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Formation

Né le 29 septembre 1703 à Paris, François Boucher fait probablement son apprentissage chez son père, Maître-Peintre à l’Académie de Saint-Luc. Après être passé brièvement dans l’atelier de François Lemoyne (1688-1737) et très certainement chez Jean-François de Troy (1679-1752), il met ses talents de graveur au service de Jean-François Cars (1661-1738) pour la création de frontispices et de thèses. En 1722, il débute une collaboration avec Jean de Jullienne (1686-1766) qui se prolonge plusieurs années et réalise plus d’une centaine d’eaux-fortes d’après les dessins de Watteau pour la publication du recueil des Figures de Differents Caracteres publié en 1726. À l’âge de vingt ans, il obtient le Premier Prix de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture mais ne reçoit pas de bourse pour son séjour à Rome. Cinq ans plus tard, il prend finalement la décision de rejoindre la Ville éternelle à ses propres frais aux côtés de Carle, Louis-Michel et François Vanloo (1708-1732). Lors de son séjour – qui dure trois ans –, il suit les cours dispensés à l’Académie et produit de petits tableaux à la manière des Flamands. Alors qu’il s’était initié à la peinture nordique en fréquentant les collections parisiennes avant son départ, il enrichit sa culture visuelle pendant son séjour à Rome en se familiarisant avec les artistes italiens.

Retour sur la scène parisienne

Dès son retour à Paris en 1731, il prend part à la publication du second livre des Diverses Figures Chinoises peintes par Watteau…au Château de la Muette pour lequel il grave douze eaux-fortes. Cette collaboration est une première incursion du peintre dans la chinoiserie et marque certainement une étape décisive dans son attrait pour l’Orient. Conscient de la réalité du marché, François Boucher développe dans les années 1730 une stratégie commerciale pour s’imposer comme peintre incontournable dans la capitale. Pour ce faire, il expose chez l’avocat François Derbais une série de peintures de grand format qui feront sa réputation (notamment Aurore et Céphale (Nancy, MBA) ; Vénus demande à Vulcain les armes pour Énée (Musée du Louvre). La même année, il est agréé comme peintre d’histoire à l’Académie de Peinture et de Sculpture et reçu grâce à la présentation de Renaud et Armide (Musée du Louvre), le 30 janvier 1734. La première commande officielle arrive en 1735 (quatre Vertus en grisaille pour le plafond de la chambre de la Reine à Versailles) et de nombreuses autres suivront : la Chasse au léopard en 1736 puis, la Chasse au crocodile en 1738-39, toutes deux pour la galerie des petits appartements du roi à Versailles, quatre pastorales pour les petits appartements du roi à Fontainebleau, quinze peintures pour le château de Choisy à partir de 1741, des travaux pour Marly... Les années 1740 sont synonymes de succès pour François Boucher qui devient l’un des peintres les plus admirés de sa génération et reçoit désormais la protection de madame de Pompadour (1721-1764). Ses travaux touchent tous les domaines des arts, il fournit dessins et costumes pour l’Académie de musique, donne des modèles pour les arts décoratifs en collaborant avec les manufactures de Vincennes, de Beauvais puis celle des Gobelins dont il devient l’inspecteur en 1755. Sa carrière académique, elle aussi brillante, l’amène à devenir professeur à l’Académie en 1737, puis directeur en 1765 et, la même année, premier peintre du roi en remplacement de Carle Vanloo. Il meurt le 30 mai 1770 dans son appartement du palais du Louvre.

La Chine, « une des provinces du rococo »

C’est à partir des années 1740 que François Boucher prend une part plus active dans le circuit de l’asiatica par ses liens étroits avec le marchand-mercier Edme-François Gersaint (1694-1750) notamment, mais aussi en débutant, très certainement au même moment, une importante collection. Bien qu’il n’ait jamais brossé de peinture de chevalet à la chinoise, l’intérêt dont Boucher fait preuve pour les objets orientaux se manifeste dans les séries de dessins destinés à la gravure et même d’estampes - qu’il grave lui-même – dans lesquels il donne vie aux statuettes et aux figures humaines peintes sur les porcelaines ou les estampes chinoises de son cabinet. Les objets chinois apparaissent ainsi par petites touches dans quelques-unes de ses peintures à sujets intimes, dans nombre de ses gravures et avec éclat dans les esquisses pour la Seconde tenture chinoise. Dans un rapport presque sensuel à l’objet, Boucher se plaît à rendre les matières, le velouté de la porcelaine, la brillance des montures en bronze, anime ses statuettes en terre crue et démontre son excellente connaissance des objets extrême-orientaux. Ses « tableaux de mode », mettant en scène des personnages féminins ou des familles dans de riches intérieurs contemporains, décorés de pagodes, pots-pourris richement montés et autres paravents, participent à la promotion des objets que l’on trouve chez les merciers. Mais l’ensemble certainement le plus emblématique de sa production chinoise est la série des dix petits cartons (Besançon, MBAA, D.843.1.1 ; D.843.1.2 ; D.843.1.3 ; D.843.1.4 ; D.843.1.5 ; D.843.1.6 ; D.843.1.7 ; D.843.1.8 ; D.843.1.9 ; 983.19.1) pour la Seconde tenture chinoise commandée par Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) vers 1742. Depuis un demi-siècle, plusieurs chercheurs se sont penchés sur les sources visuelles utilisées par le peintre. S’il est établi depuis longtemps que Boucher exploite les récits de voyageurs européens à l’instar de celui d’Arnoldus Montanus (1625-1683), Perrin Stein a montré plus récemment (1996, 2007, 2019) qu’il a également recours aux motifs chinois qu’il isole et interprète très librement dans ses dessins réalisés pour la gravure et très tôt employés dans les arts décoratifs européens (mobilier, céramiques, boîtes à tabac ou de toilette). Ses sources sont diverses : statuettes en terre ou en pierre, porcelaines, estampes. Le Gengzhi tu 耕織圖 (traité de riziculture et de sériciculture publié en Chine en 1696) et la romance du Pavillon de l’Ouest, en chinois Xixiang ji, 西廂記, lui servent par exemple de modèle pour plusieurs Scènes de la vie chinoise. Le peintre n’isole pas seulement les motifs de certaines planches chinoises, il fait preuve d’une réelle attention pour la construction de l’espace et de la perspective dans les productions chinoises. Ainsi, quelques estampes des Scènes de la vie chinoise présentent un traitement de l’espace directement inspiré de la Chine (en particulier, les vues en angle des barrières et rambardes).

Constitution de la collection

Collectionneur boulimique s’il en est, François Boucher – par ailleurs connaisseur reconnu en matière de coquilles – évolua toute sa vie dans un monde peuplé d’œuvres d’art, d’objets orientaux et de naturalia. La collection d’objets orientaux de François Boucher, constituée sans doute à partir des années 1730-1740, est vendue dans l’appartement du peintre au palais du Louvre à partir du lundi 18 février 1771, soit dix mois après son décès. Le catalogue établi par Pierre Remy est la source la plus importante pour connaître et étudier cette collection en l’absence d’inventaire après-décès. Les recherches récentes (Joulie F., 2017 ; Une des provinces du rococo : La Chine rêvée de François Boucher, 2019) ont permis d’identifier trois objets ayant vraisemblablement appartenu au peintre : une paire de vases en porcelaine céladon et monture en bronze doré aux tritons et un pot-pourri en grès (dit « porcelaine truitée » dans le catalogue) et monture en bronze doré à tête de satyres (tous trois conservés dans des collections particulières). Si l’on ignore tout de l’agencement de la collection de Boucher avant 1756 – date de l’installation du peintre dans l’appartement de Charles Antoine Coypel (1694-1752) au Louvre –, les grands travaux qu'il mène ensuite pour réaménager les lieux sont documentés. Par ailleurs, le témoignage d’un jeune aristocrate savoyard, Joseph Henry Costa de Beauregard (1752-1824) – de passage à Paris – rédigé le 10 janvier 1767 nous renseigne sur la disposition de la collection. Les objets orientaux y sont mêlés aux curiosités naturelles (toutes sortes de pierreries, des papillons des Indes et de la Chine, quatre ou cinq très petits oiseaux, un nombre infini des plus beaux minéraux, de coraux, de plantes marines et de pétrifications).

François Boucher débute ses achats sans doute auprès du marchand Gersaint – qui décide, à partir de 1737, de se reconvertir dans la vente d’objets venus d’Extrême-Orient – et participe ainsi au développement du goût pour les objets chinois à Paris. Le peintre prend part à cette nouvelle activité en dessinant la carte-adresse du marchand et, grâce à sa pratique de collectionneur, s’inscrit dans un cercle de curieux et d’amateurs, entretenant des liens notamment avec Jean de Jullienne, Blondel d’Azincourt (1695-1776) et Randon de Boisset (1708-1776) qu’il côtoie dans les ventes publiques. L’examen des catalogues annotés nous apprend qu’il achète notamment lors des vacations d’Antoine de La Roque (1672-1744) en 1745, de René-Louis Bailly en 1766 et de madame Dubois-Jourdain (?). Outre Gersaint, il se fournit aussi chez les marchands-merciers Lazare Duvaux (1703-1758), Pierre Remy (1715 ou 1716-1797), Dubuisson, Rouveau et Simon-Philippe Poirier (vers 1720-1785). Véritable démarche de sociabilité, la collection participe à son ascension sociale. Il ne se contente pas seulement d’acquérir des objets orientaux, à partir des années 1730, il intègre discrètement et délicatement porcelaines et paravents dans ses peintures d’intérieurs, participant à la promotion de ce nouveau goût plébiscité par son ami Gersaint. Si les objets chinois disparaissent assez rapidement de ses peintures, sa collection elle, ne semble pas se limiter à un effet de mode. Elle est pour le peintre une véritable passion qui durera jusqu’à sa mort, en témoignent les nombreux achats qu’il réalise au moins jusqu’en 1767.

Amateur insatiable, il réunit une collection d’objets orientaux d’une grande diversité qui passait « de l’aveu de tout le monde, pour l’un des plus riches & des plus agréables collections que l’on voit à Paris » comme le souligne Pierre Remy dans l’avant-propos du catalogue de la vente après-décès. L’ouvrage est divisé selon quatre grands domaines : tableaux, « desseins, estampes », objets divers et « Minéraux, Cristallisations, Madrepores, Coquilles & autres Curiosités ». Les quelques sept-cent-un objets extrême-orientaux sont répartis dans trois-cent-vingt lots eux-mêmes ventilés dans dix catégories, selon leur matériau (« Bronzes, Ivoires, Pagodes de pâte des Indes, Pierre de larre, Curiosités en argent, Laques, Porcelaines, Terre des Indes ») ou leur typologie (« Peintures chinoises, Morceaux curieux et Effets curieux »). L’exemplaire conservé par la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (VP 1771/3) est celui qui, à notre connaissance, est le plus riche en annotations. Il précise le nom de la plupart des acheteurs et le prix des lots, nous renseignant ainsi sur la présence de nombreux marchands (Doyen, Dufrêne, Claude-François Julliot (1727-1794), Legère, Neveu, Alexandre-Joseph Paillet (1743-1814), Perrin, Pierre Remy, etc.) et d’amateurs tels que les abbés Gruel et Le Blanc (1707-1781), les ducs de Caylus (vers 1733-1783) et de Chaulnes (1741-1792) ou Randon de Boisset. Le total des vacations pour les collections extrême-orientales s’élève à 23 775 livres 51 sols. La valeur marchande de la collection, loin d’être ridicule, n’atteint tout de même, pas les prix considérables des ventes de certains contemporains de Boucher comme Randon, Louis-Jean Gaignat (1697-1768) et Jean de Jullienne. Parmi les nombreux acheteurs mentionnés dans les marges de l’ouvrage, le duc de Chaulnes se distingue en se portant acquéreur d’au moins vingt-cinq lots pour un total de 3 131 livres et 82 sols, la somme la plus importante étant consacrée à une maison chinoise pour laquelle il dépense 1 199 livres et 19 sols (lot 942) – une somme considérable pour la vente Boucher. La lanterne chinoise à six pans provenant du cabinet de l’amateur Jean de Jullienne, remportée par Chaulnes pour 730 livres et 9 sols, se distingue par sa rareté et sa provenance. Pierre Remy est le second acheteur avec soixante-et-onze lots acquis pour un total de 3 954 livres et 81 sols. Les marchands Doyen, Dufrêne, Julliot, Légere, Neveu, Paillet, Perrin suivent de plus loin avec une dizaine de lots chacun. Si la collection est dominée par les porcelaines, les laques et autres objets très appréciés par les amateurs, elle est aussi ponctuée de pièces plus rares qui font sa singularité. Dans le domaine de la porcelaine, pièces communes de Chine et du Japon voisinent avec des types plus précieux tel que blancs de Dehua 德華, céladons, bleus célestes, craquelés et truités, formant un ensemble de 234 pièces dont un tiers est garni de bronze. Quatre-vingt-dix laques ventilées en quarante-trois lots sont mises à l’encans, en majorité des boîtes et des plateaux de formes et de dimensions variées. Quant aux pièces prisées sur le marché, il s’agit d’ivoires produits pour l’exportation, de « pagodes en pâte des Indes » certainement réalisées à Canton et d’objets en « pierre de larre » (stéatite). Enfin, bronzes chinois peu importés en Europe, curiosités en argent et instruments de musique constituent la réelle singularité de la collection, prouvant une fois encore que loin d’être une simple passade, cet ensemble reflète le réel intérêt du peintre pour l’Orient.