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21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Frédéric Albert Bourée (1838 -1914) est le fils de Nicolas Prosper Bourée (1811-1886), diplomate, et de Marguerite-Sara Godeau d’Ablou (1804-1865) (Bensacq-Tixier N., 2003, p. 82-87). Jusque dans les années 1860, il suit son père dans les différents pays où celui-ci est en poste comme consul et comme lui, il choisit la carrière diplomatique. Il épouse Sophie Epstein (née en 1844), ils auront trois enfants : Hélène Andrée (1867-1946), Henri (1873-1940) et Marguerite.

Plusieurs fonds d’archives permettent de retracer la carrière du diplomate. La période où il est en poste en Chine en tant qu’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, affecté à la Légation de Pékin entre juin 1880 et mai 1883, a été bien étudiée, notamment par Nicole Bensacq-Tixier (2003). Cette période est marquée par les menaces d’un conflit franco-chinois autour de la question du Tonkin. Le fonds photographique Victor Collin de Plancy (Archives diplomatiques, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, fonds photographique, Collin de Plancy, A000076) (1853-1922) offre une rare vue de la famille Bourée réunie en 1881 à Pékin, aux côtés du personnel de la Légation.

C’est probablement à l’occasion de ce séjour en Chine (ponctuellement à Shanghaï et surtout à Pékin) qu’Albert Bourée rassemble la plupart des objets chinois qui forment une collection que l’on peut reconstituer en partie grâce à des photographies, des documents d’archives et des catalogues de vente.

Le collectionnisme d’objets chinois est une pratique documentée pour de nombreux diplomates français en poste en Chine du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle. Comme Albert Bourée, Charles de Montigny (1805-1868), Ernest Frandon (1842-1904) ou encore Robert de Semallé (1839-1946) rapportent en France de nombreux objets chinois. Cette pratique est également connue pour d’autres personnels liés aux activités des ambassades tels les interprètes (comme Victor Collin de Plancy), ainsi que chez des représentants du clergé catholique (par exemple, Alphonse Favier), pour ne donner que des exemples documentés par les collections de l’État ou des collectivités territoriales.

Constitution de la collection

Dispersée, on ne connaît aujourd’hui la collection d’Albert Bourée que par des listes d’objets parues dans des catalogues de vente, par quelques documents d’archives, ainsi que par une photographie des céramiques chinoises qu’il déposa à l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD). Ces données ne rendent pas compte de façon exhaustive de l’ensemble de la collection, mais nous permettent de souligner la grande variété des objets réunis, tant européens qu’asiatiques, et leur qualité inégale. Elles mettent également en lumière les contacts étroits de Bourée avec quelques grands collectionneurs de son époque, ainsi qu’avec les musées français. Les conditions de réunion de ses ensembles restent, quant à elles, totalement inconnues.

Ce sont ses porcelaines chinoises que l’on connaît le mieux à ce jour, puisqu’elles apparaissent sur un cliché de l’exposition permanente de l’UCAD au palais de l’Industrie à Paris, daté de 1895-1896. La vitrine principale de cette vue contient environ 115 céramiques qui prennent place dans la collection du diplomate (bibliothèque du MAD, Archives de l’UCAD, D1/10). Comme de nombreux collectionneurs de sa génération, Albert Bourée entreprend de faire déposer ses porcelaines de Chine à l’UCAD dès 1886 (bibliothèque du MAD, Archives de l’UCAD, B2/20). Les conditions exactes de cette démarche sont encore peu connues, mais il ne s’agit aucunement d’une action isolée, puisque de nombreux collectionneurs parisiens entreprennent de prêter leurs collections, de toutes natures, à l’UCAD à la même période.

Le 24 octobre 1896, Bourée écrit au conservateur de l’UCAD, Paul Gasnault (1828-1898), pour lui indiquer que faute d’espaces d’expositions permanents permettant à l’association de mettre en valeur les collections déposées, il souhaite que ses porcelaines soient remises au marchand Laurent Héliot (1848-1909) en son absence – il est alors posté à Athènes.

C’est par l’intermédiaire de ce même marchand que plusieurs porcelaines de Chine rejoignent ensuite la collection d’Ernest Grandidier (1833-1912) au musée du Louvre. En témoigne le procès-verbal du Comité consultatif des musées nationaux en date du 24 décembre 1896 ainsi que la minute d’une lettre en date du 19 janvier 1897 adressée par la Direction des musées nationaux à Ernest Grandidier, pour le remercier du don de pièces de la collection Bourée (AN 20144787 ; Chopard L., Déléry C. et Gardellin R., 2020). Le croisement des données fournies par cette photographie de 1895-1896, par les carnets tenus par Ernest Grandidier et par les pièces de sa collection aujourd’hui conservées au musée national des Arts asiatiques – Guimet permet d’identifier précisément une cinquantaine de céramiques chinoises, et au moins une japonaise, passées de la collection Bourée au Louvre. Bourée et Grandidier se connaissent déjà en 1896 puisque ce dernier a acheté avant 1894 une coupe à libation en porcelaine chinoise rapportée par le diplomate (inv. G 1302, Chopard L., 2021, vol. III, p. 134). Ils restent en contact par la suite, comme le montre l’achat complémentaire, en 1900, d’un grand vase rouge de cuivre (inv. G 4864, Chopard L., 2021, vol. III, p. 490).

Le cercle des collectionneurs avec qui il est en contact ne se limite pas à Paris comme le montre la vente d’une verseuse en bronze de sa collection à l’Américain Charles Lang Freer (1854-1919) en 1909 (Washington, Freer Gallery of Art, inv. F1909.254a-b).

L’exposition des porcelaines chinoises d’Albert Bourée au palais de l’Industrie semble avoir suscité l’intérêt d’autres marchands et collectionneurs, comme en témoigne le catalogue de la vente de la collection d’Ahmed Bey Ben Aïad en 1900, où sept entrées correspondent à des pièces anciennement dans la collection Bourée (Lugt 58131, cat. 2, 3, 4, 11, 14, 56, 82). Parmi elles, on remarque un grand vase (cat. 2) signalé comme venant du Palais d’été, ancienne résidence des empereurs de Chine mise à sac par les armées françaises et anglaises en 1860. Deux bronzes réputés de provenance similaire sont présents dans le catalogue de la vente après décès d’Albert Bourée en 1914 (Lugt 74555, cat. 158).

Cette vente a dispersé une grande partie de la collection du diplomate après sa mort. Son catalogue comporte 38 entrées relatives à des porcelaines de Chine, 67 « flacons-tabatières » en pierres dures, ivoire, laque, bronze, émaux cloisonnés ou en verre et trois objets en émail cloisonné, dont une production des ateliers de Pékin de la fin du XIXsiècle. La vente a également disséminé une trentaine de « bronzes » chinois (statuettes représentant des divinités, figurines animalières, petits vases, brûle-parfum, jardinière, pipe à eau, etc.), quelques bronzes réputés japonais et tibétains et une vingtaine « d’objets variés » chinois et japonais (objets en jade chinois, ivoires japonais, etc.).

S’ensuivent dix-huit lots de textiles chinois (robes, devant d’autel, etc.) dont quelques-uns avaient été précédemment publiés dans le recueil Étoffes de la Chine, tissus et broderies (s.d.) préfacé par Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932) [pl. 2, 4-10, 15b] – on peut voir certains de ces tissus sur une photographie de l’exposition de 1895-1896 au palais de l’Industrie (bibliothèque du MAD, Archives de l’UCAD, D1/10) sans pouvoir affirmer qu’ils appartiennent déjà à Albert Bourée – , et quelques meubles dont une paire de fauteuils indiens et des pièces achetés au Tonkin. Le faible nombre de photographies du catalogue ne permet pas de caractériser précisément les œuvres vendues en 1914 ni de les dater.

La famille a vraisemblablement conservé une partie de la collection après le décès d’Albert Bourée, comme le montrent quelques pièces récemment passées en vente en France (vente Rouillac, Vendôme, 26 janvier 2014, lots 17, 28 ; vente Rouillac, Tours, 24 mars 2014, lots 97, 129-131).