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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

DUTREUIL de RHINS Jules-Léon (FR)

Commentaire biographique

Jules-Léon Dutreuil de Rhins est né à Saint-Étienne le 2 janvier 1846, au sein d’une famille aristocratique dont l’un des membres fonda l’hôpital de la Charité à Lyon et un autre, échevin, fut guillotiné à la Révolution. Embrassant une carrière dans la marine militaire puis marchande, il répond à la demande d’officiers du roi d’Annam pour commander des canonnières cédées par la France en 1874. Il devient ainsi, entre 1876 et 1877, capitaine de l’un des cinq navires à vapeur de la flotte annamite, le Scorpion. Mettant à profit son expérience, il rédige alors plusieurs mémoires et notices géographiques et hydrographiques sur l’Indochine orientale (Annam), et notamment en 1879, Le royaume d’Annam et les Annamites (Dutreuil de Rhins J.-L., 1889) et dresse plusieurs cartes de l’Indochine orientale entre 1879 et 1886.

Jules-Léon Dutreuil de Rhins s’intéresse également aux voyages d’exploration de ses prédécesseurs (il publie en 1880 les Itinéraires de l’abbé Desgodins à l’est du Tibet, avec carte et en 1882 une Note sur la carte et les voyages du P. Creuse dans la Chine méridionale, avec carte), il conçoit alors le projet d’un voyage aux sources des fleuves de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, entre le Tonkin et le Turkestan et à travers le Tibet, en continuation des voyages de Ernest Doudart de Lagrée (1823-1868) et de Francis Garnier (1839-1873), mais il n’en eut alors pas les moyens. Attaché à la Mission de l’Ouest africain, il s’intéresse aux voyages de M. Bloyet dans l’Afrique orientale (Dutreuil de Rhins J.-L., 1882, p. 353-364) et de Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905) (Brazza, 1881, p. XIV) dans les bassins de l’Ogooué et du Congo et relève le cours de l’Ogooué, dans les actuels pays du Gabon et de la République Démocratique du Congo (Dutreuil de Rhins, 1883-1893).

Après la publication en 1889 de son ouvrage sur L’Asie Centrale : Tibet et régions limitrophes, fondé sur les écrits et témoignages des auteurs chinois et indiens ainsi que des voyageurs européens, il souhaite en compléter les lacunes.

Il est chargé par le ministère de l’Instruction publique de mener, à partir de 1891 et sur quatre ans jusqu’en 1894, une mission scientifique dans la Haute Asie et au Tibet, en passant par l’Asie Centrale (Turkestan russe et Turkestan chinois), avec pour point de départ Khotan. Malgré une subvention complémentaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, il doit réduire au maximum les frais et ne peut s’adjoindre qu’un seul collaborateur, Fernand Grenard (1866-1942) linguiste de l’École des Langues Orientales. Partis le 19 février 1891 et après avoir traversé au Turkestan russe les villes de Merv, Boukhara, Samarkand et Tachkent, ils atteignent Kachgar puis, munis d’un passeport délivré par les autorités chinoises pour voyager dans les provinces du Xinjiang, du Gansu, du Shaanxi et de l’ancien Zhili (actuel Hebei) ainsi qu’en Mongolie, arrivent le 7 juillet à Khotan, point de départ de leur mission.

Lors d’une 1ère expédition partie de Khotan le 3 août 1891, ils arrivent au Tibet à Mongrtza le 5 septembre, puis retournent vers le Ladakh par la chaîne de l’Altyn Tagh et le col de Kyzyl davan, le 20 septembre, avant de retourner à Niya le 20 octobre, et de rentrer à Khotan le 21 novembre, avec une collection de documents botaniques et minéralogiques. Durant leur 2e expédition partie de Khotan le 18 juin 1892, ils arrivent à Kéria et de là, après une nuit à l’oasis de Boghaz langar, ils arrivent, le 16 juillet, au village de Polour, d’où l’expédition se dirige vers les glaciers où se trouve la source de la rivière Kéria. Franchissant la chaîne de l’Oustoum Tagh, ils arrivent au Tibet par la route du Ladakh le 5 septembre, à un hameau de tentes, Mang-rtzé (dans le district de Rou-tog et la province de Tsang). Puis, ils se replient vers le Ladakh par le col du Chang La, et arrivent à Leh le 2 octobre, y restant jusqu’au 20, date de leur départ pour Khotan, en traversant le Kar-dong par le col de Karakoram. Ils arrivent à Log-dzong le 23 octobre, passent le col de Karakoram à la frontière entre le Ladakh et le Turkestan chinois (actuel Xinjiang) le 31 octobre, et retournent à Khotan le 11 novembre. La 3e expédition quitte Khotan le 4 mai 1893 pour ne plus y revenir. Dutreuil de Rhins et Fernand Grenard se rejoignent à Tchertchen où ils font une étape (Dutreuil de Rhins y arrive le 19 juillet), pour préparer leur expédition qui part le 3 septembre, fait halte à Toliouz-Davan, le dernier lieu habité, et repart le 8 pour franchir la principale chaîne de l’Altyn tagh par le col des laveurs d’or (Zarchou davan à 4 780 mètres, non loin d’une ancienne mine d’or).

Le 27 septembre, la caravane de chevaux, ânes et désormais aussi de chameaux, arrive près de la source de la branche la plus importante et la plus méridionale du Kara Mouren dans les premiers massifs de l’Arka tagh.

À partir du 10 octobre, la mission franchit plusieurs chaînes de montagnes par une succession de cols et arrive en pays tibétain, rencontrant pour la première fois un tibétain le 8 novembre, dans le pays de Nag-tchang (chef-lieu Sen-dja dzong) et parvenant, le 30 novembre, au lac du Nam tso, le lac du Ciel. Campant près de l’extrémité orientale du lac, elle se voit refuser l’autorisation de se rendre à Lhasa pour se ravitailler. Engagés par les autorités de Lhasa à se rendre à Nag-tchou (chinois Nagqu) pour s’y reposer et y recevoir le ravitaillement envoyé de Lhasa, les explorateurs atteignent la plaine de la Haute Salouen (la rivière Noire ou Nag-tchou) le 27 janvier 1894 (Dutreuil de Rhins, Grenard, 1897).

Décidant de prendre la route orientale menant à Xining (jamais encore suivie par un Européen, à la différence de la route occidentale déjà prise par le Père Huc [1813-1860] qui effectue une des premières missions d’évangélisation en Asie centrale et au Tibet [la seconde au Tibet]), les explorateurs, désormais accompagnés de yaks, franchissent le col Dza-nag Loung-moug la (5110 m.) d’où descend le Loung-moug tchou, découvrant ainsi, le 8 avril, la source du Mékong (Dza-nag tchou).

Le 16 avril, la mission, ayant perdu son dernier chameau, approche de Ta-chi gon-pa, le monastère de la félicité (situé sur les bords du Daqu (haut Mékong) et comptant alors près de trois cents moines) où devait se tenir une grande foire, afin d’y acheter ce dont elle avait besoin pour continuer sa route.

Mais, la mission, encore une fois indésirable, ne peut rien se procurer et doit se résoudre à gagner le bassin du Yangtze (Yangxijiang) et Gyé-rgoun-do (Jyekondo, chinois Yushu), important centre commercial, en prenant la route remontant le Pour-dong tchou. Elle parvient aux sources de ce dernier, puis du Dequ (un des principaux tributaires du Dza tchou) en franchissant le col du Dzé la (5 275 m.), ce qui lui permet de déterminer la limite septentrionale du bassin des sources du Mékong.

L’expédition atteint à la fin du mois de mai Gyé-rgoun-do (Jyekondo) et en repart le 1er juin 1894, pour se diriger vers le village de Tong-bou-mdo, où règne à son égard un climat de grande hostilité. À la suite d’un incident attisé par un vol de deux chevaux de l’expédition, le 5 juin 1894, Dutreuil de Rhins est mortellement touché par une balle tirée lors d’une attaque par les villageois tibétains de Tong-bou-mdo.

Après sa mort, Fernand Grenard, d’abord retenu prisonnier, s’efforce de récupérer ce qu’il peut de la mission et parvient à rejoindre Xining (Dutreuil de Rhins, Grenard, 1897).

Constitution de la collection

Les rares pièces rapportées par la mission Dutreuil de Rhins conservées au musée Guimet viennent de Yotkan et ont vraisemblablement été collectées alors que Jules-Léon Dutreuil de Rhins explorait les environs de Khotan, en attendant le retour de Fernand Grenard parti à Kachgar chercher les fonds nécessaires à la poursuite de leur deuxième expédition de 1892. Il s’agit d’environ une quarantaine de fragments de figurines ou de figurines entières en terre cuite (notamment de singes et d’un chameau). Les inventaires indiquent une théière, une aiguière et une pipe au musée Guimet de Lyon, quelques boutons d’argent, une boucle d’oreille en or et turquoise et des anneaux, flacon et figurine de jade tibétains.

La mission rapporte un manuscrit sur bouleau des 1er-3e siècles de notre ère, inscrit de passages d’un des textes fondamentaux du canon bouddhique de la tradition pâlie (ici en langue gandhari écrite en kharoṣṭhī, et dont il existe plusieurs traductions en ligne) le Dhammapada « Vers sur le Dharma ». Le manuscrit, versé à la Bibliothèque nationale de France, a été étudié dès 1898 par Emile Senart ("Le Manuscrit kharoṣṭhī du Dhammapada. Les fragments Dutreuil de Rhins", in Journal asiatique, Sept.-Oct.1898).