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21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Michel Calmann est un collectionneur français né en 1880 et mort en 1974. Ses libéralités ont considérablement enrichi les collections publiques françaises. Il s’est également impliqué dans plusieurs expositions ayant permis de montrer en France l’art chinois ancien, encore peu connu du grand public dans la première moitié du XXe siècle. Son rôle auprès des musées nationaux est éminent pour tout ce qui touche à la céramique chinoise antérieure au XVIe siècle. Peu de travaux de recherche se sont intéressés à cette figure incontournable, à ses pratiques, à ses objets, et aux différents réseaux qu’il a constitués en France et à l’étranger.

Petit fils de l’éditeur Kalmus Lévy (1818-1891), Michel Calmann poursuit une carrière au sein de la maison d’édition familiale Calmann-Lévy. Élevé dans une famille juive fortunée, il pratique la chasse et est un sportsman avéré (« Menus Propos : chasseurs, sachons chasser ! », 1912, p. 1 et « L’acquéreur de l’établissement de Manton serait M. Michel Calmann », 1926, p. 1). Longtemps établi à Paris, il voyage souvent et s’installera à New York après la Seconde Guerre mondiale. Ses collections regroupent plusieurs centaines de pièces, principalement de la céramique chinoise antérieure à la dynastie Ming (1369-1644). On y trouve également d’autres objets chinois (bronzes, jade, sculpture, mobilier, etc.), coréens ou encore japonais.

La formation de la collection Calmann

La date exacte à laquelle Michel Calmann commence à collectionner la céramique chinoise ancienne n’est pas connue. Calmann lui-même évoque tantôt le début des années 1910 (Calmann M., 1937, p. 9), tantôt l’entre-deux-guerres (« Merveilles chinoises », 1970, p. 60). Dans un article qu’il publie dans la revue Arts asiatiques en 1937, il souligne le peu d’études auxquelles il a pu avoir accès alors qu’il commençait sa collection (Calmann M., 1937, p. 9). C’est peut-être de l’autre côté de la Manche qu’il faut chercher les éléments qui ont permis à Calmann de former son œil et de constituer une collection d’objets asiatiques principalement tournée vers la céramique de la dynastie Song (960-1279) (Calmann M. dans Auboyer J., 1969, p. 7). Calmann est très tôt en contact avec les collectionneurs britanniques qui s’intéressent, dans les premières décennies du XXe siècle, à la céramique chinoise ancienne (antérieure à la dynastie Ming). De nombreux liens se nouent, à cette période, entre les collections muséales et des collectionneurs parisiens et britanniques (Chopard L., 2022). On sait notamment que Calmann reçoit Robert L. Hobson (1872-1941), conservateur au British Museum à Paris (« Merveilles chinoises », 1970, p. 60). Il voyage également en Chine avec quelques-uns des plus éminents membres de l’Oriental Ceramic Society (fondée à Londres en 1921), parmi lesquels Sir Percival David (1892-1964), en 1935. La même année, il expose certains de ses objets à l’International Exhibition of Chinese Art de Londres organisée par Sir Percival (Chopard L., 2022).

Michel Calmann a vraisemblablement réalisé son premier voyage en Chine en 1911 (« Merveilles chinoises » 1970, p. 60). Il y retourne par la suite et rapporte plusieurs objets, notamment des jades (Paul-David M. dans Auboyer J., 1969, p. 26). Il acquiert néanmoins beaucoup d’objets sur le marché européen, principalement à Paris et à Londres. Ses carnets, aujourd’hui conservés dans les archives du musée Guimet, recensent ses pièces et leurs lieux d’achats. Il s’adresse notamment aux marchands parisiens C. T. Loo (1880-1957), Léon Wannieck (1875-1931) et Marie-Madeleine Wannieck (1871-1960) ou encore à la maison Worch. Il s'adresse notamment aux marchands parisiens C. T. Loo (1880-1957), Léon (1875-1931) Wannieck (-1960) ou encore à la maison Worch pour constituer sa collection. À Londres, il fait notamment affaire chez Bluett & Sons et chez Tonying & Co.

Michel Calmann et les musées français

Michel Calmann effectue plusieurs libéralités au profit des musées français au cours de sa vie. Il s’implique également dans les deux grandes expositions parisiennes consacrées à l’art chinois dans les années 1930. Prêteur lors de l’exposition « Bronzes chinois des dynasties Tcheou, Ts’in et Han » organisée à l’Orangerie des Tuileries en 1934 (Salmon A., 1934, n. p.), son rôle est déterminant lors de l’exposition suivante, « Arts de la Chine ancienne ». Pour cette exposition qui s’est tenue à l’Orangerie en 1937, il prête à nouveau des pièces, mais se voit surtout confier l’organisation de la section céramique par Georges Salles (1889-1966), son « bon camarade » (Calmann M., dans Auboyer J., 1969, p. 9). Calmann obtient pour cette occasion des prêts des collections britanniques et hollandaises (Salles G. dans Arts de la Chine ancienne, p. 5). Ce rôle et l’importance des prêts qui lui sont accordés sont soulignés par la presse de l’époque (David M., 1937, p. 1, « Dix-huit siècles d’art chinois vont nous être révélés à l’Orangerie » 1937, p. 7, Lion-Goldschmidt D., 1937, p. 1-2, Sarradin E., 1937, p. 2, Finot J.-L., 1937, p. 2, Villeboeuf A., 1937, p. 9.).

À plusieurs reprises, Michel Calmann prête les objets de sa collection pour les expositions temporaires du musée Cernuschi, notamment celle de 1922 consacrée aux animaux dans l’art chinois (« Au musée Cernuschi : une exposition d’art chinois » 1922, p. 2 et « Au musée Cernuschi : la 7e exposition des arts de l’Asie », 1922, p. 1) ou encore celle de 1929 dédiée à « La fleur et l’oiseau dans l’art chinois » (« Pont des Arts », 1929, p. 2). Michel Calmann fait également preuve de générosité envers le musée des Arts décoratifs de Paris, auquel il donne, en 1936, un ensemble d’objets précieux en mémoire de sa mère. On y trouve notamment plusieurs bijoux français et italiens, ainsi que des tabatières du XVIIIsiècle ou encore un vase en cristal de roche. Il sera également membre du conseil des musées nationaux (Paul-David M., 1975, p. 117).

La collection Calmann au musée Guimet

En 1968, Calmann dépose la majeure partie de sa collection au musée Guimet où elle est présentée au public dès le mois de juillet 1969. C’est la première fois que ses collections sont ainsi montrées comme un ensemble. La même année, il fait don au musée d’un vase funéraire chinois néolithique (inv. MA 3183), de deux vases funéraires de la dynastie Tang (inv. MA 3184 et MA 3186) et d’un fauteuil chinois du XVIe siècle (inv. MA 3185) (« Activités du Musée Guimet » 1969, p. 221). Il avait déjà donné plusieurs objets au musée les années précédentes, offrant un vase en bronze de l’époque Shang (inv. MA 2549) en 1962 ou 1963 (« Activités du Musée Guimet » 1962, p. 117) et un pot à thé japonais (cha ire) (inv. MA 2774) en 1966 (« Activités du Musée Guimet », 1966, p. 153).

Michel Calmann explique ainsi les raisons qui l’ont poussé à décider du dépôt de sa collection au musée Guimet, puis de son legs en faveur des musées nationaux : « Lorsque la guerre parut imminente, Georges Salles me proposa de lui confier la plus grande partie de ma collection […]. Par la suite, mon appartement fut occupé par la Gestapo puis, à la Libération, par une administration française. Les Allemands volèrent presque tout ce que j’y avais laissé puis les Français le reste. » (« Merveilles chinoises » 1970, p. 60) Les archives de sa collection, conservées au musée Guimet, gardent la trace de ces spoliations. Madeleine Paul-David (1908-1989) a elle aussi évoqué le transfert des objets « des vitrines de l’avenue Foch », où réside alors Michel Calmann, au château de Valençay où ils trouvent refuge pendant la guerre (Paul-David M., 1975, p. 117). À la Libération, Calmann déplace ses collections dans sa propriété de Sologne, pour lesquelles il fit « construire un pavillon spécial ». Pour lui, ce déplacement de sa collection est un « exil » et la hausse des prix d’achat l’empêche désormais d’acquérir de nouvelles pièces. Il dépose alors sa collection au musée Guimet et envisage dès lors un legs : « Il est normal que ma collection, sauvée grâce aux dirigeants des musées, prenne place pour toujours dans un musée » (« Merveilles chinoises » 1970, p. 60 ; il évoque également ce problème de place dans J. Auboyer, 1969, p. 9). Après sa mort, les pièces déjà présentes au musée Guimet entrent dans les collections nationales, tout comme d’autres œuvres qui se trouvaient encore dans son appartement (Paul-David M., 1975, p. 117). L’ensemble est riche de plus de 500 pièces. Calmann lègue également au musée des ouvrages liés aux domaines couverts par ses collections et une somme d’argent qui permettra l’acquisition de plusieurs œuvres dans les décennies suivantes (« Activités du musée Guimet », 1982, p. 58 et « Activités du musée Guimet » 1981, p. 74).

Constitution de la collection

La collection Calmann vient enrichir les musées nationaux de manière significative, en particulier parce qu’il s’agit du premier ensemble conséquent de céramiques chinoises antérieures à la dynastie Ming à entrer dans les collections publiques (Auboyer J. dans Auboyer J., 1969, p. 6). Le collectionneur installe lui-même ses objets au musée Guimet en 1969 (« Activités du Musée Guimet » 1969, p. 222) : la présentation se compose de trente-sept vitrines, dont on conserve aujourd’hui l’aspect grâce à des photographies (datées de juillet 1969, conservés au MNAAG). Un petit ouvrage intitulé Collection Michel Calmann paraît à cette occasion et éclaire le visiteur sur le contenu des vitrines (Auboyer J., 1969). La présentation des pièces est sobre ; elle fait écho à celle que le collectionneur avait agencée chez lui (Lion-Goldschmidt D. dans Auboyer J., 1969, p. 12) et que Koechlin décrit ainsi : « […] c’est dans une chambre nue qu’il [Calmann] a installé ses céramiques et qu’il a eu soin de choisir parmi les plus austères, parmi les plus dignes de plaire à un mandarin de grande tradition […] » (Koechlin R., 1930, p. 78)

La collection de Michel Calmann est surtout associée à la céramique de la dynastie Song. Néanmoins, les ensembles qu’il a réunis entre les années 1910 et sa mort comportent d’autres types d’objets, principalement des céramiques chinoises plus anciennes, ainsi que plusieurs céladons coréens de l’époque Koryo (918-1392), un important groupe de bronzes chinois de l’époque des Shang (XVIe-XIe siècles avant notre ère) et de la période des Royaumes combattants (481-221 avant notre ère) et des jades. Parmi les pièces coréennes collectionnées par Michel Calmann, Pierre Cambon soulignait, en 2001, la très grande qualité d’une de ses pièces de l’époque Koryo. Il s’agit d’un petit couvercle (inv. MA 4169) montrant un décor incrusté sous couverte céladon (technique sanggam). D’un côté, il présente des pivoines et de l’autre, des oiseaux. Il est pour P. Cambon « sans conteste l’une des plus belles céramiques de la période Koryo conservées à Paris » (2001, p. 194).

Il a été remarqué que les séries de céramiques de la dynastie Tang (618-907) constituées par Michel Calmann sont remarquables, notamment par la variété des formes et des « partis décoratifs » qu’elles regroupent (Paul-David M. et Lion-Goldschmidt D. dans Auboyer J., 1969, p. 34). On y trouve notamment des vases monochromes et plusieurs plats à glaçure de type sancai, mais aussi quelques statuettes. Sa collection de céramiques chinoises de la dynastie Song offre quant à elle une sélection de pièces issues de plusieurs fours. Calmann a réuni notamment des grès des fours de Yaozhou, de Longquan, de Hangzhou et de Cizhou et des porcelaines de Ding et de Jingdezhen. Par ces choix de céramiques anciennes, Michel Calmann rompt radicalement avec le goût pour la porcelaine polychrome qui prévalait en France jusque dans les premières années du XXe siècle. Il se tourne vers des pièces principalement monochromes dont il apprécie une sorte d’imperfection, qu’il oppose à la porcelaine chinoise produite par la suite (Calmann M., 1937, p. 11). Il suit en cela un l’intérêt nouveau que suscitent ces objets dans la première moitié du XXe siècle.

Des recherches futures permettront d’éclairer les aspects de l’histoire de cette collection qui restent encore dans l’ombre, tout comme les modalités de la circulation de ces objets. Elles promettent également d’approfondir la compréhension des pratiques et des choix de Michel Calmann, de son rapport aux objets et de son rôle dans la présentation de l’art chinois à Paris.