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Commentaire biographique

Joseph Ly, nom chinois Li Yuese (李約瑟) [Liu Q., 2017, table 34, p. 346] est né le 23 mars 1803 à Mianyang (沔陽) dans la province du Hubei (湖北) [Brandt J., no 81, p. 32] de parents agriculteurs (Anonyme, 1829, p. 33). Il est le quatrième enfant d’une famille de huit.

C’est, semble-t-il, par hasard, lors d’un voyage dans la province du Henan (河南) qu’il se rend dans une église catholique et fait la rencontre d’un prêtre nommé Paul Song (Anonyme, 1829, p. 34). Ce dernier lui enseigne la langue latine et les préceptes catholiques pendant plusieurs années avant que Joseph Ly n’entre au séminaire des lazaristes de Macao (act. Aomen [澳門]) le 28 avril 1827. Là, il poursuit son éducation au près du Père Louis Lamiot, connu en chinois sous le nom de Nan Mide (南彌德)[1767-1831] – Brandt J., 1936, no 26, p. 11-12]. Originaire de Bours dans le Pas-de-Calais, le Père Lamiot se trouvait en Chine depuis 1791 ; d’abord prêtre à Macao, il devient interprète à la cour de Pékin en 1794, puis supérieur de la Mission française en 1812, et fonde le séminaire interne des lazaristes à Macao (Brandt J., no 81, p. 32).

Après un court séjour au séminaire de Macao, Joseph Ly est envoyé en France en 1828 avec trois autres congénères : Jean-Baptiste Tcheng, Mathieu Lu, François Kiou. C’est là qu’il prononcera ses vœux, le 17 juillet 1829. Lors de leurs séjours, les quatre novices sont présentés au roi Charles X et à la famille royale, ainsi qu’à des savants orientalistes (dont Stanislas Julien [1797-1873] faisait très probablement partie) avec qui ils s’entretiennent en chinois (Anonyme, 1829, p. 43). Avant de prendre l’habit de séminariste, une foule de curieux s’amassait quotidiennement pour les voir et leur poser des questions sur leur pays et leur vie en France. C’est lors d’une de ces rencontres que Joseph Ly aurait manifesté son étonnement à avoir pu être accueilli sans la moindre difficulté et aussi aimablement par le roi de France (Anonyme, 1829, p. 45). Leur formation au séminaire des lazaristes, rue de Sèvres, aurait dû durer six ou sept ans, mais elle est écourtée par le supérieur général lazariste, Dominique Salhorgne (1829-1835), qui juge le climat antireligieux de la révolution de 1830 peu favorable à leur séjour en France (Liu Q., 2017, p. 347-348).

Un ouvrage publié au moment de son passage en France donne quelques indications sur son caractère et ses compétences (Anonyme, 1829). Il décrit un être sensible doté d’une grande piété filiale, d’un caractère plutôt réservé, s’exprimant la plupart du temps les yeux baissés. Il est apprécié pour ses capacités intellectuelles et sa grande facilité à s’exprimer en latin, langue qu’il aurait apprise en secret à une époque où les ordonnances de Qianlong interdisant de prêcher dans d’autres langues que le chinois (Anonyme, 1829, p. 35). Sa correspondance montre par ailleurs sa très grande maîtrise de la langue française (voir entre autres SMMN, SB 52).

Joseph Ly retourne donc en Chine dès 1831, et est ordonné prêtre à Manille le 8 avril 1832. Il est ensuite envoyé en mission dans le Jiangxi (江西) en novembre 1833. Celle-ci est interrompue à la fin de l’année 1833, afin qu’il remplace le Père Jean-Baptiste Torrette (nom chinois Tao Ruohan [陶若翰] 1801-1840), alors en exil à Canton, à la direction du séminaire de Macao. Dès le mois d’octobre 1833 il fait part de son désir de retourner en mission « pour travailler directement à l’affaire du salut de nos misérables Chinois » soulignant la profonde misère dans laquelle ont été jetées nombre de familles chinoises du Hubei à la suite d’inondations mortelles (Ly, 1833, p. 23-24). Jean-Baptiste Torrette cède finalement à l’« ardent désir » qu’avait Joseph Ly de retourner en mission et l’envoie dans le Jiangxi en 1836 (Torrette, J.-B., 1837, p. 103). Une lettre raconte son périlleux périple depuis Canton sur une route semée de voleurs et de porteurs malhonnêtes qui remplacent le contenu des valises par des pierres (Ly, 1837, p. 81-87). Une fois arrivé à destination, il se montre particulièrement dévot, travailleur et soucieux de la pauvreté qui sévit dans la région marquée par la famine. Il quitte le Jiangxi pour œuvrer quelques années dans le Zhejiang (浙江) où il séjourne de 1841 à 1845.

Il est ensuite chargé des chrétiens du Guangdong (廣東) en tant que vicaire général à Canton. Cette fonction ne lui conviendra guère ; il rencontre d’immenses difficultés à faire pénétrer la foi dans une province largement hostile à la présence étrangère, et qui considère la religion chrétienne comme la « secte des fan kouey » [fangui 番鬼], nom donné aux étrangers et signifiant « diable » (Ly, 1849, p. 203). Dans une lettre datée de 1848, il prie son supérieur de le remplacer, ou du moins de lui envoyer un confrère pour l’épauler dans ses travaux, de préférence chinois, car les Européens et tout particulièrement les Anglais attisent d’après lui « une haine tout-à-fait acharnée et inextinguible » (Ly, id.). Ses protestations envers l’évêque de Macao lui vaudront d’être relevé de ses fonctions en 1850 (Brandt J., id.). Il retourne alors dans le Jiangxi, où il avait effectué la plupart de ses missions, et s’éteint le 9 juin 1854.

Joseph Ly figure ici comme un important collecteur de matières premières entrant dans la composition de la porcelaine chinoise ainsi que d’objets en céramique permettant d’exemplifier les différentes techniques. À une époque où la présence étrangère est rigoureusement réglementée, les missionnaires actifs à l’intérieur des terres sont parfois les seuls interlocuteurs permettant de tisser un lien avec Chine.

Les « instructions sur la manière de faire de la porcelaine en Chine »

Alexandre Brongniart (1770-1847), savant administrateur de la manufacture de Sèvres, cherche depuis longtemps à obtenir des renseignements sur les techniques de fabrication de la porcelaine en Chine. Ses diverse sollicitations restent infructueuses jusqu'à ce que le duc de Luyne (1802-1867) le mette en contact avec son confrère de l'Académie des Belles lettres, le sinologue Stanislas Julien (1799-1873). Ce dernier propose de confier la requête aux missionnaires lazaristes, qu'il sollicite souvent pour des commandes de livres chinois. C'est de cette manière que Joseph Ly est mandaté pour rapporté des échantillons à destination de la manufacture selon une liste d'instructions bien précise.

Les archives de la manufacture de Sèvres conservent une lettre de Joseph Ly à son directeur, datée du 1er novembre 1844, explicitant les différents types d’échantillons rapportés et leur préparation (SMMN, 4W488). Dans cette celle-ci, Joseph Ly ne fait aucune allusion au contexte dans lequel il a recueilli ses informations et ses échantillons (SMMN, 4W388). Il mentionne seulement à la fin, le prix des dépenses « pour les salaires de ceux qui avaient cherché toutes les matières, et les pâtes de porcelaine et pour le prix des couleurs », ce qui sous-entend qu’il ne s’est pas acquitté seul de sa mission. Par ailleurs, d’après la biographie de Joseph van den Brandt, Joseph Li serait en mission dans le Zhejiang et non dans le Jiangxi en 1844. Or, au vu de l’importante quantité d’informations recueillies, il a très vraisemblablement dû séjourner à plusieurs reprises à Jingdezhen (景德鎮). De plus, la lettre qu’il adresse à la manufacture de Sèvres a bien été écrite à Jingdezhen. Il est donc probable que durant cette période, et spécifiquement pour les besoins de la manufacture de Sèvres, Joseph Ly se rendait périodiquement à Jingdezhen, quand il ne déléguait pas une partie du travail de collecte à des compatriotes.

Dans un premier temps, le courrier décrit les différentes provenances géographiques des matières premières : les roches et les agiles sont extraites de diverses localités autour du lac Poyang (鄱陽湖), en particulier des districts de Fuliang (浮梁縣), Qimen (祁門縣), Yugan (餘干縣), parfois même de la province voisine du Hubei (湖北), pour être acheminées ensuite sous forme de pâte à Jingdezhen, là où elles sont travaillées. Les mélanges entre les différents matériaux sont cruciaux pour obtenir une pâte assez plastique : alliant ce que les Chinois appellent l’os et la chair de la porcelaine, c’est-à-dire la pierre à porcelaine qui lui donne sa structure et l’argile kaolinique qui lui donne ses propriétés de finesse et de blancheur. Joseph Ly distingue ainsi les différentes « recettes » de pâtes à porcelaine, en les classant selon leurs qualités. Ainsi, pour celles de « h[au]te qualité, il faut employer 1 livre de pâte de Yu-Kang-hien [Yuganxian (餘干縣)] mêlée avec 1 livre de hoa-chy [huashi (滑石)] et avec 1 livre de Kaoling de Sy-Kang [Xigang (西港)]». Après les terres, Joseph Ly évoque les matières entrant dans la composition des couvertes, nommées youguo (釉果) et provenant de Donggang (東港) dans le district de Fuliang. En plus des argiles et des roches, il rapporte des herbes appelées langzhi (榔芝草) qui sont cuites avec de la chaux avant d’être mélangées à l’émail de la couverte. En tout, il rapporte douze matières premières, toutes marquées d’étiquette où sont annotés le nom des matériaux en chinois et parfois leur traduction. À cela s’ajoutent des pâtes préparées (qu’il appelle les boues) selon quatre compositions différentes et des petites tasses réalisées au moyen de ces pâtes.

La deuxième partie de ses envois concerne les couleurs utilisées dans la décoration des porcelaines chinoises. Il envoie 24 couleurs de qualité diverse, certaines préparées, c’est-à-dire broyées avec une poudre de plomb nommée qianfen (鉛粉), auxquelles s’ajoutent douze couleurs brutes pouvant être employées sans préparation. Parmi ces couleurs se trouvent également deux feuilles d’or servant à la décoration des porcelaines. Toutes les étiquettes de ces envois ont été préservées et compilées sous forme d’album conservé dans les archives du musée de Sèvres, ce qui permet de faire correspondre systématiquement le nom des anciennes transcriptions avec les caractères chinois correspondants. Certains échantillons ont été enveloppés dans des prospectus publicitaires, on trouve notamment un prospectus pour un marchand de bijoux situé à Canton (d'Abrigeon P., 2022, p. 160-161). Bien que cela ne soit pas spécifié dans la lettre de Joseph Ly, il est fort probable qu’une partie des échantillons liés à la décoration des porcelaines provienne de Canton, où se trouvaient des ateliers d’émaillage depuis les premières décennies du XVIIIe siècle.

Les envois de Joseph Ly ne se limitent pas à des matières premières ; il fait également parvenir à la manufacture une sélection de porcelaines et céramiques. Un catalogue dressé par le conservateur de l’époque, Denis Désiré Riocreux (1791-1872), consigne tous ces objets : on trouve des pièces classées selon leur qualité telles que : « Theyère [sic] blanche à col allongé ; l’émail et le biscuit sont de 1ère qualité » ou encore « Yang-Keou. [yanggou (洋狗)] Chien d’Europe. L’émail et le biscuit sont de 3ème qualité » (SMMN, 4W388). Ces objets seront entrés aux registres d’inventaire de Sèvres des numéros 3663.1 à 3663.10 et 3664.

L’arrivée des échantillons à Sèvres

Les caisses remplies de tous les matériaux et objets sont acheminées par bateau depuis Canton, Le Cardinal de Chéverus à Bordeaux, puis de Bordeaux à Nantes par l’Édith (capitaine Bardon) à Nantes en janvier 1846. La caisse remplie des échantillons arrive finalement à Sèvres en juin 1846. Il semble qu’une fois déballés, les échantillons furent immédiatement classés, étiquetés de nouveau, et exposés au musée de Céramique. Vers 1845, Stanislas Julien, conscient du grand intérêt de ces matériaux, demande à Joseph Ly de rassembler plusieurs ensembles d’échantillons mêlant terres, pâtes, couvertes et couleurs pour l’École des mines, le cabinet de minéralogie du Collège de France, ainsi que pour sa collection personnelle (SMMN U20 d. 19).

À la fin de sa lettre, Joseph Ly ne demande qu’à être indemnisé de la modique somme de 65 francs pour l’achat des matériaux, et prie seulement ses interlocuteurs « de faire prier pour nos missions chinoises, afin que le Bon Dieu daigne sauver tous nos Chinois païens ; pour lesquels notre seigneur Jésus Christ a versé tout son sang » (d’Albis A., 2011, p. 169 ; SMMN, 4W388). Alexandre Brongniart semble s’être acquitté de cette dette à l’arrivée des pièces à Sèvres, mais Stanislas Julien le presse d’exprimer autrement sa reconnaissance en offrant au supérieur général de congrégation M. Étienne plusieurs pièces de la manufacture de Sèvres dès la fin de l’année 1845. Ce dernier réitérera sa demande en 1847 auprès du successeur d’Alexandre Brongniart, Jacques Joseph Ebelmen (1814-1852), argumentant qu’il serait nécessaire de mettre le procureur dans de bonnes dispositions pour « lui demander [à l’avenir] d’autres services du même genre, ou plus importants, par exemple, l’acquisition d’échantillons de chacune des pièces de porcelaine antique que l’on imite, avec une rare perfection, à la manufacture impériale de King-te-tchin [景德鎮], et des pièces plus modernes que l’on exécute pour le palais impérial » (SMMN, carton U20, dossier 19, lettre du 22 septembre 1847) ou encore « d’autres articles de la manufacture de Nanking » (id. lettre du 16 septembre 1847). 

Expérimentations

Toutes les terres et couleurs rapportées par Joseph Ly font l’objet d’analyses et d’expérimentations. Dès le mois d’août 1846, les pâtes sont cuites à grand feu dans les fours de la manufacture de Sèvres. Les archives du musée conservent un « procès-verbal du passage au grand feu du four à porcelaine de Sèvres, sous la marque J. Ly 46 des matières envoyées de Kin-te-tching en 1844 par le Père Joseph Ly » (SMMN, 4W388). Les petits godets de cuisson ayant servi à ces essais sont toujours conservés au Musée national de Sèvres. Parallèlement à ces essais de cuisson sur les pâtes, le chimiste en chef de la Manufacture, Louis Alphonse Salvetat (1820-1882) procède à des analyses des éléments constituant les différentes terres et couleurs. Celles-ci donneront lieu à la publication de plusieurs mémoires, l’un publié le 25 novembre 1850 et l’autre le 26 avril 1852, par Ebelmen et Salvetat (Ebelmen J.-J., Salvetat L.-A., 1852). Ainsi que le souligne Antoine d’Albis, ces recherches eurent pour principal résultat d’identifier un des problèmes essentiels à l’utilisation d’émaux colorés sur la porcelaine à l’image des porcelaines chinoises : il ne s’agissait pas de différence de composition au niveau des couleurs mais au niveau de la pâte à porcelaine en elle-même (d’Albis A., 2011, p. 166-167). Par ailleurs, le même auteur remarque que taux d’oxyde de fer constaté par Salvetat dans l’analyse des pâtes à porcelaine est particulièrement élevé, ce qui tend à démontrer que les pâtes auxquelles aurait eu accès Joseph Ly n’étaient pas de la meilleure qualité (D’Albis A., 2011, p. 170).

État actuel des collections

Une partie des échantillons rapportés par Joseph Ly a pu être identifiée dans les réserves du musée de Sèvres, car ils sont encore conservés dans des boîtes étiquetées indiquant la provenance des matériaux. Subsistent principalement les terres et les minéraux, aucune trace des émaux colorés et autres matériaux de décoration n’a pu être mise au jour. Pour ce qui est des objets, nombre d’entre eux ont été rayés de l’inventaire, sans doute à la suite de destructions de la Seconde Guerre mondiale, dont les bombardements ont causé de sérieux dommages à la collection asiatique, seule une grenouille en porcelaine émaillée demeure encore intacte (MNC 3663.10). Les échantillons de couleurs de l’École des mines n’ont pas plus résisté à l’épreuve du temps : le musée de Minéralogie MINES ParisTech ne possède plus qu’un catalogue manuscrit des différents produits rapportés suivi des traductions de Stanislas Julien (Archives du musée de Minéralogie MINES ParisTech, Catalogue 1336).

La mission Joseph Ly ouvre la voie à une longue série de commandes effectuées par la manufacture de Sèvres pour l’obtention d’échantillons et de porcelaines chinoises qui jalonnent tout le XIXe siècle. Elle est unique par la diversité des matériaux rassemblé, la disparité de leurs provenances en Chine, et le systématisme avec lequel chaque élément rapporté est scrupuleusement identifié.