MIGEON Gaston (FR)
Commentaire biographique
Gaston Migeon, collectionneur discret, mais conservateur célébré par ses pairs, est connu pour son action exceptionnelle au musée du Louvre où il effectue la grande majorité de sa carrière. Il est considéré aujourd’hui comme un acteur indéniable de l’entrée des arts de l’Islam – qu’il désigne comme « musulmans » – et de ceux de la Chine et du Japon dans le plus célèbre des musées français.
Éducation, formation et carrière de Gaston Migeon au musée du Louvre
Gustave Achille Gaston Migeon est né le 25 mai 1861 à Vincennes au domicile de ses parents, Nicolas Gustave Migeon et Éléonore Dorothée Aucouteau, 68, rue de Fontenay (AD 94, 1 NUM/VINCENNES 72). Licencié en droit, il devient attaché en 1888 au cabinet du ministre de l’Instruction publique Édouard Lockroy (1840-1913), puis est nommé bibliothécaire et secrétaire de l’École du Louvre en avril 1889 (AN, LH/1873/15). Quatre ans plus tard, il est nommé attaché à la conservation du département des Objets d’art du Louvre nouvellement créé. L’entité est alors dirigée par le conservateur Émile Molinier (1857-1906). En 1900, Gaston Migeon est nommé conservateur adjoint du même département, puis en prend la tête après le départ de Molinier en 1902. Il suit en cela le parcours traditionnel des conservateurs du musée à cette période, souvent promus au sein de leur département. Sa formation initiale s’écarte toutefois des formations plus traditionnelles que sont l’École des Chartes ou celles d’Athènes et de Rome (Masson G. dans Bresc-Bautier G., 2016, vol. III, p. 73). Il semble qu’il ait été en grande partie autodidacte comme l’évoque son ancien collègue du département des Antiquités orientales Edmond Pottier (1855-1934) dans la nécrologie qu’il lui consacre, où il rend hommage à sa « force de caractère » (Pottier E., 1930, p. 309-310).
La carrière de Migeon auprès du ministre de l’Instruction publique, puis au sein des musées nationaux a été récompensée par de nombreuses distinctions : officier d’Académie en 1889, il est fait officier de l’Instruction publique en 1895, puis chevalier de la Légion d’honneur en août 1900. Cette dernière récompense lui est octroyée sur le rapport du ministre du Commerce à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Lors de celle-ci, il prend part à la mise en place de l’Exposition rétrospective de l’art français au Petit Palais, pour laquelle il a été détaché comme sous-chef du service des Beaux-Arts. Il sera fait officier en octobre 1921 (AN, LH/1873/15). Il quitte le musée du Louvre en 1923 après plus de trente ans de service et se voit décerner la distinction de « directeur honoraire des musées nationaux » (AN, LH/1873/15, Koechlin R., 1931c, p. 18). Jusqu’à sa mort, il reste attaché au Louvre, siégeant notamment au conseil artistique des musées nationaux à partir du 1er février 1926 (AN, 2015015/112, p. 362). Il meurt à son domicile, 5, rue Puvis-de-Chavannes à Paris, le 29 octobre 1930, à l’âge de 69 ans (AP, 17D242, acte 2073).
L’action de Gaston Migeon au département des Objets d’art est prolifique, si bien qu’il est aujourd’hui tenu comme un « inventeur » du département des Arts de l’Islam (Makariou S. dans Bresc-Bautier G., 2016, vol. III, p. 103) et comme celui auquel on doit les premières salles d’art extrême-oriental du musée (Schwartz-Arenales L., 2015, p. 42, Privat-Savigny M.-A., « Migeon, Gaston »). Il s’intéresse à tous les sujets auxquels touchent ses activités de conservateur et s’illustre dans les domaines des objets d’art européens, orientaux et extrême-orientaux, par son enrichissement et sa gestion des collections, ses écrits et ses enseignements. Selon Laure Schwartz-Arenales, « cette conjonction de curiosités et de savoirs est sans doute […] l’un de traits les plus captivants de l’œuvre et de la pensée de Migeon. » (Schwartz-Arenales L., 2015, p. 52) Travailleur infatigable, il voyage beaucoup, la plupart du temps pour le compte du musée. Il demande ainsi une mission à Londres en 1894 pour « comparer au British Museum et au South Kensington Museum les collections persanes et de l’Extrême-Orient avec nos collections de même ordre au Musée du Louvre ». Il se rend à Londres en 1910 avec son collègue du département Carle Dreyfus (1875-1952), à Saint-Pétersbourg en 1913, accompagné cette fois-ci de Jean-Joseph Marquet de Vasselot (1871-1946), mais aussi à Vienne (AN, 20150497/178, dossier 268 ; Pottier E., 1930, p. 310). Plus jeune, il s’était déjà rendu en Algérie aux côtés du peintre Étienne Dinet (1861-1929), puis voyagera en Égypte avec Charles Gillot (1853-1903) et Raymond Koechlin (1860-1931), ou encore en Palestine, en Syrie ou en Asie Mineure (Koechlin R., 1931c, p. 15 ; Silverman W., 2018, p. 68, 74 et 322). Fait notoire, car unique pour un conservateur français en ce début de XXe siècle, il se rend au Japon à l’automne 1906 et y reste quelques mois.
Une personnalité du monde des arts et des musées
Gaston Migeon entretient de nombreux liens personnels et d’amitié avec des figures majeures de l’art et de la curiosité de la fin du XIXe siècle et des trente premières années du siècle suivant. Il est notamment bien connu des artistes et des collectionneurs japonisants. On lui connaît l’amitié du joaillier Henri Vever (1854-1942), du graveur Prosper-Alphonse Isaac (1858-1924), du graveur imprimeur Charles Gillot et du collectionneur Raymond Koechlin qui lui dédie ses Souvenirs (Koechlin R., 1930). Férus d’art japonais et nés entre 1853 et 1861, leurs activités succèdent à celles deux générations de japonisants français sur lesquelles Migeon porte un regard sévère (Collection Ch. Gillot, 1904, p. VII ; Migeon G., 1924, p. 237). Il mesure ainsi leur goût et leurs connaissances à l’aune d’un retour à un art japonais plus ancien amorcé avec l’Exposition universelle de 1900 et à un développement des études qui lui sont consacrées. Avec Vever, Koechlin, Gillot et Isaac, Gaston Migeon fait partie des Amis de l’art japonais, une société fondée par Siegfried Bing (1838-1905) en 1892 et reprise par Vever entre 1906 et 1914. Migeon est présent dès le premier dîner de la société aux côtés notamment d’Edmond de Goncourt, Félix Régamey et Hayashi Tadamasa (Haberschill L. dans Quette 2018, p. 100). Ses échanges avec les autres japonisants ne se limitent pas à ces soirées consacrées aux discussions sur l’art à la présentation de morceaux choisis de leurs collections. Dans sa correspondance, Henri Vever évoque d’autres rencontres, notamment dans son atelier (Silverman W., 1898, p. 155, 167). Celle de Hayashi Tadamasa (1853-1906) fait, quant à elle, part des échanges entre le marchand japonais et l’homme de musée, le second rendant compte des acquisitions qu’il souhaiterait mener pour le Louvre et sollicitant également l’avis du premier sur certaines pièces (Koyama-Richard B., 2001, p. 203). Tout en témoignant de la situation de ces amateurs en France dans les années 1885, qu’il a connue, Migeon constate la disparition des grandes collections d’art japonais françaises, dispersées lors de ventes dont il lui incombe souvent d’écrire la préface du catalogue (Migeon G., 1924, p. 236-237).
Plusieurs de ces relations japonisantes vont enrichir la collection d’arts de l’Extrême-Orient du Louvre. Migeon est aussi en contact avec les collectionneurs les plus importants de son époque, comme les membres de la famille Rothschild avec lesquels il échange autour des objets d’art islamiques et japonais (Prevost-Marcilhacy P., 2016, vol. II, p. 108, 186 et 216). On le sait également très proche de la marquise Arconati-Visconti (1840-1923) [BnF, NAF 15647.XIV, FF 176]. Migeon est un homme actif dans les débats d’idées et les échanges autour des collections privées de son temps. Ami de Koechlin, il est également en lien avec d’autres personnalités de l’Union centrale des arts décoratifs, dont il est membre du conseil d’administration jusqu’en 1921 (Prévost-Marcilhacy P., 2016, vol. II, p. 186).
Migeon, promoteur des arts de la Chine et du Japon
« L’œuvre de G. Migeon est le fruit de ce double et considérable effort : il laisse après lui des livres où l’on peut s’initier à la science, un beau musée où l’on peut étudier des originaux. » (Pottier E., 1930, p. 309) Dans le domaine des arts de la Chine et du Japon – comme dans celui des arts de l’Islam –, Migeon est un nom fréquemment cité et ses contemporains ont régulièrement mis en avant son dévouement et son énergie. Au-delà d’une excellente connaissance des différentes collections privées et de son activité auprès des amateurs, celui-cise révèle un formidable promoteur des arts de l’Extrême-Orient par le déploiement des collections au musée, la publication de nombreux ouvrages sur le sujet et l’enseignement qu’il prodigue à l’École du Louvre.
L’histoire relayée par les premiers biographes de Migeon, comme Koechlin qui est l’un de ses plus proches amis (Koechlin R., 1930, 1931c), fait de ce dernierl’initiateur des collections d’arts extrême-orientaux du Louvre (Koechlin R., 1931c, p. 5). Cette idée, souvent reprise, est aujourd’hui relue à la lumière de nouvelles recherches sur l’action de Georges Clemenceau (1841-1929) dans le domaine des arts (Séguéla M., 2014a, 2014b) et son implication, aux côtés de critiques comme Roger Marx (1859-1913) et Gustave Geffroy (1855-1926), dans l’entrée des arts japonais au Louvre. Cet engagement se concrétise par l’achat de deux sculptures japonaises au marchand Siegfried Bing en 1891 (« Au Musée du Louvre », 1907).
Les archives des musées nationaux font bien part de la participation active de Migeon dans la mise en place de collections d’art extrême-oriental et son activité foisonnante dans l’enrichissement des collections. Il sollicite à de nombreuses reprises les collectionneurs et intervient également auprès du conseil artistique des musées nationaux pour procéder à de nouvelles acquisitions (Koechlin R., 1930, p. 103-104 et 1914, p. 19-20). La correspondance d’Henri Vever révèle les stratégies mises en place pour enrichir les collections. En plus de ses liens d’amitié avec la plupart des premiers donateurs de la nouvelle section, comme Vever (Possémé E. et Atiken G., 1988), Migeon use de sa position de conservateur pour négocier les prix auprès des marchands (Silverman W., 2018, p. 103).
À ce premier noyau composé des deux sculptures japonaises achetées chez Bing (MNAAG, inv. EO1 et EO2) s’ajoutent un certain nombre d’objets issus de libéralités et ceux qui étaient déjà présents au sein du musée, dispersés au gré de l’enrichissement des différents départements. L’arrivée de la collection de porcelaine chinoise d’Ernest Grandidier (1833-1912) en 1894 puis celle de céramique japonaise en 1895 sont un enrichissement exceptionnel pour la jeune section extrême-orientale. L’embryon des collections, principalement constitué d’estampes et d’objets d’art japonais, est alors rapproché des deux ensembles donnés par Grandidier et installés dans une salle adjacente à celles abritant ces derniers à l’entresol de la Grande Galerie (AN, 20144787/13). La collection n’aura de cesse, par la suite de s’accroître et de se déployer à l’entresol. Aux huit salles en enfilade consacrées aux collections Grandidier succèdent, à partir de 1912, les pièces des missions d’Alfred Foucher (1895-1897), d’Édouard Chavannes (1906-1907) et de Paul Pelliot (1906-1907), puis deux nouvelles galeries présentant des objets d’art de la Chine et du Japon (Guide Joanne, 1912, p. 65-66). Ce réaménagement, entrepris sous la houlette de Migeon, réunit à la majorité des collections extrême-orientales situées à l’entresol les pièces rapportées par Foucher qui se trouvaient aux Antiques, celles de Pelliot qui prenaient place au rez-de-chaussée du musée, du côté des Tuileries et tous les objets que le manque de place avait remisés en magasin (Koechlin R., 1912, p. 44). Ces espaces se développent à la place de l’ancien appartement du directeur du Louvre, Théophile Homolle (1848-1925). Ils ne sont pas très adaptés : comme les salles occupées par la collection Grandidier, ces espaces en cul-de-sac sont voûtés et sombres (AN, 201444794/32, lettredu directeur des musées nationaux et de l’École du Louvre au sous-secrétaire d’État des Beaux-Arts, datée du 21 mars 1911).
À partir des années 1905-1910, Migeon cherche à enrichir et à compléter les collections de pièces anciennes (Migeon G., 1912a, 1912b ; Michel A. et Migeon G., 1912, p. 163-167). Il cherche à acquérir des pièces ayant un intérêt « archéologique autant qu’artistique » (Migeon G., 1912a, p. 79). Pour lui, la collection comporte à cette date de nombreuses lacunes « difficiles à combler pour certaines périodes » (Michel A. et Migeon G., 1912, p. 165). Il déplore l’absence, dans le legs Camondo de 1911, de « sculpture en pierre de ces anciennes dynasties Han, Wei et Tang dont nous connaissons d’authentiques chefs-d’œuvre importés en France depuis quatre ou cinq années » (Vitry P., 1914, p. 84).
Le nom de Migeon est par ailleurs attaché à plusieurs dizaines d’ouvrages, d’articles, de préfaces de catalogues de ventes et de catalogues de collections, dans tous les domaines couverts par son département (Privat-Savigny A.-M., « Gaston Migeon »). En ce qui concerne les arts de la Chine et du Japon, il leur consacre plusieurs articles, notamment dans la Revue de l’art ancien et moderne (Migeon G., 1924, 1926, 1928). Aux publications diffusant les collections du musée (Migeon G., 1912a, 1912b, 1925, 1927 et 1929) s’ajoutent des articles sur des sujets plus précis, notamment les textiles (Migeon G., 1905a) et les estampes (Migeon G., 1914b) ou encore sur les musées d’art asiatiques (Migeon G., 1897, 1928). La carrière de Migeon se déroule à une période charnière dans le développement des connaissances sur ces arts en France. À l’action des diplomates et des collectionneurs dans leur étude et leur promotion au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, succède une prise de conscience de leur ancienneté, avec notamment la découverte des arts anciens du Japon à l’Exposition universelle de 1900. Pour la Chine, les missions de Pelliot et Chavannes et les nombreuses excavations d’objets anciens sur le sol chinois portent le goût des collectionneurs vers les périodes antérieures à la dynastie Ming (1368-1644), dont les œuvres affluent dans la capitale. Migeon reste toujours prudent lorsqu’il écrit l’histoire des arts chinois et japonais, tant les connaissances sur le sujet restent selon lui « provisoires » (Migeon G., 1905b, avant-propos, n. p.). À propos de la peinture chinoise, il déclare : « Notre critique tâtonne et trébuche devant les œuvres de peinture, même quand elles nous émeuvent le plus ; car elles nous laissent l’amer sentiment du scepticisme et le découragement de notre impuissance à connaître » (« Observations sur la peinture chinoise », 1926, p. 201), ajoutant qu’il s’agit là d’un sujet « si formidable et mystérieux » (p. 205). Il s’éloigne systématiquement des théorisations et des synthèses (Migeon G., 1905a, p. 89, 1908 p. 2-3, Verneuil M., 1908, p. 7), faisant montre de peu d’initiative dans ce domaine. Son ouvrage consacré aux chefs-d’œuvre de l’art japonais (1905) témoigne bien de son positionnement. La publication est un très grand format où toute la place est laissée à la reproduction des œuvres. Il désigne lui-même son ouvrage comme un « album de documents d’art japonais » et cherche à y publier des documents « inédits ». Il déclare que « le texte est ici réduit aux plus strictes proportions : c’est l’image, avant tout, qui doit parler » (Migeon G., 1905b, avant-propos, n. p.). Il en va de même, par exemple, dans son Art japonais (1927), où les cartels et les œuvres succèdent directement à de très brefs textes introductifs consacrés à chacun des domaines abordés.
En 1903, Migeon prend la relève de Molinier à l’École du Louvre et assure les cours liés au département des Objets d’art. Il consacre cet enseignement aux arts de la Chine et du Japon en 1907 et 1908, à la suite de son voyage au Japon (Marquet de Vasselot J.-J., 1932, p. 88). À l’automne 1906, il s’est en effet embarqué pour l’archipel via les États-Unis où il séjourne avec Ernest F. Fenollosa (1853-1908) chez Charles L. Freer (Fenollosa E., 1913, p. X). Le célèbre historien de l’art japonais, qui a longtemps résidé au Japon et a rempli plusieurs missions pour le gouvernement japonais, lui fournira des lettres d’introduction lui permettant d’accéder à de nombreux temples et sites (Fenollosa E., 1913, p. X). Migeon publie le récit de son voyage en 1908. Auparavant paru sous forme de lettres dans la presse, il pense son ouvrage comme un compte rendu de ses « impressions » (Migeon G., 1908, p. 11). De cette mission qui lui a été accordée par le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Étienne Dujardin-Beaumertz (« Au Musée du Louvre », 1907), il rapporte plusieurs œuvres anciennes pour le Louvre, alors considérées comme « des révélations dont l’équivalent, s’il se trouve en d’autres musées d’Europe, ne s’y trouve qu’à l’état d’exception, et de précieuses et rares exceptions » (« Au Musée du Louvre », 1907).
Migeon revient aux arts de l’Extrême-Orient dans ses cours en 1919 et 1920 (Marquet de Vasselot J.-J., 1932, p. 89). Ces années consacrées aux arts de la Chine et du Japon font de Migeon un véritable « précurseur » pour Marquet de Vasselot qui souligne la nouveauté de ce domaine d’enseignement à l’École du Louvre. Un des anciens auditeurs de Migeon dresse avec émotion le portrait d’un enseignant passionné et impliqué dans ses recherches, curieux et faisant preuve d’une grande sensibilité artistique (Jean R., 1932, p. 91). Celle-ci, tout comme ses affinités pour les arts orientaux et extrême-orientaux qui s’expriment en particulier pour le Japon, est peut-être liée à des ascendants familiaux, la famille Migeon s’étant illustrée à Paris au XVIIIe siècle dans le domaine de l’ébénisterie (Koechlin R., 1931c, p. 4 ; Mouquin S., 2001 ; Schwartz-Arenales L., 2009 et 2015).
Constitution de la collection
Les témoignages sur les pratiques de collectionneur de Migeon sont rares. En 1898, Vever raconte avoir examiné à Vincennes chez madame Migeon, les collections de son fils qui sont, selon lui, modestes, mais intéressantes (Silverman W., 2018, p. 129). Koechlin déclare même que « M. Migeon n’était pas un collectionneur, et, en eût-il eu l’âme, il aurait considéré sans doute que son devoir de conservateur au Louvre ne lui permettait pas de faire concurrence chez les antiquaires ou dans les ventes au département dont il avait la charge ; mais il aimait à embellir le décor de sa vie d’œuvres d’art à son goût, et comme il avait commencé fort jeune à acheter et qu’il continua jusqu’au dernier temps, il avait fini par constituer un très agréable ensemble. » (Koechlin R., article 1931, p. 21).
Sa collection privée, aujourd’hui dispersée, nous est connue par deux ventes (1911 et 1924) et une vente après-décès (1931) ainsi que par les nombreuses libéralités dont il a fait profiter le Louvre. Ses collections se développent dans trois domaines : le dessin et la peinture, en particulier impressionnistes, les arts de l’Islam et ceux de la Chine et du Japon.
Une lecture attentive de l’inventaire des collections extrême-orientales du Louvre (« inventaire EO ») nous permet de relever les différentes libéralités du conservateur. En 1894, il fait d’un don au musée d’une estampe attribuée à Hiroshige (inv. EO268). Il offre en 1907-1908 une collection de grès coréens et japonais rapportés de sa mission au Japon (inv. EO900-925). Les pièces acquises par lui lors de son voyage en 1906 sur les crédits du musée avaient été inscrites à l’inventaire un peu plus tôt (inv. EO829-EO856). Il participe ensuite, en 1909, au financement d’une acquisition auprès du marchand Léon Wannieck (1875-1931) de céramiques chinoises « archaïques » (inv. EO931-EO957) avec Atherton Curtis (1863-1943), Jacques Doucet (1853-1929), Ernest Grandidier, Raymond Koechlin et Alexis Rouart (1839-1911). Il réalise un nouveau don collectif en 1911 en cédant huit estampes au musée (inv. EO1041 à 1048) aux côtés de Koechlin et d’Isaac. Il fait don de plusieurs bronzes chinois et d’autres objets métalliques la même année (inv. EO1464 à 1499), ainsi que d’une collection de « compte-gouttes » (inv. EO1500-1517). Il lègue en 1931 trois inrō (inv. EO 2880-2882), une boîte ronde en laque (inv. EO2883) et une statuette en bronze de la dynastie Ming (inv. EO2884). Ses libéralités ne se limitent pas aux arts extrême-orientaux : son legs comporte par exemple plusieurs œuvres impressionnistes et un mortier en bronze (AN, 20150157/113 et 20150157/41) et réserve quelques œuvres au musée des arts décoratifs.
En 1911, Gaston Migeon met en vente des pièces chinoises et japonaises de sa collection. On trouve, dans le catalogue de la vente, peut-être rédigé par Marcel Bing (1875-1920), qui en est l’expert, des sculptures en bois japonaises, six bronzes chinois et japonais, notamment de la dynastie Ming, des brûle-parfum chinois et japonais, des « compte-gouttes », plusieurs vases chinois et japonais, un bronze cloisonné chinois du XVIIe siècle, des grès japonais des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, notamment des raku, des gardes de sabres japonaises, des manches de couteaux avec leur lame, des laques japonais des XVIIe et XIXe siècles, des inrō, des netsuke ainsi que des peintures et des estampes japonaises. Sa deuxième vente, cette fois-ci expertisée par André Portier (18?-1963), prend place en 1924. Les enchères pour les objets chinois et japonais ont lieu les 22 et 23 février. On trouve surtout des bronzes chinois (34 lots) et japonais (92 lots), des laques, des netsuke, quelques porcelaines de Chine et plusieurs céramiques du Japon, ainsi que des tsuba, quelques estampes, un kogo, une fibule en pierre dure et un lot de pièces en vannerie, et des étoffes japonaises et chinoises, notamment de la dynastie Qing (1644-1911). La vente après-décès est plus diverse et comporte 848 numéros. Pour les objets extrême-orientaux, on trouve 421 numéros pour l’art japonais (estampes, aquarelles, dessins, éventails, pochons, peintures, laques, bronzes, céramiques, tissus, livres, masques, meubles, vases et divers) et seulement 27 pour l’art chinois (bronzes, céramiques, tissus et broderies) [Oudin H., 1994, p. 32].
Comme dans ses écrits, Migeon montre dans ses collections une nette préférence pour l’art japonais. Celles-ci sont modestes, tout comme sa fortune (Oudin H., 1994, p. 32). Il s’approvisionne notamment chez les marchands parisiens de la période comme Hayashi, et n’a peut-être pas donné tous ces objets rapportés du Japon au Louvre, ce qui prête à penser que certaines pièces passées aux enchères ont été acquises sur le sol japonais. Il semble avoir sélectionné rigoureusement les quelques pièces formant ses collections, comme l’évoque Vever. Migeon déclare d’ailleurs en 1898 : « Il n’est pas indispensable qu’une collection soit considérable, mais il faut qu’elle soit de choix, et que toute pièce qui la compose, à défaut d’une profonde émotion d’art, apporte au moins avec elle un enseignement ou un sérieux élément de curiosité » (Migeon G., 1898, p. 256). Koechlin abonde en ce sens, estimant que les dons de Migeon au Louvre sont « modestes, mais toujours utiles » (Koechlin R., 1931b, p. 23). Très intéressé par les estampes, il acquiert notamment des œuvres « primitives » qu’il expose en février 1909 au musée des Arts décoratifs de Paris (Vignier C., et Koechlin R., 1909). Il se distingue également par sa collection de petits bronzes chinois, en particulier de la dynastie Ming (Migeon G., 1929, p. III ; Vitry P., 1914, p. 84 ; Koechlin R., article 1931).
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