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Commentaire biographique

Peintre à la formation académique et au regard réaliste, Lansyer est un artiste connu notamment pour ses marines, ses paysages et ses vues d’architectures. Collectionneur passionné et auteur de poèmes, il réalise également des portraits, des natures mortes et des aquarelles japonisantes, en forme d’éventail. Sa carrière atteint l’apogée du succès en 1881, année où il est nommé chevalier de la Légion d’honneur et devient membre du jury du Salon.

Milieu familial et formation artistique

Emmanuel Lansyer est né le 19 février 1835 à Bouin, un petit bourg de Vendée, et décédé à Paris le 21 octobre 1893, à l’âge de 58 ans. À trois ans, il s’installe avec sa famille à Machecoul, car son père, Fidèle Alexandre Lansyer (né en 1880), obtient un poste de médecin au collège de Pontlevoy.

En 1847, Lansyer entre au collège royal de Nantes, où ses parents l’envoient en raison de ses mauvais résultats scolaires. Ce sera pour lui une période très douloureuse, durant laquelle son seul soulagement est le dessin, matière où il obtient un prix chaque année. Son talent est apprécié par ses professeurs, notamment par le père Laydet, peintre amateur, qui lui fait copier ses propres études. Durant ses journées de sortie, Lansyer passe son temps au musée des Beaux-Arts de Nantes, où il étudie les œuvres de Camille Corot (1796-1875), de Charles-François Daubigny (1817-1878) et de Théodore Rousseau (1812-1867) (Blacas, D., 2004, p. 8).

Ses parents s’opposent à son désir de devenir peintre, en particulier son père, qui envisage pour lui une carrière dans le notariat ou dans l’administration des finances. Le jeune homme est donc obligé à accepter un compromis et s’oriente ainsi vers des études d’architecture. En 1855, il va apprendre le métier auprès de son cousin architecte Alfred Dauvergne (1824-1885)à Châteauroux. Deux ans après, il achève sa formation à Paris. Ici, Lansyer entre à l’atelier d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), où il apprend les différents procédés techniques du dessin (Blacas, D. de, 2004, p. 10). Il est apprécié par son maître qui lui propose un poste d’architecte de département. Déterminé à devenir peintre, Lansyer refuse cette opportunité et transmet à ses parents sa décision, ce qui suscite une réaction très violente de la part de son père, qui lui coupe les vivres, alors que sa mère continue à lui envoyer de l’argent (Blacas, D. de, 2004, p. 11).

À Paris, Lansyer suit les cours de dessin classique à l’École nationale avec Lamotte, peintre de sujets historiques, sans négliger ses études en plein air. Son fusain Paysage d’hiver, accepté au Salon de 1861, est remarqué par la critique. En décembre 1861, il s’inscrit à l’atelier que Gustave Courbet (1819-1877) vient d’ouvrir à Paris. C’est auprès du maître du réalisme qu’il débute sa formation à la peinture à l’huile. Cette expérience ne dure que quelques mois, mais elle sera essentielle dans la carrière du jeune artiste. En août 1862, Lansyer rejoint l’atelier d’Henri Harpignies (1819-1916) à Cernay, où il reprend ses études en pleine nature, soutenu par les conseils de son maître, grâce auquel Lansyer peut finalement trouver sa voie dans la peinture de paysage. Il retourne ensuite à Cernay à plusieurs reprises (1869, 1875 et 1877).

Lansyer présente au Salon de 1863 sa première peinture, mais il est rejeté. Il accepte alors de l’exposer au Salon des refusés, où elle ne pas passe pas inaperçue connaissant un certain succès (Blacas, D. de, 2004, p. 12-13).

Lansyer peintre voyageur

Lansyer passe d’habitude ses hivers à Paris pour retravailler ses tableaux destinés au Salon, et voyage le reste de l’année.

En 1863, Lansyer part pour le Finistère. Il s’installe à Douarnenez, où il retrouve d’autres peintres et divers poètes parnassiens, Sully Prudhomme (1839-1907) et José Maria de Hérédia (1842-1905) entre autres, à qui il se lie d’amitié. Il devient bientôt une figure majeure de ce petit cénacle d’artistes et poètes séjournant en Bretagne. Dans ce décor champêtre et marin, où il retourne durant quatorze années, Lansyer passe de longues heures à peindre en plein air, inspiré par les contrastes lumineux et la végétation (Blacas, D. de, 2004, p. 14).

En 1868, Philippe Burty (1830-1890) lui commande une gravure intitulée La Fontaine, pour son recueil Sonnets et eaux-fortes publié l’année suivante (Bailly-Herzberg, J, 1985, p. 177).

En 1870, Lansyer entreprend un voyage à la découverte de l’Italie, où il débarque à Rome. L’année suivante c’est le soleil du Sud de la France qui attire le paysagiste. Il y retournera vers 1890 à la recherche d’un climat tempéré, sous les conseils de son médecin, ayant des problèmes de santé (Blacas, D. de, 2004, p. 140-143).

Vers 1875, Lansyer séjourne dans sa région natale, peu fréquentée par les artistes, où il saisit les effets de la lumière et se consacre à la représentation des marais salants, notamment au lever du jour. Il se dirige ensuite dans le Nord, à Lille, puis sur la côte normande, séduit par la puissance des vagues et des masses rocheuses. Ces dernières font l’objet d’études réalisées sur l’île d’Ouessant, où il débarque en août 1885, fasciné par les paysages sauvages (Blacas, D. de, 2004, p. 23-24 ; 48). À partir de 1882, Lansyer consacre une série d’études à Parthenay, à Clisson et au château de Saint-Loup-sur-Thouet. C’est notamment dans les vues du patrimoine architectural français que son talent se déploie, comme le montre par exemple le Belvédère du Petit Trianon présenté au Salon de 1889 (MO, n.inv. RF624). Parmi les nombreux lieux qui ont inspiré ses tableaux, on compte la vallée de Chevreuse, la forêt d’Yvelines, le Mont-Saint-Michel, Granville, Loches, en particulier son château, Menton et Venise, où il séjourne plus d’un mois en 1892. En 1889, à l’occasion de l’exposition universelle, la ville de Paris lui commande deux séries de vues : la première concernant les rues de la capitale et la seconde consacrée aux immeubles portant des plaques commémoratives (Blacas, D. de, 2004, p. 164).

La maison musée Lansyer

Pour échapper à l’oubli, Lansyer rédige l’inventaire de ses œuvres et de celles faisant partie de sa collection ainsi que sa biographie. Collectionneur passionné, il commence à acheter des objets d’art chinois et japonais probablement à partir des années 1870 auprès des boutiques de curiosités et des marchands d’art asiatique à Paris. Lansyer fréquente souvent les ventes aux enchères, où il achète divers spécimens de sa collection orientale (Moscatiello, M., 2011, p. 88).

Lansyer lègue à la ville de Loches sa maison familiale, 6 000 objets dont près de 500 tableaux, environ 2 000 gravures, plus de 1 000 objets asiatiques, près de 2 000 photographies, sa bibliothèque ainsi que ses objets personnels. Ce don est portant soumis à certaines conditions, qu’il précise dans son testament : « Il sera crée à Loches, dans ma maison sus-indiquée, un musée qui portera le nom de Maison Lansyer et qui sera à perpétuité entretenu aux frais de la ville de Loches. […] Je veux qu’une fois prélevée sur le capital légué par moi la somme nécessaire à la première installation du musée, le revenu du capital restant soit uniquement employé à l’entretien, à l’embellissement, à l’extension de ce musée et de ses collections […] » (Maison-musée Lansyer, Loches (MMLL), Fonds Lansyer, s.c.). Le conseil municipal de Loches accepte le legs Lansyer lors de la séance du 7 novembre 1894 et le 13 juillet 1902 le musée est inauguré (Blacas, D. de, 2004, p. 166).

La maison musée Lansyer à Loches abrite un nombre important de tableaux et carnets de croquis de Lansyer ; ses œuvres sont également conservées dans d’autres institutions tels le musée d’Orsay, le musée Carnavalet ou les musées des Beaux-Arts de Tours, de Rennes et de Quimper.

Distinctions

Emmanuel Lansyer est nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1881. L’insigne, composée d’une étoile à cinq rayons, est léguée à la ville de Loches en 1893, ainsi que d’autres récompenses. Lansyer obtient diverses médailles durant sa carrière : aux Salons de 1865, 1869, 1876, et 1881, à l’exposition de Carcassonne de 1867, à l’exposition internationale de Londres de 1872, à l’exposition universelle de Vienne de 1873, à l’exposition internationale des Beaux-arts et de l’industrie de Londres de 1874, au Salon des Arts décoratifs de 1880, à l’exposition des Arts décoratifs de 1882 et à l’exposition d’Amsterdam de 1883. À partir de 1881 et jusqu’à 1891, Lansyer est membre du jury du Salon (MMLL, Fonds Lansyer, s.c.).

Constitution de la collection

Lansyer est un collectionneur aux multiples facettes. Il s’intéresse aux peintures et dessins d’artistes anciens et modernes parmi lesquels on compte Eugène Delacroix (1798-1863) et Viollet-le-Duc. Il est particulièrement sensible à la gravure dont il constitue un ensemble remarquable comprenant des spécimens de Canaletto (1697-1768), de Giovanni Battista Piranesi (1720-1778), deGustave Doré (1832-1883), de Victor Hugo (1802-1885), de Jean-François Millet (1814-1875) et de Corot. Sa collection comprend également des portraits et des croquis de lui réalisés par divers artistes dont François Louis Français (1814-1897), Augustin Feyen-Perrin (1826-1888), Auguste Alexandre Hirsch (1833-1912), James Tissot (1836-1902) et Carolus-Duran (1837-1917). Il possède aussi un ensemble important d’environ 2 000 photographies, dont certaines très rares (MMLL, Fonds Lansyer, s.c.).

Comme maints artistes de son époque, Lansyer est fasciné également par l’art de l’Asie orientale, en particulier chinois et japonais, dont il ressemble une collection de pas moins de mille spécimens. Dans son testament rédigé le 11 septembre 1891 (MMLL, Fonds Lansyer, s.c.). Lansyer destine une partie des tableaux et des dessins lui appartenant à ses amis ou à des institutions, comme son portrait de Carolus-Duran (1837-1917) légué au musée du Luxembourg, aujourd’hui au musée d’Orsay (inv. RF 1127, LUX 751). Quant au reste de ses biens, il souhaite les léguer à la ville de Loches. En particulier, pour sa collection d’art asiatique, il précise : « Je donne et lègue à la ville de Loches tous les objets constituant ma collection de bronzes chinois et japonais, tous les objets constituant ma collection de laques du Japon ; étagères, panneaux, boîtes, plateaux, ma collection complète de kakemonos, peintures sur soie, ma collection complète d’étoffes et costumes de la Chine et du Japon, d’armes, d’armures, albums du Japon en noir ou en couleur, émaux cloisonnés, boîtes en bambou, paravents, faïence et porcelaine et tous divers autres objets, le tout chinois et japonais » (MMLL, Fonds Lansyer, s.c.).

Lansyer a probablement commencé à collectionner des objets chinois et japonais à partir de 1872. En effet, cette date marque la première vente aux enchères de ses œuvres, qui produit vingt-huit mille francs, lui permettant, à partir de ce moment, de vivre dans l’aisance, car il continue à vendre aux particuliers plus qu’aux marchands. Avant cette date, il habite un modeste pied-à-terre à Montparnasse, n’ayant pas les moyens pour louer un vrai atelier.

Lansyer a vraisemblablement acheté ses objets à Paris, dans les boutiques de curiosité ou les galeries d’art et d’artisanat de la Chine et du Japon, très nombreuses à partir des années 1860 (Moscatiello, M., 2011, p. 60-66).

Il est difficile d’attester si le peintre a fait des achats à l’occasion des expositions universelles de 1867, 1878 ou 1889 ; pourtant il est très probable qu’à l’instar d’autres artistes de son époque, il ne laisse pas échapper l’opportunité de visiter les sections chinoises et japonaises, qui obtiennent un grand succès auprès du grand public et des amateurs. Par ailleurs, il est certain que Lansyer côtoie les ventes aux enchères surtout autour des années 1872-1874 et souvent avec son ami, le poète José Maria de Hérédia (1842-1905) avec qui il partage sa passion pour les arts chinois et japonais. (MMLL, Fonds Lansyer, s.c.).

Plusieurs objets de sa collection d’art asiatique sont présentés à l’occasion de manifestations publiques, telles la septième exposition de l’Union centrale des Arts décoratifs de 1882 ou l’exposition rétrospective de l’art japonais organisée par Louis Gonse (1846-1921) en 1883 (Catalogue de l’exposition rétrospective de l’art japonais, 1883, p. 409), attirant l’attention d’amateurs et d’experts comme Edmond de Goncourt (1822-1896) ou Paul Gasnault (1828-1898), qui font l’éloge de divers spécimens appartenant à l’artiste (Gasnault, P., 1883, p. 253-254). La collection d’art asiatique de Lansyer renferme des fukusa réalisés à l’aide de satins très précieux et d’une utilisation copieuse du fil de papier doré. Il s’agit d’un type particulier de fukusa, dit kakebukusa qui servait à couvrir un présent placé sur un plateau à l’occasion de célébrations spéciales, tels les mariages. Les fukusa sont sans doute les objets les plus remarquables de la collection japonaise constituée par Lansyer. Quant aux autres objets, il faut mentionner divers bronzes datables du XIXe siècle, qu’on trouve dans d’autres collections de l’époque telle celle de Henri Cernuschi (1821-1896). Comme les textileset les bronzes, les autres spécimens de la collection montrent que les goûts de Lansyer en matière d’art japonais étaient très proches à ceux de ses contemporains, surtout pour ce qui concerne les estampes, les albums et les livres illustrés. La collection comprend également des estampes, dont diverses séries complètes. La plupart de ces gravures sont signées par des artistes de l’école Utagawa, tels Toyokuni I 豊国 (1769-1825), Kunisada 国貞 (1786-1865), Kuniyoshi 国芳 (1797-1862), Sadakage 貞景 (actif 1818-44), Yoshitora 芳虎 (actif 1850-80). Parmi les nombreuses estampes sur papier crépon, très diffusées et appréciées dans les milieux artistiques de la seconde moitié du XIXe siècle, on compte des œuvres d’Utagawa Hiroshige II 歌川広重 2代目 (Shigenobu) (1826-1869) et de Toyohara Kunichika 豊原国周 (1835-1900). Les livres illustrés et les albums occupent une place importante dans la collection de Lansyer qui, comme divers japonisants de son époque, appréciait le génie de Katsushika Hokusai 葛飾北斎 (1760-1849).

L’inventaire dressé par Lansyer mentionne également une série de dix-huit kakemono et deux paravents dont la plupart sont illustrés de sujets s’inspirant du monde naturel. Cela laisse penser que l’un des aspects qui conquirent le peintre, ainsi que divers amateurs de son époque, fut l’attention que les artistes et les artisans japonais accordent au monde végétal et animal. La collection d’Emmanuel Lansyer, qu’il faut compter parmi les japonisants de la première heure, représente une des très rares collections d’art de l’Asie orientale restées presque intactes. Elle témoigne des goûts d’un peintre en matière d’art japonais et donne des précieux renseignements sur la qualité et la variété des objets chinois et japonais, qu’on pouvait trouver à Paris entre 1870 et 1890.