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Commentaire biographique

Le Muséum d’histoire naturelle consacra en 1959 le troisième volume de sa collection « Les grands naturalistes français » à la figure de Victor Jacquemont en abordant ses nombreuses facettes, de la botanique à la géologie en passant par la médecine, les voyages et la littérature. Ce riche volume (Muséum, 1959) permet, à côté de sa correspondance (Jacquemont V., 1833, 1841, 1867, 1869) et de son journal de voyage (Jacquemont V., 1841-1844) de suivre l’itinéraire du naturaliste au fil de sa vie qui fut aussi brève qu’intense.

La famille Jacquemont

Victor Jacquemont naît le 8 août 1801 (20 thermidor an IX) à Paris, d’une famille originaire d’Hesdin dans le Pas-de-Calais. Son père, Venceslas Jacquemont (1757-1836), et sa mère, Rose Laisné (1770-1818), eurent quatre enfants, dont une fille Louise (1798-1799), décédée en bas âge. Victor entretint une relation soudée avec sa famille, d’abord avec son frère Frédéric (1799-1844), consul de France sur le continent américain, puis avec l’aîné Porphyre (1791-1854), lieutenant-colonel dans l’artillerie, principal destinataire de ses lettres. Son père, qui l’a toujours soutenu et suivi dans ses activités, était une figure intellectuelle à la jonction des XVIIIe et XIXe siècles, pris entre ses aspirations religieuses et ses convictions politiques (Muséum, 1959, p. 16). Il occupa différents postes dans l’administration, au gré des mouvements de l’Histoire, fuyant la Terreur et s’opposant à Napoléon Bonaparte (1769-1821).

Les années de formation

Victor Jacquemont reçut au Lycée impérial (Louis-le-Grand) un enseignement complet, qu’il consolida au Collège de France, où il suivit notamment les cours de chimie de Louis Jacques Thénard (1777-1857) (Muséum, 1959, p. 16). Au cours d’une manipulation de laboratoire survint un accident qui l’obligea à vivre quelque temps à la campagne, favorisant sa vocation de naturaliste. Chez le marquis de La Fayette (1757-1834), puis chez Antoine Destutt de Tracy (1754-1836), il goûte à une existence où se mêlent les discussions humanistes et les considérations naturalistes (Muséum, 1959, p. 18). Il suit alors les cours de botanique de René Desfontaines (1750-1833) au Muséum d’histoire naturelle. Il entreprend différentes excursions en France, dans le Nord, dans le Midi, en Dauphiné, ainsi que dans les Alpes suisses, où il noue à chaque fois des amitiés durables avec des scientifiques qui contribuent à consolider sa vocation (Jacquemont V., 1933). En 1822, il s’inscrit à l’École de médecine de Paris, tout en continuant à suivre les cours de botanique et de géologie au Muséum (Muséum, 1959). Ses années de formation sont aussi celles pendant lesquelles il s’adonne à la vie mondaine des salons, notamment celui de Georges Cuvier (1769-1832), où il rencontre des personnalités du monde des lettres comme Stendhal (1783-1842) ou Prosper Mérimée (1803-1870). En 1826-1827, il entreprend un voyage aux États-Unis où il mène des excursions le long de la rivière Hudson. Il apprend durant cette même période que Louis Cordier (1777-1861), professeur de géologie au Muséum, finance une expédition en Inde, région encore mal connue des scientifiques français.

Le voyage en Inde

De retour en France en octobre 1827, il embarque à Brest le 26 août 1828 sur La Zélée pour un long voyage de huit mois, par Ténérife, Rio de Janeiro, le cap de Bonne-Espérance et l’île de la Réunion (île Bourbon), où un violent cyclone endommage le navire. Le 11 avril 1829, il fait escale à Pondichéry avant de débarquer définitivement à Calcutta le 5 mai. Il y séjourne quelques mois pour apprendre les langues indiennes et parfaire ses connaissances sur la botanique de l’Inde (Jacquemont V., 1841, vol. 1, p. 80-85). Son expédition suit d’abord la plaine du Gange, où il réalise des observations géologiques et botaniques, jusqu’à Bénarès. Il s’achemine ensuite à Delhi par la chaîne de montagnes des Vindhya où il commence ses collections minéralogiques. Sa halte à Delhi lui permet de classer ses collections et de préparer la suite de son expédition vers les contreforts himalayens jusqu’à Simla. Poussé par son désir de remplir pleinement la mission qui lui a été assignée par le Muséum, il s’engage dans une exploration de l’Himalaya, jusqu’au sommet du Kedarkantha (4 100 m), puis des versants tibétains. De retour à Shimla où il avait laissé ses premières collections, il loge chez le capitaine Charles Pratt Kennedy (17?-1875) et rencontre William Fraser (1784-1835) avec qui il noue une profonde amitié (Jacquemont V., 1833, vol. 1). Redescendu à Delhi via le Jardin botanique de Saharanpur, il y prépare son voyage au Pendjab et au Cachemire, aidé par Jean-François Allard (1785-1839), ancien général des armées napoléoniennes mis au service de l’empereur sikh du Pendjab Ranjit Singh (1780-1839). Descendant la rivière Sutlej, il rencontre Ranjit Singh à Lahore qui l’autorise à mener une expédition scientifique au Cachemire (Duvaucel A., Jacquemont V. 2015, p. 175-275). Les collections de Jacquemont s’enrichissent de spécimens minéralogiques, botaniques et zoologiques de première importance. Une fois de retour à Delhi, il décrit sommairement, emballe et fait envoyer ses collections en France (Jacquemont V., 1841, vol. 1, p. 297-301). Il y prépare la dernière partie de son voyage vers Bombay, à travers les plaines désertiques du Rajasthan et les montagnes du Deccan. Souhaitant observer la formation de la chaîne des Ghats occidentaux, il se rend sur l’île de Salsette, à quelques kilomètres de Bombay, où il tombe malade. Soigné à Bombay par le docteur John McLennan (1801-1874) qui le prévient de la gravité de son état, il rédige son testament, organise l’acheminement de ses collections en France, écrit à famille et règle ses funérailles (Jacquemont V., 1841, vol. 2, p. 344-345). Il meurt le 7 décembre 1832 et est enterré le lendemain au cimetière de Lonapur. Sa dépouille fut ensuite rapatriée à Paris en 1881 pour être inhumée dans un caveau du Muséum d’histoire naturelle (AN AJ/15/572). Sa volumineuse correspondance fut rapidement publiée par ses amis, notamment Prosper Mérimée (Jacquemont V., 1833), et son œuvre scientifique fit l’objet d’une importance publication entre 1835 et 1841 sous l’égide de François Guizot (1787-1874), alors ministre de l’Instruction publique (Jacquemont V., 1841-1844).

Les collections de Victor Jacquemont

Les collections naturalistes de Victor Jacquemont s’élèvent à 5 800 échantillons zoologiques, botaniques et minéralogiques (Muséum, 1959). Il les collecta durant son voyage en Inde du Nord entre 1828 et 1832. Il donna sur place une description sommaire de chaque échantillon, veilla à leur emballage et les envoya à Paris. Un premier envoi fut préparé en février 1832 à Delhi, d’où il ne partit que le 11 août de la même année (Jacquemont V., 1833). Les spécimens collectés dans l’intervalle furent préparés à Bombay où Jacquemont était soigné pour une maladie qui allait lui être fatale. Le 30 juillet 1833, son frère Porphyre Jacquemont remettait au Muséum d’histoire naturelle de Paris le catalogue manuscrit des plantes récoltées lors de son expédition (AN, AJ/15/572). Les collections, notamment l’herbier, parvinrent au Muséum en novembre 1833. L’herbier de Jacquemont compte environ 4 700 numéros (Muséum, Herbier général, cotes diverses ; Muséum, 1959, p. 311-364).

À ces collections, il faut ajouter l’œuvre de portraitiste de Victor Jacquemont qui dessina le profil des membres de sa caravane (serviteurs, palefrenier, jardinier, interprète, tailleur, batelier, etc.) et réalisa des portraits de villageois rencontrés dans l’Himalaya, de montagnards ou de dignitaires. Il réalisa aussi des dessins d’idoles vues dans des temples. À cet ensemble, il faut ajouter enfin les relevés géologiques, les profils et les coupes de chaînes montagneuses et de vallées (Jacquemont V., 1844).

À côté de sa volumineuse correspondance, le journal scientifique de Victor Jacquemont fut publié sous les auspices de François Guizot par l’imprimeur de l’Institut de France Firmin Didot. Cette édition monumentale comporte en tout six volumes. Les trois premiers volumes, publiés en 1841, contiennent l’édition du journal lui-même (Guizot F., Firmin-Didot, 1841, 3 vol.). Le quatrième volume, publié en 1844, contient la description des collections par les savants du Muséum d’histoire naturelle de Paris, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861) pour les mammifères, Henri Milne-Edwards (1800-1885) pour les crustacés, Émile Blanchard (1819-1900) pour les insectes, Achille Valenciennes (1794-1865) pour les poissons, Jacques Cambessèdes (1799-1863) et Joseph Decaisne (1807-1882) pour la botanique (Geoffroy Saint-Hilaire I., Milne-Edwards H., Blanchard É., Valenciennes A., Cambassèdes J., Decaisne J., Firmin-Didot, 1844). Deux volumes d’atlas publiés également en 1844 complétèrent cet ensemble, un volume de planches du journal et un volume de planches des collections décrites (Firmin-Didot, 1844, 2 vol.). À cette fin, une grande partie des dessins de Jacquemont fut reprise par des graveurs et des lithographes comme Hubert Roux (17?-18?) ou Louis Courtin (18?-18?). Pour les collections, on a fait appel à des dessinateurs spécialisés comme Werner pour les mammifères, A. Prévost pour les oiseaux, S. Cudart pour les crustacés ou E. Delile pour la botanique, sans que les éléments biographiques (dates et prénoms) puissent encore être déterminés.

Dans le domaine de la géologie, les échantillons, pierres et fossiles, rapportés par Jacquemont, de même que les profils et les coupes dessinés in situ, constituent une œuvre de pionnier. Les régions himalayennes notamment restaient fort mal connues de ce point de vue.

Dans le domaine de la botanique, l’herbier Jacquemont est accompagné du catalogue manuscrit divisé en trois parties : de Calcutta à Delhi et l’Himalaya, le Pendjab et le Cachemire, de Delhi à Bombay. Les 4 700 échantillons sont numérotés et les plantes décrites en latin, le plus souvent nommées et caractérisées par la localité et l’environnement du prélèvement (Muséum, Herbier général).

Dans le domaine de la zoologie, les envois ne furent pas aussi abondants à cause des besoins de naturalisation et de préservation. Plusieurs espèces furent dédiées à Jacquemont, comme le chat de Jacquemont (Felis Jacquemontii).