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Commentaire biographique

Anatole Adrien Billequin naît à Paris, fils de François Frédéric Adolphe Billequin, avocat, et de Joséphine Rosalie Allaize (AN, LH 240 21). Professeur de chimie à Pékin, il occupe une place très importante dans la diffusion des connaissances occidentales en Chine au XIXe siècle et réalise en parallèle plusieurs missions de collecte d’échantillons de céramique pour la manufacture de Sèvres.

Un chimiste à Pékin

Il se forme au collège d’Harcourt (futur lycée Saint-Louis), avant d’entrer comme élève dans le laboratoire du chimiste Jean-Baptiste Boussingault (1802-1887) [Cordier H., 1894, p. 441]. Après avoir occupé plusieurs années le poste de chef des travaux chimiques au Conservatoire des arts et métiers et à l’École centrale des arts et manufactures, Anatole Billequin est engagé par le gouvernement chinois en 1866 pour occuper une chaire de chimie et d’histoire naturelle sur l’invitation de l’inspecteur des douanes anglais Robert Hart (1835-1911) [Martin W.A.P., 1896, p. 303 ; Zhang H., 2005, p. 36]. Il enseigne au Tongwenguan (同文館) [Tungwen College]de Pékin les principes de base de chimie aux étudiants de troisième et de septième année (Vlahakis G. et al., 2006, p. 188). Au-delà des fondamentaux, ses cours incluent aussi les analyses qualitatives, les principes d’extraction des métaux de séparation de substances telles que les sables solubles (id. p. 188). Il apprend le chinois sur place et parvient à maîtriser la langue au point de traduire des ouvrages de chimie en chinois pour servir de support à ses cours. Ses publications les plus célèbres sont le Huaxue zhinan (化學指南), Guide de Chimie (1873), un manuel de chimie basé sur la traduction des Leçons élémentaires de chimie du chimiste français d’origine italienne Faustino Malaguti (1802-1878) et le Huaxue chanyuan (化學闡原), Explications concernant la chimie (1882), qui emprunte de nombreux éléments aux ouvrages du chimiste allemand Carl Remigius Fresenius (1818-1897) [Zhang H., 2005, p. 36]. La méthode de traduction consiste pour Billequin à traduire oralement le texte phrase après phrase dans un chinois parlé, tandis qu’un assistant chinois retranscrit le contenu en chinois littéraire (Reardon-Anderson J., 2003, p. 36). À une époque où la chimie occidentale se développe peu à peu en Chine, le choix des termes de traduction en langue chinoise est crucial. Les caractères qu’il crée pour la traduction des éléments chimiques sont chargés de sens : ainsi le caractère pour décrire le calcium se compose de la clé du métal (jin金) et du caractère (hui灰) la chaux, composé principalement de calcium (Reardon-Anderson J., 2003, p. 40). Sa traduction des éléments chimiques, supplantée par les travaux de John Fryer (傅蘭雅) [1839-1928] et de Xu Shou (徐壽) [1818-1884], qui optent pour une traduction phonétique, ne connaîtra pas de postérité, mais illustre bien les problématiques liées à la pénétration des sciences occidentales en langue chinoise à cette époque (Zhang H., 2005). Outre ses contributions écrites, Anatole Billequin a très certainement participé à la mise en place d’un laboratoire de chimie du Tongwenguan (Zhang H., 2005 p. 37).

Un traducteur infatigable

Entre 1879 et 1882 il s’attaque à un projet monumental de traduction les codes français (Code pénal, Code du commerce et Code forestier, Code d’instruction criminelle, Code civil) en 46 volumes, avec l’assistance de Shi Yuhua (時雨化) selon le procédé susmentionné.

En 1891, Anatole Billequin publie un Dictionnaire de français chinois. Cette publication est motivée par l’envie de donner un dictionnaire français en « mandarin pur » et non en langue orale dite « vulgaire », suhua(俗話), laquelle varie selon les localisations. Il souhaite par ailleurs enrichir son ouvrage des « expressions scientifiques et techniques adoptées dans les meilleurs ouvrages publiés récemment sur la matière », soulignant au passage le développement, au cours des dernières décennies, d’un langage nouveau destiné à traduire les sciences occidentales (Billequin A., 1891).

Missions en Chine

En 1874, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts le nomme membre correspondant de l’École spéciale des langues orientales (AN 62AJ/59). Ses contacts seront dès lors fréquents avec le directeur de l’École des langues orientales, Charles Schefer (1820-1898), à qui il fait parvenir ses derniers ouvrages sur la chimie pour la bibliothèque des Langues orientales (AN 62AJ/59). C’est aussi par l’intermédiaire de Charles Schefer que la manufacture de Sèvres entrera en contact avec Anatole Billequin pour lui confier une mission sur la porcelaine chinoise (cf. commentaire sur la collection).

Des essais laissés inachevés & reconnaissance

Anatole Billequin s’éteint à l’âge de cinquante-six ans d’une maladie cardiaque, alors qu’il s’apprêtait à retourner à Pékin (Cordier H., 1894, p. 442). Dans sa notice nécrologique, Henri Cordier mentionne cinq manuscrits de sa main laissé inachevés : un « Essai sur l’état des sciences en Chine, comprenant la géographie, la géologie, la minéralogie, la physique et la chimie, la pharmacie, la médecine, la chirurgie, l’art vétérinaire la médecine légale, l’histoire naturelle » , un « essai sur l’agriculture des Chinois, comprenant engrais, main-d’œuvre, impôts… », un Essai sur la porcelainede Corée traduit du Ting tche tchene Tao Lou (Jingdezhen Taolu[景德鎮陶錄]), des « Comptes-rendus sur certaines pièces du théâtre chinois : La Revenante, Le Pavillon de la pivoine, Le Pavillon d’Occident, L’Épingle des fiançailles, Le Ressentiment de To Ngo, traduit par Bazin », « Le Roman des deux Phénix » (inachevé), et enfin une annexe au dictionnaire français-chinois sur la partie géographique (inachevé) [1894, p. 442, n. 2]. Sa veuve, Marie Adélaïde Cornillat, remet au musée Guimet ses notes sur la porcelaine de Corée, lesquelles seront ensuite publiées de manière posthume dans la revue T’ong Pao à la demande d’Émile Guimet, et, ainsi que l’a montré Stéphanie Brouillet du diplomate Victor Collin de Plancy (1853-1822) [Brouillet S., 2014, p. 27 ; Billequin A., 1896, p. 39-46].

En reconnaissance de ses travaux académiques, Anatole Billequin est nommé le 8 février 1877 officier d’Académie (AN 62AJ/59) et sera en nommé en 1881 chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’instruction publique. Il sera également décoré de plusieurs titres en Asie : mandarin de 4e classe en Chine (Calendar of the Tungwen College, 1885, p. 39, Zhang H., 2005, p. 36), officier du Dragon d’Annam, chevalier de l’Ordre du Cambodge (Cordier H., 1894, p. 442).

Constitution de la collection

Une mission pour le musée céramique de Sèvres

Sur la recommandation de Charles Schefer, Anatole Billequin est chargé dans le courant de l’année 1875 d’un « programme […] tracé par la commission de Sèvres » auprès de la direction des Beaux-arts (AN 62AJ/59). À ce jour, il est difficile de savoir quelles furent les indications précises données à Anatole Billequin pour sa collecte. Il est cependant certain que la mission comprenait deux aspects : l’un technique et l’autre orienté vers l’enrichissement des collections du musée. Le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts avait ainsi demandé à ce que l’administrateur de la manufacture, son chimiste Louis Alphonse Salvetat (1820-1882) et le conservateur des collections du musée Champfleury expriment chacun leurs desiderata et leurs questions (MMNS, 4W388, lettre du 29 juillet 1875). Une minute de lettre conservée dans les archives de la manufacture évoque de manière laconique les demandes faites pour le musée : elle indique que « les instructions à donner à M. Bilquin [sic] pour l’enrichissement des vitrines consacrées aux produits de la Chine sont plus esthétiques que techniques, plus générales que spéciales » et soulève la nécessité d’acquérir des éléments architecturaux, des terres cuites, et des pièces anciennes, mais surtout elle souligne l’importance pour Anatole Billequin de se rendre au musée de Sèvres de manière à comprendre les enjeux de sa mission (MMNS, 4W388, lettre du 2 août 1875). Le ministère octroie une somme de 1 000 francs à Anatole Billequin, 500 destinés à couvrir ses frais de déplacement et d’achat et 500 d’indemnité (MMNS, 4W388, lettre du 20 août 1875). En 1880, la manufacture décide de ne pas reconduire les crédits de la mission, le procès-verbal de réunion qui témoigne de cette décision est très ambigu sur les résultats de la mission : d’une part Champfleury semble signaler que les « renseignements donnés par M. Billequin sont insuffisants », d’autre part il a « obtenu satisfaction en partie », enfin le procès-verbal de conclure « qu’il n’y a pas intérêt à convenir ce budget de mission de M. Billequin à moins qu’il ne puisse fournir quelques renseignements utiles à la fabrication » (MMNS, 4W388, dossier Billequin, Musée réunion du 16 mai 1880).

Nommer les couleurs chinoises

Entre 1876 et 1878 Anatole Billequin réalise trois envois pour la manufacture de Sèvres, chacun d’entre eux accompagné d’un inventaire décrivant les pièces, leur prix et, dans la plupart des cas, les appellations en chinois. Le premier envoi a été inventorié et classé par Édouard Gerspach (1833-1906), alors chef du bureau des manufactures nationales (inv. MNC 7329 à MNC 7395). Ce dernier opère une classification par couleurs puis par lieu de production et publie dans la Gazette des beaux-arts deux articles de ses « Notes sur la céramique chinoise » (1877, p. 225-238 et 1882, p. 44-54). Le résultat de ce premier envoi sera, ainsi que l’écrit Gerspach, de connaître les termes employés dans la désignation des couleurs en Chine, en associant systématiquement une pièce à un terme en chinois, lequel est ensuite traduit. Il découvre par exemple que le terme « peau d’orange » ne désigne pas une couleur mais la granulosité de la couverte (Gerspach. E, 1877, p. 228). Il établit également que le terme « sang de bœuf » utilisé en France pour désigner les porcelaines à couverte rouge de cuivre n’a pas d’équivalent en Chine où ce type de pièces est appelé jihong(霽紅) ou Lang yao(郎窯) [Gerspach. E, 1877, p. 229]. Enfin, certains coloris semblent faire leur première apparition dans les collections françaises : Gerspach mentionne en particulier le jaune peau d’anguille (shanyu huangyou [鱔魚黃鈾]), ou encore le couleur « foie de mulet, poumon de cheval » (lügan mafei you [驢肝馬肺釉]) (Gerspach. E, 1877, p. 230-131). À côté de cet ensemble destiné à élaborer une nomenclature des couleurs chinoises, Billequin rapporte une série de pièces faites pour la consommation courante qu’il acquiert pour des sommes très modiques. Celles-ci proviennent de différentes régions tantôt de Cizhou 磁州, tantôt de la province du Shandong (山東) ou encore de Yixing (宜興). La dernière partie de l’envoi concerne quelques tuiles vernissées et agrémentées d’animaux en ronde-bosse. Gerspach conclut qu’il importe de juger ce premier envoi « qu’au point de vue technologique qui est le seul qu’on ait cherché ; à ce titre il est excellent et constitue une base solide de travaux ». Dans le second article d’Édouard Gerspach, publié en 1882, et qui englobe les deux derniers envois de Billequin, l’auteur poursuit son énumération des couleurs chinoises, abordant successivement le douqing(豆青) « vert pois » « qui peut être donné comme type à nos céramistes français qui recherchent un fond pour l’application des pâtes », le jiepizi(茄皮紫) « violet aubergine », « très célèbre couleur, vantée de tout temps par les voyageurs, mais dont la réputation nous paraît singulièrement exagérée » (p. 46), le « noir miroitant » wujin(烏金) ou wujing (烏鏡) « objet de la convoitise des amateurs français » (p. 52), etc. La couverte craquelée, suiqi(碎器) , un procédé « d’une extrême simplicité en théorie », mais qu’aucun fabriquant européen n’est parvenu à reproduire sur porcelaine, fait l’objet d’un plus long développement (Gerspach E., 1882, p. 50-52), sans que l’auteur ne puisse statuer de manière définitive sur l’obtention de cet effet.

Une collection technique

Anatole Billequin achète volontiers des porcelaines endommagées à bas prix tant que leur décor présente un intérêt pour la manufacture de Sèvres. Dans son inventaire du second envoi, il évoque par exemple un vase au col coupé qu’il acquiert pour la modique somme de 50 francs, décrit en ces termes : « Un vase de la forme désigné par le mot Kouan [guan (官)] le col a été coupé nonobstant ce défaut il m’a paru intéressant à plus d’un point de vue. Sa couleur est une de celles qui intéressent Sèvres. Les jaspures violettes qui le décorent nous expliquent le terme liou yao [liuyou (流釉)] (émail qui coule) qui certainement est le procédé suivi dans sa fabrication. Ce procédé consisterait à appliquer à la partie supérieure du vase une certaine quantité d’un émail épais lequel sous l’influence de la chaleur coule et vient se fondre avec le corps principal de l’émail de fond avec lequel il fait corps en produisant des effets plus ou moins bizarres. Ce même vase nous servira à l’étude des veines. Les trésaillures de son émail donnent une idée de ce que les Chinois entendent par yu tze wen (魚子文) [yuziwen (魚子紋)] trésaillures analogues aux œufs de poisson » (MMNS, 4W388, inventaire du 2e envoi, mars 1877, no 31, inv. MNS 8018).

La question des porcelaines coréennes

Anatole Billequin ne s’est pas contenté de rassembler des produits demandés par la manufacture de Sèvres, il s’est lui-même intéressé de près au sujet de la porcelaine extrême-orientale en s’attaquant à une des questions les plus sujettes à controverse de son époque : l’origine géographique de la porcelaine. Un certain nombre d’auteurs du XIXe siècle en France avait avancé l’idée que celle-ci avait d’abord été inventée en Corée (notamment Jacquemart A. et Le Blant E., 1862), quand d’autres affirmaient que ce pays n’avait jamais produit la moindre porcelaine. Billequin parvient d’emblée à infirmer cette assertion en se procurant en Chine, grâce à des intermédiaires en relation avec les ambassades coréennes, des échantillons de ce pays qu’il transmet aussitôt à la manufacture de Sèvres (Billequin A., 1896, p. 41). Il consulte plusieurs sources anciennes, en particulier sur l’étude que donne le sinologue Léon d’Hervey de Saint Denys (1822-1892) sur le Wenxian Tongkao (文獻通考) de Ma Duanlin (馬端臨) [1254-1322] de manière à savoir si la porcelaine coréenne avait jadis fait l’objet de tributs envers la Chine (Hervey de Saint-Denys L., 1872). Or aucun des documents consultés n’en faisant mention, il conclut que la porcelaine coréenne devait être de trop piètre qualité pour servir de tribut (Billequin A., p. 43). Il rassemble ensuite les mentions de la porcelaine coréenne dans deux ouvrages chinois sur la céramique le Tao Shuo(陶說) et le Jingdezhen Taolu (景德鎮陶錄) dans lesquelsla porcelaine coréenne est parfois décrite, souvent peu estimée et, dans le meilleur des cas, comparée aux céladons de Longquan (龍泉). Billequin conclut son essai de la manière suivante : « Tous les renseignements concordent, en ce qui concerne la médiocrité des produits coréens, bien différents en cela des descriptions fantaisistes de certains auteurs européens. Quant à leur antiquité, il paraît avéré que la Corée a emprunté les procédés de la Chine et les a transplantés au Japon » (p. 46). Stéphanie Brouillet signale, parmi les lots de porcelaine coréenne envoyés, plusieurs pièces de qualité, en particulier un tonnelet en porcelaine blanche, ainsi qu’une bouteille céladon datant probablement de la période Goryeo (918-1392) [Brouillet, 2014, p. 17-18, cat. 80 et 84].

La bibliothèque d’Anatole Billequin

La seule vente connue se rattachant au nom de Billequin est celle de sa collection de livres, dispersée après sa mort en 1895. Les différentes rubriques qui composent sa bibliothèque témoignent d’un esprit curieux, qui a abordé l’étude de la culture chinoise dans son ensemble. On y trouve plusieurs ouvrages sur la céramique : l’Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise de Stanislas Julien, le Catalogue of a collection of oriental porcelain and pottery d’Augustus W. Franks ; des ouvrages relatifs à la langue chinoise ainsi que les dictionnaires de Samuel Wells Williams (衛三畏 [1812-1884]), Chrétien Louis Joseph de Guignes (1759-1845), Séraphin Couvreur (1835-1919), etc., quelques traductions d’ouvrages littéraires chinois, des traités sur l’histoire et la géographie de la Chine, des récits de voyages, plusieurs volumes du Journal of the Peking Oriental Society, et des Custom Gazette… Sa bibliothèque en langue chinoise n’est pas moins riche et hétéroclite : elle embrasse des thèmes aussi variés que le bouddhisme, la botanique, la littérature, la calligraphie, la numismatique, etc., certains ouvrages étant annotés ou partiellement traduits par Anatole Billequin.

Anatole Billequin dans les collections publiques françaises

Outre les envois faits à Sèvres, le nom de Billequin se trouve également dans les cahiers d’inventaire du collectionneur Ernest Grandidier (1833-1912), ce qui explique la présence d’une partie des œuvres qu’il rapporte dans les collections du musée national des Arts asiatiques Guimet. Le département des Manuscrits orientaux possède également un manuscrit rapporté par Anatole Billequin (cote CHINOIS 11965), qui consiste en un recueil de 90 phrases chinoises d’usage courant sans doute utilisées dans l’apprentissage du chinois. Ce même département conserve également des exemplaires de ses traductions, dont certaines sont dédicacées de la main d’Anatole Billequin à l’attention de Charles Shefer : on trouve tous les volumes des codes français (法國律例) dans une édition de 1880 (Code civil [民律] : cote CHINOIS 2443-2464, Code pénal [刑名定律刑律] : cote CHINOIS 2465-2472 ; [民律指掌] cote CHINOIS 2473-2480 ; Code du commerce [貿易定律] cote : CHINOIS 2481-2486 ; Code forestier [園林則律] : cote CHINOIS 248-2488), le Huaxue zhinan [化學指南]) cote : CHINOIS 5666-5667).