personnels et littéraires de Pauline, la famille ne semblant pas en avoir recueillis.

Les soixante-et-un instruments conservés à la Philharmonie portent les numéros d’inventaire E.1744 à E. 1805. L’arrivée de ces derniers au sein de la collection du Musée Instrumental participe au développement de l’aspect ethnologique de ses collections, très peu pris en compte depuis l’ouverture du musée d’Ethnographie du Trocadéro en 1878 qui récupère en priorité ce genre de collection. L’étude de cette collection d’instruments démontre le goût de Pauline pour les instruments d’origine asiatique, qui représentent plus de la moitié de la totalité du legs. Parmi ceux-ci, les instruments japonais semblent les plus appréciés par leur ancienne propriétaire, représentant en effet 40 % des instruments asiatiques du legs.

Les œuvres conservées au musée Cernuschi sont inventoriées selon les soixante-dix-sept numéros allant de M.C. 5169 à M.C. 5245138. Dans une lettre adressée à l’Inspecteur en Chef des Beaux-Arts de la Ville de Paris, d’Ardenne de Tizac explique que ces oeuvres viennent enrichir les collections du musée Cernuschi en dotant celui-ci de belles pièces de bois sculpté et en développant la collection d’art religieux du musée, face à l’intérêt grandissant en Occident pour les religions orientales (Musée Cernuschi, Don Tarn). L'état sommaire des collections, rédigé par Henri d’Ardenne de Tizac avant leur entrée au sein du musée divise les œuvres en six catégories : « Pagodes, Vitrine, Cabinets », « statues religieuses », « ex-voto bouddhiques », « accessoires religieux », « pièces diverses » et « art musulman » (Musée Cernuschi, Don Tarn) . Il témoigne de la prédominance des objets à caractère religieux, en particulier ceux liés au bouddhisme japonais. Les pièces maîtresses de la collection de Pauline semblent être les bouddhas et les instruments de musique, seules œuvres à demeurer en place dans le décor changeant de son appartement. Colette affirme : « Hormis quelques bouddhas et les instruments de la salle de musique, tous les meubles bougeaient et changeaient mystérieusement chez Renée Vivien. Une collection de monnaies d’or persanes, cédait la place à des jades, auxquels se substituait une collection de papillons et d’insectes rares » (Colette, 1991, p. 598). Si certaines pièces de la collection de Pauline ont pu être seulement de passage dans son appartement, elles reflètent toutes son goût pour l’Orient, en particulier pour le Japon. Il est cependant intéressant de noter la présence de pièces issues de l’art islamique, telles des éléments de décor, l’intérêt pour cet art étant commun à de nombreux collectionneurs d’art asiatique de l’époque, en témoigne par exemple les collections et intérieurs de Pierre Loti. Malgré l’absence de sources certaines quant à la constitution de cette collection, le goût japonisant de Pauline peut s’expliquer au regard du contexte de l’époque. Le japonisme se diffuse peu à peu au sein des différentes strates de la société parisienne après l’ouverture du Japon au reste du monde en 1868 et au développement simultané des expositions universelles en Occident, qui permettent à l’Europe de découvrir la culture japonaise. Le Bodhisattva en bronze doré daté du règne de Yongle (Musée Cernuschi ; numéro d’inventaire M.C 5173) demeure la pièce maîtresse de sa collection. Il s’agit également de la seule pièce dont l’origine est connue à ce jour. Elle figure dans le catalogue d’une vente qui s’est déroulée à Drouot en 1904 (Deshayes E. et Deniker J., 1904, non paginé). Pauline Tarn a pu commencer la constitution de sa collection dès son aménagement au 23, Avenue du Bois de Boulogne. Il est cependant intéressant de remarquer que le moment où Pauline se retrouve de plus en plus seule, vers 1906, coïncide avec celui où elle s’intéresse de plus en plus à l’Orient (Vivien R. présenté par Goujon J-P., 1986, p. 15) et que Colette la décrit animée par une frénésie d’achat, décidée à acheter un bouddha par jour (Colette, 1991, p. 605). Pauline envisage en effet l’Orient et le Japon comme un idéal. Certains détails, comme une lettre adressée à Colette de Yokohama en 1907, semblent attester d’un voyage de Pauline au Japon, entrepris au cours d’un voyage plus long vers Hawaii en compagnie de sa mère. Plusieurs sources affirment également que Pauline a ramené des œuvres tout droit du Japon. D’Ardenne de Tizac adresse un brouillon de lettre à Antoinette Alston, l’exécutrice testamentaire de Pauline Tarn, dans lequel il lui suggère d’écrire au Préfet de la Seine et au Président du Conseil Municipal, qu’elle offre à la Ville de Paris la collection que sa sœur avait « formée au cours de ses voyages en Extrême-Orient » (Musée Cernuschi, Don Tarn) et Louise Faure-Favier affirme que Pauline ramène de « pittoresques souvenirs » de ses voyages. Cependant, l’emploi du temps fort chargé de Pauline et le temps nécessaire pour entreprendre un tel voyage - au minimum trois mois - ne semblent pas laisser la possibilité à celui-ci d’avoir été bel et bien réel, les tendances mythomanes de Pauline à la fin de sa vie venant renforcer cette hypothèse (Maucuer M., 2003, p. 267). Malgré tout, il est certain qu’elle s’inspire de ce qu’ils évoquent en elle plus que de leur réalité pour recréer un univers unique dans lequel elle peut trouver la quiétude dont elle est à la recherche, loin du monde et de la réalité qui l’entoure. Elle instaure une atmosphère sombre dans son appartement, éclairé seulement à la bougie, permettant ainsi une mise en scène particulière de sa collection. Ses contemporains décrivent son intérieur comme un lieu funèbre (Willy, 1909, non paginé). Celui-ci est intimement lié à sa personnalité et lui permet de s’adonner à un culte, inspiré du bouddhisme, dans lequel elle dépose des offrandes devant ses bouddhas, mais en réalité opéré autour d’un panthéon unique et personnel, élaboré par elle-même et pour elle-même.

C’est dans L'Être Double et Netsuke - parus tous les deux en 1904 et écrits avec Hélène de Zuylen sous le pseudonyme de Paule Riversdale - que Pauline s’inspire le plus du Japon imaginaire qu’elle crée. Dans Netsuke, le Japon à proprement parler n’apparaît pas, Pauline s’inspire bien plus de son panthéon personnel que du Japon lui-même, plaçant son récit au sein du monde imaginaire qu’elle crée. Dans L’Etre double, Pauline s'octroie également toutes libertés quant à la tradition bouddhique, créant une mythologie et une symbolique encore totalement fantastique et personnelle (Maucuer M., 2003, p. 265-273).