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Commentaire biographique

Benjamin Constant Jean Louis Jaurès naît le 3 février 1823 à Paris, d’Auguste Jaurès, officier de marine, puis négociant et d’Adélaïde Got. Lui et son frère aîné, Jean-Louis-Charles (1808-1870), s’engagèrent tous deux dans la marine et parvinrent aux grades très élevés d’amiral et vice-amiral. Tout juste sorti de l’école navale, il est envoyé en campagne dans le Pacifique lors de la prise des îles Marquises et de Tahiti à bord de la Triomphante puis de la Reine-Blanche. Devenu lieutenant de vaisseau en 1850, il participe à la guerre de Crimée comme aide de camp du contre-amiral Léonard-Victor Charner (1815-1861). En 1859, il participe à la guerre d’Italie à bord de la Tonnante, avant de rejoindre l’expédition de Chine en 1860 de nouveau aux côtés de l’amiral Charner à bord de l’Impératrice-Eugénie. Il se fait remarquer lors du débarquement à l’embouchure du Haihe (海河), puis en Cochinchine lors de la prise de Saïgon, ce qui lui vaut d’être promu officier de la Légion d’honneur le 22 avril 1861 (AN, LH 1358/28). Il est nommé capitaine de frégate le 26 août 1861. Lors de son retour en France en 1863, il se marie à Mélanie Marie Lucile Julienne (1839-1940), avec laquelle il aura trois enfants : Jeanne Adélaïde Marie Clémence (1864-1935), Louise (1870-1881), Jean Charles Auguste (1873-1932). Après plusieurs missions dans la Manche (1864), en Méditerranée (1865) et dans le Levant (1866) il est nommé capitaine de vaisseau à bord du cuirassé l’Héroïne.

Il s’illustre pendant la guerre franco-prussienne en rejoignant l’armée de la Loire, ce qui lui vaut, à la fin des conflits l’obtention du grade de contre-amiral.

C’est à partir des années 1870 que commence sa carrière politique de républicain modéré. En juillet 1871, il est élu comme représentant du Tarn à l’Assemblée nationale, puis le 13 décembre 1875, il est élu sénateur inamovible par l’Assemblée nationale. Il poursuit cependant sa carrière militaire en parallèle : il se trouve dans les eaux de Salonique commandant en second de l’escadre de Méditerranée à la suite de l’assassinat des consuls de France et d’Allemagne le 6 mai 1876 (Robert A., 1889, p. 408 ; Bourdon J.-O., p. 356-358). Promu vice-amiral le 31 octobre 1878 puis grand officier de la Légion d’honneur en 1880, il se voit confier plusieurs missions diplomatiques : ambassadeur de France en Espagne à Madrid (1878-1882), puis en Russie à Saint-Pétersbourg (1882-1883).

En 1887, il est élevé au rang de Grand’Croix de la Légion d’honneur (AN, LH 1358/28). Il devient ministre de la Marine sous le gouvernement de Pierre Tirard (1827-1893), un court moment avant sa mort subite le 13 mars 1889 (AP, V4E 6145, 1889, décès, 8e arr.).

Concernant la vie de Benjamin Jaurès, signalons les notices biographiques de Jacques-Olivier Bourdon (2021, p. 356-358) et d’Étienne Taillemite (2002, p. 257-258).

Constitution de la collection

La collection de l’amiral Jaurès offre l’exemple peu commun d’une collection partiellement rassemblée lors de campagnes militaires. Ses lettres adressées au musée de la Céramique de Sèvres attestent effectivement qu’il fait l’acquisition d’œuvre d’art lors de sa présence en Chine, cependant la nature de ses collections de porcelaines chinoises, principalement constituées de céramiques d’exportation, montre qu’il devait aussi acheter lors de ses épisodiques séjours en France.

Benjamin Jaurès et le musée céramique de Sèvres

En 1864, Benjamin Jaurès alors capitaine de frégate propose au musée de de la céramique de Sèvres des objets dont il a fait l’acquisition à Pékin. Dans une lettre adressée au conservateur du musée, Denis Désiré Riocreux, il parle notamment d’un « pot très ancien » venant de la « grande Pagode Impériale de Pékin » où il logeait et qui lui aurait été offert par le supérieur du temple. Il fait aussi mention d’une « grande gourde bleue si remarquable par sa forme, par la beauté de son émail et par la pureté de ses dessins » achetée dans cette même pagode (SMMN, 4W26, lettre du 19 janvier 1864). À ces deux objets s’ajoutent un plat à décors polychrome un vase à couverte dite « céladonnée » de près de 50 cm de hauteur, orné d’une marque impériale de la dynastique Qing en écriture sigillaire, et une tasse « en forme de calice » décorée d’un dragon et portant la marque de l’empereur Yongzheng (SMMN, 4W388, 18/03/1864 ; inv. MNC 6286.1-MNC 6286.5). Ces œuvres sont proposées à l’administrateur de la manufacture en échange contre des porcelaines de la manufacture de Sèvres, pratique alors courante qui permit au Musée céramique de s’enrichir de pièces venant des quatre coins du monde. Après estimation des objets proposés, l’administrateur de la manufacture pouvait obtenir l’autorisation auprès du ministre de la Maison de l’empereur et des Beaux-Arts d’offrir une ou plusieurs pièces de valeur équivalente à l’intéressé. Les objets rassemblés par Jaurès sont estimés, après négociation, à 2 000 francs. Ceux-ci, peu nombreux mais d’une qualité rare pour l’époque souffriront beaucoup des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Stéphanie Brouillet signale que l’un des vases famille verte de cet ensemble comportait une étiquette rappelant les circonstances d’acquisition de ces pièces par Benjamin Jaurès. L'étiquette précise par ailleurs que, lors de la visite d’une ambassade chinoise en 1869, la pièce avait été attribuée à l’époque Song (Brouillet S., 2013, p. 6.).

L’exposition de sa collection au « Musée oriental » de 1869

Lors de l’exposition du Musée oriental organisée par l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, les deux frères Jaurès exposent conjointement les œuvres de leur collection parmi les nombreux collectionneurs parisiens. Le catalogue de cette exposition, dressé par le critique d’art Albert Jacquemart (1808-1875) et le futur conservateur du musée des Arts décoratifs Paul Gasnault (1828-1898) distingue bien les deux collections, celle de Charles sous le nom d’« amiral Jaurès » (celle-ci comprend 38 lots, essentiellement des grès de Satsuma, quelques céladons, blanc de Chine et famille roses – et celle de Benjamin (« M. le capitaine de vaisseau B. Jaurès », « M. B. Jaurès » dans le catalogue) beaucoup plus substantielle avec plus de 120 lots rien que pour la porcelaine extrême-orientale. Les porcelaines chinoises de type famille rose et les porcelaines de commande occupent une place prépondérante. Benjamin Jaurès prête également quelques figurines « trouvées dans l’île de Chypre » (no 1 et 2), quelques pierres précieuses sculptées principalement des jades chinois, des bronzes.

Ses collections furent suffisamment remarquées pour servir d’illustration à Octave Frémin du Sartel – lequel avait comme lui fait campagne dans le Pacifique dans le tournant des années 1840 (cf. D’Abrigeon P. notice Du Sartel) – dans son ouvrage La Porcelaine de Chine (1882).

Vente de la collection

La collection de Benjamin Jaurès telle qu’elle est vendue après sa mort en 1889 est hétéroclite : à côté d’un petit ensemble de tableaux des peintres les plus en vue de son temps (Corot, Fortuny, Jongkind), elle rassemble un grand nombre de faïences – françaises, orientales, espagnoles, hispano-mauresques, azulejos – des grès allemands, quelques porcelaine de Sèvres, de 128 lots de porcelaine de Chine, quelques lots de jades et de laque rouge chinois, une quinzaine de bronzes chinois et japonais, des émaux cloisonnés et peints la plupart pourvu d’un nianhao (年號) d’époque Qianlong (乾隆) (1735-1796, Lugt, 48367). Enfin, on peut lire à la section des « objets divers », la description de certaines œuvres provenant sans nul doute du Palais d’Été, telle qu’une : « Garniture de ceinture de femme chinoise, composée de trois plaques, dont deux pourvues d’anneaux ovales en métal ciselé et doré : la plaque centrale porte au centre un cadran de montre ; les deux autres, un émail européen représentant des enfants jouant au bord d’un bassin où sont des canards ; riche monture ornée de perles et de grenats – Travail européen du temps de Louis XVI » (lot 399). Ce genre d’objets hybrides témoigne des échanges culturels et diplomatiques entre la France et la cour impériale des Qing durant le XVIIIe siècle, par l’intermédiaire des jésuites (Zhao B., Simon F., 2019). Il n’est pas impossible non plus que le lot qui suit, une « boîte à musique du temps de Louis XVI en or émaillé, de forme ovale ; sur le couvercle sujet représentant l’Arrivée de Télémaque et de Mentor dans l’île de Calypso – Travail de Genève » (lot 400), ne fasse pas partie de ces cadeaux diplomatiques apportés par les jésuites à la cour impériale. Cette vente comprend encore les livres de sa bibliothèque, qui mêlent œuvres littéraires classiques (Racine, Molière, La Fontaine, Perrault, Boccace) et œuvres de ses contemporains (Les Chats de Champfleury, Notre-Dame de Paris et Les Travailleurs de lamer de Victor Hugo, Les Contes drolatiques de Balzac, etc.), sans qu’aucun ne soit véritablement lié à son activité de collectionneur. Benjamin Jaurès semble par ailleurs avoir nourri une vraie passion pour les œuvres de l’illustrateur et caricaturiste Henry Monnier (1799-1877), qui composent les 100 derniers lots de son catalogue.

Dans cette collection où les céramiques (faïence, grès et porcelaine) occupent la place la plus importante, il semble que la présence d’armoiries dans les décors ait joué un rôle prépondérant dans les choix. On en retrouve autant sur les grès allemands que sur les porcelaines dites de la compagnie des Inde, ou porcelaine de commande, faite en Chine sur des modèles transmis par les Compagnies des Indes orientales. On retrouve ce goût pour la porcelaine à décors européen chez le conservateur du musée des Arts décoratifs Paul Gasnault (1828-1898), mais il était relativement peu partagé par d’autres contemporains : le critique d’art spécialiste de l’histoire de la céramique Albert Jacquemart (1808-1875) les considérait comme « bâtardes » et Édouard Garnier (1850-1903), conservateur au Musée céramique de Sèvres, comme une « aberration de goût » (Chabanne L., 2004, p. 12).