DE GROOT Johann Jacob Maria (FR)
Commentaire biographique
Issu d’une fervente famille catholique, Johann Jacob Maria de Groot (Schiedam 18/2/1854-Berlin 24/9/1921) est le quatrième des treize enfants de la famille de Johann Seraphin Matthias de Groot (1824-1912), commerçant et marchand d’alcool, et d’Helena Wilhelmina Elisabeth Beukers (1830-1920) (AM, Schiedam, 21 février 1854, 79).
Fasciné depuis son enfance par les récits de voyage en mer de l’officier-écrivain Fredericks Marryatt (1792-1848), de Groot rêve d’abord de devenir officier dans la Marine royale hollandaise (Groot J. J. M. de, Notizen über mein Leben). Mais ses échecs successifs aux examens d’entrée l’engagent dans une autre direction. Il s’inscrit d’abord à l’école gouvernementale de Delft pour devenir fonctionnaire colonial de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, puis part trois ans à l’université de Leyde (Werblowsky Z., 2002, p. 15 ; Kuiper K., 2017, p. 331-332). Il suit une formation d’interprète en chinois auprès de Gustave Schlegel (1840-1903), lui-même formé en Chine dans les années 1860 et interprète pour la Cour suprême du gouvernement colonial de Batavia. De caractères différents, de Groot se montrera, quelques années plus tard, assez critique envers son professeur (Werblowsky Z., 2002, p. 16 ; Kuiper K. 2017, p. 349). Pendant cette période de formation, il va également prendre ses distances vis-à-vis de l’Église catholique qu’il juge trop intransigeante (Visser M. W. de, 1921, p. 2).
Premier séjour en Asie (1876-1883)
Le 11 décembre 1876, de Groot quitte les Pays-Bas pour effectuer sa dernière année d’étude pratique du chinois. Il arrive à Amoy (actuel Xiamen), dans la province du Fujian, au sud-est de la Chine, le 2 février 1877 (Groot J. J. M. de, Notizen ; Kuiper K., 2017, p. 479). Dès 1842, Amoy est l’un des cinq ports ouverts aux étrangers par le traité de Nankin (Nanjing) après la première guerre de l’opium et devient rapidement un des centres de la présence occidentale en Chine du Sud. Pendant un an il va étudier la langue vivante et le dialecte local du Fujian, collecter des données sur la vie et les cultes populaires et étudier le système monastique bouddhiste. Il détruira plus tard ce carnet de terrain pour ne conserver que les données scientifiques qui seront publiées (Groot J. J. M. de, Notizen ; Visser, 1921, p. 2 ; Werblowsky Z., 2002, p. 34 ; Kuiper K., 2017, p. 484). Cette formation lui sera d’autant plus utile que les administrateurs coloniaux ont alors grand besoin d’interprètes pour traiter avec une forte population d’émigrés chinois du Fujian venue chercher du travail aux Indes orientales (actuelle Indonésie).
Le 9 février 1878, il quitte Amoy pour Canton, Singapour, puis il est nommé interprète à Cheribon (actuelle ville de Cirebon) sur la côte nord de Java (Visser M. W. de, 1921, p. 3). Il profite de cette période pour travailler sur ses notes de terrain avant de partir à Pontianak, dans l’île de Bornéo, pour se soigner. De Groot se trouve isolé dans la communauté néerlandaise dont il ne partage pas les mœurs (Groot J. J. M. de, Notizen). Il poursuit son étude et parvient à publier en 1881, la première partie de ses travaux sur les Fêtes et coutumes annuelles des Emoy-Chinois (Jaarlijksche feesten en gebruiken van de Emoy-Chineezen, Batavia, 1881) (Werblowsky Z., 2002, p. 19-22).
En mars 1883, son état de santé le contraint à rentrer aux Pays-Bas. Il publie la deuxième partie de son travail sur les fêtes ainsi qu’une étude sur le système des kongsi ou « maison des clans » regroupant des Chinois de la diaspora à Bornéo (Het Kongsiwezen an Borneo, 1885).
Installé à La Haye, il prépare une communication sur les messes funéraires bouddhiques pour le congrès des Orientalistes à Leyde en septembre 1883 (Actes du sixième Congrès international des orientalistes, 1885). Il y rencontre Émile Guimet (1836-1918), industriel et fondateur d’un musée des religions à Lyon depuis 1879, qui lui propose de publier une édition illustrée des Fêtes dans les Annales du musée Guimet. César Gustave Chavannes (1832-1909) traduit et adapte le texte avec l’écrivain, et le peintre Félix Régamey (1844-1907) illustre l’œuvre. Les deux volumes paraissent deux ans plus tard (Les Fêtes annuellement célébrées à Emoui (Amoy). Étude concernant la religion populaire des chinois, 1886, p. 403-832). Le 5 décembre 1884, il obtient son doctorat à Leipzig sur la base de ce travail qui le fait connaître dans le monde de la sinologie (Visser M. W. de, 1921, p. 4 ; Werblowsky Z., 2002, p. 19).
Les objets collectés lors de son premier séjour seront donnés au musée d’ethnographie de Leyde et il vend les ouvrages achetés à Amoy à l’Université de la même ville (Kuiper K., 2017, p. 1003).
Un deuxième séjour en Chine (juin 1886-avril 1890)
Souhaitant poursuivre ses recherches sinologiques dans le cadre d’un deuxième séjour, de Groot réussit à convaincre le ministère des Colonies de lui confier une mission d’étude, de deux ans renouvelables. À l’issue de nombreux échanges, il obtient cet accord le 8 mai 1885 avec comme sujet de recherche les langues, la géographie et l’ethnologie de la Chine (Kuiper K., 2017, p. 404-412). Il séjourne deux mois à Leyde pour apprendre la photographie et réaliser les études préparatoires. Sur le trajet pour Marseille, il s’arrête à Lyon pour rencontrer Émile Guimet et visiter son musée (Werblowsky Z., 2002, p. 24). À cette occasion, et sur une proposition de de Groot, Guimet lui confie la constitution d’une collection scientifique liée aux religions populaires chinoises pour compléter son musée (Guimet E., 1913. p. 95). Il quitte Marseille en janvier 1886, passe par Batavia et poursuit son voyage par Delhi, Canton, Hong Kong et enfin Amoy où il arrive en juin 1886 (Visser M. W. de, 1921, p. 4 ; Werblowsky Z., 2002, p. 55).
Son deuxième séjour en Chine sera très riche. Il collecte de nombreux détails sur la vie familiale — héritage, adoption, statut de la femme, mariage — et les cérémonies funéraires qu’il a soigneusement observées et enregistrées. À cette fin, il s’installe souvent au sein des familles chinoises et assiste aux fêtes religieuses de la population pour mieux les appréhender. Il séjourne dans des monastères bouddhiques pour étudier la vie monastique. Il voyage dans les provinces du sud de la Chine, non sans difficulté du fait du climat et de la méfiance de la population vis-à-vis des étrangers (Groot J. J. M. de, 1892, p. 9 ; Visser M. W. de, 1921, p. 5).
En parallèle il met en œuvre l’émigration de coolies chinois vers l’île de Bangka et la côte Est de Sumatra (Groot J. J. M. de, Notizen ; Werblowsky Z., 2002, p. 50).
Le 30 janvier 1888, son séjour est prolongé de deux ans. Il travaille alors sur la consécration monastique et reçoit dès 1888 deux prix prouvant l’intérêt suscité par ses travaux en Europe. La France lui décerne la Légion d’honneur le 6 janvier 1888 pour sa collaboration avec le musée Guimet (Groot J. J. M. de, Notizen ; Werblowsky Z., 2002, p. 64-66), et les Pays-Bas le nomment membre correspondant de l’Académie royale des sciences à Amsterdam. En avril et mai 1889, il séjourne pour la dernière fois dans le monastère de Kushan près de Fuzhou, pour étudier certains points du bouddhisme chinois restés obscurs (Groot J. J. M. de, Notizen ; Visser M. W. de, 1921, p. 6).
En janvier 1890 il accepte une proposition de nomination, pour trois ans, comme enseignant de chinois et malaisien à l’école de commerce d’Amsterdam et rentre aux Pays-Bas. Il passe par Shanghai, Tianjin, Beijing et ses alentours, il visite de nombreux monastères et pagodes, ainsi que le mausolée des empereurs de la dynastie Ming, qu’il mesure, décrit et photographie (Groot J.J.M. de, The religious, 1894 et 1897 ; Visser M.W. de, 1921, p. 6).
Arrivé au Japon, il visite Nagasaki, Kyoto, Tokyo et assiste à quelques festivals dans des temples. Il quitte Yokohama pour l’Amérique, l’Angleterre et retrouve enfin sa terre natale. Il ne retournera jamais en Asie (Visser, 1921, p. 6 ; Kuiper K., 2017, p. 862-865).
Le retour aux Pays-Bas (1891-1911)
Son séjour à Amsterdam sera très court car dès octobre 1891, il est nommé professeur de géographie et d’ethnologie à l’université de Leyde et succède au professeur G. A. Wilken (1847-91) (Kuiper K., 2017, p. 1004). À cette époque, il publie des traités scientifiques dans la revue internationale de sinologie T'oung Pao ainsi que des articles sur le statut juridique de l’émigrant chinois et sur la politique consulaire chinoise (Groot J. J. M. de, 1892a, 1892b, 1892c). De 1891 à 1904, il exerce comme professeur d’ethnologie puis succède à Gustave Schlegel à la chaire de chinois jusqu’en 1911 (Visser M.W. de, 1921, p. 9).
Resté célibataire, De Groot vit alors avec deux de ses sœurs qui gèrent le quotidien et son secrétariat. Il poursuit ses recherches sur le système religieux chinois. Le matériel recueilli au cours de ses voyages est édité, expliqué et complété par une étude approfondie des sources de sa riche bibliothèque chinoise. En avril 1892, la première partie de son grand ouvrage intitulé The religious system of China est publié. La conception initiale devait comporter le double de parties, mais seulement six seront finalement publiées. Cet ouvrage novateur contient une mine de données non seulement pour la sinologie, mais aussi pour l’ethnologie et l’histoire religieuse comparée (Visser M. W. de, 1921, p. 7-8). Le Prix Stanislas Julien, décerné chaque année par l’Académie des inscriptions et belles-lettres de l’Institut de France, à Paris, pour le meilleur ouvrage sur la Chine publié cette année-là sera attribué par deux fois à cet ouvrage, en 1898 et 1902 (Jugement des concours, 1898. p. 753-767 ; Palmarès des prix et récompenses décernés, 1902, p. 588-603).
En 1892, il devient membre de l’Académie royale des sciences à Amsterdam, de la Société de littérature néerlandaise et de la Société de l’université d’Utrecht (Visser M. W. de, 1921, p. 8). Il donne également quelques leçons à la reine Wilhelmina et à la reine mère des Pays-Bas entre janvier 1899 et août 1900 (Werblowsky Z., 2002, p. 26).
En 1902, l’université de Columbia aux États-Unis et l’université de Berlin lui proposent de diriger une chaire de sinologie. Après un entretien en Allemagne et beaucoup d’hésitations face à cette proposition très attrayante, et assortie de bien des avantages pour sa recherche, il décline cette offre et reste aux Pays-Bas.
Nommé en décembre 1903, membre correspondant de la branche chinoise de la Royal Asiatic Society à Shanghai, il devient président de la Section de l’Extrême-Orient du Congrès orientaliste à Alger en avril-mai 1905, puis membre associé étranger de la Société asiatique de Paris (Visser M. W. de, 1921, p. 9).
En 1904 puis de nouveau en 1911, il prend position contre la tradition du bizutage des jeunes étudiants. Il sera d’abord peu entendu et fortement critiqué avant finalement de permettre quelques avancées dans ce domaine. Les rumeurs sur l’homosexualité de de Groot, contestées par certains historiens comme Zwi Werblowsky, pourraient venir de cette période où de Groot se scandalise lors d’une représentation théâtrale mettant en scène des pratiques homosexuelles dans le cadre d’un bizutage (Mungello D. E., 2012, p. 77).
Du 14 mars au 16 mai 1908, il voyage pour la première fois en Amérique, où il donne huit conférences à Hartford sur la religion chinoise. La même année, il assiste aux congrès de Copenhague et d’Oxford et il est nommé membre correspondant de l’Institut de France. Son deuxième voyage en Amérique (24 septembre-30 décembre 1910) fut à l’invitation du Committee for Lectures on the History of Religions, où il donna six conférences à Boston, New Haven, Philadelphia, New York, Baltimore et Chicago. Il est invité en Amérique pour la troisième fois en 1911, pour être nommé docteur honoris causa à Princeton le 13 juin (Visser M. W. de, 1921, p. 11).
Départ pour l’Allemagne en 1912
La seconde offre de Berlin lui parvient le 25 mai 1911. Les conditions d’enseignement offertes sont certes avantageuses, mais surtout cette proposition intervient au moment où de Groot se trouve en lutte d’un côté contre les pratiques de bizutage et de l’autre contre l’Université qui refuse de créer un poste pour l’iraniste Joseph Marquart (1864-1930). Cette chaire de philologie iranienne sera créée à Berlin pour Marquart et finira de convaincre de Groot de quitter les Pays-Bas et ce malgré les tentatives de l’Université et du Ministère pour le faire changer d’avis. Il faudra attendre 1919 pour qu’il soit remplacé par un ancien élève, J.J.L. Duyvendak (Blussé L., 2014, p. 30).
Il part en 1912 et devient professeur à la Friedrich Wilhelms Universität (actuelle université Humboldt) de Berlin puis membre de la Royale Académie. L’empereur allemand le nomme Königlicher geheimer Regierungsrat (conseiller secret du gouvernement royal) et pendant la guerre, de Groot rejoint sans réserve le camp allemand. En 1914, il fait partie du Manifeste des 93 en signant un document de propagande sous le titre Aufruf an die Kulturwelt, An die Kulturwelt ! Ein Aufruf (l’Appel des intellectuels allemands aux nations civilisées) qui réfute le rôle d’agresseur de l’Allemagne au début de la Grande Guerre. Il va également renoncer à la moitié de son salaire pour participer à l’effort de guerre et en 1918 l’empereur allemand lui décerne la Croix du Mérite pour aide de guerre (Verdienstkreuz für Kriegshilfe). Cette position lui vaudra une prise de distance de ses collègues occidentaux. De Groot étant fortement conservateur, son respect de la monarchie et son désir d’ordre et de discipline ont contribué à le rapprocher de l’Allemagne wilhelminienne (Werblowsky Z., 2003, p. 31).
Au cours de ses premières années à Berlin, de Groot va écrire sur l’histoire asiatique à partir de sources chinoises. L’ouvrage Chinesische Urkunden zur Geschichte Asiens sera achevé en 1917, mais le premier volume ne parait pas avant 1921, l’année de sa mort, et le deuxième en 1926 (Werblowsky Z., 2003, p. 103).
Au sortir de la guerre, il va poursuivre ses travaux dans le domaine de la religion chinoise et de l’histoire et se consacre à la formation de ses étudiants parmi lesquels les sinologues Franz Kuhn (1884-1961) et Erich Haenisch (1880-1966) (Kuiper K. 2017, p. 1006).
Il meurt en 1921 des suites de maladie dans sa maison à Berlin. Ses collègues allemands lui rendront hommage (Visser M. W. de, 1921, p. 14).
Plusieurs biographies ont permis la rédaction de cette notice. Sa nécrologie la plus complète est celle de son ancien élève Marinus Willem De Visser (1875-1930) qui a accès en 1922 à son carnet de notes et aux souvenirs personnels de l’une de ses sœurs (Visser M. W. de, 1921). Dès 1983, Zwi Werblowski (1924-2015), spécialiste des religions comparées, complète ces biographies grâce au journal retrouvé dans la famille en 1972 et publie en 2002 The Beaten Track of Science, The life and Work of J.J.M. de Groot. Il considère de Groot comme le père de l’ethno-sinologie. En 2013, Wilt L. Idema et Léonard Blussé, deux historiens de la Chine, reviennent sur l’histoire des fondateurs des études chinoises aux Pays-Bas parmi lesquels de Groot. Plus récemment en 2017, Koos Kuiper, bibliothécaire à l’université de Leyde, lui consacre une partie de son ouvrage sur les sinologues hollandais entre 1854 et 1900, en s’appuyant sur de nombreux documents d’archives. Enfin, Egbert Fleuren en 2018, consacre son mémoire de thèse à la place et à l’influence de de Groot dans l’histoire de la sinologie néerlandaise.
La collection de Groot
La collection de Groot, dans son ensemble, représente des centaines d’objets répartis entre Leyde aux Pays-Bas, Paris et Lyon. La collection de Leyde est constituée plus largement de matériel ethnographique (Werblowsky Z., 2003, p. 53), tandis que la collection des musées français est exclusivement religieuse (MNAAG, inventaire des collections dans le Catalogue général des objets d’art, non daté ; Musée des Confluences, archives, copie de l’arrêté de dépôt de la collection de Groot de Paris à Lyon, 1913) et ce pour répondre au projet initial d’Émile Guimet de créer à Lyon puis à Paris une bibliothèque, un musée religieux contenant tous les dieux de l’Inde, de la Chine, du Japon, de l’Égypte, de la Grèce et de l’Empire romain et une école de langue (Catalogue des objets exposés, 1880, p. 1-2). La collection de Groot est riche de marionnettes à fils, costumes, instruments de musique, pipes à opium, ustensiles d’un magasin de barbier ; mais aussi d’objets rituels comme des autels, des tablettes d’ancêtres, des amulettes ou talismans, et un large panthéon de divinités : shen, gui, dieux, esprits, fantômes, démons, spectres, génies, arhats, immortels, etc. en bois polychrome.
À son retour d’Asie en 1883, de Groot donne au musée d’ethnographie et à la bibliothèque de l’université de Leyde les objets et ouvrages collectés (Kuiper K., 2017, p. 1003). Trois ans plus tard, il veut profiter de son deuxième séjour pour continuer à rassembler du matériel ethnographique et de l’iconographie religieuse pour le musée, mais ses mauvaises relations avec Lindor Serrurier (1846-1901), le directeur, rendent ce projet caduc (Werblowsky Z., 2003, p. 18). C’est vers la société Brill, spécialisée à l’époque dans les livres et les antiquités orientales, qu’il se tourne alors pour recueillir les fonds nécessaires. Ironie de l’histoire, quelques années plus tard, le musée de Leyde se portera acquéreur de la collection constituée par de Groot pour l’éditeur Brill. Elle comprenait quatre-vingts statues de divinités, mais aussi des estampes, des cercueils et une série de costumes, des tablettes, des objets à l’usage des fumeurs d’opium et de tabac, des instruments de musique, des marionnettes et jouets d’enfants qui furent publiés dans le Catalogue des différentes collections ethnographiques provenant de la Chine et appartenant à la maison E. J. Brill à Leide. Ce catalogue de vente, qui aurait été publié en 1890, comprend plusieurs lots rachetés par le musée entre 1893 et 1896 (Werblowsky Z., 2003, p. 62-63).
À l’opposé, les bonnes relations qu’il entretient avec Léon de Milloué, conservateur au musée Guimet de Lyon, l’encouragent à proposer ce projet à Émile Guimet lui-même. Dans une lettre datée du 8 novembre 1885, de Groot demande à Léon de Milloué si « M. Guimet serait incliné de profiter de mon séjour en Chine dans l’intérêt du Musée. Voulez-vous avoir la bonté de lui dire que, s’il veut que je fasse des collections pour lui, je me mets entièrement à sa disposition ? » Proposition qu’il réitère dans un courrier du 16 décembre 1885 en proposant de passer à Lyon (MNAAG, archives). Il met en avant l’intérêt d’une telle collecte peu onéreuse, car constituée et documentée sur place par un connaisseur des lieux et des usages et non par un voyageur de passage. Guimet accepte cette offre, n’ayant pas pu lui-même constituer les bases d’une collection chinoise à l’inverse des œuvres qu’il rapporte du Japon en 1876 (Werblowsky Z., 2003, p. 73). Ainsi il fera parvenir de l’argent à de Groot pour l’envoi des caisses en provenance de Chine (MNAAG, archives, lettre de de Groot du 7 novembre 1886 ; Guide illustré, 1913, p. 95).
L’intérêt de cette collection réside dans le mode de collecte lui-même. De Groot commande directement auprès des sculpteurs de divinités, des répliques de statuettes des temples, qu’il connaît parfaitement (Guide illustré, 1913, p. 95). Cette façon de procéder et cette cohérence dans la constitution de la collection sont bien différentes des collections constituées après lui. À aucun moment il n’agira comme un collectionneur ou même un amateur d’art asiatique. Chercheur de terrain, son intérêt ne se porte pas sur le caractère original et unique des divinités ou objets de culte, mais bien sur l’intérêt des objets comme témoins d’une pratique sociale. Pour de Groot lui-même cette collection « forme une chaîne ininterrompue illustrant les pages les plus importantes de la vie religieuse de la Chine » (De Groot J. J. M., 1892, p. XV). Position que son biographe, Zwi Werblowsky nuance car pour lui cette collection fonctionne dans son ensemble plus comme une photographie à un instant précis de l’histoire de la Chine autour d’un thème et d’un lieu donné (Werblowsky Z., 2003, p. 58). Unique dans les musées, la collection à Lyon est riche de plus de deux cent cinquante statuettes peintes et colorées avec des pigments naturels et de près de quatre cents éléments supplémentaires parmi lesquels des marionnettes, des instruments de musique, des ensembles avec mannequins et objets de culte reproduisant des scènes religieuses et enfin du mobilier de temple. Ces statuettes, entités spirituelles bonnes ou mauvaises, ou les deux, possèdent pour l’essentiel des étiquettes sous leur base ou des inscriptions derrière le socle dans une transcription de la langue du Fujian, mais ne correspondant à aucun système actuel, qui ont permis de retrouver leur identité au cours d’un patient travail d’étude mené par Zwi Werlowski pendant plus de dix ans.
Ces pièces seront exposées un temps dans les salles du musée Guimet de Paris avant d’être presque intégralement transférées en dépôt en 1913 dans le nouveau musée Guimet de Lyon pour sa réouverture (Guide illustré, 1913, p. 95). La collection est décrite dans les guides de 1897 et de 1913 certainement à partir des notes envoyées par de Groot qui furent par la suite détruites ou perdues. Elles resteront ainsi exposées jusqu’en 1955, année où un orage de grêle détruit la verrière de la grande salle du muséum. En 1968, le musée Guimet de Lyon ferme, les collections sont mises en caisses en réserves et dix ans plus tard elles fusionnent avec le fonds du Muséum d’histoire naturelle alors cooccupant du bâtiment. En 1983, une partie de la collection est de nouveau accessible dans la salle rénovée Arts et religions, au deuxième étage du musée. Son directeur, Louis David et le conservateur des collections ethnographiques, Roland Mourer, feront patiemment revivre cette collection avec l’aide de deux éminents sinologues, Anna Seidel puis Zwi Werblowski. Un catalogue complet des statuettes (250) est publié en 2004, après une longue étude menée par Zwi Werblowski et une restauration de plus de dix ans (Werblowsky Z., 2004). Une partie de la collection sera exposée au sein du musée en 2001 lors de l’exposition temporaire Trésors, chefs d’œuvres et quoi encore, en 2004 et 2005 à l’occasion de l’année de la Chine, et sur la base de l’ouvrage Dieux de Chine que le musée a consacré à cette collection (Emmons D., Werblowsky Z., Stevens K., 2003). En 2013, à l’occasion de la rétrospective de l’artiste Huang Yong Ping au musée d’Art contemporain de Lyon, une partie des statuettes sont mises en scène au centre de l’espace, à sa demande, dans une installation prenant la forme d’une réserve de musée. En 2014 l’exposition temporaire Les trésors de Guimet évoque l’histoire du musée à Lyon et les collections exposées et depuis la même année dans les salles permanentes du musée des Confluences, une vitrine présente un extrait du panthéon des divinités chinoises.
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