Michel Laclotte et le Répertoire des Tableaux Italiens en France, XIIIe-XIXe siècles (RETIF)
Introduction
Lors de l’hommage rendu à Michel Laclotte (1929-2021) à l’Auditorium du musée du Louvre le 22 avril 2022, il a été rappelé1 l’importance du programme de recherche sur les tableaux italiens des collections publiques françaises (RETIF) mis en œuvre par ce dernier pendant près de vingt ans à l’Institut National d’Histoire de l’Art. Cette base est considérée aujourd’hui comme « l’épine dorsale » des ressources numériques de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Elle comporte en effet près de 14 000 œuvres recensées dans la base AGORHA.
Michel Laclotte aimait à raconter qu’il avait eu l’idée, dans le train entre Florence et Sienne, de rassembler dans un même outil de recherche l’ensemble du patrimoine pictural italien dispersé sur tout le territoire, dans les musées, châteaux, églises et autres édifices civils ou religieux.
C’était pour lui un retour aux sources, puisqu’il avait été en poste, au début de sa carrière en 1952, à l’Inspection des Musées, sous la direction de Jean Vergnet-Ruiz (1896-1972). Chargé d’étudier et de mettre en valeur les collections des musées « de province », il organisa, à l’Orangerie en 1956, l’exposition De Giotto à Bellini, Les primitifs italiens dans les musées de France. Quelques années plus tard, en 1976, l’ouverture du musée du Petit-Palais en Avignon couronnait des années de recherches et de restauration sur les Primitifs de la collection Campana.
Michel Laclotte avait acquis une intime connaissance des collections françaises au cours des nombreuses tournées qu’il effectuait, parfois en compagnie de spécialistes, et qui lui ont valu de belles découvertes. Il aimait à évoquer, encore bien des années plus tard, l’illumination et l’« espèce de danse muette »2 de Roberto Longhi (1890-1970) devant la Flagellation du Christ du musée des Beaux-Arts de Rouen, au moment où, en 1959, celui-ci « reconnaît » dans la toile, jusque-là anonyme, un authentique chef-d’œuvre du Caravage.
En 2001, le programme du RETIF est lancé à l’INHA et aussitôt placé sous la responsabilité de Mickaël Szanto, chargé d’études et de recherche jusqu’en 2004. Le flambeau est ensuite transmis à Eric Pagliano, pensionnaire de 2004 à 2008, à moi-même de 2009 à 2015, puis à Servane Dargnies de 2015 à 2019. L’expérience de ces six années passées à ses côtés, m’autorise à décrire la méthodologie globale mise en place par lui dès l’origine : collecte des données à partir de la bibliographie existante, examen visuel des œuvres dans toute la mesuredu possible et mise en place d’un vaste réseau de collaborateurs scientifiques.
La rédaction des fiches de chaque œuvre est ensuite confiée aux chargés d’études et de recherche3, doctorants bénéficiant d’un contrat de quatre ans avec l’INHA : regroupés salle Francis Haskell et débordants d’enthousiasme à chaque découverte, ils ont constitué la cheville ouvrière du programme.
Rassembler la documentation
Les fiches et les dossiers de l’ancien inspecteur Michel Laclotte, dont il faut rappeler le goût pour les listes de tableaux à l’instar de celles de Bernard Berenson (1865-1959), vont donc servir de socle à l’élaboration du programme.
Les bases en ligne du ministère de la Culture (Joconde, Palissy, Arcade regroupées aujourd’hui dans le portail Pop Culture) et les bases étrangères comme celle de la Fondation Zeri sont mises à contribution.
La bibliographie, catalogues de musées, monographies et catalogues raisonnés sont minutieusement dépouillés. Le Répertoire des tableaux italiens1 du XVIIe siècle et l’ensemble des manifestations organisées en 1988 autour des tableaux italiens en France du Seicento2, puis du Settecento3 une dizaine d’années plus tard, constituent un socle synthétique et documenté pour l’élaboration des notices concernant le XVIIe et le XVIIIe siècles.
Les photographies sont collectées auprès de la Réunion des Musées Nationaux (RMN) et des musées concernés, sur la base d’un accord pour leur publication en ligne.
Missions sur le terrain
Des missions sont organisées sur place dans les musées pour voir les tableaux et recenser les fonds non publiés.
Michel Laclotte retrouvait ainsi le terrain qu’il avait longuement arpenté durant ses années d’Inspection.
Il attendait impatiemment ma prise de poste pour partir, en mai 2009, sur les routes d’Auvergne afin d’explorer avec Christian Omodeo, chargé d’études improvisé chauffeur, les collections des musées de Riom, Clermont-Ferrand, Le Puy, Aurillac et autres petites églises de campagne, selon un programme élaboré par Guillaume Kientz, alors conservateur des Monuments Historiques de la région.
D’autres suivirent auxquelles il avait tenu à participer, à Aix-en-Provence, Montpellier, La Fère, Laon (fig. 1), Fécamp, Chaalis et la dernière, à Besançon : à la suite de leur mise ligne, ces collections ont fait l’objet d’études plus approfondies et de catalogues raisonnés, dont certains sont publiés1 ou en voie de l’être2.
Un réseau d'experts
Après réception, les clichés des tableaux anonymes ou d’attribution problématique sont soumises à l’avis d’un comité de spécialistes, conservateurs et historiens d’art français1. Les « réunions d’attribution » ont lieu généralement une fois par trimestre2 : les avis libres et spontanés sont recueillis et discutés.
L’opinion de spécialistes étrangers est également sollicitée : un réseau dynamique et réactif de chercheurs3 voit ainsi le jour. Ceux-ci rendent leur paternité à un nombre important d’œuvres créées par des artistes peu connus hors d’Italie ; ils parviennent également à retrouver quelquefois la trace de leur provenance.
Citons quelques exemples parmi des centaines : Andrea De Marchi identifie, au musée de Fécamp, deux panneaux qu’il reconnaît comme les voletsd’un triptyque de Girolamo dai Libri (v. 1474-1555) de l’église Santa Maria in Organo à Vérone4. Marco Ciampolini identifie la main de Raffaello Vanni (1587-1673), dans le Massacre des Innocents aujourd’hui dans l’église de Sauchay en Normandie après avoir fait sans doute partie des collections médicéennes. Pour Sergio Marinelli, c’est à Bartolomeo Cittadella (1636-1704) qu’il faut rendre l’intrigante Zénobie soignée par les bergers sur les bords de l’Araxe5 et pour Daniele Benati, à Giovanni Vangembes (1601-1654), la Sainte Famille et saints6 : ces deux tableaux appartiennent à la collection Fesch au musée d’Ajaccio. Grâce à Nicola Spinosa, l’immense composition nichée dans une église de la campagne marseillaise depuis le XIXe siècle retrouve sa paternité et son sujet : Giovanni Battista Rossi (1758-1777), Saint Pierre recevant au Paradis saint Aspreno premier évêque de Naples7 .
On pourrait multiplier les exemples à l’infini ; il est possible de les retrouver dans la base en interrogeant au nom du spécialiste, auteur de l’attribution.
Des chercheurs italiens, invités à l’INHA pour des séjours de plus ou moins longue durée, ont permis de faire d’autres importantes découvertes. En plus d’Andrea De Marchi, Daniele Benati et Nicola Spinosa déjà cités, Andrei Bliznukov8, Chiara Guerzi, Giuseppe Porzio9 et Stefania Mason10 sont venus se pencher sur les écoles de Ferrare, de Naples et de Venise.
Une école de formation
La formation des jeunes historiens d’art, doctorants ou stagiaires était au cœur des préoccupations de Michel Laclotte. Proche d’eux et toujours à l’écoute, il s’enquérait des progrès de leurs recherches et n’hésitait pas à leur prodiguer conseils et encouragements. Ceux-ci ne l’ont pas déçu : certains d’entre eux sont devenus conservateurs du patrimoine1, d’autres ont eu rapidement à leur actif de nombreuses publications2. Tous poursuivent brillamment une carrière de chercheurs.
Les stagiaires de l’École du Louvre et de l’Institut National du Patrimoine, sont à l’origine de recherches approfondies sur les collections. Nous en avons évoqué quelques-unes auxquelles il faut ajouter celles sur les fonds du musée du Mans3, des musées et églises de l’Oise4 , du musée de Menton5 et à Paris, des musées des Arts décoratifs6 et du Petit Palais (collection Ocampo7), du Trésor de la cathédrale de Bordeaux (collection du chanoine Marcadé8) et de l’église Saint-Louis-en-l’Île (collection de l’abbé Bossuet)9.
Conférences et expositions pour diffuser la connaissance de la peinture italienne en France
Soucieux de faire connaître le programme RETIF, Michel Laclotte a encouragé toutes les initiatives permettant son rayonnement en France comme à l’étranger.
Le RETIF a été présenté lors du colloque, Cacault et l’Italie, à Nantes en 2010 et en 2012 à Caen, lors des journées d’études sur les tableaux d’église, pour inciter les conservateurs des Antiquités et Objets d’Art à signaler la présence de tableaux italiens dans les édifices dont ils avaient la responsabilité.
En 2011, était organisé à Fontainebleau le premier Festival d’Histoire de l’Art, avec l’Italie comme pays invité : l’occasion était belle pour y présenter non seulement le RETIF mais aussi de mettre en évidence la mise en ligne des tableaux italiens de Seine-et-Marne : avec les étudiants de l’École du Louvre, un parcours sur le thème du Goût de l’Italie était organisé pour découvrir les peintures italiennes conservées dans les églises du département de Seine-et-Marne.
L’année suivante, en 2012, lors d’une table-ronde à l’École du Louvre, Le catalogue dans tous ses états, le RETIF offrait l’illustration évidente d’une « base de données comme outil de recherche ».
L’aventure du RETIF a particulièrement fasciné les historiens d’art italiens, l’entreprise étant impensable dans un pays aussi décentralisé. RETIF et l’art italien en Corse, en 2010, a eu les honneurs de l’ambassade de France au Palais Farnèse. Et en 2015, à l’université de Ferrare, Francesca Cappelletti a organisé pour ses étudiants la présentation du Repertorio dei quadri italiani nelle collezioni pubbliche francesi (Quattrocento-Ottocento).
La conception d’expositions constitue une partie essentielle du métier de conservateur et tout spécialement les entreprises destinées à promouvoir l’étude des collections patrimoniales françaises, dont Michel Laclotte avait donné, on l’a vu, le coup d’envoi en 1956 en exposant les Primitifs italiens des musées de France. Le RETIF a été un outil formidable pour en révéler la richesse.
Certaines manifestions ont présenté différents foyers artistiques : l’école vénitienne du XVIe siècle à Bordeaux et à Caen1 et du XVIIe à Ajaccio2. Le musée Fesch, qui avait associé l’INHA dès la création du RETIF à l’étude de son fonds, a consacré d’autres expositions explorant l’art à Florence3 et en Lombardie4 au XVIIe siècle, puis à Rome5 au XVIIIe. Le Siècle d’or napolitain a été exposé à Montpellier6. Organisées pour certaines d’entre elles en partenariat avec les surintendances italiennes, elles ont tenu néanmoins à privilégier la présentation des œuvres appartenant aux collections françaises et à publier, dans la mesure du possible, un chapitre exhaustif sur la représentation de ces écoles dans les collections françaises.
D’autres expositions ont voulu montrer exclusivement les œuvres appartenant à une région et ayant bénéficié d’une étude par l’équipe du RETIF : en Bretagne, De Véronèse à Casanova : parcours italien dans les collections de Bretagne7 en 2013 aux musées de Rennes et de Quimper, puis en Picardie en 2017, Heures italiennes, Trésors de la peinture italienne dans les musées et églises de Picardie, XIVe-XVIIIe siècles8 où 231 œuvres étaient exposées dans quatre villes : le Trecento-Quattrocento au musée de Picardie à Amiens, le Cinquecento au musée Condé à Chantilly, le Seicento au MUDO-musée de l’Oise et au Quadrilatère à Beauvais et le Settecento au musée national du Palais à Compiègne.
Mais les expositions où Michel Laclotte s’est investi passionnément concernaient les Primitifs italiens et les différents avatars de leur histoire : restauration et transformation, fortune critique, pastiches et faux. C’est précisément ce thème qu’avait choisi le musée Fesch pour son exposition de 20129 : polyptyques démembrés ou reconstitués de panneaux disparates, tableaux faux et tableaux authentiques portant des fausses signatures, afin d’illustrer les mutations dues à l’histoire du goût, depuis l’oubli jusqu’à la redécouverte de ces écoles de peinture au début du XIXe siècle (fig. 2).
En 2014, la même démarche s’est appliquée à l’étude de la collection que Frédéric Reiset (1815-1891) avait vendue à Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897). L’exposition Fra Angelico, Botticelli, chefs-d’œuvre retrouvés1 à Chantilly en 2014 était construite autour de la reconstitution d’une « Thébaïde » de Fra Angelico (v. 1395-1455) dépecée en six morceaux au XIXe siècle : cinq d’entre eux provenant de différents musées et d’une collection particulière se sont raccordés au Saint Benoît en extase du musée Condé2. Michel Laclotte avait eu l’intuition d’essayer de reconstituer le puzzle : celle-ci ne l’avait pas trompé, mais il manque toujours à l’appel le sixième morceau (fig. 3).
Conclusion
Vingt ans après le début de l’aventure du RETIF, la dynamique est toujours vive et ce, malgré le non renouvellement de contrats de doctorants spécifiquement dédiés au programme. Mais grâce à Isabelle Dubois-
Brinkmann, pensionnaire pour l’Histoire du goût, et à la collaboration scientifique de Michel Litwinowicz, la collecte de la documentation, l’intégration de nouvelles œuvres dans la base et les réunions d’experts sont maintenues : le grand projet de Michel Laclotte est toujours vivant.
Œuvres citées
Oeuvre / peinture
Oeuvre / peinture
Oeuvre / peinture
Bibiographie citée, avec rebonds vers les œuvres en références
Référence / catalogue d'exposition
Référence / contribution à un ouvrage
Référence / article de revue