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Commentaire biographique

Négociant, armateur et commissionnaire, Alfred Rabaud est le fils de David Jacques Rabaud (1785-1849) et d’Antoinette Betsey-Brock. Il est issu d’une famille protestante, influente et implantée dans le milieu des affaires marseillais. Originaires de Castres, dans le Tarn, les Rabaud arrivent à Marseille au milieu du XVIIIe siècle. Jacques Rabaud, son grand-père, « un des négociants les plus en vue » de la capitale phocéenne (Barré H., 1913, p. 412), se voit guillotiné sous la Terreur, en 1794. Sa veuve, née Philippine Baux, perpétue malgré tout l’affaire familiale, sous la raison sociale « Veuve Rabaud et Cie ». En 1813, ses trois fils reconstituent l’entreprise, en fondant la maison Rabaud frères. L’aîné, David, acquiert une reconnaissance publique, en occupant les fonctions d’adjoint au maire de Marseille, Alexis Rostand (1769-1854), qui administrera la ville de 1830 à 1831 (Caty R., 1999, p. 229). David Rabaud siège à la Chambre de commerce. Il en devient le président en 1847 ; charge, qu’il exerce jusqu’à sa mort, en 1849 (Barré H., 1913, p. 412). À cette date, une nouvelle société est fondée conservant le même nom et associant le jeune Alfred. Renouvelée en 1855, celle-ci se trouve en état de liquidation trois ans plus tard 1831 (Caty R., 1999, p. 230). En 1860, Rabaud frères recourt à la banque marseillaise Roux de Fraissinet pour se développer sur la côte africaine (Caty R., 1999, p. 230). Alfred Rabaud est ainsi connu pour son action en Afrique et sa contribution au commerce avec le continent.

La maison Rabaud frères : une présence pionnière en Afrique

Gabriel Gravier, président honoraire de la Société normande de géographie, le décrit d’un naturel plaisant, « grand, fort, d’une beauté remarquable », soulignant une expression « d’une douceur infinie », doué d’« une intelligence d’élite » et d’« un cœur généreux » (1886, p. 183-184). Alfred Rabaud suit des études sérieuses à Marseille et à Genève. À la mort de son père, il devient le chef de la maison de commerce Rabaud frères. Ainsi devient-il le directeur de la maison de commerce la plus ancienne de la ville, comme il se plaît à le rappeler dans l’état de ses services (AN, LH//2252/27). Il est également agent du Comité des assurances du Lloyd à Londres.

Rabaud se tourne tout d’abord vers l’océan Indien : Zanzibar, Madagascar et Nossi-bé (Gravier G., 1886, p. 182). De 1853 à 1854, il voyage sur la côte orientale de l’Afrique et s’attarde à Zanzibar (archipel rattaché à l’actuelle Tanzanie), où il demeure quatre ans. Il se lie d’amitié avec le jeune prince, qui deviendra le sultan de Zanzibar, Barghash ibn Saʿīd (1837-1888 ; r. 1870-1888), et met à profit ses relations en faveur du roi des Belges, Léopold II (1835-1909 ; r. 1865-1909), dont les ambitions impérialistes se tournent vers l’Afrique centrale. Rabaud adhère à l’Association internationale africaine, formée à l’issue de la Conférence géographique réunie à Bruxelles en 1876 et présidée par Léopold II. À la demande du roi, il prend contact avec Henry Morton Stanley (1841-1904), journaliste investi dans les affaires coloniales, pour la conquête du Congo (Brunschwig H., 1957, p. 105). Il ouvre le premier comptoir français, qui inaugure de l’ouverture de six autres établissements sur la côte orientale de l’Afrique (Caty R., 1999, p. 230). La présence commerciale française s’étend ainsi du cap Ras Asir, situé à la pointe de la Somalie, jusqu’au cap Delgado, à l’extrémité nord du Mozambique. Rabaud en conçoit le projet dès 1873, qu’il souhaite compléter par l’élaboration d’un service de navigation, qui relierait les différents lieux d’implantation (Masson P., 1906, p. 322). Le négociant tient également un comptoir à Madagascar, faisant principalement commerce du sucre, de la vanille et du manioc. Malgré ses efforts pour maintenir une présence française durable, Zanzibar tombe dans l’escarcelle de l’Angleterre et de l’Allemagne (Caty R., 1999, p. 230).

À Madagascar, l’entreprise s’avère plus prospère. En 1862, il reçoit le titre de grand officier de l’ordre de Radama II (Masson P., 1906, p. 322). Rabaud entretient une relation d’amitié avec Alfred Grandidier (1836-1921), géographe et naturaliste, explorateur de Madagascar. Il investit dans les plantations de café, de canne à sucre, ainsi que dans l’installation d’une usine de décorticage de riz. Cette situation subit cependant les conséquences du conflit franco-malgache (1883-1885), qui provoque la faillite de la maison Rabaud dans les années 1880 (Gravier G., 1886, p. 183). Avec Hilarion Roux, il mène de nombreux projets. Tous deux soutiennent une action pacifique de la France, soucieux de conduire une politique de compromis avec les tribus indigènes (Américi L., Daumalin X., 2010, p. 61). Mais, les tensions s’exacerbant avec la cour de Tananarive, Rabaud change de stratégie et en vient à cautionner l’intervention militaire, qui aboutit à la formation du protectorat français (Caty R., 1999, p. 230).

En 1868, Alfred Rabaud s’associe à la maison Bazin, Mather & Cie pour investir dans l’installation d’une maison de commerce sur le détroit de Bab-el-Mandeb, qui serait à même de concurrencer le port d’Aden. L’affaire échoue.

Rabaud sera ainsi actionnaire dans de nombreuses sociétés. Il côtoie notamment la société Zafiropulo et Zarifi.

Aussi, selon Théophile de Lamathière (18 ?-19 ?), l’entreprise commerciale dépasse la simple préoccupation mercantile. L’installation de Rabaud en ces territoires s’est effectuée suivant une question d’honneur et de patriotisme (De Lamathière T., 1875-1911, p. 385). Roland Caty le formule autrement, évoquant « [cette] politique de pénétration commerciale », qui « prépare une expansion coloniale » (1999, p. 230). Cette haute idée du commerce lui vaut d’être élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur, par décret du ministre des Affaires étrangères, le 9 janvier 1877.

Son engagement dans l’entreprise coloniale française

Alcide Delmont (1874-1959), nommé sous-secrétaire d’État aux colonies en 1929, considère Alfred Rabaud comme « un pionnier de l’expansion coloniale, un ouvrier de la première heure à Madagascar » (Delmont A., 1930, p. 82). Son réseau constitué, il occupe les fonctions de consul général de Zanzibar, puis de Madagascar. Le 17 novembre 1869, Alfred Rabaud assiste à l’inauguration du canal de Suez, qui facilite l’accès vers les pays de l’Asie.

Fort de son expérience dans les colonies africaines, Alfred Rabaud œuvre pour les sciences coloniales. Le Congrès provincial des orientalistes, tenu à Marseille en 1876, et présidé par Ferdinand de Lesseps (1805-1894), lui fait prendre conscience de la nécessité d’établir une structure permettant la construction et la vulgarisation de cette science. Ainsi, avec le soutien du président et fondateur de la Compagnie de l’isthme de Suez, Rabaud fonde, aux côtés de son cousin germain Édouard (?-1918), la Société de géographie de Marseille et en devient le président. Lors de la séance inaugurale, Alfred Rabaud présente une « nouvelle méthode géographique » (Revue de géographie, 1877, p. 421), dans laquelle la figure du négociant joue un rôle fondamental dans la construction du savoir et des connaissances. Dans l’énonciation des statuts, il est précisé que la Société de géographie de Marseille a pour but de « concourir aux progrès de la géographie », d’« en encourager l’étude » et de « mettre à profit dans l’intérêt des connaissances géographiques, la position exceptionnellement favorable de Marseille, de recueillir des renseignements et de les répandre » (Rabaud A., 1877, p. 7). Les jalons d’une géographie utilitaire sont ainsi posés et concordent avec le contexte intellectuel de l’époque. Marchands, industriels et personnalités du monde des affaires participent de cette entreprise.

Armateur, Rabaud est aussi membre de la Commission des Ports-Suds. Il encourage personnellement les explorateurs et met à leur disposition toutes facilités permettant leur voyage, affrétant les navires de sa propre compagnie maritime à leur intention. On le surnomme ainsi le « patron des explorateurs ». Georges Révoil (1852-1894), explorateur en pays somali, lui rend hommage dans la publication de son récit de voyage (1882, dédicace).

En 1880, Rabaud fait une demande d’adhésion auprès de la Société de statistique de Marseille. Adrien Sicard, secrétaire de la Société, chargé d’examiner sa candidature, note l’intérêt que représente son mémoire sur l’abbé Debaize (1845-1879) et sa mission géographique et scientifique en Afrique centrale. Admis à l’unanimité au sein de la Société, ses paires saluent l’entrée d’un « savant éclairé sur tout ce qui peut se rapporter aux études africaines » (Sicard A., 1880, p. 80).

Un amateur d’art et un philanthrope

Alfred Rabaud est ainsi reconnu comme un érudit et un artiste. Il est vice-président de la Société des amis des arts, en fonction pendant les années 1878 et 1879. Il obtient d’ailleurs en cette première année, la médaille d’or à l’Exposition universelle. Il est à l’origine de plusieurs donations au musée d’Ethnographie du Trocadéro, au musée d’Artillerie des Invalides et dans d’autres collections provinciales.

Rabaud est aussi un philanthrope. Il est élu membre d’honneur de la Société des commis. Administrateur du Mont-de-piété, il s’occupe également de la Caisse d’épargne et de prévoyance du département, suivant l’Indicateur marseillais de l’année 1879.

Le lundi 12 avril 1886, Alfred Rabaud meurt d’une crise de goutte à l’âge de cinquante-huit ans. Ses obsèques publiques sont suivies d’un cortège d’ampleur, composé du Tout-Marseille et des représentants des consulats d’Italie, de Russie, d’Angleterre, du Pérou et du Brésil ; réaffirmant l’envergure internationale d’un personnage, qui a beaucoup compté pour sa ville (Le Sémaphore, 1886, p. 2). Son unique fils, issu de son union avec Léontine van der Maësen d’Avionpuits (1835-1906), cantatrice d’origine belge et fille d’un ancien procureur du roi à Verviers, et Édouard Rabaud, son associé depuis 1855, reprennent alors l’affaire familiale.

Constitution de la collection

Il est difficile d’évaluer l’ampleur de la collection constituée par Alfred Rabaud. Grand collectionneur d’art africain, de par les régions qu’il a pu fréquenter au cours de ses voyages et de par ses fonctions exercées en ces pays, on connaît moins son goût pour l’art extrême-oriental.

Une collection hétéroclite

Sa collection atteste d’ailleurs d’un goût hétéroclite. En effet, en 1880, le négociant fait don au palais Longchamp d’une Vue de Venise, exécutée en 1864, par le peintre orientaliste Louis-Amable Crapelet (1822-1867), qui travailla notamment à Marseille (La Jeune République, 5 mai 1880, p. 2). Ainsi, la collection extrême-orientale et orientale devait certainement côtoyer d’autres œuvres issues du patrimoine local.

Une collection mixte d’art africain et d’art asiatique présentée en 1879

Alfred Rabaud est aussi à l’origine d’une collection d’art asiatique, dont on ignore certes les composantes exactes, mais qui s’avère néanmoins riche et luxueuse, aux dires des journalistes ayant assisté à l’Exposition rétrospective des Beaux-Arts de Marseille, organisée en mai 1879 dans la bibliothèque nouvellement créée du palais des Beaux-Arts. En l’état actuel de nos recherches, nous n’avons pas retrouvé trace de la partie asiatique de cette collection.

Le Sémaphore de Marseille évoque la « collection orientale », qui « occupe tout le panneau n. 2 et la grande vitrine n. 7 ». L’Année artistique retient également les « merveilles orientales » d’Alfred Rabaud (Champier V., 1879, p. 204).

Quant à l’art de l’Extrême-Orient, il se manifeste par « ses produits céramiques d’une ornementation si curieuse et si artistique », « ses meubles si capricieusement contournés », « ses étoffes fastueuses », « ses bijoux bizarres et magnifiques ». Un grand panneau présente plus loin des « guirlandes de plats de Chine et du Japon », dans « la plus somptueuse tonalité » (Brès L., 1879). Le journaliste Louis Brès insiste sur les couleurs chatoyantes et le luxe flamboyant de la soie. De même, les « étoffes rouges, vertes, violettes, rehaussées de broderies et de cannetilles, les lourds anneaux d’argents et d’or », « les bouquetiers à long col » attirent l’œil (1879).

Cette exposition est l’occasion pour Louis Brès de souligner le mélange tout à fait hétéroclite d’art provençal du XVIIIe siècle, d’Extrême-Orient, d’Antiquité et de Renaissance italienne, qui fait tout le charme des collections marseillaises. Ainsi, il semble qu’Alfred Rabaud s’inscrive dans la mouvance de ces grandes collections provençales.