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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

FRANDON Ernest et LE PROVOST de la VOLTAIS Gabrielle (FR)

Commentaire biographique

Une première carrière dans le droit et le journalisme

Ernest Frandon, licencié en droit en 1864, commence sa carrière comme avocat. Il s’intéresse aux sociétés coopératives auxquelles il consacre un ouvrage (Frandon E., 1868). Avec l’aide de personnalités de l’époque, dont Jules Simon (1814-1896), ancien ministre de l’Instruction publique, Auguste Casimir-Perier (1811-1876), ancien ministre et sénateur, Léon-Jean-Baptiste Say (1826-1896), économiste et homme politique, Ernest Frandon fonde « L’universelle », société destinée à propager les institutions coopératives en France, qui fait faillite en 1870 (Bensacq-Tixier, N., 2003, p. 236).

Pendant la guerre, Frandon s’engage dans les chasseurs à cheval. Ses actes de bravoure au combat lui valent de recevoir un brevet militaire (AN, LH//1029/41).

Après la guerre, Ernest Frandon effectue plusieurs voyages, d’abord en Allemagne pour étudier les banques populaires, puis en Herzégovine à la suite du prince de Monténégro, son ancien condisciple à Louis-le-Grand. Il suit ainsi pour le compte de divers journaux la campagne d’Herzégovine puis la guerre russo-turque de 1877-1878 (Bensacq-Tixier, N., 2003, p. 236).

Une entrée tardive dans la carrière diplomatique

En 1879, Frandon sollicite la faveur d’entrer dans la carrière consulaire. Il débute en tant que commis de chancellerie au consulat de France à Saint-Sébastien en novembre 1879 avant d’être envoyé en Asie, à Yokohama puis à Shanghai (AMAEE. FRMAE 394QO/643).

Frandon poursuit ensuite sa carrière à Fuzhou, dans la province du Fujian, au sud-est de la Chine. Le vice-consul se fait d’abord remarquer par son action énergique en faveur des chrétiens de la ville, lors d’émeutes survenues en 1883. Frandon fit « amener sa litière, prit ses révolvers et se rendit avec ses domestiques sur le lieu de l’émeute. Il ne fallut rien moins que son audace et son sang-froid à toute épreuve pour dominer la situation. On essaya en effet de mettre en pièce sa litière, mais à la vue des domestiques armés et surtout du révolver dont le consul menaçait de faire usage contre le premier qui l’arrêterait, on le laissa pénétrer jusque dans l’église. Là il parvint peu à peu à calmer la tempête, et à inspirer quelque crainte à la foule qui finit par se retirer. » (article de L’année dominicaine cité dans AN, LH//1029/41).

Un agent diplomatique engagé mais dépensier

Lors de son séjour à Fuzhou en 1883 et 1884, Frandon vient également en aide à la flotte française dirigée par le vice-amiral Courbet (1827-1885). La flotte est alors engagée dans l’expédition du Tonkin, dont l’objet est d’affermir la présence française dans la péninsule indochinoise. Il s’agit de s’installer dans les provinces de l’Annam et du Tonkin, malgré l’hostilité de la Chine. Frandon joue le rôle d’agent de renseignements en relevant les passes de la rivière Min, la position des forts, le nombre de vaisseaux. Pour ce faire, il bénéficie de complicités chinoises sensibles à la corruption, mais s’engage aussi personnellement, passant ainsi un mois dans une barque sur la rivière, y compris la nuit, pour effectuer des relevés les plus précis possible. Il parvient ainsi à dresser les plans des positions chinoises, notant également le nombre et le type d’armes utilisées (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 172). L’ensemble de ces informations permettent au vice-amiral de bombarder en août 1884 le port et l’arsenal de Fuzhou sans dommage pour la flotte française. Outre les renseignements, le vice-consul fournit également interprètes et pilotes à l’amiral Courbet.

Si ses services rendus à la flotte et le soutien à l’ambition coloniale française sont salués par ses supérieurs, Frandon doit faire face à des accusations répétées de prodigalité. Le mauvais usage fait des crédits affectés aux frais de service lui est ainsi souvent reproché, d’abord à Shanghai, puis à Fuzhou et à Kobé, où il est en poste de 1886 à 1889. Son supérieur à Shanghai lui indique ainsi dès 1882 : « (…) Quant aux frais en dehors du maximum ils se divisent en dépenses prévues et imprévues. Les frais appartenant à cette dernière classe doivent désormais être évités à tout prix. Du reste, toutes les dépenses sont en principe soumises à l’approbation préalable du chef de poste. » (Cité par Bensacq-Tixier, N., 2003, p. 237).

Le mariage avec Gabrielle Le Provost de la Voltais et la constitution d’une collection en Chine

Âgé de 43 ans, Ernest Frandon profite d’un séjour en France en 1885 pour épouser Gabrielle Le Provost de la Voltais, fille du comte Fernand de la Voltais, issue d’une famille de petite noblesse bretonne, de vingt ans sa cadette. Elle le suit à Kobé, au Japon, où il est nommé en 1886, puis à Fuzhou à partir de 1889. La vie dans le sud de la Chine à cette époque est difficile. En 1891, le consulat est menacé par des émeutes. En 1892, une des filles du couple décède de maladie, la deuxième reste entre la vie et la mort d’août à septembre. Le couple héberge également deux jeunes voyageurs français, Manuel Subervielle et le fils du marquis de Bartélemy. Le premier décède de la fièvre typhoïde, le second est sauvé grâce aux soins prodigués notamment par Mme Frandon. (Cité par Bensacq-Tixier, N., 2003, p. 239).

Frandon finit sa carrière en France, où il s’est vu confier en 1900 une mission en vue de développer les relations commerciales entre la France et la Chine, avant sa mise à la retraite en janvier 1901 (AMAEE. FRMAE 394QO/643).

Lorsqu’il décède en 1904 à Marseille, sa veuve insiste auprès du ministère pour que son défunt mari soit traité avec les égards dus à son titre de Chevalier de la Légion d’honneur (AN, LH//1029/41).

Constitution de la collection

Une collection rassemblée dans un but documentaire

Lors de ses séjours en Asie, le couple Frandon – de la Voltais rassemble une importante collection d’objets provenant majoritairement du sud de la Chine. La constitution de cette collection s’inscrit dans les missions économiques et commerciales attribuées aux consuls présents à l’étranger. Ces derniers sont en effet chargés par le Ministère des affaires étrangères de transmettre toutes informations de nature à contribuer au développement du commerce français. Ils doivent ainsi se renseigner sur les produits susceptibles d’intéresser les Chinois et rédiger des rapports afin d’aider à promouvoir les exportations françaises (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 178). Les consuls sont ainsi encouragés à envoyer en France des échantillons susceptibles de renseigner sur les besoins et habitudes des Chinois afin que les Français désireux d’entreprendre dans la région soient en mesure d’adapter leurs produits (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 179).

L’envoi d’échantillons aux musées commerciaux de France

Pour répondre à cette demande, le gouvernement favorise dans les années 1890 la création de musées commerciaux, afin d’inciter les industriels français à lutter contre la concurrence anglaise et à s’adapter aux goûts des populations asiatiques. Parmi ces musées, le musée commercial et colonial de Lille, fondé en 1885 sous le patronage et avec le concours du ministère du commerce, de la Ville de Lille, et de la Chambre de commerce de Lille, ouvre ses portes en 1888. Son but est de réunir des collections d’échantillons, avec renseignements (prix de fabrication, de vente, d’achat, modes d’emballages, etc.), pour les « soumettre aux fabricants français, leur faire connaître ce qui se vend sur les principales places de commerce et leur faciliter ainsi l’exportation de leurs produits. » (Notice sur le musée commercial et colonial de Lille, Lille, 1898). En 1895, Frandon adresse au musée trois caisses contenant deux albums de photographies et plus de cent cinquante objets : étoffes, costumes et bijoux, pipes, pinceaux, outillage, ustensiles de cuisine, jouets témoignant des usages et des coutumes du pays. Le tout est accompagné d’un rapport détaillé (Vandecasteele-Vandenberghe D., 2004). Parmi ces objets figure ainsi une robe de mandarin en soie jaune, aujourd’hui conservée au Musée d’histoire naturelle de Lille (NNBA 7255). L’ensemble adressé par Frandon constitue un échantillon très représentatif des objets que l’on pouvait trouver à l’époque au Fujian et dans le sud de la Chine.

Frandon effectue également des photographies de ces objets, qu’il réunit dans des albums, dont l’un est offert à la bibliothèque du musée Guimet (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 178). Frandon adresse d’autres échantillons au musée commercial de Bordeaux, ainsi qu’au musée des arts et métiers (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 179).

Les envois aux muséums d’histoire naturelle

Le muséum d’histoire naturelle et le Jardin d’acclimatation sont aussi les destinataires d’envois du consul : semences, spécimens de plantes, poissons vivants ou conservés dans de l’alcool parviennent ainsi dans les collections (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 179).

Les musées commerciaux et muséums avaient pris théoriquement comme engagement de rembourser les dépenses avancées par les consuls dans la constitution de ces collections (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 179).

La collection de céramiques

Ce n’est pas le cas pour l’importante collection de céramiques, que le consul et son épouse rassemblent dans le Fujian, dépensant sans compter au point que les dettes contractées contraignent les époux à hypothéquer les biens que Mme de la Voltais possède en Bretagne (Bensacq-Tixier, N., 2003, p. 239).

Frandon est décrit par un contemporain comme « un collectionneur émérite, un dilettante de toutes les choses d’art. M. Frandon possède une collection de porcelaines à faire pâlir celle des plus beaux musées. » (Mariani A., 1901). En réalité, cette dernière est constituée de pièces relativement communes achetées dans le sud de la Chine ou à Canton.

Frandon propose l’acquisition de cette collection à la ville de Paris (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 178) : « Il est essentiel que ces modèles restent à la disposition de nos artistes et ne passent pas à celle de leurs concurrents étrangers. Je serais heureux de les offrir à titre gracieux. Depuis quinze ans que j’ai l’honneur d’appartenir la carrière, j’ai donné au Trocadéro, à Sèvres, au musée Guimet, au Jardin des Plantes et à celui d’Acclimatation, de nombreux objets prouvant que je ne suis pas un spéculateur. Passionné pour une entreprise que je considérais comme utile, même patriotique, j’y ai consacré la majeure partie de la fortune de ma femme. Des sommes qui me sont propres, je fais volontiers abandon. » (Cité par Bensacq-Tixier N., 2013, p. 179).

L’ensemble est également proposé par Frandon au musée Guimet au travers d’un arrangement mi-don/mi-achat : « Je cèderais à titre gracieux des pièces jusqu’à concurrence de la moitié de la valeur fixée par les experts. » (Cité par Bensacq-Tixier N., 2013, p. 178). Le musée Guimet n’accepte finalement que quelques objets : des volumes chinois, un manuscrit sur les pavillons chinois, un kakémono ancien, un tableau en bois et ivoire, et vingt porcelaines japonaises (Bensacq-Tixier N., 2013, p. 178), ainsi que des bronzes (AN/M/MT/20144787/14).

Frandon se tourne alors vers la manufacture de Sèvres, dont le musée des arts céramiques créé en 1806 par Alexandre Brongniart (1770-1847) rassemble des exemplaires de céramiques de tous les pays. La manufacture se montre intéressée et ce sont d’abord 841 pièces qui intègrent les collections du musée en 1894. Elles seront suivies par plusieurs autres achats ou dons jusqu’au décès de Frandon en 1904 et inscrites sur un inventaire spécifique, sous le numéro de MNC 10169, qui compte 1264 sous-numéros (Brouillet S., 2013). La grande majorité de ces pièces proviennent de fours méridionaux chinois (Shiwan, Fujian), d’autres de Jingdezhen, de Dehua, ou du Japon.

Pour la manufacture, l’intérêt de ces pièces est avant tout technique. Il s’agit en effet de comprendre les techniques de fabrication afin d’être en mesure de les reproduire au sein de la manufacture. Ainsi, certaines des pièces acquises auprès de Frandon ont été volontairement sciées, afin d’en étudier les pigments. C’est le cas par exemple de pièces à la couverte céladon, ou encore de « sang-de-bœuf », pièces au rouge sombre flammé que la manufacture tente de reproduire depuis le milieu du XIXe siècle (Salvetat A., Recherches sur la composition des matières, 1852 et Salvetat A., « Essais par analyse et synthèse sur le rouge au grand feu des Chinois par M. Salvetat », Archives MNS, Carton N2, dossier Salvetat).