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Sa vie et sa formation

Isidore Hedde, originaire du Puy, réside pendant de longues années à Saint-Étienne où est née sa mère, et où son grand-père possédait une grande quincaillerie. En 1818, Hedde suit à Lyon le cours théorique et pratique de tissage de Villard. Il entre ensuite chez Thiorlien Peyret, fabricant de rubans à Saint-Étienne, où son frère, Philippe Hedde, est commis, afin d’aider à l’importation des métiers Jacquard. Ultérieurement, Isidore Hedde travaillait comme ouvrier libre, ce qui lui permit de maîtriser tous les types de métiers à tisser et de connaître chaque étape de la fabrication des soieries.

Au début de l’année 1843, le gouvernement de Louis-Philippe prend la décision d’expédier en Chine une ambassade pour négocier et conclure un traité d’amitié, de commerce et de navigation permettant aux Français de bénéficier d’avantages analogues à ceux obtenus par les Anglais par le traité de Nankin (le 29 août 1842). Le ministre de l’Agriculture et du Commerce, à la demande des manufactures françaises qui ont l’espoir de « voir s’ouvrir à leurs produits les nouveaux et importants marchés de l’Indo-Chine » (AN, F12/2589), décide d’y joindre une délégation commerciale et invite les chambres de commerce des villes possédant d’importantes industries à présenter leur candidature. Isidore Hedde, candidat de la chambre de commerce de Saint-Étienne, retient toute l’attention du ministre par sa connaissance parfaite à la fabrication des articles de Lyon et ceux de la rubanerie de Saint-Étienne. Le ministre remarque aussi que le candidat, conduit par ses propres curiosités, se rend souvent à Nîmes et à Avignon et autres centres manufacturiers, et qu’il connaît plusieurs langues étrangères et parle couramment l’anglais. En décembre 1843, la nomination d’Isidore Hedde est notifiée par une lettre ministérielle (AN, F12/2589). Le 15 décembre, il reçoit les Instructionsrédigées par le ministère, lesquelles précisent qu’une des principales missions de la délégation commerciale est de faire connaître à la Chine les produits manufacturés français, de s’informer des modifications nécessaires à y apporter pour satisfaire aux goûts et besoins des consommateurs asiatiques ; enfin, de se renseigner sur les étoffes pouvant y être importées (Faits commerciaux, no 3, p. 28). Ces instructions renferment aussi des informations concernant le commerce dans l’océan Indien, lesquelles avaient été recueillies par des agents de la Marine et des missions.

Le périple de la mission en Chine

Le 20 février 1844, Hedde, accompagné de ses collègues délégués commerciaux (August Haussmann (1815-1874), Natalis Rondot (1821-1900) et Édouard Renard (1812-1898) et du second secrétaire de l’ambassade, embarque sur la frégate à vapeur, l’Archimède. Selon les instructions ministérielles, le navire devait « faire le plus de relâches possibles » (AN, F12/2589) en longeant les côtes occidentales du Vieux Continent : Cadix (2 mars 1844), Séville (4 mars), Saint-Croix-de-Ténérife (11 mars), Gorée au Sénégal (17 mars), la cape de Bonne-Espérance (2 mai), Bourbon (6 juin), Trincomalie à Ceylan (le 7 juillet), Pondichéry (16 juillet), Madras (26 juillet), Singapour (5 août), Manille (18 août) avant d’arriver le 24 août à Macao où l’ambassade Lagrené est arrivée peu avant. La délégation séjourne plusieurs mois dans la région de l’embouchure de la rivière des Perles où elle mène des enquêtes approfondies sur diverses fabrications, le marché de consommation et le commerce. Au début 1845, la délégation se joint à l’ambassadeur à bord du Cléopâtrequi part circuler en mer de Chine méridionale en vue de poursuivre les enquêtes sur les marchés des pays de l’Inde et de l’Océanie. Les épices, les plantes industrielles (notamment les textiles), les substances tinctoriales et autres matières premières représentent des sujets intéressant pour les enquêteurs qui prêtent une grande attention également aux produits russes, européens et japonais disponibles sur les marchés locaux, ainsi qu’aux relations commerciales entre ces contrées et la Russie et le Japon.

En octobre 1845, le Cléopâtreemmène les membres de mission à poursuivre leurs enquêtes au nord de la Chine : îles Zhoushan (3 octobre 1845,), Ningbo (12 octobre), Shanghaï (27 octobre), Suzhou (30 octobre), Amoy (16 novembre), Zhangzhou (19 novembre) avant de regagner Guangzhou où a lieu l’échange des ratifications. Le 22 décembre 1845, après avoir accompli leurs mandats, la mission prend le chemin de retour en France.

Les enquêtes menées par Hedde

Peu après sa nomination, Hedde, comme les autres délégués commerciaux, part recueillir des informations et des échantillons dans les villes où se trouvent des manufactures ou des industries intéressant leurs enquêtes, telles Lyon, Saint-Étienne, Saint-Chamond, Nîmes, Orange, Avignon, Le Puy, Tours. Ces échantillons devaient servir à faire connaître aux clients asiatiques potentiels un certain nombre de produits français, tels des spécimens de teinture.

Dès la première relâche, à Cadix, et ensuite à chaque escale, Hedde et ses collègues entreprennent d’observer les cultures locales et de recueillir des informations sur les conditions naturelles, les habitudes, le commerce, les produits et fabrications, etc. Ils constituent des collections d’échantillons de ressources naturelles et de produits susceptibles d’intéresser l’industrie française. Des agents consulaires, des marchands et des fabricants français et européens résidant sur place ainsi que des membres de certaines sociétés savantes leur offrent des aides précieuses, leur permettant de réunir dans le bref laps de temps des escales quantité de renseignements précis et détaillés.

Un assez grand nombre de rapports sur la situation commerciale et les industries de chaque port de relâche furent ainsi expédiés au ministre de l’Agriculture et du Commerce. Ces rapports étaient souvent accompagnés de semences et de spécimens végétaux (e.g. graines et feuilles de mûriers, semences des plantes tinctoriales), d’échantillons de produits naturels et d’articles manufacturés, locaux ou importés ainsi que de dessins dont la plupart représentaient les procédés de fabrication locaux. Ces dessins, servant à illustrer certains procédés inconnus en France, étaient l’œuvre soit des délégués eux-mêmes soit de marins ou de militaires appartenant à l’expédition, soit encore de peintres indigènes à qui on les avait commandés (Mau C.-H, 2004, p. 32-42). Dans plusieurs de ses rapports, Isidore Hedde détaille les procédés concernant l’industrie de la soie et des soieries, tels que la préparation du « Chaya-vert» (Aldenlau lia ambellata, Lin.) – une substance utilisée pour la teinture en rouge, qui avait une grande réputation(AN., F12/2589) –, le tirage etle décreusage de la soie à Guangzhou, ou encore le tissage à Zhangzhou et à Malacca.

Comme plusieurs membres de la mission, Hedde était un homme aux compétences multiples et d’une grande curiosité. Il manifestait le plus grand intérêt pour l’histoire, la culture, l’administration, la politique, les industries, et tout particulièrement l’histoire naturelle des régions qu’il visitait. Il a laissé de nombreux écrits riches en observation d’une grande finesse. Par ailleurs, il ne se contentait pas d’observer l’état des industries en Asie, mais cherchait aussi à en retracer l’histoire de la diffusion. Ainsi, dans ses rapports adressés au ministère de l’Agriculture et du Commerce, Hedde décrit-il l’état du développement de la sériciculture dans la colonie française en Inde. Il rapporte que, dans l’établissement dirigé à Pondichéry par le botaniste George Samuel Perrotet (1793-1870), un nombre de 12 à 15 000 pieds de mûrier était compté et qu’on se livrait « à l’éducation de vers croisés syriens et européens »(AN., F12/2589). Il se lance également dans une recherche historique sur la vulgarisation de la sériciculture en Insulinde (Hedde I., 1846, p. 529-532).

Constitution de la collection

Après le retour en France de Hedde en 1846, des expositions se tiennent successivement dans les villes possédant une industrie importante de la soie : Paris (1846), Lyon (1847), Saint-Étienne (1848) et Nîmes (1849), qui présentent aux professionnels et au public de nombreux produits rapportés par l’expédition. Celle à Saint-Étienne expose, en sus de ces collections exotiques, les résultats d’études analytiques et comparatives de ces produits, notamment les soies, les soieries et les substances tinctoriales chinoises.

Les objets collectés comprennent des échantillons de la sériciculture (e.g., semences et feuilles de mûriers, graine de vers à soie, cocons, spécimens de chrysalide), des soies et des soieries, des ustensiles de l’élevage des vers à soie, métiers pour dévider la soie des cocons, des métiers à tisser et ceux pour les préparatifs du tissage, ainsi que des dessins illustrant les procédés détaillés du travail de la soie, de la culture du mûrier, l’élevage des vers à soie, à la fabrication des soies et des soieries ainsi que leur commerce. À part certains produits séricicoles et tinctoriaux destinés aux essais et expériences, les échantillons de soie et des soieries et des objets se trouvent maintenant dans plusieurs établissements, tels le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque du musée des Tissus anciens de Lyon, la bibliothèque centrale du Conservatoire national des arts et métiers, les Archives nationales. Le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne conserve, outre des échantillons de ruban rapporté par Hedde, des analyses de teinture et des modèles réduits fabriqués par des artisans français d’après les modèles chinois et des descriptions fournies par Hedde, qui ont été exposés en 1848.