Portrait d’Antoine Rohault, maire d’Abbeville
Ce portrait représente Antoine Rohault, maire d’Abbeville en 1598 et 1611. Figuré presque en pied dans un imposant manteau au col de fourrure, il tient dans sa main un mouchoir et porte au poignet la tasse, ou escarcelle, en velours violet et au fermoir d’argent, accessoire caractéristique des maires abbevillois depuis 1593. Ses armes (d’azur, au chevron d’or accompagné de 3 croissants de même, 2 et 1) figurent en haut à gauche. La bibliothèque d’Abbeville conserve par chance son livre de raison, étudié à la fin du XIXe siècle par Alcius Ledieu (« Le livre de raison d’un maïeur d’Abbeville, Antoine Rohault (1545-1613) », Mémoires de la société d’émulation d’Abbeville, 1897, p. 132-236), offrant une fenêtre sur la vie municipale et bourgeoise de son temps. Sa famille fait partie des plus influentes d’Abbeville dès le Moyen Âge, notamment dans le commerce de la tannerie, profession que Antoine Rohault exerce en tant que marchand dans sa jeunesse. Il fut très impliqué dans la vie municipale de la ville : il fut greffier au Bureau des pauvres en 1581, puis premier consul deux ans plus tard, juge des marchands dès 1593, et surtout, il occupa huit fois une position d’échevin et deux fois celle de maïeur.
La datation de 1613 doit être interrogée car Antoine Rohaut tombe malade à la fin d’octobre 1612 et décède le 28 janvier 1613. S’agirait-il d’un obiit ajouté le jour de son décès ou de son enterrement ? Le col à pointes écartées et rabattu, d’une certaine largeur, pourrait indiquer une réalisation autour de 1600, mais on en trouve également après 1610. La présence de la tasse pourrait toutefois nous inciter à y voir une œuvre réalisée sous un de ses mandats de maïeur, soit entre 1598 et 1611. Le tableau semble être de la même main que l’auteur des portraits de Jacques Adin de Moncheaux (Metropolitan Museum of Art de New York et collection particulière), qui a dû travailler entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. On retrouve en effet une même conception du visage, travaillé par de larges touches et des zones d’ombres marquées, notamment sur le nez, trahissant une influence des Flandres. On peut également comparer les morphologies semblables, qu’il s’agisse des yeux en amande aux larges paupières ou les pommettes saillantes rehaussées de rouge. D’autres portraits ont dû être réalisés de son vivant ou de manière posthume. Nous savons qu’il est enterré dans l’église Saint-Gilles « au costé droict de ladicte Crignon [son épouse décédée] devant un tableau proche des orgues où est despeinte la Resurrection des Morts, auquel tableau est son pourtraict » (Ledieu 1897, p. 165). Par ailleurs, la précision du nombre de jours après son âge, soit le « D 8 », semble faire écho à son livre de raison qui donne le date de son décès le 28 janvier 1613, « âgé de 68 ans 6 jours ». C’est le seul type de ce genre d'inscription que nous avons pu relever en France. S’il s’agit d’une copie, l’œuvre a sans doute été commandée par les enfants, adultes au moment des faits. Le texte aurait aussi pu être ajouté sur une œuvre préexistante. Nous savons que Rohault est à l’origine de diverses entreprises artistiques : il recense sa commande d’une verrière en 1608 pour orner la nouvelle église des Capucins (Ledieu 1897, p. 198).
Ernest Prarond (Les hommes utiles de l’arrondissement d’Abbeville, Amiens/Abbeville, 1858, p. 126) se demande prudemment s’il serait possible de voir en l’auteur du portrait une œuvre de Charles Lamy, peintre abbevillois actif dans le premier quart du XVIIe siècle. Son raisonnement semble uniquement se baser sur le fait que ce dernier est rémunéré en décembre 1620 pour avoir peint, dans le cadre de l’entrée de Louis XIII ou du duc de Luynes, « deux vieillards revestus de robbes longues noires, tenant en leurs mains, qu’ils avoient levées en hault, un coeur au dessus duquel estoit le pourtraict du roy environné d’un soleil ». Il est cependant probable que d’un point de vue de vraisemblance historique, un peintre travaillant pour la municipalité aurait pu être engagé pour réaliser des portraits de maires.
ANTONE ROHAVLT MAIRE / D’ABBEVILLE EN 1598 ET 1611 / AETATIS SVAE 68 D 8 / 1613
probablement ajoutée après le décès d'Antoine Rohault
collection M. Moisnel de Bertinois ; legs, 1849, Abbeville, musée Boucher-de-Perthes
p. 126
repr. lithographique
p. 77-78, n° 84, sans attribution