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Formation

Le grand-père d’Auguste, Gilles Lesouëf (1744-1837), originaire de Bayeux, est marchand de soieries à Paris. Nous le retrouvons au début du siècle associé à son fils Charles-Abel (1784-1857) — père d’Auguste — dans le commerce de l’or et de l’argent (Acte de fondation de la société, 1821. Arch. Fondation SL, carton 3, documents concernant Charles et Auguste-Léonard Lesouëf) . Ce dernier cesse ses activités au milieu des années 1820 ; il place sa fortune dans des immeubles, des titres de rentes et des obligations de chemin de fer, dont il comprend immédiatement l’avenir (Champion, P., 1942. Champion, P., « Auguste Lesouef, collectionneur », La Gerbe, 15, 22 janvier 1942. Carteron, G., 1985).
Placé en pension en 1839, le jeune Auguste Lesouëf manifeste tôt des aptitudes aussi variées qu’éloignées des projets paternels : poésie, dessin, histoire, latin et grec. Son oncle, Léonard-Auguste, grand voyageur et peu doué pour le commerce, l’encourage à apprendre les langues étrangères, notamment l’anglais, l’italien et l’allemand (Correspondance entre Charles-Abel et Léonard-Auguste Lesouëf, Arch. Fondation SL, carton 3, documents concernant Charles et Auguste-Léonard Lesouëf, 1840-1844). Auguste Lesouëf prépare le baccalauréat ; son père, voulant en faire un négociant, le place tout d’abord chez un parent de Marseille, marchand de savon. Puis chez M. Duché, avoué, où il prépare sa licence de droit. 
C’est sans doute dans la riche bibliothèque paternelle qu’Auguste Lesouëf cultive son goût pour l’histoire et les récits de voyage. Ces lectures, aussi bien que la fascination exercée par les multiples périples de son oncle, nourrissent la curiosité du jeune Lesouëf pour l’archéologie et la découverte de terres nouvelles, curiosité qu’il tourna plus tard vers les civilisations d’Extrême-Orient (Catalogue de la bibliothèque de Charles-Abel Lesouëf. MSS Smith-Lesouëf 172, BnF, dpt Manuscrits). Il approfondit cet intérêt pour l’histoire et l’archéologie au cours de ses premiers voyages ; en 1851 à l’Exposition universelle de Londres (Passeport daté du mois d’août 1851. Arch. Fondation SL, carton 12, diplômes, 1851), ou en 1863 en Italie (Arch. Fondation SL, carton 3, lettres reçues par Mme Charles Lesouëf, 1863, 1865). Il voyage ensuite relativement peu jusqu’à la mort de sa mère en 1876 ; il reste auprès d’elle pour lui faire la lecture dans l’appartement du 109 boulevard Beaumarchais, qui avait appartenu à son grand-père (Champion, P., 1942).
La fortune réunie par son père, l’héritage de son oncle en 1869, puis de sa mère en 1876 donnent à Auguste Lesouëf les moyens et le loisir d’élaborer sa collection (Partage entre Auguste-Léonard Lesouëf et la succession de Charles-Abel Lesouëf, 1857. Et : Acte de partage du 24 janvier 1866. Arch. Fondation SL, carton 15, propriétés d’Auguste Lesouëf). Il y consacre la majeure partie de sa fortune : le poids de ses acquisitions dans le budget de Lesouëf est significatif et témoigne de l’exclusivité de la passion du collectionneur pour ses livres (Arch. Fondation SL, carton 15, Factures). Lesouëf conserve, par ailleurs, toute sa vie une certaine parcimonie dans son mode de vie, restant dans son appartement du boulevard Beaumarchais. 
Les éléments de biographie d’Auguste Lesouëf nous fournissent les traits d’un certain type de collectionneur, dont nous trouvons le portrait dans les publications contemporaines : absence d’activité économique, célibat, modestie du cadre de vie, refus du paraître, sociabilité restreinte aux sociétés savantes.

Une sociabilité savante

Lesouëf fait partie de cette notabilité disposant de suffisamment de loisirs et d’aisance pour se permettre d’adhérer à plusieurs sociétés savantes et d’en suivre l’activité. Lesouëf est présenté à la Société d’ethnographie par Léon de Rosny (1827-1914), premier professeur de japonais en France et personnage qui dirige toute l’orientation de la Société. Les circonstances de leur rencontre sont mal connues ; Lesouëf semble avoir un rôle de mécène, finançant les voyages et la publication de fac-similés de Rosny, comme il le fit plus tard pour Pierre Champion (1880-1942) en 1904. Lesouëf est élu membre de la Société d’ethnographie en avril 1872 et fait immédiatement partie du Conseil de la Société d’ethnographie, ce qui lui donne la possibilité de participer de façon active aux décisions de la société, comme la désignation de l’administration. Il se distingue en proposant plusieurs prix, dans le but de favoriser les publications. Le prix Urechia, du nom du délégué de l’Institution ethnographique en Roumanie, est destiné à récompenser les travaux sur l’ethnographie de cette région. Lesouëf met à la disposition des chercheurs ses collections de livres anciens japonais et chinois et des ouvrages sur les études américaines, en publiant leur catalogue sous forme de bulletin dans les revues de la Société d’ethnographie. La reconnaissance des services du collectionneur au sein des sociétés savantes lui vaut plusieurs récompenses, diplômes d’honneur (1881) et médailles (1883, 1888).

La Société d’ethnographie, au recrutement très ouvert sur l’étranger, a un réseau de sociabilité savante à travers le monde qui permet à Lesouëf d’établir des contacts avec les américanistes et orientalistes européens. Elle est, pour le passionné de civilisations étrangères qu’est Lesouëf, le cadre de missions vers des destinations sinon lointaines, du moins originales pour son temps, comme la Roumanie ou la Bulgarie.

Lesouëf et Rosny utilisent ce réseau dans leurs différents voyages à but scientifique : Finlande, Espagne, Portugal, Roumanie, Grèce… Lesouëf finance sans doute les déplacements du savant.

Plusieurs traductions sont publiées sous le nom de Lesouëf, ainsi que des études sur des ouvrages de sa collection ; il fait également des communications lors des séances de la Société d’ethnographie. Les sujets portent sur des contenus très différents : civilisations péruvienne, américano-indienne, océanienne, chinoise. L’éclectisme des études menées par Lesouëf répond au projet pluridisciplinaire élaboré par la Société d’ethnographie ; il se comprend dans la perspective d’une étude comparative des civilisations n’hésitant pas à mettre côte à côte le Japon et la Grèce, approche qui n’aura plus cours à la fin du siècle.

Lesouëf n’est d’ailleurs pas seulement membre de la Société d’ethnographie : il est nommé membre titulaire de la Société d’anthropologie de Paris en janvier 1877, de la Société indochinoise en octobre 1877 ; en 1884, membre titulaire de la société de géographie de Saint-Valéry-en-Caux ; en 1887, membre ordinaire de la Société asiatique italienne (BNF, Dpt Mss, Arch. Smith-Lesouëf, carton 12, diplômes).

Un recentrement sur Paris après 1890

Lesouëf ne s’éloigne guère de Paris après 1889, et passe ses journées principalement chez les libraires, ou aux séances des sociétés savantes. Les seuls témoignages de ses échanges avec les libraires sont donnés par Pierre Champion (Champion, P., 1942), qui assiste aux conversations des clients rassemblés dans la boutique d’Honoré Champion (1846-1913) quai Voltaire. C’est une « librairie à chaises », où chaque habitué avait sa place (Monfrin, J.,1978, p. 32). Lesouëf est un de ces habitués et noue des rapports étroits avec la maison Champion : il subventionne les fac-similés des Plus anciens monuments de la typographie parisienne (1904) et collabore avec Honoré Champion pour l’édition de manuscrits et de cartes (Champion, P., 1942). « Auguste Lesouëf s’asseyait dans le cercle, sur la chaise de canne, prenant discrètement part à la conversation générale, écoutant le plus souvent ; il formulait, avec certaine moue, une observation où se marquaient le doute, le scepticisme le plus profond… » (Champion, P., 1942, p. 5). 
Dans ses dernières années, il perd peu à peu la vue en raison de son diabète. Il meurt des suites d’un accident de circulation, renversé par un fiacre en août 1906.

Les acquisitions

In memoriam Keiko Kosugi (1939-2000).

Plutôt qu’à une collection d’objets d’art, Lesouëf se consacre à l’élaboration d’une bibliothèque. On trouve des traces d’achats dès 1859 (Arch. Fondation SL, carton 15, Factures, Librairie artistique). En 1869, il se procure un ouvrage sur la bibliophilie (ibid. Lemoigne). Ses achats se font systématiques dans les années 1870 – 1890 et ralentissent au début du siècle. Après l’Exposition universelle de 1889, il s’intéresse aux americana, délaissant les domaines chinois et japonais (Lesouëf A., 1899-1906). Vers la fin de sa vie, les achats d’objets semblent se faire plus importants. Alors presqu’aveugle, Lesouëf a en effet des difficultés à apprécier sa collection de livres et d’estampes : il acquiert des armes blanches, des armes à feu, des soldats en étain, des monnaies, des statuettes, une armure et un casque japonais (Arch. Fondation SL, carton 13, Achats ; Champion, P., 1942, p. 5).

Composition de la collection

La collection est connue par les différents inventaires réalisés après la mort du collectionneur (Champion P., Fonds Smith-Lesouëf, manuscrits orientau ; Fondation Smith-Lesouëf : Manuscrits, et les catalogues établis par la Bibliothèque nationale après le legs de 1913 (Roman d’Amat, J-C., 1919 ; Champion, Pierre, Ricci, Seymour de., 1930 ; Inventaire des estampes [et des dessins de la] Fondation Smith-Lesouëf], s. d. ; Bibliothèque de A. Lesouëf : portraits, catalogue des entrées). Cotée  Smith-Lesouëf, sauf exceptions, elle est actuellement répartie entre les différents départements de la BnF. Les collections du département des Manuscrits sont décrites dans la base Archives et Manuscrits de la BnF (Érudits et bibliophiles, Smith-Lesouëf). Les collections des autres départements sont présentes dans le Catalogue général de la BnF. Une partie de la collection est numérisée et accessible dans la bibliothèque numérique Gallica ou dans la base de données Mandragore.

Cette collection frappe par sa diversité : un seul regard sur les provenances des livres ou des objets, sur les thèmes abordés, mais aussi sur les supports, convainc de la richesse des centres d’intérêt du collectionneur. De nombreux exemplaires relèvent de critères propres à la bibliophilie du temps, manuscrits enluminés, riches reliures, provenances prestigieuses ; mais cette collection possède aussi une indéniable valeur documentaire, et reflète une volonté d’accumuler des matériaux d’intérêt historique. 

Auguste Lesouëf réunit une collection de volumes imprimés allant du XVe au début du XXe s., des estampes sur l’histoire de France, des partitions imprimées des XVIIIe et XIXe s., des manuscrits, des peintures, des miniatures, des monnaies, etc. La curiosité du collectionneur ne se cantonne pas à l’histoire européenne, et l’éclectisme de ses goûts le conduit à rassembler des ouvrages sur les civilisations les plus lointaines : Orient, Amérique, Mexique, Extrême-Orient.

La collection de livres imprimés comprend environ 18 000 ouvrages, cotés Smith-Lesouëf (BnF, dépt. Histoire, Philosophie, Sc. de l’Homme). Le classement du fonds d’imprimés correspond à l’organisation matérielle du fonds à la Fondation Smith-Lesouëf de Nogent-sur-Marne, où elle est conservée de 1919 à 1980 : « Salle » (« S ») pour les ouvrages accessibles au public dans la salle de lecture, « Réserve » (« R ») pour les ouvrages conservés en magasin. La plus grande partie concerne la littérature, dans des éditions bibliophiliques, et l’histoire, principalement l’histoire de Paris, l’histoire du costume et l’histoire de l’art. Les classiques français, latins et grecs y sont très largement représentés. On trouve également des milliers de volumes sur l’Asie et l’Amérique : premiers textes imprimés, premiers récits de voyages, manuels de langue. Les ouvrages imprimés les plus précieux, comme les incunables, les livres du XVIe s., les éditions originales d’auteurs du XVIIe siècle, un fonds de « Nains » (livres de très petit format) et un « Enfer » sont conservés à la Réserve des Livres rares de la BnF (3 000 titres).

Les gravures occidentales, conservées au département des Estampes et de la Photographie, comptent près de 17 500 numéros pouvant contenir plusieurs pièces. Cette collection se divise en cinq grandes catégories : topographie (le vieux Paris étant un des principaux sujets d'intérêt de Lesouëf) ; histoire (particulièrement l'histoire révolutionnaire); mode et costumes, uniformes militaires et art, avec un ensemble d'estampes originales et de reproductions (Beaumont-Maillet, L, 1993). Lesouëf, à la différence des collectionneurs contemporains, n’acquiert que peu d’estampes japonaises, privilégiant les peintures et les manuscrits.

Le département des Manuscrits conserve les manuscrits occidentaux, ainsi que les collections orientales et extrême-orientales anciennes : xylographes, estampages, peintures et manuscrits (Berthier, A. 2000).

Le fonds de manuscrits occidentaux Smith-Lesouëf compte 200 manuscrits allant du XIe au XIXe siècles, choisis pour leurs riches reliures (citons un évangéliaire du XIs. Smith-Lesouëf 1), leurs précieuses enluminures (Le Livre des trois âges, manuscrit enluminé du XVe s. comportant des scènes de chasse. Smith-Lesouëf 70), ou leur provenance prestigieuse. Il compte également des recueils d’autographes et des manuscrits d’orientalistes, notamment Ferdinand Denis (1798-1890).

58 manuscrits concernent le monde musulman : corans, manuscrits persans (16 volumes, dont 11 à peintures) et turcs, recueils de peintures et de calligraphies mogholes à provenances célèbres (Firmin-Didot) ; cet ensemble manifeste le goût du collectionneur pour l’art de la miniature (recueil de peintures indo-persanes, Smith-Lesouëf 242). 29 manuscrits sont d’origines diverses : russes (3), arméniens (4), hébreux (2), coptes (1), éthiopiens (2), cambodgiens (4), javanais (2), pâli-birmans (2), siamois (2) singhalais (1), mexicains (5). Et 15 manuscrits portent sur les études américaines et mexicaines contemporaines (Smith-Lesouëf 177-192). La collection Smith-Lesouëf Vietnamien compte 26 titres ; il s’agit de textes de doctrine chrétienne, imprimés à la Mission du Tonkin occidental entre 1860 et 1870. Les collections de xylographes et manuscrits chinois et japonais manifestent les liens d’Auguste Lesouëf avec Léon de Rosny et la Société des études japonaises, intégrée à la Société d’Ethnographie.

Le fonds Smith-Lesouëf chinois compte un peu plus de 200 titres. Il comporte des éditions des classiques, des romans et des dictionnaires. Deux éditions impériales se distinguent : le Gengzhitu de 1696 aquarellé (Smith-Lesouëf chinois 69) et le Xiqing gujian. On trouve également des albums de peintures : fleurs et oiseaux, scènes de la vie chinoise, datant des XVIIIe et XIXe siècles (Feng yue qiu sheng [tu ce], 1846, Smith-Lesouef Chinois 52 ; albums de peintures d’arhat, sur feuilles de l’arbre de bodhi, Smith-Lesouëf chinois 57).

Le fonds Smith-Lesouëf japonais comporte 275 titres. Il couvre une période, qui s’étend de l’époque Kanbun (1661-1673) à 1895. La majorité sont des xylographes datant de la deuxième moitié du XIXe siècle ; les domaines les plus représentés sont l’art et la géographie. Il faut souligner l’importance relative des albums de peintures (Nara ehon), comme l’Ikoku monogatari, Smith-Lesouëf japonais 3) et des rouleaux enluminés (comme le Sutra de Kannon de Kikuchi Yōsai, 1835, Smith-Lesouëf japonais K 44) ; cette orientation fait toute l’originalité de la recherche de Lesouëf par rapport aux collectionneurs japonistes qui privilégient l’art de lagravure et l’ukiyo-e ; Lesouëf a une approche du document extrême-oriental fondée sur des critères d’unicité et, dans son esprit du moins, d’ancienneté. Cette prépondérance accordée aux manuscrits enluminés ou aux recueils de peintures, seul genre auquel Lesouëf consacre un article, est ainsi à rapprocher des critères de la bibliophilie de son temps, que l’on retrouve dans sa collection occidentale. C’est avec l’arrivée de la collection Smith-Lesouëf en 1913 que les premiers manuscrits à peintures japonais entrent à la BnF. Ils ont été mis en valeur par Keiko Kosugi (1939-2020), responsable du fonds japonais au département des Manuscrits de la BnF, et la spécialiste Jacqueline Pigeot (Kosugi, K., Pigeot, J., Satake, A., 1984, 1993 ; Kosugi, K., Pigeot, J., 1987, 1995, 2001). La collection des rouleaux (Kakemonos, 1897) contient également quelques rouleaux coréens.

Enfin, la collection comporte 160 objets chinois, japonais, indiens…conservés au département des Manuscrits (numérisés).

Plusieurs manuscrits furent exposés lors des Expositions Universelles de 1878 (Carte d’exposantArch. Fondation SL, Boîte « Éphémérides, cartes de vœu »)  et 1889 (Exposition rétrospective de l’histoire du travail : Exposition universelle de 1889 à Paris…, 1889, p. 208-209), dans une perspective ethnographique concernant les techniques et les matériaux employés.

Cette collection réunie par Auguste Lesouëf, où prennent place de nombreux ouvrages sur la bibliophilie, laisse entrevoir sa volonté de former une collection de livres répondant à des critères de rareté ou de beauté. Cependant, une autre préoccupation marque la constitution de sa bibliothèque : l’érudition contemporaine. Ces deux orientations sont indispensables pour comprendre l’hétérogénéité déconcertante, au premier abord, de cette collection. Ainsi, à côté d’une recherche certaine de l’objet rare, Lesouëf veut rassembler de façon exhaustive les textes et les illustrations autour de thèmes comme l’orientalisme, cherchant à reconstituer l’histoire de la discipline à travers les publications de ses plus illustres représentants. L’accumulation et l’utilisation de critères hétérogènes semblent avoir été l’essentiel d’une méthode qui conduisit à une bibliothèque riche de belles reliures, de manuscrits célèbres, d’autographes et d’ouvrages aux illustres provenances, à côté de toute une production reflétant les nouveaux intérêts de la bibliophilie à partir des années 1870, les ouvrages illustrés du XIXe siècle, et de pièces de moindre intérêt bibliophilique comme les publications des sociétés savantes. Ses acquisitions résultent d’une collecte extensive de documents sur tel ou tel thème privilégié, et reflètent également les liens de sociabilité qui entourent la curiosité du collectionneur pour les civilisations extra-européennes.

Le legs de 1913 et le devenir de la collection Smith-Lesouëf

Après la mort soudaine d’Auguste Lesouëf en août 1906, la collection reste entreposée au 109, boulevard Beaumarchais, demeure du collectionneur. Le libraire Honoré Champion avait des liens étroits avec Auguste Lesouëf : son fils, Pierre Champion, est chargé de faire l’inventaire de sa bibliothèque ; c’est à cette occasion qu’il rencontre Madeleine Smith (1864-1940), qu’il épouse en 1907 (Arch. Fondation SL, carton 29, Journal de Madeleine Smith). La sœur d’Auguste Lesouëf, Léontine Smith (18.. - 1912), héritière de la collection, fait une proposition de legs à l’État dès 1908. Cette décision a sans doute été accélérée par la volonté de faire obstruction à un projet de construction de voie routière dans le parc de la propriété des Smith : Léontine Smith souhaite voir classer le site en échange du don des collections de son frère à l’État (BnF. Archives de l'administration. Carton E 87. Dossier « Généralités », lettre de M. Babelon du 17 oct. 1911). Seul le jardin de la propriété est classé parmi les sites et monuments naturels de caractère artistique, par un décret du 19 février 1909 du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts (Arch. Fondation SL, carton 2. « Classement de la maison du 16, rue Charles-vii »). Le legs à la Bibliothèque nationale, délivré le 2 juin 1913, est accepté par le comité consultatif de la Bibliothèque nationale (BnF. Archives de l’administration. Carton E 87. Chemise « Conseil d’administration).

Les travaux de la Fondation commencent en 1913 et sont sans doute achevés avant le début de la guerre (Arch. Fondation SL, cartons 41-42, correspondance de Jeanne Smith, 1913). Madeleine et Pierre Champion placent les livres d’Auguste Lesouëf sur les rayons de la bibliothèque au cours de l’hiver 1919 ; les objets d’art sont alors disposés dans des vitrines. La Fondation ouvre ses portes au public dans le courant de l’année 1920 (BnF. Archives de l’administration. Carton E 87. Dossier « Collections » : notes 1920 ; Dossier « Généralités » : correspondance 1913-1919, lettre de P. Champion du 5 déc. 1919 ; Duhaut, I., 2006 ; Fondation des Artistes, s. d.).

Le classement actuel du fonds d’imprimés correspond à l’organisation topographique de la Fondation : la série cotée Smith-Lesouëf (Salle 1 à 8271), installée dans la salle de lecture, regroupe surtout les collections historiques, les catalogues de vente de livres et d’objets d’art, de bibliothèques et de musées. La série Smith-Lesouëf (Réserve 1 à 10849) comprend les livres anciens, les ouvrages sur Paris, sur les coutumes et le théâtre, la littérature française et les collections classées par pays. La collection de livres japonais occupe le premier étage de la Fondation, avec les « japonaiseries », installées dans des vitrines.

Pendant la deuxième Guerre mondiale, certains manuscrits, des médailles et quelques centaines d’ouvrages anciens parmi les plus précieux sont transférés à Paris (Cain, J., 1947). En 1950, les manuscrits orientaux (arabes, persans, turcs) rejoignent le département des Manuscrits (BnF. Archives de l’administration. Carton E 87. Dossier « Collections : rapports» ; Cain, J., 1954). En 1980, la totalité de la collection Smith-Lesouëf (imprimés et manuscrits) est transférée à la Bibliothèque nationale, où elle est dispersée entre différents départements (dont le site de Sablé-sur-Sarthe). En 1996, le fonds des imprimés, alors à Sablé, rejoint le département Histoire, philosophie, sciences de l’Homme (BnF. Archives de l’administration. Carton E 87 ; Guilleminot, G., s. d.)

À partir de 1976, l’État réunit le legs Smith et celui d’Adèle de Rothschild (l’hôtel Salomon de Rothschild) pour constituer la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques (FNAGP) -devenue la Fondation des Artistes en 2019- qui gère le domaine des Smith, dont la Maison nationale des artistes, ancienne demeure de Madeleine Smith. Le bâtiment de la bibliothèque Smith-Lesouëf et a été restauré en 2018 et a ouvert au public en 2019. La bibliothèque est présentée dans sa disposition d’origine ; les meubles et certains objets décoratifs, jusqu’alors conservés à Sablé-sur-Sarthe et sur les différents sites de la BnF, ou placés en dépôt à la Fondation des artistes, y sont visibles, dont les portraits des familles Smith et Lesouëf (numérisés sur gallica.bnf.fr) (Duhaut, I., 2006 ; Fondation des Artistes, s. d.).