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La Nouvelle-Aquitaine à l’heure ibérique : résultats du recensement en cours

Après l’Ile-de-France, l’équipe du RETIB a consacré l’année 2023 à la Nouvelle-Aquitaine région particulièrement riche en œuvres ibériques en raison, notamment, de sa situation géographique à la frontière avec l’Espagne. Un peu plus de 250 tableaux, originaux et copies, ont été répertoriés dans les musées et les églises de la région, soit autant de notices qui seront prochainement en ligne sur la plateforme AGORHA. Une fois encore, le recensement fut l’occasion de souligner la grande richesse des collections françaises, de mieux les connaître et de remettre en lumière certains trésors oubliés.

Les acteurs à l’initiative des collections existantes

L’un des apports majeurs de ces travaux concerne la provenance des tableaux répertoriés. En effet, pour ce programme de recherche, une attention toute particulière est portée à l’historique des œuvres jusqu’à leur arrivée dans les collections publiques françaises et à l’identification de collectionneurs particulièrement amateurs de peinture espagnole. Cela permet de mettre en avant quelques personnalités souvent oubliées au profit des grands noms comme ceux du maréchal Soult ou encore du roi Louis-Philippe.
L’une d’elles est certainement le chanoine Albert Marcadé (1866-1951), qui fit don à l’État français en 1947, d’un ensemble de 102 objets, peintures, vêtements liturgiques, sculptures, pièces d’orfèvrerie, manuscrits etc., parmi lesquelles huit panneaux espagnols peints entre le milieu du XVe siècle et le XVIe siècle. Deux d’entre eux peuvent être attribués avec certitude au peintre anonyme valencien dit Maître de Xativa, tandis qu’un autre revient au castillan Juan de Correa. La présentation de cette collection dans l’ancienne sacristie de la cathédrale Saint-André à Bordeaux a été entièrement revue en 2016.

À Pau, la documentation du musée des Beaux-Arts permet de mettre en lumière le rôle clé de Paul Lafond, collectionneur, historien de l'art, artiste et conservateur du musée de 1900 à 1918 (voir à son sujet la notice de Frédéric Jiméno publiée en ligne par l’INHA dans le Dictionnaire critique des historiens de l’art). Sous son impulsion, les collections du musée s’enrichirent considérablement. Parmi les œuvres entrées dans l’institution béarnaise, un certain nombre sont espagnoles et souvent associées à des noms importants. Sous son mandat sont, entre autres, acquis un Saint François recevant les stigmates de El Greco (1541-1614), Le Repos du berger de Pedro Orente (1580-1645), un Christ à la colonne dont l’attribution à l’entourage d’Alonso Cano (1601-1667) reste discutée, ainsi qu’une Éducation de la Vierge attribuée à Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682).

Notons qu’en 1968, la famille de l’ancien conservateur légua également au musée une Crucifixion aragonaise du XVe siècle provenant d’un retable démembré et aujourd’hui perdu.
Plus surprenant est l’exemple de l’église paroissiale d’Assat, dans les Pyrénées-Atlantiques, qui compte trois toiles rapportées du Mexique et offertes par la famille Daran, probablement originaire de la région.

En d’autres occasions, ce sont des personnalités plus éloignées du monde de la culture et du patrimoine qui sont à l’origine de don de panneaux ibériques. Cela fut le cas au musée Labenche de Brive-la-Gaillarde qui reçut d’Étienne Nouvion (1846-1906), magistrat et écrivain, un panneau peint qui, après étude, apparaît être un élément clé de la peinture catalane du XIVe siècle.

Une découverte décisive

Bien que dans un état de conservation dégradé, avec une couche picturale très lacunaire et d’anciennes retouches aux couleurs altérées, notamment en ce qui concerne le personnage masculin, ce panneau figurant Sainte Hélène et Constantin flanquant la Sainte Croix s’est révélé être l’une des découvertes majeures faites dans le cadre de ce recensement. Entrée dans les collections du musée en 1906, l’œuvre est alors associée au peintre siennois Simone Martini. Cette attribution perdure jusqu’au début des années 2000, moment où Michel Laclotte, rattache avec pertinence la peinture à la production catalane et au courant dit « italo-gothique », en précisant qu’elle est fortement influencée par l’école siennoise.

L’expertise du professeur Rafael Cornudella a permis, ultérieurement, de mettre en évidence qu’il s’agissait d’une œuvre de Ferrer Bassa (documenté de 1324 à 1348), peut-être en collaboration avec son fils Arnau. Nous savons peu de choses de ces deux peintres. La documentation révèle toutefois que le père travailla successivement pour Alphonse III et Pierre IV d’Aragon. De ce dernier, Ferrer Bassa obtint la commande pour la réalisation des retables pour des chapelles dans les palais de Perpignan, Barcelone, Lérida, Saragosse, Valence et Majorque. La documentation précise que la chapelle du palais des rois de Majorque à Perpignan était dédiée à la Sainte-Croix ; le panneau de Brive pourrait ainsi être le dernier élément connu de ce retable aujourd’hui perdu.

Un travail en étroite collaboration avec les autres programmes de recherche sur les collections françaises

Les peintures ibériques ne sont toutefois pas les seules à avoir bénéficié des recherches de l’équipe du RETIB. En effet, comme en Ile-de-France, plusieurs œuvres conservées en Nouvelle-Aquitaine sous l’étiquette « espagnole » n’attendaient qu’à être réattribuées et rattachées à une autre école.

Cela a été, par exemple, le cas dans le musée du Présidial à Saintes qui conserve un Sacrifice d’Abraham qu’Alfonso Emilio Pérez Sánchez, ancien directeur du Museo Nacional del Prado, avait donné à l’école sévillane en 1987, proposant un artiste proche de Sebastian de Llanos Valdés (vers 1605-1677). Sollicité par le RETIB, le professeur Benito Navarrete a, pour sa part, rejeté la possibilité que l’œuvre soit espagnole, la considérant comme italienne. Cette hypothèse a ensuite été confirmée par Stéphane Loire, conservateur général au département des Peintures du musée du Louvre, et par le professeur Nicola Spinosa. Ce tableau, désormais associé à l’entourage de Francesco Cozza (1605-1682), est ainsi venu enrichir le Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises (RETIF).   

Avec la finalisation de ce deuxième volet de recherche et la publication des notices afférentes, le RETIB espère continuer à raviver l’intérêt pour la peinture ibérique en France et encourager tant le grand public que les spécialistes à aller (re)découvrir les œuvres mentionnées. Comme en 2022 pour l’Ile-de-France, ces résultats ont été présentés lors d’une table ronde à l’Institut National d’Histoire de l’Art consultable en ligne sur la page Youtube de l’INHA.