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Commentaire biographique

Henri Philippe Marie d’Orléans est né le 16 octobre 1867 à Morgan House, dans la ville de Ham (Angleterre). Il est le fils de Robert d’Orléans, duc de Chartres (1840-1910) et de son épouse et cousine germaine Françoise d’Orléans (1844-1925), tous deux descendants du roi Louis-Philippe. Sa vie est bien documentée par les biographes (Dufeuille E., 1902, Belaigues B., 2016). Il fut photographe, peintre, écrivain, explorateur et naturaliste. En 1886, il subit la loi d’exil, qui interdit le territoire national aux chefs des Maisons ayant un jour régné sur la France et écarte également de l’Armée les princes de leur famille. Son nom est rayé des listes de Saint-Cyr où il venait d’être accepté.

En 1889, il part avec Gabriel Bonvalot (1853-1933) pour le voyage d’exploration que finance son père. Gabriel Bonvalot, originaire de Champagne, s’était établi à Paris au lendemain de la guerre de 1870 puis avait visité à pied l’Europe centrale. En 1880, le Ministère de l’Instruction publique le désigne d’une mission archéologique au Turkestan russe où il est rejoint par le naturaliste Guillaume Capus (1857-1931) (Bonvalot G., 1884 et 1885). Le ministère le charge ensuite de son premier voyage d’exploration proprement dit, avec Capus, Bonvalot et le peintre Albert Pépin (1849-1917), « du Caucase aux Indes à travers le Pamir » (Bonvalot G., 1889). Retenus prisonniers par les Afghans du Kafiristan, ils ne doivent leur libération qu’à l’intervention du vice-roi, lord Dufferin. A son retour en 1887, Bonvalot reçoit la médaille d’or de la Société de géographie de Paris et la Légion d’honneur. Après avoir visité l’Exposition universelle qui se tenait à Paris en 1889, constatant l’absence remarquable du Tibet dans les pavillons et vitrines disséminés entre le Champ-de-Mars, le Trocadéro et l’esplanade des Invalides, Bonvalot conçoit alors le projet de sa traversée du Tibet, que l’on a pu qualifier d’« expédition géographico-cynégétique » (Broc N., 1992, p. 43-48). Après ses nombreuses explorations, Bonvalot continue à fréquenter le milieu des explorateurs. Il fonde en outre le Comité Dupleix à la suite d’un voyage en Algérie et s’engage dans la défense du colonialisme, puis rejoint le parti nationaliste, et sera élu député de Paris en 1902. Les activités politiques de Bonvalot lui valent d’être fiché par le Service des renseignements (AN, 19940434/464). Ses ouvrages ultérieurs à ses récits de voyage témoignent de son combat idéologique (Bonvalot G., 1897b, 1899b, 1902, 1911, 1913).

Subventionnée par le duc de Chartres, la mission de Bonvalot au Tibet se double d’un rôle de mentorat, les mœurs urbaines du jeune prince dont la presse ne se privait pas d’afficher la galanterie étant une cause explicite de ce voyage lointain, comme l’expriment clairement les lettres que lui adressent son père et sa mère (AN, AP/300(III)/233-235). De son côté, le prince justifie par d’autres attaches son départ pour les austères déserts centre-asiatiques et tibétains : « Lorsque mon père me demanda si je voulais partir pour l’Asie centrale avec M. Bonvalot, je n’eus pas d’hésitation ; j’ai toujours eu pour l’ancien continent une sorte d’amour filial ; il me semble qu’il a droit à une vénération, à un respect, que ne peuvent réclamer ni l’Afrique ni l’Amérique. […] L’inconnu exerçait un attrait de plus sur mon imagination » (Orléans H., 1891, p. 482). Ils partent en juillet 1889 et passent par Moscou, traversent l’Oural et parviennent au Turkestan chinois, où ils sont rejoints par le père Constant de Deken (1852-1896) et un guide, Rachmed, ayant précédemment servi l’explorateur russe Nikolaï Prjevalski (1839-1888). Ils franchissent le Tien shan, traversent le désert du Tarim, passent par le Lob nor. Puis ils accèdent au plateau tibétain par les monts Altyn tagh. Les voyageurs, alors en terre inconnue, parsèment généreusement la carte de noms français. Pendant un mois, la solitude est complète. Les premiers Tibétains, pasteurs nomades, sont rencontrés le 31 janvier 1890 à proximité du lac Tengri nor. Les voyageurs rejoignent alors la route de Xining à Lhassa, mais ne peuvent gagner la capitale. Ils prennent alors la direction de l’est et rejoignent Batang dans le Kham, où les voyageurs retrouvent des missionnaires français. Ils traversent Litang et Tatsienlou (Kangding) avant de prendre la direction de Hanoi. Si les voyageurs ont parcouru à pied des distances remarquables (dont 3 000 en terrain inconnu sur le plateau tibétain), leur mission rapporte des résultats scientifiques relativement décevants. Cas unique dans l’histoire, Bonvalot se verra toutefois décerner une seconde fois la médaille d’or de la Société de géographie de Paris en 1891 (Baud A., 2003, p. 64).

Par l’exploit des trois voyageurs, le Tibet fait la une des journaux ; on peut voir dans cet événement la naissance d’une « culture française de l’exploration du Tibet » (Thévoz S., 2010). Devenus les icônes médiatiques de l’exploration de l’Asie, Henri d’Orléans et ses deux compagnons de voyage sont sollicités pour de nombreuses conférences publiques ou dans le cadre de sociétés savantes en France, en Belgique et en Suisse. À la demande de la Revue des deux-mondes, Henri d’Orléans publie un court récit du voyage (Orléans H., 1891a), bien qu’il ait tenu son journal de voyage dans ses carnets de route (AN, AP/300(III)/257/B) et également rédigé son récit, resté à l’état manuscrit. Néanmoins, la rédaction du récit du voyage en feuilleton dans la presse puis en volume revient au chef de l’expédition, Gabriel Bonvalot (Bonvalot G., 1892, 1895, 1897a, 1899a). Or Constant de Deken publie le sien en Belgique (De Deken, C., 1894), non sans s’attirer la vive animosité de Bonvalot que Henri d’Orléans parvient toutefois à tempérer, comme en témoigne un échange de lettres (AN, AP/300(III)/236-238). Henri d’Orléans publie de son côté des ouvrages relatifs aux explorateurs et aux missionnaires du Tibet, prenant notamment la défense de son unique prédécesseur français au Tibet, le célèbre père Régis-Evariste Huc (1813-1860) (Orléans H., 1891b, 1893). Les lettres de Bonvalot adressées à Henri d’Orléans nous apprennent en outre que les voyageurs étaient revenus en France accompagnés de leur guide Rachmed (AN, AP/300(III)/236). Personnage important des récits publiés de Bonvalot, Rachmed devient même une figure littéraire centrale des épisodes s’inspirant de leur voyage dans Les Cinq sous de Lavarède, l’un des Voyages excentriques à succès de Paul d’Ivoi et Henri Chabrillat (1894). Ce n’est là que l’une des nombreuses réapparitions des voyageurs et de leurs récits dans la littérature populaire et dans les romans d’aventures, dans la lignée de Jules Verne qui évoquait Bonvalot et Henri d’Orléans en 1892 dans Claudius Bombarnac et jusqu’au récent récit romancé Race to Tibet (Schiller S., 2015).

En 1894, après un voyage en solitaire en Asie du Sud-Est par lequel, à l’incitation de Bonvalot (AN, AP/300(III)/236-238), il s’éloigne de ses habitudes parisiennes retrouvées, Henri d’Orléans organise une nouvelle expédition aux confins du Tibet qui lui vaudra la médaille d’or de la Société de géographie de Paris. Accompagné depuis Hanoi par Pierre Briffaut (ou Briffaud, 18...-19…), établi en Indochine, en guise d’interprète, et Émile Roux (1863-1951), officier de marine, en guise de géographe, Henri d’Orléans, prolongeant vers le Nord son voyage de 1892 (Orléans H., 1894), rejoint Tali-fou (Dali) au Yunnan, d’où les hommes reconnaissent les cours supérieurs du Mékong et du Salween (Orléans H., 1898, Roux E., 1897). Entré dans la marine en 1891, Émile Roux avait abordé en Inde l’année suivante. Il réalise son rêve de pénétrer au cœur du continent asiatique en rejoignant le projet du prince d’Orléans. C’est lors d’une excursion en solitaire que Roux se rend à Atentze, en terre tibétaine, et aperçoit les sommets du Dokerla (Kawakarpo). C’est lui encore qui débrouille l’énigme des sources de l’Irawady, en réfutant l’idée d’une source lointaine dans le Tibet. La mission parvient à Calcutta le 6 janvier 1896, après quoi Roux réintègre la marine en qualité d’enseigne de vaisseau. Dans la foulée de son voyage avec Henri d’Orléans, Émile Roux dépose au Ministère de l’Instruction publique une demande de mission d’exploration au Tibet qui est retenue contre celles de Charles-Eude Bonin (1865-1929) et de Fernand Grenard (1866-1945) ; Roux ne pouvant honorer son projet pour des raisons familiales, sa proposition est déférée à Bonin (AN, F/17/3004/2).

De retour en France, devenu chevalier de la Légion d’Honneur le 14 mars 1896, Henri d’Orléans confie une idée à Henri Cordier (1849-1925), sinologue, professeur à l’École des langues orientales et rédacteur en chef de la revue T’oung Pao. L’idée, soutenue par son ami Pierre Lefèvre-Pontalis (1864-1938), diplomate et explorateur du Laos, de créer le groupe des « Asiatiques français » remportera un succès durable et est un indicateur utile de la dynamique sociale en France du voyage en Asie. Suggéré dans une lettre du 25 avril 1896, le projet de réunir ainsi les Français ayant voyagé ou séjourné en Asie et de leur offrir la possibilité d’échanger sur des questions politiques, commerciales, coloniales ou scientifiques, est immédiatement concrétisé par des dîners et déjeuners réguliers, complétés parfois par des conférences de personnalités revenant d’Asie. Ces « réunions asiatiques », dans lesquelles on retrouve fréquemment autour d’Henri Cordier non seulement Henri d’Orléans et ses compagnons de voyage, mais aussi de nombreuses figures des études asiatiques comme Édouard Chavannes (1865-1918) et de l’exploration de l’Asie comme Henri d’Ollone (1868-1945), Pierre Gabriel Edmond Grellet des Prades de Fleurelle (1873-19...), Jacques Bacot (1877-1965) ou Aimé-François Legendre (1867-1951), eurent lieu régulièrement à Paris, au-delà de la mort d’Henri d’Orléans, vraisemblablement jusqu’en 1914 (BIF Ms 5445, Ms 5472, Ms 5477).

Comme le montre la liste des voyages du prince, le goût de l’exploration a également mené Henri d’Orléans sur le continent africain à plusieurs reprises et en particulier en Éthiopie en 1897, où Bonvalot se trouvait également, ce qui ne fut pas sans susciter entre eux quelques frictions relayées par la presse (AN, AP/300(III)/238). Son dernier voyage ramène le prince en 1901 à « notre mère à tous, la vieille Asie » (Orléans H., 1891a, p. 481) pour un voyage d’exploration des régions frontalières de la Cochinchine et de l’Annam. En juin, il souffre de ce que ses compagnons pensent être une attaque de paludisme et est rapatrié à l’hôpital de Saïgon en juillet, où il meurt des suites d’une ulcération intestinale le 9 août 1901. Dans un texte intitulé L’Âme du voyageur, publié à titre posthume par son secrétaire François Eugène Dufeuille (1842-1911), le prince avait livré son « art viatique », la clé de sa vie passée en voyage : « Les explorateurs doivent se résigner à des fatigues, à des souffrances, parfois à des maladies, sans cesse à des misères. Le métier est rude, et on les plaint. Pour moi, je plains ceux qui n’ont pas voyagé. Je ne suis pas psychologue, mais j’ai cherché à analyser l’état d’âme du voyageur. J’ai voulu connaître sa « chambre intime » ; pour cela, j’ai regardé au plus profond de moi-même ; de mes idées et de mes sentiments, j’ai essayé de dégager ce je ne sais quoi qui fait adorer, à ceux qui en ont goûté, la vie errante. Voici ce que j’ai trouvé : à côté de la satisfaction du devoir accompli ou des services rendus à la science et à la patrie, à côté des jouissances de la vie libre et active, un des charmes du voyage réside dans un travail de comparaison que fait constamment et sans peine celui qui a l’habitude de regarder. À force de voir, sous des climats variés, en des conditions d’existence diverses, des hommes de races différentes, on découvre des points communs à tous ; et notant, peu à peu on se forme une opinion sur les questions générales qui préoccupent au plus haut point l’humanité. […] À ses yeux apparaît l’ordre fatal des étapes de la civilisation. […] Il croit même pouvoir aller plus loin, et pénétrer jusqu’au fond des âmes. […] Le voyageur ne recueille pas uniquement le bénéfice d’un travail conscient ; il éprouve des sensations connues de lui seul, sensations profondes, nettes, qui lui laisseront à jamais une impression aussi vive qu’au premier jour. […] Dans ces moments de révélation, le voyageur qui crayonne sur son carnet ne se sent pas écrire ; sa main semble courir toute seule, poussée par une force inconnue, et l’état d’âme se reflète en ces pages comme en un miroir. »

Constitution de la collection

Si la primauté des récits du voyage au Tibet est revenue à l’explorateur Gabriel Bonvalot, les collections ramenées en France sont attachées au nom du prince Henri d’Orléans. Passionné de botanique et d’histoire naturelle, le prince Henri d’Orléans a rassemblé durant ses voyages des collections considérables destinées au Muséum rue Cuvier et a entretenu une correspondance régulière avec Alphonse Milne-Edwards (1835-1900), son directeur, lui-même auteur de plusieurs études sur la faune d’Asie centrale et du Tibet. De nombreux spécimens, récoltés notamment pendant le voyage au Tibet de 1890, portent le nom du prince.

Parmi les objets d’art asiatique, mentionnons tout d’abord la collection de manuscrits recueillis lors du voyage de 1895, remis à Henri Cordier (BIF, Ms 5472) et enregistrés à la bibliothèque de l’École des langues orientales le 1er avril 1896. Il s’agit d’une part de sept manuscrits lü (lué ou paï) ; d’autre part, de dix-sept manuscrits yi (lolo), achetés en partie à Chengdu, se présentant pour la plupart sous la forme de rouleaux et, fait rare, enrichis d’illustrations. Un don antérieur remontant au 9 mars 1893 (voyage de 1892) de manuscrits thaï provenant de Luang Prabang, yao, lolo et muong (Cordier H., 1894) n’a pas encore pu être localisé dans les collections rassemblées à la BULAC.

Le musée Guimet, avec le conservateur duquel, Léon-Joseph de Milloué (1842-192...), le prince d’Orléans a été en contact dès son retour du Tibet (BIF, Ms 5472), conserve de son côté une soixantaine d’objets cotés selon quatre entrées : MG 5801-5806 (en dépôt au musée Georges Labit de Toulouse), MG 10727-10728 (acquis en 1894), MG11001-11043 (acquis en novembre 1891), MG 11337-11346 (sans date, vraisemblablement suite au voyage de 1892). Certaines des pièces des trois dernières entrées sont en dépôt, au musée des Arts décoratifs de Nantes et au musée des Beaux-Arts de Rennes. Provenant des différentes régions d’Asie visitées par le prince, ces objets sont tous de petite taille, à l’exception de quelques statuettes thaïlandaises de taille moyenne. On y trouve essentiellement des statuettes et quelques objets de culte bouddhiques en métal repoussé, en bois ou en terre cuite (essentiellement tibétains et thaïlandais, en moindre proportion vietnamiens et lao), ainsi qu’une riche collection de bols et pots avec couvercle en émail polychrome de Thaïlande.

En outre, dans le cadre du don du musée Guimet d’une partie de sa collection ethnographique de l’Asie en décembre 1900, parmi laquelle des objets des collections Notovitch, Bonin, Ujfalvy, etc., une série d’objets ramenés du Tibet, de Malaisie et du Laos par Henri d’Orléans sont conservés au musée ethnographique de l’université de Bordeaux, qui dépendait alors de la faculté de médecine (Vivez J., 1977, p. 1-21). Les objets n’avaient pas été catalogués et quelques-uns seulement portaient des étiquettes avec des indications. Si le catalogue actuel dénombre une vingtaine d’objets, principalement en bois, fibres végétales et bambou, utilisés pour la chasse, la liste manuscrite établie en 1901 répertorie une petite centaine d’objets (fichés du no 282 à 376) où figurent essentiellement des objets usuels, des objets de culte et des vêtements (MEB, Inventaire Orléans B4-154).

Les Archives nationales conservent, dans le fonds de la Maison de France, une petite trentaine de cartes anciennes et manuscrites (AN, CP/AP/300(III)/350), ainsi que le riche fonds de plaques photographiques produites par le prince durant ses nombreux voyages et ayant servi aux gravures illustrant ses récits propres et ceux de ses compagnons de voyage (AN, AP/300(III)/258-313).