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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

LAGRENÉ Théodose de (FR)

Théodose de Lagrené entre en 1822 aux Affaires étrangères. Il est successivement secrétaire d’ambassade à Saint-Pétersbourg puis ministre plénipotentiaire en Grèce. Lors de son séjour en Russie, il épouse la comtesse Daubensky, ancienne demoiselle d’honneur de l’impératrice de Russie, avec qui il aura un fils, Edmond, qui mènera également une carrière diplomatique. Théodose de Lagrené est nommé commandeur de la Légion d’honneur en 1842. Il dirige, de 1843 à 1846, une mission en Chine organisée conjointement par le ministère de la Marine et celui des Affaires étrangères. Il est nommé Commandant de la Légion d’honneur le 20 octobre 1842 et Grand officier le 8 juillet 1846 (AN, LH//1443/11). Après s’être retiré de la vie politique à la suite du coup d’État du 2 décembre 1849, il devient membre du conseil d’administration du chemin de fer du Nord et décède le 27 avril 1862 (Bensacq-Tixier N. 2003, p. 345).

La mission en Chine

Après la signature, le 26 août 1842, du traité de Nankin entre la Grande-Bretagne et la Chine, la France de Louis-Philippe souhaite obtenir les mêmes avantages et notamment l’ouverture de nouveaux ports chinois au commerce français. Le gouvernement de François Guizot (1787-1874) décide d’envoyer une mission organisée conjointement par le ministère de la Marine et celui des Affaires étrangères. Le premier ordonne au capitaine de vaisseau Jean-Baptiste Cécille (1786-1873) de visiter les positions françaises en mer de Chine, tandis que François Guizot charge Albert Philibert Dubois de Jancigny (1795-1860) d’obtenir des renseignements sur les affaires de Chine et de l’Inde anglaise. Il se met à la disposition du ministre de l’Agriculture et du Commerce pour connaître les éventuels intérêts commerciaux de la France. Après des premiers contacts un peu désordonnés, Louis-Philippe (1773-1850) décide d’envoyer en Chine une ambassade, dirigée par Théodose de Lagrené (1800-1862).

Le 12 décembre 1843, l’ambassade embarque à Brest sur la frégate la Sirène, et après le parcours traditionnel via Rio de Janeiro et le cap de Bonne-Espérance, arrive dans la rade de Macao le 13 août 1844. Dix membres accompagnent l’ambassadeur, dont Charles de Montigny (1805-1868), plus tard consul à Shanghai et Ningbo, et Jules Itier (1802-1877), inspecteur des Finances, désigné comme chef de la mission commerciale. Ce dernier allait obtenir un franc succès en Chine en pratiquant le daguerréotype. Leur interprète est le père Joseph-Marie Callery (1810-1862) qui résidait déjà à Macao comme interprète du consul de France, le comte de Ratti-Menton, arrivé en 1842. Quant aux délégués commerciaux, accompagnés du second secrétaire de l’ambassade, ils quittent Brest en février 1844 à bord de l’Archimède, navire à vapeur qui effectue un voyage d’essai en longeant les côtes d’Europe et d’Afrique jusqu’au cap de Bonne-Espérance ; ils arrivent à Macao le 24 août 1844. Cette mission commerciale désignée par le ministère de l’Agriculture, après consultation des chambres de commerce concernées, comprend : Auguste Haussmann (1815-1874) pour l’industrie des cotons, Natalis Rondot (1821-1900) pour l’industrie des laines, draps et vins de Champagne, Isidore Hedde (1801-1880) pour l’industrie des soies et des soieries et Édouard Renard (1812-1898) pour les articles dits de Paris.

Les négociations avec Qi-ying (1790-1858), le représentant de la Chine, aboutissent au « traité commercial de dix mille ans entre la Chine et la France », signé le 24 octobre 1844 à Whampoa, près de Canton, à bord de l’Archimède : il permet l’ouverture de cinq ports au commerce français, Canton [Guangzhou], Fou-Tchou [Fuzhou], Amouï [Xiamen], Ning-Po [Ningbo] et Chang-haï [Shanghai] et accorde en outre le droit pour les missionnaires de propager la religion catholique. Les délais étant longs pour aboutir à la ratification définitive de ce traité entre la France et la Chine, la mission peut prospecter en Chine pendant deux périodes séparées par un voyage à Manille et en Asie du Sud-Est. À l’automne 1844, la délégation évolue entre Macao et Canton [Guangzhou], s’installant même pendant une semaine à Canton, dans la ville extérieure la seule accessible aux étrangers, où elle peut observer les commerces et ateliers chinois installés dans cette zone voisine des treize factoreries des pays étrangers. L’année suivante, à l’automne 1845, la mission peut visiter trois des quatre ports nouvellement ouverts, Amoi [Xiamen], Ning-po [Ningbo] et Chang-haï [Shanghai] ainsi que deux villes renommées pour l’industrie de la soie (Suzhou et Zhangzhou). L’échange des ratifications a finalement lieu à Pantang près de Canton [Guangzhou], le 31 décembre 1845.

Théodose de Lagrené et les diplomates reviennent par la route de Suez, tandis que les attachés commerciaux, avec tout ce qui a été collecté en Asie, passent par le cap de Bonne-Espérance et arrivent en France le 16 mai 1846.

Une mission aux intérêts divers

Outre l’intérêt diplomatique premier, les membres de la mission commerciale sont en effet responsables d’une collecte d’échantillons variés de ce qui les avait intéressés lors de leurs escales, et notamment en Chine. Ils enquêtent, tant à Macao qu’à Canton, pour rédiger sur place une Étude pratique du commerce d’exportation de la Chine, qui fut mise à jour par Natalis Rondot et publiée à Paris, Canton et Batavia en 1849. Ils étudient toutes les matières premières et les productions chinoises. Ils évoquent les objets en jade et pierres précieuses vendus à la Physic Street de Canton, les cornes de rhinocéros sculptées ou les laques de la New China Street. Ils s’intéressent aux peintures et expliquent : « Il y a beaucoup d’ateliers à Canton et à Macao où l’on peint sur papier de moelle » (Hedde I., Renard E., Haussmann A. et Rondot N., Étude pratique du commerce d’exportation de la Chine, p.176) ; ils notent : « Les Européens demandent les divers procédés de l’agriculture et de l’industrie chinoise. Les Délégués sont les premiers qui aient songé à donner cette impulsion, et ils ont pu obtenir et rapporter une collection très remarquable de dessins industriels à l’aquarelle et au trait, précieux tant par leur nouveauté et leur utilité pratique » (Hedde I., Renard E., Haussmann A. et Rondot N., Étude pratique du commerce d’exportation de la Chine, p. 176). Pour les dessins au trait, « c’est à M. Hedde, Renard et N. Rondot que les peintres de Canton doivent leurs progrès dans ce genre de dessin, et c’est sous la direction de ces trois délégués que Ting-qua et You-qua ont exécuté leur intéressante collection de procédés industriels et agricoles du Céleste Empire. La douzaine se vend 75 c., mais ordinairement ces dessins sont reliés en volumes, élégamment couverts de crêpe de soie broché de couleur ponceau et chaque volume qui renferme 120 dessins, se paie 7 piastres » (Hedde I., Renard E., Haussmann A. et Rondot N., Étude pratique du commerce d’exportation de la Chine, p. 177).

Les peintures à l’huile sont sur coton et représentent notamment des « vues d’habitations chinoises (intérieurs et extérieurs) » et valent, « encadrés de bois jaune, de 4 à 5 piastres. Il y a cependant à Canton un peintre Chinois, nommé Kwan Kiu Cheong 關喬昌, plus connu sous le nom de Lam Qua 林官(1801-1860), élève de Georges Chinnery (1774-1852) peintre anglais distingué, qui a acquis une grande renommée par la ressemblance de ses portraits dont le prix, en assez petite dimension, est de 20 piastres. Quelques élèves des peintres Youqua et Tingqua sont arrivée à acquérir une certaine habileté pour les paysages d’après nature ; leurs tableaux se vendent 6, 8 et 10 piastres » (Hedde I., Renard E., Haussmann A. et Rondot N., Étude pratique du commerce d’exportation de la Chine, p. 177). Puis ils décrivent leurs ateliers sur deux étages, où le travail s’organise suivant la méthode de division du travail.

Pour sa part, Jules Itier rapporte : « Il y a, dans Old China Street, un magasin des plus renommés pour ses peintures à la gouache sur papier dit de riz, comme pour les dessins au trait et les tableaux à l’huile qu’on y fabrique. Je me sers de ce mot, car c‘est réellement une fabrique que l’atelier du célèbre Yom-qua [sic] » (Hedde I., 1848, vol. II, p. 17). Les différents membres de la délégation font de nombreuses acquisitions et commandes à cet atelier.

Objets rapportés par la mission

À leur retour, plusieurs expositions sont organisées à Paris en 1846, à Lyon en 1847, à Saint-Étienne en 1848 et, plus restreinte, à Nîmes en 1849.

Les objets rapportés par la mission sont ensuite, selon leur nature, distribués par le ministère de l’Agriculture et du Commerce entre les diverses institutions nationales et chambres de commerce. En voici quelques exemples : ce qui concerne l’industrie de la soie enrichit la chambre de commerce de Lyon et se trouve maintenant au musée des Tissus - musée des Arts décoratifs de Lyon, avec notamment des albums d’aquarelles et de nombreux albums de dessins au trait sur moelle d’oeschynomene paludosa commandés spécialement par les délégués commerciaux aux ateliers de Yeou-Kwa [Youqua], de Tin-Kwa [Tingqua] ou de Sunkwa [Sunqua] de Canton, mais aussi des tableaux représentant l’industrie de Ning-po, ainsi que des échantillons textiles (Privat-Savigny, 2009). Le Muséum d’histoire naturelle de Paris reçoit les échantillons de matériaux naturels. On trouve, entrés par l’intermédiaire d’Isidore Hedde, au musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne, des modèles de métiers à tisser chinois et des objets liés au textile (rubans, cartes d’échantillons, étoffes). Le musée de Sèvres obtint des céramiques le 10 janvier 1849, à la demande de M. Edelman, administrateur de la manufacture (À l’aube du japonisme, 2017, cat. no 18). Le Conservatoire des Arts et Métiers reçoit soixante-huit lots, des ouvrages techniques, des outils et des maquettes de métiers à tisser, le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale plus de cent albums, dont une trentaine due à l’atelier de Youqua.

Le ministre de l’Agriculture et du Commerce de la seconde République, Louis Buffet (1818-1899), décide de trouver un emplacement définitif pour des objets qui « encombrent [s]on bureau » et les propose au directeur des Musées nationaux, Alfred Jeanron (1808-1877), dans une lettre conservée dans les archives des Musées nationaux à la date du 17 mars 1849 : « La mission commerciale envoyée dans le courant de 1843 en Chine a rapporté de ce pays en 1846 de nombreux échantillons de produits naturels et fabriqués. Ces produits ont été l’objet d’une exposition publique qu’ont visitée un grand nombre de fabricants, d’industriels, de commerçants et d’artistes. En vue de leur donner une destination définitive aussi utile que possible, et d’assurer en même temps leur conservation, j’ai conçu la pensée de les répartir selon leur spécialité dans nos divers musées nationaux. Là ils pourraient être vus et examinés et l’industriel, comme l’artiste et l’artisan, pourra s’inspirer de leur forme et de leur dessin soit pour les imiter en vue de l’exportation, soit pour modifier nos propres marchandises. Parmi les objets qui composent cette vaste collection, il en est qui, ayant plus spécialement un caractère de curiosité ethnologique ou industrielle, m’ont paru pouvoir prendre place dans le musée confié à votre direction. Ce sont en général des articles d’ajustement et d’armement, des objets de tabletterie en ivoire, laque ou sandal, quelques bronzes et des cartes, images coloriées et tableaux » (AN, série EM, 4698).

La liste des objets livrés au musée du Louvre le 1er mars 1849 qui l’accompagne décrit sept cent soixante-douze objets sous trois cent cinq numéros, classés sous les rubriques suivantes : bronze et cuivre, coutellerie et outils, instruments de musique, cannes, pipes et parapluies, armes, armures et vêtements, parures et ornements, outils, vêtements, objets d’ameublement [fauteuils, peignes, sacs, boussoles, paire de lunettes, etc. Un jeu de cartes européennes de fabrication chinoise], jouets, bambou [et bois divers], laques de Chine, laques du Japon, bois de santal, écaille, nacre, argent, ivoires, jades, pierres de lare, pagodites, stéatites, papiers et couleurs, tableaux, rouleaux de peinture, papiers de tenture, rouleaux de peinture pour tenture. Cette collection à caractère plutôt ethnographique couvre tous les registres de la vie matérielle des Chinois des régions visitées par la délégation commerciale, à l’exception de ce qui concerne les activités industrielles, notamment le travail de la soie, dont les échantillons ont été envoyés dans d’autres institutions. Elle contient aussi quelques objets provenant du Japon, en vente à Canton, ou de Cochinchine. Elle est placée au musée de Marine, qui se situe alors au musée du Louvre.

Il reste actuellement au musée national de la Marine, assez peu d’objets décrits dans cette liste, sans doute un peu plus d’une trentaine et quelques autres qui sont encore à identifier. Ainsi ont été récemment retrouvés le no 3 de la liste du 1er mars 1849, une des deux « cloches suspendues avec pied en bois richement sculpté » ou, parmi les ivoires, le no 214, un « éventail dentelle fouillé à jour à sujets, fleurs et très riche ». Un objet, revenu en 2009 de Brest où il avait été déposé en 1926 au Cercle naval (seul rescapé des bombardements de la Seconde Guerre mondiale) correspond au no 12 de la liste de 1849 : il s’agit d’un brûle-parfum « en cuivre, couvercle à jour, animaux formant anses, trois pieds sur piédestal », mais son piédestal qui devait être en bois a disparu. Parmi les rouleaux de « peinture pour tenture » conservés, le no 264 est une « carte de Chine avec hémisphère céleste », le no 265, « une carte de Canton, ville et province », le no 278, deux « caricatures chinoises. Anglais débarquant d’un bateau à vapeur », le no 279, quatre rouleaux peints de différents formats représentant des « Femmes de Soutchou, ville élégante de la Chine... », le no 286, « Prise de Chusan par les anglais » (Lacambre G., 2008).

Il y a dans la liste vingt-cinq peintures à l’huile chinoise sur toile de coton (dont l’une, envoyée au Ministère de la Marine en 1922 n’a pas été retrouvée), mais deux de petit format avec leur très simple cadre chinois sont encore conservées au musée national de la Marine : le no 258, « femme de pêcheur » et le no 260, le « portrait de l’interprète (jeune malais) de la délégation commerciale en Chine du ministère du commerce ». Anonymes, elles peuvent être attribuées au portraitiste Lam Qua (Lacambre G., 2008). Parmi les dix-huit « tableaux à l’huile, intérieur chinois, grands paysages, jardins, jeux, musiciens et dans leur cadre en bois faits en Chine » correspondant au no 256, un n’a pas été retrouvé les dix-sept autres ont été déposés à La Rochelle en 1923. Ils se trouvent toujours dans les collections des musées d’art et d’histoire de La Rochelle avec le no 259, un « portrait de Ky-ing, vice-roi de Canton, signataire du traité de la France avec la Chine ». Ce tableau porte la signature, en bas, à droite, en bleu clair et en lettres européennes, de « Youqua », dont l’étiquette imprimée en anglais (« Youqua Painter - old Street No 34 ») se trouve encore au revers de plusieurs des dix-sept autres peintures, incontestablement du même atelier. Ces dix-huit peintures, restées en pile dans une réserve, ont été sorties de l’anonymat en 2005, puis ont été restaurées (De Couleurs et d’Encre, 2015, cat. no 1 à 18). Il semble que ce sont ces peintures qui ont été exposées à Saint-Étienne en 1848 avec cette description : « Vues et costumes de Macao, tableaux peints à l’huile et sur toile par des Chinois, à la manière européenne » (Hedde, 1848, no 1069).

D’autres objets ont été déposés à la Rochelle en 1923, par exemple, deux cachets en ivoire correspondent à la description du no 226 de la liste de 1849 : ils sont « sphériques dont un à boules concentriques, et un à clous mobiles intérieurs », un bol japonais à couvercle en laque vert foncé et or, avec intérieur rouge (A l’aube du japonisme, 2017, cat. no 20), du même modèle que celui rapporté par l’amiral Cécille, conservé à Brest. On trouve aussi à La Rochelle une corne de rhinocéros sculptée (no 171).

Pour sa part, le musée des beaux-arts de Brest a reçu en dépôt en 1924 trois porte-cartes de visite en bois de santal (no 194), en nacre (no 204) et en ivoire sculpté (no 215 ou 216).

Le musée du quai Branly — Jacques Chirac a hérité notamment de deux des six « couteaux à papier » en ivoire [coupe-papier] (no 220) ou d’une grande tabatière à quatre tiroirs en laque à décor floral en nacre de couleur, de fabrication japonaise (no 283), (A l’aube du japonisme, 2017, cat. no 21), déposés au musée de l’Homme en 1946. Elle est proche de celle qu’a rapportée de Canton l’amiral Cécille, maintenant au musée des beaux-arts de Brest. Il reste à identifier bien d’autres objets, notamment des instruments de musique, présents dans les deux collections de la mission Lagrené et de Charles de Montigny et déposés au musée de l’Homme (actuellement au musée du quai Branly-Jacques Chirac) ou à La Rochelle.