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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

DENON Dominique-Vivant (FR)

Commentaire biographique

Dominique-Vivant Denon est un diplomate, homme de lettres, dessinateur, graveur et collectionneur français (voir Marie-Anne Dupuy-Vachey, notice Dominique-Vivant Denon, Dictionnaire des historiens de l’art, base Agorha, Inha, mise à jour 5 novembre 2008).

Né à Chalon-sur-Saône le 4 janvier 1747, il monte à Paris en 1764 et entame une carrière de peintre et dessinateur avant d’entrer à la Cour de Louis XV (1710-1774), où il obtient le titre de gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi en 1768 (Lelièvre P.,1993, p. 16). Puis, devenu gentilhomme d’ambassade, il fait de fréquents voyages en Russie, en Suisse et en Italie, où il demeure de 1778 à 1785 résidant à Naples en tant que conseiller d’ambassade (Lelièvre P., 1993, p. 27-48). Il se familiarise avec les collections qu’il visite et les amateurs qu’il rencontre. Il s’intéresse notamment aux objets antiques, aux vases grecs et italiques alors considérés comme « étrusques », qui deviennent objets de convoitise de la part de nombreux amateurs du Grand Tour.

Mais c’est aussi dans cette ville qu’il se remet avec assiduité au dessin d’après les maîtres et à la gravure, sollicitant dès son retour à Paris en 1785 son entrée à l’Académie de peinture et de sculpture. Le directeur des bâtiments du roi, le comte d’Angiviller (1730-1809) avec lequel Denon était en pourparlers pour l’acquisition de sa collection de vases « étrusques » par le roi, lui accorde son agrément en tant qu’« artiste de divers talents » le 28 juillet 1787 (Van de Sandt U., 1999, p. 76). Néanmoins, ayant abandonné la carrière diplomatique il décide de repartir en Italie et d’y vivre de son talent tout en développant sa connaissance des grandes collections locales. Il se fixe à Venise où il dispose d’un atelier. Ses finances lui permettent de poursuivre ses achats d’œuvres d’art essentiellement dessins et estampes qu’il acquiert en grand nombre à la vente d’Anton Maria Zanetti (1680-1767), artiste vénitien et grand connaisseur dans le domaine de la gravure. Toutefois, il est expulsé de Venise en 1793, accusé de conspiration au service de la Convention, et rentre en France en pleine tourmente révolutionnaire.

Ses revenus s’étant amoindris, il se fixe à Paris, à quelques pas du Louvre, rue Jean-Jacques-Rousseau (ancienne rue Plâtrière, 1er arrondissement), au troisième étage de l’hôtel Bullion, célèbre hôtel des ventes ouvert en 1778 par le marchand Alexandre-Joseph Paillet (1743-1814) (Michel P., 2007, p. 249-251). Il y exerce selon toute vraisemblance une activité marchande lui permettant de survivre, mais aussi de continuer à acheter des pièces pour son cabinet (Dupuy M.-A., 1999 ou 2016). La chute de Maximilien de Robespierre (1758-1794) en 1794 l’oblige à abandonner les projets engagés avec le Comité de salut public (Van de Sandt U., 1999, p. 77). Sous le Directoire il se trouve engagé comme dessinateur dans l’aventure de la campagne d’Égypte auprès de Napoléon Bonaparte (1769-1821). Il en rapporte force croquis pris sur le vif ainsi que des témoignages inédits de l’ancienne civilisation pharaonique, alors connue de rares antiquaires. Il en tirera une vaste entreprise éditoriale qui paraîtra en 1802 sous le titre Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte.

Le tournant décisif de sa carrière a lieu le 19 novembre1802. Le citoyen Denon est nommé par le premier consul Bonaparte directeur général du Muséum central des Arts. Il se voit confier non seulement l’administration du musée, auquel le jeune consul attache un soin particulier, mais aussi la direction des arts, réunissant entre ses mains outre le Louvre, le musée des Monuments français, le musée spécial de l’École française au château de Versailles, la supervision des manufactures de Sèvres, de Beauvais et des Gobelins, les palais du gouvernement, la Monnaie, les ateliers de la chalcographie, les travaux architecturaux ainsi que le transport des œuvres d’art lié aux saisies de l’étranger (Mardrus F., 2017, p. 311-312). Denon a cinquante-cinq ans lorsqu’il accède à cette charge officielle convoitée par le peintre Jacques-Louis David 1748-1825), le sculpteur Antonio Canova (1757-1822) et l’architecte Léon Dufourny (1754-1818). Peu au fait des affaires de l’administration d’État, il a sans doute le profil le plus consensuel pour répondre aux exigences du pouvoir et asseoir sa politique artistique de développement du musée.

La proclamation de l’Empire le 18 mai 1804 impose une nouvelle hiérarchie au musée, rebaptisé par Denon Musée Napoléon. Il dépend de la liste civile impériale ; non plus du ministère de l’Intérieur et, donc, de l’intendant général de la maison de l’Empereur pour ce qui est de son budget. Le directorat de Denon est marqué par une seule ambition, faire du Louvre « le plus beau musée de l’univers » (Dupuy M.-A., 2016, I, p. 694-704). À l’occasion du mariage de Napoléon avec Marie-Louise d’Autriche (1791-1847) en 1810, la Grande Galerie est réaménagée par les architectes Pierre-François Fontaine (1762-1853) et Charles Percier (1764-1838) pour l’exposition des peintures prévue par Denon, qui fit de ce nouvel accrochage un enjeu décisif pour la renommée du musée. Il met en valeur une histoire de l’art de la peinture par écoles, par artistes à l’intérieur de chacune d’entre elles. Pour la première fois, il offre à la vue des visiteurs une réunion inégalée de chefs-d’œuvre provenant du fonds royal nationalisé sous la Révolution, de celui des émigrés, mais aussi des nombreuses saisies effectuées par l’armée française à l’étranger dès 1794.

De 1805 à 1811, Denon effectue de nombreuses missions dans les pays conquis par l’empereur afin de prélever les œuvres nécessaires au musée et à ce titre il est surnommé l’« huissier –priseur » de l’Europe par un de ses nombreux biographes, Jean Chatelain (Chatelain J., 1999, p. 161-187). L’inventaire Napoléon des collections du musée en plusieurs volumes (AN, 20150162/14-20150162/52) constitue un travail scientifique exemplaire sur ce que fut cette institution entre 1804 et 1815. Il fut d’autant plus précieux que la chute de l’Empire en 1815 allait entraîner la restitution de la majeure partie des œuvres spoliées aux nations coalisées contre la France. Au mois d’octobre 1815, Denon remet sa démission au roi Louis XVIII (1755-1824).

Désormais à la retraite, Denon quitte son logement de fonction du Louvre pour se retirer au 5, quai Voltaire (aujourd’hui no 7) dans l’appartement qu’il louait depuis 1813 au premier étage, face au Louvre. Les dix années qu’il lui reste à vivre jusqu’à sa mort, survenue le 28 avril 1825 (AN, MC/RS//249), sont consacrées à la présentation de ses collections dans son appartement et à leur enrichissement constant, relayés par les visites ininterrompues de ses amis et connaissances, curieux de découvrir son cabinet et de l’entendre discourir dessus.

Constitution de la collection

Dominique-Vivant Denon meurt le 28 avril 1825 dans son appartement du 5, quai Voltaire (aujourd’hui no 7), entouré de ses objets qu’il avait passionnément acquis. L’inventaire après décès dressé du 16 au 26 mai 1826 (AN, MC/RS//249) offre un premier état de la présentation de la collection dans son appartement. Situé au premier étage, le logement donne en partie sur le quai face au Louvre. La description des collections contenues dans ces pièces est à l’origine d’une analyse approfondie par Marie-Anne Dupuy-Vachey en 1999 lors de la rétrospective consacrée à Denon (Dupuy M.-A., 1999, p. 392-400) qui démontre au premier regard l’invraisemblable amoncellement de tableaux, d’œuvres, d’armoires remplies d’objets en tout genre, de meubles d’origines variées. Une impression que les contemporains de Denon n’ont pas manqué de répercuter dans les récits de leurs visites au maître des lieux. De madame de Genlis (1746-1830) qui admire le plus « les produits industriels des sauvages, leurs corbeilles d’un travail admirable, leurs coiffures, leurs ceintures, leurs tissus d’étoffes faites d’écorces d’arbres et de filaments de plantes diverses, avec un art et une adresse infinie… » (De Genlis S.F., 1825, VII, p. 31-37) à Lady Morgan (1776-1859) qui parlant d’une « chapelle de Lorette des arts », y voit « tableaux, médailles, émaux, bronzes, dessins, curiosités de la Chine, de l’Inde et de l’Égypte », présentés « dans un ordre philosophique et chronologique, dans l’intention de jeter plus de lumière sur les temps les plus reculés, et de démontrer, par quelques morceaux remarquables, les progrès de l’esprit humain » (Lady Morgan, 1817, II, p. 77-90). Ainsi naît de ces descriptions, enthousiastes pour la plupart, l’ambiguïté de ce cabinet qui oscille entre le goût pour la curiosité, hérité des Lumières et celui, nouveau, pour la taxonomie. Tout comme apparaît son propriétaire, dont la longue carrière au service des arts lui fit parcourir une partie du vaste monde et traverser les régimes politiques avec un insatiable appétit de connaissances.

N’ayant pas d’héritier direct et n’ayant pas choisi de léguer sa collection à une institution publique, le cabinet de Dominique-Vivant Denon fut mis en vente par ses neveux (Dominique- Vivant Brunet – Denon (n.c.– 1845) ; Vivant-Jean Brunet Denon 1778-1866). Les adjudications se déroulèrent dans son appartement en trois étapes. Tout d’abord les vacations des tableaux, dessins, miniatures (987 numéros) se déroulèrent du 1er au 19 mai 1826, puis ce fut au tour de celles des monuments antiques, historiques, modernes, ouvrages orientaux (1 390 numéros) du 22 mai au 13 juin 1826, reportée au 15 janvier 1827 et enfin celles des estampes et ouvrages à figures (801 numéros) avec un supplément (66 numéros) prévue le 12 juin 1826, reportées au 12 février 1827. La vente fut accompagnée d’une Description des objets d’arts qui composent le cabinet de feu M. le Baron V. Denon, Paris, 1826, en trois volumes (Tableaux, Dessins et Miniatures par A. N. Pérignon ; Monuments antiques, historiques, modernes, ouvrages orientaux par L. J. J. Dubois ; Estampes et Ouvrages à figures par Duchesne aîné).

Constitution du cabinet

Les tableaux représentent 222 numéros soit 224 tableaux dont une cinquantaine est identifiée jusqu’à présent (Dupuy M.-A., 1999, p. 437-438 et Perronet B., 2001, p. 746). L’ensemble est loin d’offrir un panorama complet de l’histoire de la peinture contrairement à l’accrochage réalisé dans la Grande Galerie en 1810, mais les choix de Denon vont dans ce sens. Il reste attaché à faire découvrir des périodes moins connues et appréciées des collectionneurs de son temps, comme l’art des primitifs, tout en restant tributaire du goût alors majoritaire pour les écoles du nord (Hans Memling, Portrait d’homme tenant une monnaie montrant l’empereur Néron, Anvers, musée des Beaux-Arts ; Jacob Ruysdael, Paysage à la cascade, Wallace collection, Londres). Hormis cet ensemble important, les autres écoles sont loin derrière. La peinture italienne compte peu d’attributions confirmées à l’exception d’une paire de portraits représentant la Vierge et l’Ange Gabriel de Fra Angelico (ca. 1395-1455) [The Detroit Institute of art], et deux panneaux de coffrets vénitiens attribués à Andrea Schiavone (ca 1510-1563) [Amiens, musée de Picardie]. Tandis que l’école française est représentée entre autres par le Gilles d’Antoine Watteau (1684-1721) [musée du Louvre], dont la présence dans le cabinet fut considérée comme atypique, et une Déploration sur le Christ mort par Charles Le Brun (1619-1690) [coll. part.] que Denon appréciait particulièrement (Dupuy M.-A., 1999, p. 445).

Plus largement, ce sont les dessins qui composent l’ensemble dont Denon était le plus fier. Sur près de 1 400 dessins (Bicart – Sée L. et Dupuy M.-A., 1999, p. 452), la priorité est donnée aux grands maîtres. Acquis dès le séjour vénitien de Denon au moment de la vente Zanetti de 1791, les dessins de l’école italienne font la part belle au Guerchin (1591-1666) et au Parmesan (1503-1540) [Bicart-Sée L. et Dupuy M.-A., 1999, p. 452]. Les écoles du nord avec Rembrandt (1606-1669) et Albrecht Dürer (1471-1528) ne sont pas en reste ainsi que l’école française, mais plus modestement. On ne saurait dissocier la passion de Denon pour l’art du dessin qu’il pratiquait avec celui de la gravure d’après les maîtres. Ses achats incessants en Italie comme en France dès son retour en 1794 montrent à quel point il tenait cet art comme fondateur des Beaux-Arts, mais aussi comme substrat de ses propres créations. Denon affectionnait la mise en relation de ses lots de dessins avec les importants recueils de gravures de Lucas de Leyde (1494-1533), de Rembrandt ou de Jacques Callot (1592-1635) qui provenaient aussi de la collection Zanetti.

La collection apparaît dans toute sa diversité avec la deuxième adjudication de la Description des Objets d’art qui composent le cabinet de feu M. le baron V. Denon...Monuments antiques, historiques, modernes, ouvrages orientaux, etc. (Dubois J.-J., Paris, 1826). Il n’est pas anodin que le catalogue de cette partie ait été rédigé par le successeur de Jean-François Champollion (1790-1832) à la tête du musée égyptien du Louvre, Jean-Joseph Dubois (1780-1846), qui fit acheter pour celui-ci dix-neuf objets (Rigaud P., 1999, p. 403).

Les 422 objets égyptiens forment un ensemble des plus complets, répartis dans tout l’appartement (Rigaud P., 1999, p. 402). L’exposition de six momies humaines et de quelques restes humains dont le pied de momie qui doit sa célébrité au roman éponyme de Théophile Gautier (1858) représente un des sommets de la visite du cabinet. Denon acquit un nombre important d’objets alors qu’il était en Égypte, mais il ne put tout emporter et eut des difficultés à faire acheminer les pièces volumineuses. Toutefois, il continua d’acheter en France en 1819 à la vente de la collection de la Malmaison (n160 et n244, vente Denon) et en 1822 à la vente Jannier (n239 et n242-243, vente Denon ; voir Rigaud P., 1999, p. 402, notes 25-26). Si la civilisation égyptienne connut, grâce au déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822, une reconnaissance scientifique décisive, il n’en était pas de même pour d’autres contrées. Et pourtant, la Description mentionne à la suite de l’Égypte, les Monuments babyloniens et persans qui ne comptaient que cinq objets (Dubois J.-J., Paris, 1826, no 266 à 271, p. 57-61) à savoir un sceau-cylindre assyrien, un cachet néo-babylonien, trois cachets sassanides (Demange F., 1999, p. 413-414). Tout laisse à penser que Denon avait acquis ces pièces dans un souci de complémentarité historique nécessaire à sa démonstration. Le rapprochement entre les objets supposés provenir d’aires géographiques lointaines, lui permettait d’opposer un discours sinon de savant du moins de connaisseur à ceux qui ne voyaient dans son cabinet que la marque d’un curieux avide de beaux objets. En effet, l’autre grande particularité de cette collection était de promouvoir des objets de provenances « exotiques », destinés à ouvrir l’esprit des amateurs et à aiguiser l’appétit des savants.

Dans cette perspective, Denon réunit un ensemble significatif d’ouvrages dits « orientaux », allant des « objets arabes et persans » aux ouvrages « chinois ». Les recherches les plus récentes ont permis d’identifier certaines de ces pièceset de les rattacher à leurs origines de production. Tout d’abord, le petit nombre d’objets « arabes et persans » relevés dans la Description (23), acquis au Caire lors de la campagne d’Égypte ne permet pas de se faire une idée précise des connaissances de Denon en la matière. Certains d’entre eux, des pièces d’orfèvrerie ou de marqueterie, ont été commandés par lui-même sur place.

Plus originale, la catégorie suivante figurant dans le catalogue de vente décrit les « ouvrages hindous » représentés par 35 objets (no 893-928) [Dubois J.-J., Paris, p. 202-211]. Ils sont répartis en deux catégories : Sculptures et armes et Dessins. Dans la première se trouve un certain nombre de statuettes féminines en bronze représentant des divinités hindoues dont l’une d’entre elles a été identifiée par Marie-Anne Dupuy-Vachey comme étant la déesse Vishnou (xviiie siècle, Inde méridionale), conservée aujourd’hui dans une collection particulière (Dupuy-Vachey M.-A., 2016, p. 346, fig. 8). Dans la seconde, il est fait état de 89 miniatures regroupées par lots, représentants des divinités, des portraits de souverains, des scènes mythologiques illustrant sans doute les grands thèmes épiques de la littérature hindoue. Quelques indices permettent de comprendre que Denon connaissait assez bien la culture indienne. Marie-Anne Dupuy-Vachey fait remarquer que celui-cifut nommé membre de la Société asiatique (Asiatic Society) de Calcutta par un courrier de son président en date du 28 mars 1816, année de sa création (Dupuy-Vachey M.-A., 2016, p. 344 et note 60). Si cette nomination découle des services rendus aux artistes anglais par Denon lorsqu’il était directeur du Louvre, il n’est pas à exclure que sa connaissance de cette civilisation s’accentue avec la visite chez lui, en 1819, d’un éminent spécialiste anglais, Edward Moor (1771-1848), auteur de The Hindu Pantheon en 1810 (Dupuy-Vachey M.-A., 2016, p. 346). Moor fit cadeau d’un exemplaire à Denon et Dubois mentionne l’ouvrage comme caution scientifique des choix de ce dernier (Dubois J.-J., Paris, 1826, p. 204, note 1).

Encore plus complexe apparaît la rubrique « ouvrages chinois » qui répertorie 402 objets (Dubois J.-J., Paris, 1826, p. 211-294, no 929-1331), ce qui fait de cet ensemble un des plus importants de la collection. Les objets sont répartis par techniques en neuf catégories : « Terre (46) et porcelaine (99) » ; « Canne, bambou, bois de santal (29) » ; « Stéatite, corne, ivoire (17) » ; « Bronze et cuivre (21) » ; « Or et autres substances précieuses (24) » ; « Laque (122) » ; « Dessins et gravures (9) » ; « Vêtements et chaussures (32) » ; « Objets divers (10) ». Tout au long de la description du catalogue, il n’est jamais fait mention de la provenance géographique précise de ces objets et de la distinction entre Chine et Japon, principaux producteurs. L’isolement du Japon pendant deux siècles obligeait de passer par les marchands chinois ou hollandais sur l’île de Nagasaki.

Néanmoins, il est permis de dresser un premier état de cet ensemble où apparaît une profusion de petits objets, de meubles, parfois de très belle facture. Peu de pièces ont été identifiées jusqu’à présent. Le premier groupe de pièces de formes se compose de grès colorés, de terres émaillées, de porcelaines à décors et de blancs de Chine (Préaud T., 2001, p. 658) auxquels il faut ajouter 39 figurines sculptées, dont des magots chinois. Denon a, notamment, acheté des pièces à la vente Robit de mai 1801 (Préaud T., 2001, p. 658) et à la vente du secrétaire d’État Bertin en 1815 (Préaud T., 2001, p. 658). L’on sait également qu’il a fait don au musée de Céramique de Sèvres de pièces japonaises en 1808 (Préaud T., p. 658).

Les vases en bronze, quant à eux, sont cités par paires. Aucune indication chronologique ne permet de situer leur date de fabrication et la dynastie auxquelles ils se réfèrent ; à l’exception d’un vase à parfum de forme oblongue, posé sur un plateau à quatre pieds et sur lequel figurerait une date (Dubois J.-J., Paris,1826, p. 249, no 1 940, note 1). Une note précise qu’il s’agirait du XVe siècle sous la dynastie Ming (« Xuande 1425-1435 »). De la même manière, une boîte en or est qualifiée de chef-d’œuvre en parfait état de conservation (Dubois J.-J., Paris, 1826, n1146).

De cet ensemble émerge la collection de laques du Japon qui compte quelques pièces majeures retrouvées par Geneviève Lacambre au cours de ses recherches pionnières (Lacambre G., L’Or du Japon, cat. exp. de Bourg-en-Bresse, Arras, 2010, p. 47-57). Elle a mis en évidence la vitalité des échanges en France sous l’Empire et la Restauration à travers la vente de collections prestigieuses. Déjà, sous la Révolution, la précieuse collection de laques de la reine Marie-Antoinette d’Autriche (1755-1793) avait été miraculeusement récupérée par le Muséum pour entrer, en partie, dans le futur musée de la Marine (Lacambre G., 2010, p. 49-50). Pour son compte, Denon se porte acquéreur d’objets provenant de la vente publique du cabinet et des magasins du marchand Philippe-François Julliot (1755-1836), le 22 mars 1802 (Lacambre G., 2010, p. 52 et Lacambre G., BSHAF, 2014, p. 13). Le catalogue dénombre 26 lots de Curiosités en laque du Japon et de Chine pour lesquelles il entra en concurrence avec William Beckford (1760-1844), grand amateur de laques, destinés à sa demeure anglaise de Fonthill Abbey (Lacambre G., 2010, p. 52). Geneviève Lacambre propose de donner une provenance Denon pour un coffret à bijoux de la collection Duthuit (Paris, musée du Petit-Palais, inv. Dut.1494 – cité dans Lacambre G., 2010, cat. s14, fig. 24, p. 43 et Lacambre G., 2014, p. 14 et note 68). Beckford se porta acquéreur d’un autre coffret japonais à la vente Denon du 15 janvier 1827 (no 1204) qui se trouve aujourd’hui au Victoria and Albert Museum (Lacambre G., 2010, p. 54, fig. 35 et Dupuy-Vachey M.-A, 2016, p. 349, note 69) et pourrait provenir des ducs de Bouillon, c’est-à-dire en droite ligne des héritiers Mazarin (Lacambre G., 2014, p. 14). Un cabinet japonais est également mentionné par Hélène Bayou en 1999 (Bayou H., 1999, p. 424, cat. 490, coll. part.)., correspondant au no 1292 du catalogue de 1826 (Dubois J.-J., Paris,1826).

Hormis les coffres et coffrets, trois boîtes en laque de la seconde moitié du XVIIe siècle, acquises par Denon se retrouvent aujourd’hui conservées au département des Objets d’art du musée du Louvre dans la collection Thiers, léguée au musée en 1881 (Lacambre G., 2010, cat. 22, 25, 69. Boîte à documents, n.inv. TH 413 ; Boîte en forme de double ovale, n.inv. TH 407 ; Boîte sphérique à savonnette, n.inv. TH 403, musée du Louvre).

Les collections extraeuropéennes réunies par Denon ne s’arrêtent pas là. La rubrique Mélanges du catalogue regroupe en effet des œuvres provenant d’Amérique et d’Océanie (Dubois J.-J., Paris,1826, p. 294-301, no 1332-1367, 35 lots). Si les attributions données par Dubois étaient erronées (Bresc-Bautier G. et Guimaraes S., 1999, p. 428) elles n’ont pas dissuadé les acheteurs de se précipiter à la vente Denon. Un courant d’amateurs et de savants « poussait l’administration royale à créer au Louvre un musée des peuples sauvages » (Bresc-Bautier G., 1999, p. 428-429) et par conséquent d’acheter certains lots consignés en 1829 dans l’État des objets fabriqués par divers peuples de l’ancien et du nouveau continent achetés à la vente de feu M. le baron Denon (AN/O3/1427).

Le panorama de la collection de Dominique-Vivant Denon serait incomplet si l’on omettait de revenir aux collections occidentales de cette deuxième partie qui dominent pourtant l’ensemble du cabinet. Elles dénotent une évolution notoire entre les premiers achats effectués en Italie, telle la collection de vases antiques achetée par le roi en 1786 ou la collection de monnaies et médailles avec ceux qui suivirent la période révolutionnaire. Bien que Denon restât attaché à la culture gréco-romaine, il s’est aventuré dans les siècles « obscurs » du Moyen-Âge par l’achat de quelques beaux spécimens d’orfèvrerie, d’émaillerie ou d’ivoire sculpté entre autres, provenant d’ateliers européens (Chancel-Bardelot de B., 1999, p. 418-419). Il s’inscrit dans ce que Béatrice de Chancel-Bardelot appelle la première génération des collectionneurs sans scrupules d’art médiéval, les Lenoir, Edme Durand, Pierre Revoil… (Chancel Bardelot de B., 1999, p. 419) qui place le goût de Denon à la charnière de deux siècles.

Pour une histoire universelle de l’art

Lorsqu’il quitta le Louvre en 1815, Denon eût l’ambition d’entreprendre la conception d’une « histoire de l’art depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours » à partir de sa collection. Il commença par faire des reproductions lithographiques de certains objets afin de les regrouper en une sorte d’encyclopédie, juxtaposant comparaison formelle et progrès technique des différentes cultures avec des notices. La renommée de son cabinet dépassait les frontières de la France, comme l’attestent ses liens avec des savants anglais comme Thoams Frognall Dibdin (1776-1847), Dawson Turner (1775-1858), Edward Moor, ou allemand comme Alexandre van Humboldt (1769-1859) qui lui apportèrent leur soutien. Pourtant, la publication ne vit pas le jour de son vivant et ce furent ses héritiers qui confièrent à Amaury Duval (1760-1838) le soin d’achever l’ouvrage en quatre volumes. Il n’est pas certain que le titre retenu, Monuments des arts du dessin, soit conforme à la pensée de Denon, mais, il reflète aussi la perspective plus théorique d’Amaury Duval, celle d’une histoire générale des arts dans laquelle la place de l’objet de collection n’est plus au premier plan, contrairement au souhait de Denon (Steindl B., 2001, La Documentation graphique sur la collection de Vivant Denon et les Monuments des arts du dessin. Un essai de reconstitution, p. 769-799). L’influence de L’Histoire de l’art par les Monuments publiée par Jean Baptiste Louis Georges Séroux d’Agincourt (1730-1814) entre 1810 et 1823 n’y était pas étrangère (Steindl B., 2001, p. 772).