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Statut
Publiée
Contributeur
Geneviève François
Dernière modification
25/10/2023 18:34 (il y a 6 mois)
Type d'oeuvre
Commentaire Type d'œuvre
Paire de croix
Localisations
Lieu de conservation : 
Type de Cote / numéro : 
Cote / numéro : 
inv. 10603 A
Type de Cote / numéro : 
Cote / numéro : 
inv. 10603 B
Commentaires descriptifs
Commentaire descriptif : 
Étant donné la forte analogie entre les deux croix, à la fois dans leur structure, leur décor et leur état de conservation, il a paru opportun de les présenter dans une même notice.
Cette paire de croix jumelles est un unicum dans l’Œuvre de Limoges du fait de leur taille exceptionnelle (700 mm de hauteur), du haut niveau de leur exécution et de leur bon état de conservation. Ces croix composées à croisée en mandorle et empattements potencés ont conservé leur nœud et leur douille d’origine.
À l’avers, elles présentent une figure d’applique représentant le Christ Roi, vivant et couronné. Il est vêtu de plusieurs robes superposées : une tunique, une aube et une dalmatique. La tunique, de même que les vêtements portés par les autres personnages, est traversée par des lignes laissées en réserve et dorées, qui soulignent le mouvement du drapé. Les manches, la ceinture et les bords des vêtements sont richement travaillés : de petites verroteries sont serties sur un fond en cuivre doré et gravé. La couronne est décorée de la même façon, avec une verroterie au centre.
Au-dessus de ces très belles figures, se trouve le cartouche portant une inscription assez rare parmi les croix de Limoges jusqu’ici répertoriées : Rex Iudeorum et non l'inscription classique IHS / XPS.
Aux extrémités de deux croix se placent des figures d’applique, au modelé souple et plastique : la Vierge et saint Jean sur les côtés, un ange en haut et saint Pierre en bas. Les têtes rapportées des personnages sont gravées et ciselées ; celles de la Vierge et de saint Jean sont par ailleurs pourvues d’un nimbe en cuivre doré (manquant sur le saint Jean de la croix B). Les yeux sont réalisés en perles de verre émaillé de noir. Les vêtements sont bleu foncé, bleu clair et vert ; la façon de dessiner les drapés est proche de celle déjà observée sur l’applique du Christ Roi, grâce à des lignes dorées en réserve. Tous les personnages sont représentés à mi-buste - sauf saint Pierre qui est en pieds – et émergent d’une nuée au bord ondulé et émaillé.
Sur le recto, le revêtement des deux croix est orné de cabochons, (pour la plupart manquants), dont certains ont une forme simple – circulaire ou carrée – tandis que d’autres sont plus élaborés et prennent la forme d’une élégante fleur gravée et ciselée. La surface est complètement estampée, par groupe de trois ou de cinq petits cercles.
Le verso des deux croix est beaucoup moins riche que le recto, en raison de la perte de nombreuses plaquettes émaillées, qui devaient leur conférer à l’origine un aspect somptueux. À partir de l’analyse des deux objets, il est possible de supposer la présence d’une plaque en mandorle au centre, de six plaquettes circulaires sur le montant et de quatre autres placées le long de la hampe. Les plaquettes émaillées subsistantes (une seule sur chaque croix) présentent un motif décoratif similaire : une croisette émaillée inscrite dans un disque. Sur la base de comparaisons avec d’autres croix répertoriées au CEM II, il est possible d’imaginer que les autres plaquettes présentaient également ce décor et que dans la mandorle centrale était représenté le Christ en Majesté tandis qu’aux extrémités se trouvaient les symboles de quatre évangélistes.
Les deux exemplaires étudiés ici conservent exceptionnellement leur nœud et leur douille. Ce dernier élément, globulaire et légèrement écrasé, comporte des montures pour des cabochons – disparus – en forme de fleur déployée, tout à fait similaires à celles déjà observées sur la surface de ces œuvres.
Britt-Marie Andersson, à partir des exemplaires conservés en Suède, a reparti les croix limousines en trois principaux groupes typologiques, qui se sont succédé chronologiquement à partir de la fin du XIIe siècle. Les croix jumelles de Stockholm appartiennent au deuxième groupe, appelé « orfévré », caractérisé par le travail orfévré (figures d’applique, montures, cabochons, décor estampé), qui l'emporte sur le décor émaillé. Selon Andersson, ce groupe s'inspire de l’orfèvrerie de l'Antiquité tardive dont l’archétype est la crux gemmata constantinienne. Il semble pourtant que ces caractéristiques ne concernent pas que les croix et relèvent d'une façon générale des transformations techniques et stylistiques qui traversent l'Oeuvre de Limoges entre la deuxième et la troisième décennie du XIIIe siècle. L'élaboration orfévrée des surfaces prend petit à petit le relais sur le décor émaillé, qui avait auparavant dominé dans toute sa variété chromatique. Ce changement est également observable sur des objets typologiquement différents dont on citera, à titre d’exemple, les plats de reliure conservés au musée de Cluny (inv. Cl. 971) et dans l’église de Saint-Nectaire (Auvergne), les châsses du Rijksmuseum d’Amsterdam et du Metropolitan Museum de New York (Inv. 1974.228).
Le grand raffinement des deux croix caractérise tant les parties émaillées que les détails ciselés. En ce qui concerne les figures d'applique mineures, il est à remarquer la finesse de l’émaillage, qui comprend plusieurs tons de couleur à l’intérieur d’une même alvéole. Les têtes sont définies dans le moindre détail : les yeux sont réalisées par le biais de perles de verre émaillé, l’incision dessine soigneusement la chevelure et les visages sont très expressifs. Les mains et les vêtements des personnages sont eux aussi extrêmement soignés : dans ce cas, la difficulté d’exécution est accrue par les surfaces courbes, dont l’émaillage était plus difficile.
Les appliques du Christ comptent parmi les plus belles réalisées par les orfèvres de Limoges. Au-delà de l’excellente exécution technique, elles frappent par leur forte expressivité et leur aspect majestueux. Elles sont comparables à la figure d’applique du musée du Louvre déjà citée et à celle du musée de l’Ermitage, réalisées très probablement par le même atelier pour des croix tout à fait semblables dans leur dimension et leur décor à celles de Nävelsjö.
Quant à l’iconographie des deux croix, il faut souligner son caractère exceptionnel : le Christ est représenté victorieux, couronné et vêtu de plusieurs robes superposées (tunique, aube, dalmatique) et désigné - seul cas parmi les croix jusqu’ici répertoriées - comme Rex Iudeorum.
Andersson a suggéré l’hypothèse que cette iconographie répond à une demande précise du clergé scandinave, commanditaire présumé des deux œuvres, se fondant sur le fait que la plupart des croix portant cette iconographie se trouve dans les pays scandinaves, très probablement ab antiquo. Cette hypothèse a été réfutée par Elisabeth Taburet-Delahaye, qui a justement remarqué que la tradition d’habiller les figures de Christ placés sur les chœurs n’est pas l’exclusive des pays scandinaves. À titre de preuve, elle cite le Crucifix d’applique du musée du Louvre (inv. OA 8102) – très proche de ceux étudiés ici – qui est lui aussi habillé de robes superposées tout en ne provenant pas dès l’origine de Scandinavie. L’étude iconographique de cette paire de croix a été récemment reprise par Mona Bramer Solhaug. En accord avec Elisabeth Taburet-Delahaye, elle ne partage pas l’idée que cette iconographie ait été créé ad hoc pour le clergé scandinave et propose d’interpréter ce modèle figuratif comme une synthèse visuelle du double rôle de Roi et de prêtre du Christ.
Un dernier aspect qui mériterait d'être approfondi est le contexte d’usage des deux croix et leur rôle dans le décor liturgique. Il faut rappeler – comme déjà signalé dans la provenance – qu’un inventaire de 1829 de l’église de Nävelsjö mentionne les croix sur des colonnes, placées chacune d’un côté de l’autel ; il s’agit d’une disposition non attestée ailleurs, au moins en ce qui concerne les croix de Limoges. Il n’est pas à exclure que ces deux croix, à l’origine processionnelles, aient été fixées à côté de l’autel lors des célébrations religieuses, leur grande taille empêchant de les placer directement sur l'autel comme les autres croix processionnelles.
Quant à la chronologie de ces œuvres, deux monnaies en argent ont été repérées sous le revêtement de la croix B ; frappées dans l’île suédoise de Gotland - probablement dans la capitale Visby - elles ont été datées respectivement entre 1120-1130 et 1210 et entre 1210-20 et 1260-70. Cette découverte fortuite, malgré la chronologie très large qu’elle offre, est compatible avec la datation que les nombreuses comparaisons stylistiques suggèrent, c’est-à-dire approximativement autour de 1215.
La réalisation « jumellaire » de ces deux croix, leur taille hors du commun et l’excellent niveau d’exécution amènent à croire qu’elles sont le résultat d’une commande spécifique. Britt-Marie Andersson a justement remarqué que la principale voie de la diffusion médiévale des émaux de Limoges en Suède était le clergé ; il est notoire que nombre de jeunes ecclésiastiques scandinaves passèrent un séjour d’étude à Paris, à l’abbaye saint Victor, siège d’une école théologique renommée. Il n’est pas à exclure que l’un de ces ecclésiastiques ait put offrir, autour de 1215/1220, cette précieuse paire de croix à la paroisse de Nävelsjö, en embellissant ainsi le décor liturgique de l’église récemment construite. Les deux croix jumelles aujourd’hui à Stockholm – encore majestueuses malgré les pertes – ont sans nul doute dû impressionner les fidèles avec leur émaux étincelants et leurs cabochons.
États
Etat de conservation : 
Commentaire Etat de conservation : 
Dans l’ensemble, bon état de conservation. Sur l’avers des deux croix, perte de la plupart des cabochons.
Le saint Jean de la croix B a perdu ses yeux en perle de verre émaillé et son nimbe rapporté en cuivre doré.
Au revers, l’état de conservation est similaire pour les deux croix : manquent les plaques centrales en mandorle et toutes les plaquettes circulaires émaillées, sauf celle de la hampe gauche de la croix A et celle du montant supérieur de la croix B.
À l’extrémité inférieure de la croix B, une partie du revêtement a été emportée.
Matérialité
Matériau : 
Commentaire Matérialité : 
émaux : bleu (foncé, moyen, clair), vert (foncé, clair), turquoise, jaune, rouge, blanc
Matériau : 
Dimensions
Hauteur : 
700
Largeur : 
437
Unité de mesure : 
Inscriptions
Type d'inscription : 
Transcription : 
REXIV / DEORV [m]
Emplacement : 
avers
Commentaire Inscriptions : 
croix A
Type d'inscription : 
Transcription : 
REXIVD / EORV [m]
Emplacement : 
avers
Commentaire Inscriptions : 
croix B
Représentations
Indexation Garnier-SMF : 
Commentaire Représentations : 
Christ roi crucifié (avers)
Créations / exécutions
Type de date : 
Date de création : 
1210 - 1215
Historiques de collection
Collection : 
Les croix proviennent de l?église paroissiale de Nävelsjö (province suédoise méridionale de Smaland) où elles furent sans doute conservées depuis le Moyen Âge. Cette église du diocèse de Linköping fut en effet bâtie dans la seconde moitié du XIIe siècle. Des analyses dendrochronologiques du bois de la charpente de l?église de Nävelsjö font remonter l?abattage des arbres aux années 1181-1182 ; ce qui permet de situer l?achèvement de la construction dans les deux dernières décennies du XIIe siècle ou au plus tard au début du XIIIe siècle. Par conséquent, les croix pourraient être des vestiges du mobilier liturgique commandé pour la mise en service de l?édifice. Britt-Marie Andersson (1980, p. 5) a émis l'hypothèse que les cisterciens de l'abbaye de Nydala, bâtisseurs de l'église de Nävelsjö, pourraient être à l'origine de cette commande extraordinaire. En 1898, la fabrique de la paroisse vendit les croix pour 1000 couronnes au musée de Stockholm ; elle avait déjà tenté de les céder une première fois en 1823 à l?Académie royale de Suède, sans succès, puisqu?en 1829 l?inventaire de Nävelsjö précise que les croix sont « posées sur des colonnes de part et d?autre de l?autel ».
Liens entre oeuvres
Type de lien horizontal : 
Commentaire Type de lien horizontal : 

Croix de grande qualité et taille exceptionnelle situées vers 1190-1200.

Type de lien horizontal : 
Commentaire Type de lien horizontal : 

Croix de grande qualité et taille exceptionnelle situées vers 1190-1200.

Notice œuvre : 
Bibliographies / archives
Commentaire Bibliographies / archives : 
p. 117.
Reproductions
Commentaire Reproductions : 
Cilchés ATA (avers; revers; détails) = Corpus 2031, 5064, 5089, 11765, 11768-11770; 11766, 11772; 11771, 11773. - Dia. ATA (avers) = Corpus 11796-11802.
Médias associés
Commentaire Médias associés : 
Photo CEM : corpus 2031, 5064,5089, 11765, 11766, 11768-11773; dia 11796-11802
Commentaire Médias associés : 
Photo CEM : corpus 2031, 5064,5089, 11765, 11766, 11768-11773; dia 11796-11802
Commentaire Médias associés : 
Photo CEM : corpus 2031, 5064,5089, 11765, 11766, 11768-11773; dia 11796-11802
Source
source : Institut national d'histoire de l'art (France) / Musée du Louvre (Paris) / Ville de Limoges - licence : Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
Commentaire interne
TOME CEM II
Rédacteur
Lorenzo Margani, Université de Sienne