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Commentaire biographique

De rares essais biographiques (Le Gouard M., 2002 et 2008, Andrei E., 2019) renseignent la vie d’Elvezia Gazzotti, restée plus connue sous son nom d’artiste et d’auteur, Lotus de Païni, d’abord dans la dernière décennie du XIXe siècle, puis des années 1920 à sa mort. C’est sous ce nom que son œuvre ésotériste s’est fait connaître des cercles traditionalistes et surréalistes (Le Gouard M., 2007), notamment d’André Breton qui donne son nom à l’un de ses collages en 1962 (Andrei E., 2019, p. 162).

Fille d’un père italien né en Suisse, Giuseppe Gazzotti et d’une mère française, Thérèse Guignon, Elvezia naît à Copparo, près de Ferrare. Elle passe la majeure partie de sa jeunesse sur la Côte d’Azur, dans la région de la famille de sa mère, près de Vallauris.

C’est en tant que peintre que « Lotus (Mme la Baronne Paini, née Lotus Gazzotti, dite) » est enregistrée dans le Dictionnaire national des contemporains en 1899 (Curinier, C.-L., 1899, p. 278) : « Toute jeune encore, elle étudia la peinture sans maîtres et se forma elle-même. Elle envoya au Salon de 1888 un premier tableau, intitulé : Théodora. Son mariage [avec Nicolas Païni] interrompit quelque temps ses travaux artistiques. Elle les reprit à partir de 1894, à Bucharest [en visite chez sa sœur qui y état sous le nom de « Madame Mars »], où elle se trouvait alors et où elle produisit une série de portraits remarquables, et notamment celui de la Reine Élisabeth (Carmen Sylva), qui mirent son talent en lumière [Certaines de ces œuvres sont aujourd’hui conservées au Musée des Collections d’art de Bucarest, collection Elena et Anasase Simu, voir Andrei E., 2019]. En 1897, Mme la baronne Païni vint se fixer à Paris ; elle y a exposé, au Salon de la Société des Beaux-Arts, sous la signature « Lotus », les œuvres suivantes qui, tout de suite, attirèrent l’attention : Portrait de Mme la Comtesse Tornielli, ambassadrice d’Italie (1897) ; Les Indiscrètes (1898) ; La Vie [regardant passer la jeunesse], grand tableau symbolique, annoncé comme le premier d’une série inspirée par une pensée philosophique (1899). Mme la baronne est officier d’Académie depuis 1898. » Ainsi sont dessinées les trajectoires et géographiques et artistiques de « Lotus » avant 1899, année où elle divorce de Nicolas Païni et rencontre Paul Pératé (1869-19...), chirurgien adjoint à l’hôpital de Péau (?), qu’elle épouse le 25 janvier 1900. En 1903, le couple fait changer son patronyme en « Péralté » (Le Gouard M., 2002, p. 218). Dès au moins 1901, ils sont tous deux membres de la Société théosophique (Le Gouard M., 2002, p. 218). Lotus semble avoir nourri tôt un intérêt pour l’occultisme et le virage « philosophique » de sa peinture en est l’expression.

Les intérêts du couple pour la théosophie se joignent aux compétences de Paul dans la motivation de sa demande de mission (gratuite) « aux Indes anglaises » auprès du Ministère de l’instruction publique (AN, F/17/17282). Comme justificatif scientifique de sa requête, Paul Péralté invoque ses « recherches de philosophie et de science relatives à l’histoire des religions comparées et à la psycho-physiologie » (29 septembre 1904 et, dans la dernière lettre du dossier, Madras, 16 novembre 1904), signalant par là un intérêt marqué pour les pratiques ascétiques et en particulier pour le yoga. Sa demande est appuyée par Jules Siegfried (1837-1922), député au Havre, qui avait fait fortune dans le commerce du coton après avoir établi une succursale à Bombay en 1862. Le 28 septembre 1904, Siegfried écrit ainsi de Péralté : « C’est un homme intelligent, qui représentera la France avec honneur et je suis convaincu qu’il pourra rapporter de son voyage, qui durera de un à deux ans, les travaux les plus utiles. » On ne connaît guère de résultat scientifique de la mission, mais la récolte d’objets d’art asiatique et les peintures de Lotus sont remarquées par l’exposition qui a lieu au musée Guimet quelque temps après leur retour.

C’est à cette même période que Lotus s’implique dans les milieux théosophiques, notamment dans l’International Committee for Research into Mystical Traditions, fondé par Annie Besant (1847-1933) en 1907 et dirigé par Harriet Isabel Cooper-Oakley (1854-1914), née en Inde et avec qui Lotus a le projet, abandonné, de lancer la revue du comité (Le Gouard M., 2002, p. 221). L’amitié de Lotus Péralté et d’Isabel Cooper-Oakley, qui vivait alors à Milan, rend compte non seulement des réseaux internationaux internes à la Société théosophique, mais également de la dynamique en France entre milieux ésotériques et modernistes chrétiens. Ainsi existe-t-il une correspondance avec l’abbé Albert Houtin (1867-1926), lequel était avec l’abbé Alfred Loisy (1857-1940) une figure importante de la « crise moderniste » au sein de l’Église catholique et défendait une approche rationaliste du religieux. Les envois de Lotus Péralté se résument à des billets insignifiants, mais par les lettres d’Isabel Cooper-Oakley, l’on sait que c’est cette dernière qui lui a présenté Lotus Péralté. Cooper-Oakley veut inviter Houtin à Milan pour donner une conférence sur la position de l’Église en France. Sa correspondance aborde le sujet du mouvement du modernisme ; elle évoque par exemple l’opposition que fait Loisy entre le « Christ seigneur » et « Jésus de Nazareth » dans Autour d’un petit livre (1903) et renvoie à ce sujet Houtin au point de vue hindou exposé par Annie Besant dans son livre Esoteric Christianity, or the Lesser Mysteries (1902). Cooper-Oakley tient également Houtin au courant des activités de la Société théosophique à Paris et lui envoie des livres de G.R.S. Mead (1863-1933), ainsi qu’un bulletin de commande de son propre livre Mystical Traditions (1909) préfacé par Annie Besant.

Lotus de Païni connaît ainsi une phase importante de sa vie de toute évidence fascinée par l’Inde et le Tibet à travers ses affinités théosophiques qui la porte à réviser son anthropologie philosophico-esthétique : « L’histoire humaine tout entière n’est-elle pas faite des orientations diverses de cette mystérieuse faculté de penser et d’abstraire qui est le propre de l'homme ? L'harmonieuse et virile civilisation hellénique n'implique-t-elle point un effort voulu de la pensée vers un idéal de force et de beauté ? Quelles profondes et merveilleuses conceptions le génie indo-aryen ne nous a-t-il pas laissées dans le champ philosophique ? Depuis, qu’avons-nous trouvé de nouveau dans le domaine de l’abstraction ? Il y a plus de deux mille ans que Bouddha apportait le principe supérieur de l’Universelle Solidarité des Êtres, nous ne pouvons donc revendiquer la priorité de cette notion. Trop loin de nous sont les civilisations plus archaïques encore pour que notre intellect aux formes ultra-modernes puisse prétendre en comprendre la portée ; ces civilisations ont dû, elles aussi, orienter leur pensée vers un idéal et chercher à déchiffrer un des hiéroglyphes de l’énigmatique Nature. » (Païni L., 1909, p. 16-17).

Forte de ces réflexions anthropologiques que l’on pourrait dire « fondamentales », Lotus de Païni développe rapidement une pensée syncrétiste de la « science de l’esprit » qui évolue vers l’ésotérisme chrétien. Aussi ses premières publications soulignent-elles explicitement cette inflexion (Païni L., 1914a et b, 1924) et se placent sous l’égide de l’anthroposophie de Rudolf Steiner (1861-1925). Un compte-rendu de son livre Les Premières Phases d’un mouvement de l’esprit résume ainsi : « M. [sic] Lotus Péralté nous trace l’histoire du mouvement théosophique […], les origines orientales de l’ésotérisme et la parenté qui rattache l’enseignement de Mme Blavatsky et d’Annie Besant aux doctrines de l’Inde. Puis il nous raconte (et c’est la partie la plus nouvelle et la plus passionnante de son livre) l’aspect inattendu que la théosophie prend en Allemagne avec le docteur Steiner […] qui a eu l’idée d’expliquer la doctrine de Jésus par l’occulte et d’appuyer toute la théosophie non plus sur l’Inde, mais sur le christianisme. » (Intérim, « Le mouvement littéraire », Le Matin, 21 janvier 1914, p. 6) À Dornach, où Lotus passe les années 1914 à 1919, celle-ci contribue au projet mené par Steiner du premier Goethéanum, par une fresque gigantesque dans la Grande Coupole intitulée « L’Initié de l’Inde ancienne ».

Après la Guerre, Lotus renoue avec les voyages lointains. Si elle rédige alors son unique récit de voyage (Païni L., 1930), ces expéditions en « Orient » et en Amérique centrale, à la recherche de traces précolombiennes et aborigènes, alimentent directement son œuvre (Le Gouard M., 2003) par nombre d’exemples apportés aux concepts qu’elle développe sous la forme de néologismes rappelant le lexique de l’ésotérisme fin de siècle et destinés à rendre compte d’une pensée religieuse ou magique primordiale, de la « grande puissance humaine psycho-physiologique » (Païni L., 1932, p. 1) : « cosmicité », « féminéité », « aithérique », « totémisation » (Le Gouard M., 2008, p. 213). Au terme de sa production littéraire, appréciée par les Surréalistes et différents écrivains comme Henry Miller (1891-1980) (Le Gouard M., 2008, p. 218), critiquée par René Guénon (1886-1951) pour sa confusion du « psychique » avec le « spirituel » et pour « l’étrange exagération donnée au rôle du corps » (Le Gouard M., 2008, p. 214), Lotus de Païni revient par le truchement de ses lectures d’Alexandra David-Neel (1868-1969), avec qui elle a été en contact depuis au moins 1932 et qu'elle a rencontré en personne à Samten Dzong (Digne-les-Bains) le 5 mars 1934 (Archives MADN, Agendas 1932 et 1934 ; voir aussi Le Gouard M., 2002, p. 221), aux horizons tibétains entrevus trente ans auparavant, en donnant comme issue ultime au « mysticisme occidental » le bouddhisme tibétain, lequel fournit le modèle de l’étape ultime de son Mysticisme intégral (Païni L., 1934). Ses dernières publications sont des articles écrits alors qu’elle vit, depuis la fin de la Seconde Guerre, chez sa nièce aux environs de Puy-l’Évêque. Publiés en 1952 et 1953, juste avant sa mort, dans la revue Le Goëland de Théophile Briant (1851-1956), ils portent sur la « lévitation », sur l’« ancienneté de la pensée humaine » et sur la « pensée asiatique. » Le dernier numéro de la revue de 1953 comprend un « Hommage à Lotus de Païni » par Théophile Briant (Le Gouard M., 2008, p. 216-217) : « Elle se voulait mystérieuse, et se dérobait aux enquêtes » (Le Gouard M., 2003, p. 11). Demeurent toutefois, à côté de quelques documents d’archives, ses publications et resurgissent certaines de ses œuvres, parmi lesquelles les quatorze stations du Chemin de croix réalisé en 1936 pour la sacristie de la Collégiale d’Auffay (Seine-Maritime), cachées en 1939, retrouvées et restaurées en 2016 (Andrei E., 2019, p. 161-162).

Constitution de la collection

Seul vestige matériel connu du patrimoine d’art asiatique de Lotus et Paul Péralté, la collection Péralté a été constituée lors du voyage en Inde et au Ladakh en 1904. Elle se divise entre une série de vingt-quatre tableaux peints par Lotus de Péralté et d’une quarantaine d’objets. En présentant au public des objets rarement vus en France, la collection a enrichi considérablement l’exposition temporaire du musée Guimet inaugurée le 27 mai 1908 (Milloué L., 1908). L’exposition fait en effet date dans l’histoire de la muséographie française en réunissant, à côté des collections asiatiques des missions Étienne Aymonier (1844-1929) (Cambodge) et d’Édouard Chavannes (1865-1918) (Chine), d’un ensemble de netzké de la collection Wasset et de kakémonos japonais donnés par Robert Lebaudy (1859-1961), ainsi que de portraits funéraires d’Antinoë rapportés par Albert Gayet (1856-1916), les premières collections d’importance en France provenant des régions tibétaines (Thévoz S., 2020). Ainsi sont saluées dans la presse « une série d’objets religieux ou historiques recueillis dans l’Inde et au Thibet par M. et Mme Péralté (une vingtaine de peintures, par Mme Péralté, représentent les sites ou les monuments les plus intéressants visités par les voyageurs et évoquent pour le visiteur le milieu originel de ces objets) ; enfin, une très curieuse collection de deux cent dix pièces rapportées également du Thibet par M. Bacot et dont un grand nombre se rapportent à la religion primitive de ce pays » (Marguillier A., 1908, p. 153).

Le conservateur adjoint du musée, Joseph Hackin (1886-1941), présente ainsi la collection des « Vues de l’Inde, Ceylan, Tibet » de Lotus Péralté : « Les tableaux de Mme Péralté offrent un grand intérêt artistique et documentaire ; exécutés sur place, ils fixent avec précision ce que la photographie ne peut rendre : l’impression et la couleur, ces deux facteurs essentiels qui constituent le charme et l’originalité des pays orientaux. D’autres esquisses, présentent les paysages déconcertants et grandioses de l’Himalaya et du Tibet, aperçus inédits et sincères d’une contrée mystérieuse. » Les tableaux documentent ainsi par des paysages et un portrait (MG 14421) les lieux vus en voyage : Pointe de Galle, Madras (Lotus a parallèlement peint à Adyar un Portrait d’Annie Besant, Andrei E., 2019, p. 157), Bénarès (Varanasi ; en particulier, les ghāṭ sont décrits en détail par Paul Péralté dans sa notice), Śatruñjaya, Amber, Srinagar. Leh, Himis, Lamayuru, Bodhgaya, Puri, Bhubaneshwar. Les monastères et chörten (mchod rten) tibétains (notamment MG 14423a et MG 14424a), représentés dans le décor montagneux gigantesque du Ladakh, forment l’élément majeur de l’ensemble. Paul Péralté décrit en particulier les danses des moines de Lamayuru, célèbres pour avoir été évoquées avant lui par Nicolas Notovitch (1858-19...).

Tandis que Paul Péralté rédige la notice de la collection de sa femme, Joseph Hackin expertise, avec l’aide d’Adjroup Gumbo (18...-1911), un lettré tibétain qui accompagnait l’explorateur Jacques Bacot (1878-1965), les collections tibétaines et rédige les sections y relatives du catalogue : « Inde, Tibet, Japon : Collection Péralté » (Milloué L., 1908, p. 22-35) et « Tibet : Collections bon-po et bouddhique rapportées du Tibet par M. Bacot » (p. 35-71). Les objets de la collection Péralté sont essentiellement de facture contemporaine. La collection est constituée d’une vingtaine d’objets provenant d’Inde (essentiellement des statuettes de Kṛṣṇa et quelques Gaṇeśa), d’une dizaine d’objets de culte tibétains et des statuettes de divinités japonaises, quelques miniatures indo-persanes ; un thangka et des masques du Sri Lanka et du Tibet complètent la collection. Vingt années après son voyage, Lotus Péralté se rappelle : « Les lamas se couvrent la tête de masques dans les danses mystérieuses du printemps ; et ces masques très remarquables, sont conservés dans une grande salle de leur lamasserie avec les costumes chatoyants qui les complètent. Ce sont des objets étranges parmi les choses plus bizarres encore de ces inquiétants sorciers rouges, dont il est difficile de définir l’émanence. Dans le pays de Ladakh, la grande lamaserie d’Hemis, où il m’a été permis de pénétrer en 1904, en possède de forts beaux. » (Païni L., 1924, p. 155).

On remarquera en particulier dans la collection déposée au musée Guimet un recueil de stotra en sanscrit (écriture śśarada) enluminé contenant trente-sept peintures (MG 2554), les trois têtes superposées ayant surmonté une statue d’Avalokiteśvara de style sino-tibétain (MG 14462), décrite dans Hackin J., 1923, p. 91 et reproduite dans Couchoud P.-L., 1928, p. 137, et une statuette japonaise d’un Shō-Kannon Bosatsu (Aryāvalokiteśvara) en bois doré et laqué relevé d’éléments en cuivre et de pierres semi-précieuses (MG 14463) reproduit dans Franck B., 1991, p. 109.

Dans sa lettre à Émile Guimet (1836-1918) du 19 avril 1908, Paul Péralté confirme le don des tableaux par son épouse et les « objets divers » attachés à son propre nom (Musée Guimet, correspondance d'Emile Guimet). Ainsi sous le nom de Paul Péralté sont enregistrées au musée trois entrées constituant un ensemble plus important que le lot exposé en 1908 : MG 2554-25555, MG 2567 et MG 14404-14471. Sous le nom de Lotus Péralté est enregistré un don daté du 17 juin 1911 de quatorze nouveaux tableaux (MG 15853-15867), issus de son voyage en Égypte (Le Gouard M., 2002, p. 221). Quelques tableaux exposés en 1908 étant sans doute restés dans la collection personnelle de l’artiste, ou sont vendus par elle, ce dont, dans l’une ou l’autre éventualité, nous ne possédons aucune trace (voir, au sujet des œuvres de Lotus de Païni retrouvées, Andrei E., 2019). Les no 15855, 15857 et 15859 sont déposés au musée Guimet de Lyon en 1923 (aujourd’hui au musée des Confluences). C’est pour le don de 1908 que le ministre de l’Instruction publique, Charles Bayet (1849-1918), notifie Guimet le 25 janvier 1909 que sur la demande de ce dernier, il nomme Mme Péralté officier de l’Instruction publique.

Voyages de Lotus de Païni