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Commentaire biographique

Le nom de « Fleuriot » se rencontre dans un document incontournable à qui voudrait étudier le marché de l’art asiatique parisien de la seconde moitié du XIXe siècle : le guide du « musée oriental » de l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie (Guide du visiteur au musée oriental, 1869). Cet événement réunit en 1869 la plupart des collections privées parisiennes d’art asiatique : marchands et collectionneurs présentent leurs objets dans plusieurs salles consacrées aux arts de la Chine, du Japon, ou encore de l’Inde. Le guide du visiteur s’efforce de nommer les généreux donateurs tout en commentant l’exposition. Le nom de « Madame Fleuriot » est cité à plusieurs reprises : elle expose plusieurs pièces chinoises et japonaises. Les premières pages du guide de visite, où l’on trouve la liste des prêteurs de l’exposition, relient Madame Fleuriot à une adresse, celle du « 16, place de la Madeleine » à Paris (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, n. p.).

Son nom se retrouve à la même adresse dans le Bottin du Commerce entre 1851 et 1872 (Gustave Revilliod (1817-1890) : un homme ouvert au monde, 2018, p. 114). Il y est indiqué que « Fleuriot » est une enseigne consacrée aux tableaux. Il en va de même dans l’Annuaire des artistes et des amateurs de Paul Lacroix (Lacroix P., 1861, p. 59), où « Fleuriot » est signalé parmi les « marchands de tableaux » dans les « adresses utiles aux artistes et aux amateurs », et dans l’Annuaire de la Gazette des Beaux-arts, où ce nom apparait comme celui du propriétaire d’une « collection particulière d’objets d’art » (Annuaire, 1870, p. 318) et des « Industriels d’art » (Annuaire, 1870, p. 326). Il semble donc que l’enseigne ait commercé des tableaux et des objets d’art, notamment asiatiques, ce que confirment les Calepins des propriétés bâties de la période 1853-1870 conservés aux archives de Paris qui indiquent que l’immeuble du 16 place de la Madeleine à Paris héberge, au rez-de-chaussée, une « grande boutique, Fleuriaux (sic), restauration de tableaux, magasin de curiosités » (AP, DIP 4 666, cité dans Gustave Revilliod (1817-1890) : un homme ouvert au monde, 2018, p. 114).

On connait un couple du nom de « Fleuriot » qui a résidé dans le VIIIe arrondissement, 2 rue Tronchet, à deux pas du 16 place de la Madeleine. Il s’agit de Théophile Fortuné Fleuriot (1797-1874) et de son épouse Angéla Fleuriot, née Varlet (1818-1890) (AP, V4E3398). Leurs actes de décès n’indiquent pas de profession : celui de Théophile Fortuné, daté de 1874, stipule que ce dernier est alors « rentier », quand celui de son épouse, en 1890, la qualifie de « propriétaire » (AD 60, 3 E 115/18). S’ils ont été marchands d’art, c’est donc à une période antérieure. On sait qu’Angéla Fleuriot, décédée à Bulles en 1890, a été antiquaire à Paris : proche de Gustave Revilliod (1817-1890), elle s’implique dans la constitution de la collection de ce dernier et lui lègue quatre tableaux (« Chronique locale : testament de Mme Fleuriot », 10 janvier 1891). Elle lui aurait proposé des objets de diverse nature, notamment des tableaux, des tapisseries et des céramiques, des années 1860 à la fin des années 1890 (B. Monti, 2015, p. 28). Les archives de la collection Grandidier, tout comme le Bottin du commerce et l’étude des ventes aux enchères d’objets asiatiques de la seconde moitié du XIXe siècle confirment cette datation de leur période d’activité. L’enseigne « Fleuriot », 16 place de la Madeleine, n’apparait plus dans le Bottin après 1872. De plus, toutes les acquisitions d’Ernest Grandidier (1833-1912) auprès de cette enseigne sont antérieures à 1894 (le détail des dates d’acquisition de la collection Grandidier ne précise pas la chronologie de ces achats, qui ont pu être effectués bien avant 1894 — voir L. Chopard, 2020). Enfin le nom de Fleuriot est aussi celui d’un acheteur important en ventes publiques pour les années 1850-1860, avec au moins quarante lots acquis à Paris entre 1858 et 1868 (L. Saint-Raymond, 2019, annexe). Paul Eudel les cite aux côtés de marchands importants d’objets d’art et de curiosités de la période tel que Fournier (Eudel P., 1885, p. 18).

Il est bien précisé, dans le catalogue du musée oriental et dans l’Annuaire de la Gazette des beaux-arts de 1870 (p. 326), que c’est « Madame » Fleuriot qui expose ses collections et qui commerce place de la Madeleine. Toutefois, on ne saurait déterminer si l’enseigne a été tenue par les deux époux ou par Angéla Fleuriot seule. La vente de la collection Fleuriot en février 1870 (Lugt 31756) est au nom de « Monsieur » : sans que cela constitue une preuve en soit de l’implication de Théophile Fortuné Fleuriot dans le commerce, ce catalogue de vente prête à penser que les deux époux ont pu exercer ensemble. La mort de ce dernier en 1874 serait d’ailleurs survenue quelques années seulement après leur retrait du marché. Angéla Fleuriot aurait toutefois continué à conseiller Gustave Revilliod jusqu’à sa mort en 1890.

Angéla Fleuriot décède à l’âge de 72 ans à son domicile de Monceaux dans la commune de Bulles (Oise). Le nom de sa dernière commune de résidence a induit la presse de l’époque en erreur. Plusieurs articles ont ainsi attribué le généreux legs de quatre de ses tableaux au musée Ariana de Genève à une altruiste Mme Fleuriot de Bulles, dans le canton de Fribourg en Suisse (« Chronique locale : aubaine inattendue », 25 décembre 1890 ; « Dernières nouvelles », 26 décembre 1890), plutôt qu’à l’antiquaire parisienne Angéla Fleuriot.

Constitution de la collection

Les pièces aujourd’hui conservées dans les collections muséales provenant de l’enseigne Fleuriot regroupent surtout les objets conservés au musée Ariana. Angéla Fleuriot fournit des tapisseries, des objets d’art et des tableaux à Revilliod (Gustave Revilliod (1817-1890) : un homme ouvert au monde, 2018, p. 129). Elle lègue également quatre toiles alors attribuées au peintre français Charles Joseph Natoire (1700-1777) à ce dernier, ce qui permet leur entrée au musée Ariana que le collectionneur suisse lègue à la ville de Genève. Angéla Fleuriot est peut-être la donatrice de deux plaques de poêles données à l’Union centrale des arts décoratifs en 1882 (UCAD, Registres historiques de l’inventaire, s.c.).

Dans la deuxième vente Fleuriot de février 1870 (Lugt 31756), on retrouve de nombreuses pièces chinoises et japonaises aux côtés de pièces européennes, notamment plusieurs tapisseries. 157 lots de porcelaines de la Chine et du Japon (lots 1 à 131 et 166 à 191) sont mis aux enchères à cette occasion, de même que des porcelaines de Saxe, de Sèvres et des céramiques d’autres centres de production européens (lots 132 à 165), des faïences (lots 192 à 200), des bijoux, mais aussi des émaux cloisonnés chinois ou encore des pièces en vernis Martin ainsi que des tapisseries (lots 228 à 233).

La collection Grandidier et le musée oriental de l’Union centrale permettent d’approcher plus en détail la nature des objets asiatiques dont Angéla Fleuriot fait commerce, peut-être aux côtés de son mari.

Grandidier réalise 186 acquisitions auprès de l’enseigne Fleuriot (AN, 20144787/13, carnets du collectionneur, 186 numéros d’inventaire relevés), soit 237 objets chinois et japonais. Parmi les cinq pièces japonaises, on trouve quatre assiettes et une tasse et sa soucoupe, identifiées comme provenant des fours d’Hizen et d’Imari (Inventaire de la collection Grandidier en deux registres reliés, inv. G18, G32, G46, G686 et G776). Les pièces chinoises sont plus nombreuses. En accord avec le cadre qu’Ernest Grandidier fixe pour sa collection (Chopard L., 2020), il acquiert ici des porcelaines alors identifiées comme provenant de la dynastie Ming (1368-1644) et de celle des Qing (1644-1911). On trouve trois pièces datées du règne de l’empereur Wanli (1573-1620), aujourd’hui plutôt datées de la dynastie suivante (« Chefs-d’œuvre de la collection Grandidier de céramiques chinoises »). Parmi les pièces datées à cette époque-là de la dynastie Qing, on trouve surtout des pièces de la famille rose et de la famille verte, principalement des assiettes et des tasses et soucoupes. Les pièces achetées par Grandidier chez Fleuriot sont de qualités diverses. Il y dépense d’ailleurs des sommes assez inégales, avec des pièces achetées pour 15 francs et des objets plus importants pour lui, acquis jusqu’à 4000 francs. C’est le cas d’un vase à quatre pans (inv. G122) aujourd’hui daté du règne de Kangxi (1662-1722), que Grandidier reproduit dans son ouvrage de 1894, La Céramique chinoise (Grandidier E., 1894, pl. XX). On remarque également que Fleuriot a vendu à Grandidier plusieurs pièces provenant de l’ancienne collection de porcelaine chinoise de l’électeur de Saxe Auguste le Fort (1670-1733) (inv. G49, G56 et G795).

Au musée oriental de 1869, Angéla Fleuriot expose une importante collection de tasses de porcelaine de Chine et Japon dans la vitrine 4 de la salle A consacrée aux arts chinois et japonais (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, p. 6). Elle présente également des plats et des assiettes de la Chine et du Japon (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, p. 7), ainsi que plusieurs pièces chinoises et japonaises dans l’armoire no 26 de la salle B (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, p. 17). La description des objets est peu détaillée ; on trouve toutefois quelques précisions sur ces objets et sur leur datation. Elle expose notamment un grand bol japonais « décoré de scènes européennes dans le style de Watteau » dans la salle D qui traite de « l’influence orientale » sur les arts européens (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, p. 27) ainsi qu’une « potiche en porcelaine de Corée » dans la salle F consacrée à la Perse (Guide du visiteur au musée oriental, 1869, p. 33). À l’occasion de cette exposition, le dessinateur parisien Émile Reiber (1826-1893) reproduit une pièce de la collection Fleuriot (Reiber E., 1877, pl. 90) : il s’agit d’une tasse et de sa soucoupe, en émaux polychromes sur couverte à décor d’éventail et de coq, en tout point semblable à la pièce G10 de la collection Grandidier qui provient elle aussi de la collection Fleuriot. Rien ne permet toutefois d’affirmer qu’il s’agit de la même pièce.