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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

ROBIEN Christophe-Paul de (FR)

Commentaire biographique

La biographie de Christophe-Paul de Robien nous est aujourd’hui bien connue grâce aux nombreux travaux des historiens, en particulier ceux de Gauthier Aubert (Aubert G., 2001). Il s’agira donc ici de donner une brève compilation de ses repères biographiques.

La famille de Robien relève de la noblesse d’épée et apparaît en Bretagne à la fin du troisième quart du XIIIe siècle dans le diocèse de Saint-Brieuc. Il est vraisemblable que la signification du patronyme soit celle de « petit rocher » en breton (roch bihan). Au cours du XVIe siècle, cette famille est absorbée par celle des Gautron, qui cependant revendique de pouvoir utiliser le patronyme de Robien, ce qui lui est accordé. Puis, au XVIIe siècle, ses descendants achètent une charge au parlement de Bretagne qui lui permet d’étendre son influence. Paul de Robien (1660-1744), le père de celui aujourd’hui unanimement reconnu comme le collectionneur principal de la famille, achète en 1705 l’office de président à mortier, le plus prestigieux parmi les magistrats du parlement de Bretagne, qui siège alors définitivement à Rennes. Cette charge sera également acquise par les deux générations de ses descendants. Les Robien appartiennent ainsi également à la prestigieuse noblesse de robe de Bretagne.

Christophe-Paul naît de l’union de Paul de Robien et de Thérèse du Louët de Coëtjunval dans la nuit du 3 au 4 novembre 1698 au château du Fœil, près de Quintin (Côtes-d’Armor). Il est le second enfant du couple – l’aînée est Louise-Jeanne (1697-1762) –, petite fratrie qui ne pourra s’agrandir en raison du décès subit de la mère un an plus tard à Paris. Son père ne se remariera pas. Christophe-Paul n’a alors pas de prénom, car il n’est pas baptisé, et signe « Anonime de Robien » jusqu’à ses seize ans, âge auquel il reçoit le baptême. À la cérémonie, de pauvres mendiants sont signalés comme étant les parrain et marraine, et aucune personnalité n’y assiste (AD 22, BMS, vieux bourg de Quintin, 3.10.1714).

La carrière de ce magistrat est assez remarquable et linéaire : il devient conseiller en 1720, puis président à mortier en 1724. Ces années 1720-1730 sont charnières dans la vie de la famille de Robien. En effet, son hôtel particulier de Rennes, dont la construction date de la toute fin du XVIe siècle et qui a été acquis par Paul de Robien en 1699, est agrandi côté sud à partir de 1720, peu de temps avant le grand incendie du 23 décembre de la même année, auquel le bâtiment réchappe mais qui détruit 40 % de la ville. Or, une dizaine de membres de la famille semble y vivre en permanence, malgré la présence d’un cabinet de curiosités déjà attestée : il faut donc agrandir les espaces de vie, d’autant que Christophe-Paul se marie en 1728 avec la jeune Julienne de Kerambourg (1716-1742), avec qui il aura sept enfants. C’est aussi au cours de cette période que l’on peut saisir subrepticement quelques traits de caractère du personnage. Une affaire de rixe et d’insultes échangées avec le jeune conseiller Piquet de La Motte lors d’une réception on ne peut plus officielle le concerne : les deux jeunes gens, alors en état d’ivresse clairement assumée, se seraient livrés à quelques règlements de comptes dont la culture outrageusement hiérarchique de leur société détient les justifications. Une grande fierté de rang associée à la turbulence de la jeunesse semblent ainsi nous dessiner un jeune parlementaire de fort tempérament qui écope, fait exceptionnel, de six mois de suspension (Aubert G., 2001, p. 103-104).

Le droit reste d’un intérêt mesuré pour le collectionneur, qui sera néanmoins juge toute sa vie. Magistrat peu présent et peu actif, il ne se signale pas davantage sur le plan politique et peut être qualifié de contributeur à « l’inaction du Parlement » de 1736 à 1756. Le commerce outre-mer semble également tenir peu de place dans sa vie et n’a guère de conséquences sur sa fortune personnelle. Seule la période de 1712 à 1721 atteste d’un investissement minimum de 11 000 livres sur des navires de la Compagnie des Indes orientales. Pourtant, il est vraisemblable que le collectionneur n’ait jamais vraiment perdu le contact avec le milieu des négociants outre-mer, dont les Malouins. Son épouse est en effet la descendante, via Agnès Séré, sa mère, d’un de ces fameux « Messieurs de Saint-Malo ». Par ailleurs, une correspondance est encore signalée dans les années 1740 entre Christophe-Paul et la famille malouine Lebrun-Forty, qui conserve elle aussi des objets de curiosité (AD IV, 1 F 1983, lettre du 14 avril 1740). Enfin, à titre anecdotique, c’est le directeur du port de Lorient qui donne à Christophe-Paul de Robien un kilo de ginseng qu’un moine breton a rapporté de Chine à l’attention du pape, afin qu’il puisse avoir des enfants. Très intéressé mais peu impliqué dans les aventures industrielles, Robien est aussi propriétaire de forges, de mines et de toileries ; mais il préfère apparemment les décrire plutôt que de les exploiter (Veillard J.-Y., 1974, p. 229-255). Ses millions proviennent, finalement de façon assez classique, de ses treize seigneuries éparpillées un peu partout en Bretagne. Si le profil de sa fortune doit le distinguer parmi ses coreligionnaires, c’est in fine parce qu’il possède des biens mobiliers d’une valeur exceptionnelle estimée à 78 000 livres, cote due à ses collections et à sa bibliothèque, la plus importante pour un particulier en Bretagne (4 300 volumes).

Ses voyages sont bretons ou parisiens : on ne peut trouver chez lui un indice d’engouement pour le grand tour alors tant à la mode pour les développements de la sociabilité nobiliaire. Mais sa présence parisienne est hors du commun des parlementaires rennais, dans la mesure où il semble s’être rendu à la capitale des dizaines de fois. Rappelons que, en l’espace de presque un siècle, Paris s’est singulièrement rapproché de la Bretagne : les plaintes de la marquise de Sévigné (1626-1696), qui vivait non loin de Rennes, portent sur la durée d’un petit mais pénible voyage d’un mois pour atteindre la capitale, dont la moitié passée dans les bourbiers bretons, tandis que ceux de Desforges-Maillard, qui fait le trajet avec Robien, ne mentionnent plus que trois jours de voyage (Desforges-Maillard P., 1752, t. II, p. 306-414).

Connu tôt et reconnu pour sa collection, que citent à la fois Gersaint (Gersaint E.-F., 1736, p. 38), Dezallier d’Argenville (Dezallier d’Argenville A.-J., 1742, p. 212) et Piganiol de La Force (Piganiol de La Force J.-A., 1754, p. 276), Robien a sans doute davantage des ambitions académiques. Malgré ses publications, dont une demi-douzaine d’écrits de son vivant, notamment dans les domaines de l’histoire naturelle (Robien C.-P. de, 1737 ; 1751a ; 1751b), il ne parvient pas à créer une Académie bretonne de sciences et d’arts, ni en 1727, ni en 1738, faute d’agrément royal. Tout au plus devient-il membre à titre personnel de l’Académie de Berlin en 1755. Il ne relève cependant pas de la simple coïncidence historique que, moins d’un an après son décès en 1756, les États de Bretagne créent la première Société d’agriculture, de commerce et des arts du royaume. Son manuscrit, fameux désormais grâce à son édition par le musée de Bretagne (Veillard J.-Y., 1974), de la Description historique, topographique et naturelle de l’Ancienne Armoriquel’aurait bien justifié. Malade dès les années 1747, Christophe-Paul de Robien s’éteint à Rennes le 5 juin 1756. Son testament demande à ce que son cœur soit extrait pour être placé aux Carmes de Quintin, signe d’un attachement à des pratiques toutes médiévales.

Constitution de la collection

Contrairement aux apparences, la collection de Robien ne relève pas d’un simple désir mimétique. Certes, un premier regard pourrait faire accroire que le parlementaire rennais a voulu rivaliser avec de prestigieuses et anciennes collections européennes, soit celles des princes-électeurs allemands, soit celles des savants qui l’ont précédé tels les Kircher, Baillou, Beger, etc. Une étude plus approfondie de l’ensemble des items qui sont toujours conservés a permis cependant de mettre en évidence à quel point sa collection était, au contraire, tout entière travaillée par de lancinantes préoccupations historiques. En effet, au moins pour la quasi-totalité de ses objets européens, il est étonnant de constater que Robien s’évertue à collecter les restes prestigieux de mobiliers ruinés, témoins d’un faste disparu et d’époques dont il ne subsiste plus que des gloires matérielles. Fragments de quelques meubles précieux (statuettes d’ivoire, plaques de fonte incrustées d’or, paesine de Florence, etc.), remarquables séries de monnaies organisant des généalogies d’empereurs romains ou de rois de France, nombreux objets médiévaux, tout indique un intérêt pour les témoins du passé, un sens poétique de la trace, un réel désir d’accumuler des vestiges afin d’en constituer un corpus, tant fascinant pour son esthétique, surannée mais admirable, que pour l’intérêt de son étude.

Il est vraisemblable, à titre d’hypothèse, que le complexe persistant jusqu’à une date assez récente d’une Bretagne profondément archaïque ait été un biais pour l’étude de cette collection dont les chercheurs se sont emparés : marqué par le sceau infamant de ce regard dépréciateur, l’enjeu pouvait être de situer la démarche de la collection dans une perspective qui puisse éventuellement l’arracher à ses archaïsmes provinciaux, ce d’autant que la collection du parlementaire rennais apparaît tel un météore dans le ciel breton. Comment donc l’expliquer ? C’est sans doute d’ailleurs du fait de cette volonté de réhabiliter une Bretagne participant au Siècle des lumières que le musée des Beaux-Arts de Rennes mais également le musée de Bretagne ont pu s’associer en 1972 pour rendre hommage au président de Robien (« Robien, l’homme et le collectionneur », Rennes, musées d’Art et d’Archéologie de Bretagne, mai-octobre 1972). Or, au-delà de cette problématique linéaire et universalisante, dictée par notre mode de pensée taxinomiste qui cimente les bases de nos visions téléologiques, l’étude au plus près des objets a permis de dégager un sens sui generis qui restitue l’originalité de la collection (Coulon F. et al., 2020).

Le nombre d’objets de provenance asiatique est modeste comparé à l’ensemble des presque dix mille objets d’histoire naturelle, et il est actuellement d’environ deux cents pièces (où les trente-trois feuilles du panthéon indien, par exemple, comptent pour un seul objet puisqu’il s’agit d’un livre qui a été défolioté). C’est cependant le nombre le plus important d’objets extra-européens (une trentaine pour les Amériques, une douzaine pour l’Afrique), ce qui correspond à la mode de l’époque, très marquée par les chinoiseries tant authentiques qu’occidentales. Le statut de ces objets, dont une grande partie est décrite dans le manuscrit du collectionneur (Bibliothèque des Champs Libres (Rennes Métropole), MSS 2437), était également varié. Il ne fait pas de doute, en effet, que les garnitures de porcelaines chinoises avaient dû déjà être collectionnées par le père, Paul de Robien, et décorer le salon de compagnie de l’hôtel rennais, rue aux Foulons. Il ne s’agissait donc pas là à proprement parler d’objets de collection mais d’objets décoratifs, ce qui n’est évidemment pas le cas des items cités dans le manuscrit. À l’opposé de cette datation précoce dans la famille, le livre de la préparation du thé et celui de la fabrication de la porcelaine, mais aussi les peintures sous verre aux paysages chinois, deux peintures en rouleau de Chine, deux statues en étain voire toute une série de petits magots datent clairement des années 1760-1770. Or, il est admis que le fils de Robien a acquis ces dernières pièces. En effet, et ce à rebours de tous les héritiers de cabinets en Europe, Paul-Christophe Céleste de Robien (1731-1799) ne vend pas la collection de son père à la mort de celui-ci, mais au contraire l’enrichit, les dates d’édition de nombreux livres acquis sous sa houlette en témoignant. Par ailleurs, la famille disposait d’un Robien basé à Canton de 1767 à 1777, cousin de Paul-Christophe Céleste, et du même âge que lui : Pierre-Louis Achille de Robien (1736-1792), dit le Chinois (Huard P. et Wong M., 1963, p. 269-289). L’hypothèse raisonnable faisant pour l’heure consensus est donc que ce cousin Robien aurait pu rapporter à Lorient, port où l’on sait qu’il a débarqué en 1777 et près duquel les Robien avaient une seigneurie (château du Plessis de Kaër, à Crac’h, près d’Auray), des objets chinois qui seraient entrés dans la collection de Paul-Christophe.

Dans le premier volume de son manuscrit, l’auteur commence clairement la description des objets dits exotiques par l’Asie, à laquelle il consacre des pages importantes. Il ne fait pas de doute que ce continent retient son attention, tant en ce qui concerne la richesse culturelle (la variété des divinités en l’occurrence) que pour la beauté esthétique de certains objets. Ainsi, il n’hésite pas à consacrer plusieurs lignes à la description de sa fameuse tour de Nankin toute couverte de nacre sculptée et dorée. Par ailleurs, il dédie de nombreuses pages aux descriptions des divinités de l’Inde, lui révélant un panthéon qui n’a rien à envier à ceux des anciens gréco-romains, auxquels il succède dans le déroulé du manuscrit. Dans son second volume, il lui arrive d’évoquer également ses animaux exotiques qui vivaient soit avec lui (un agouti apprivoisé particulièrement attachant, semble-t-il), soit dans le fond de son jardin, comme dans une petite ménagerie : une lionne d’Afrique également apprivoisée, mais aussi des chiens du Bengale et un chat-léopard de la même région.

On ne possède aucun témoignage de la façon dont les collections ont été acquises par Robien (seule la statue du Vishnou est dite avoir été donnée par Mahé de La Bourdonnais lui-même à Robien), ni sur leur présentation dans son hôtel particulier, lieu où elles ont été saisies à la Révolution en 1794. Pour ce qui relève des acquisitions, nous en sommes réduits à conjecturer des généralités sur les liens avec les milieux malouins et lorientais, ceux avec les réseaux familiaux (ainsi, en 1735, c’est Pierre Mériadec de Robien qui met Christophe-Paul en relation avec la famille du gouverneur de Saint-Domingue qui habite Brest, lui permettant d’acquérir des objets américains), ou encore avec les marchands de Paris, où il se rend si fréquemment. En ce qui concerne l’exposition de la collection au sein de l’hôtel de Robien, que les touristes de passage à Rennes étaient invités à visiter, ni l’examen du bâtiment ni la scrutation des manuscrits ne nous ont révélé le moindre indice. Tout au contraire, la connaissance de l’hôtel laisse perplexe, les surfaces y étant relativement petites et les murs manquant de linéaire à cause du grand nombre de fenêtres. Aussi, faute de mieux, faut-il imaginer que le grenier, très haut de plafond, pouvait présenter, dans une rare densité d’étagères rustiques la totalité des collections accompagnées de la bibliothèque, ce qui est énorme pour cette seule salle, ce qui nous est suggéré par quatre natures mortes du peintre Valette-Penot (1710-1777) (aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Rennes) et par une gravure du président par Jean-Joseph Balechou (1715-1764) (au musée de Bretagne) représentant des parties du cabinet.

En 1789, lorsque éclatent les événements révolutionnaires, Paul-Christophe Céleste de Robien émigre à Hambourg, où il décède en 1799. À titre de représailles, la toute jeune Première République ordonne dès l’automne 1792 des saisies sur les biens des émigrés. Cependant, l’organisation en est difficile, la chouannerie en Bretagne n’arrangeant en rien la situation. Aussi n’est-ce que le 1er germinal an II (21 mars 1794) que la saisie des objets a lieu sous la férule de Pierre Quéru de La Coste, qui en est le commissaire. Il décrit dans plusieurs documents qui nous sont parvenus sa surprise à découvrir un ensemble méconnaissable, couvert de poussière, qu’il juge particulièrement vétuste dans sa classification (AD IV, L. 966, 6 floréal an II, 21.01.1794). Les objets sont déménagés à quatre reprises jusque dans les années 1819 dans des sacs ou des paniers, ce qui, bien évidemment, provoque des dégradations. La tour de Nankin, déjà en mauvais état en 1794, ne figure plus dans aucun des inventaires de 1868 à 1932 (celui de 1850 mentionne : « toute disloqués, beaucoup de morceaux de nacre manquent » ; et une note manuscrite de 1868 indique : « objet annulable : en trop mauvais état »). Par ailleurs, les conditions d’exposition, aucunement maîtrisées, entraînent également de nombreuses dégradations : le petit soulier de femme chinoise, rouge ponceau vif, décrit en bon état en 1794 n’est plus que l’ombre de lui-même en 1850.

La collection est cependant proposée aux héritiers Robien sous la Restauration (1826), comme ce fut le cas des spoliations napoléoniennes en Allemagne. Ceux-ci ne souscrivant pas à la proposition, les objets restent la propriété de l’État jusqu’au récent transfert au bénéfice de la ville de Rennes (2018). Aujourd’hui, les objets de cette collection, en particulier ceux d’origine exotique, sont présentés au sein du Cabinet de Robien du musée des Beaux-Arts de Rennes depuis le 22 mai 2012. Une préfiguration avait déjà permis de tester l’intérêt de cette restitution en 2006, lors de l’exposition « Collecteurs d’âmes. Du cabinet de curiosités aux collections extra-européennes des musées bretons » (Rennes, musée des Beaux-Arts, 6 décembre 2006-4 mars 2007). Quelques items, notamment d’origine armoricaine, ou quelques rares vestiges de la section concernant l’histoire naturelle sont présents dans d’autres collections publiques rennaises : soit au musée de Bretagne, soit au musée de l’université de Rennes 1. Quant à la bibliothèque et aux manuscrits du collectionneur, ils sont dans leur quasi-totalité présents à la Bibliothèque des Champs libres de Rennes Métropole.