Skip to main content
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

Ancien négociant, Philippe Jourde devient journaliste au Siècle. Il mène une carrière politique active dans les Bouches-du-Rhône. Il témoigne d’une grande érudition, curieux d’histoire et d’histoire de l’art.

La naissance des idées républicaines

Originaire du Puy-en-Velay, il est le fils d’un marchand, Jean-Jacques Jourde, et de Claire Mourgues. Il suit un temps la voie de son père, dirigeant une maison de commerce prospère à Buenos Aires (Barré H., 1913, p. 277). Il continue ses affaires à Paris, comme commissaires en marchandises, et s’oriente rapidement vers des études de droit. Son séjour en Amérique le sensibilise à la voie républicaine. Dès 1852, date de son retour en France, Philippe Jourde prêche ces idées partisanes, se positionnant en lutte contre l’Empire. La presse en est un véhicule privilégié.

Président puis président honoraire du Syndicat de la presse parisienne et de l’Association de la presse parisienne, il occupe les fonctions de rédacteur en chef et d’administrateur-gérant du journal Le Siècle de 1868 à 1888. Le Siècle s’inscrit dans la mouvance républicaine modérée. Le journal se fait notamment connaître par ses chroniques littéraires, mettant l’accent sur la publication en feuilleton de récits divers. Jourde devient promoteur de l’Association des journaux parisiens de 1884 à 1885. Premier secrétaire inscrit, il est proclamé président d’honneur de l’association le 9 mai 1885. Son portrait, exécuté par Auguste Feyen-Perrin (1826-1888), trône ainsi dans la salle des délibérations du comité.

De l’homme de droit parisien à l’homme politique provençal

Philippe Jourde devient juge au tribunal de commerce de la Seine de 1870 à 1871, puis président de la Chambre de commerce de Paris. Il quitte ensuite la capitale, pour se rapprocher de la Provence et de Marseille en particulier, qu’il considère comme « sa patrie d’adoption » (Bulletin de l’Association des journalistes parisiens, 1906, p. 30). Son implication politique s’ancre dès lors dans ce territoire. Il est élu conseiller général du canton de Martigues, située dans l’arrondissement d’Aix, sans concurrent le 4 novembre 1877. Élu à deux reprises président de cette assemblée, il conservera son mandat jusqu’en 1895 (Barré H., 1913, p. 277).

Un philanthrope

Président de la Société des victimes du devoir, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur, le 15 avril 1890. Outre donc son rôle politique, Philippe Jourde se révèle philanthrope. Il fonde l’Asile des marins de Martigues (L’Illustration, 1900, p. 275), dont il fait don à l’Association des secours aux gens de mer de la Méditerranée (AD 13, 4 O 59 3). L’établissement est inauguré en grande pompe par le ministre de la Marine Jean-Louis de Lanessan (1843-1919), qui fut également directeur du Siècle.

Philippe Jourde et la société marseillaise

Philippe Jourde est un amateur d’art notoire. Ainsi, portait-il en grande estime Jules Cantini (1826-1916), marbrier et sculpteur, qui laissa à la Ville de Marseille le fruit de sa collection, restituée au 19, rue Grignan. En prévision du musée des Beaux-Arts – Jules Cantini en conçoit les plans dès 1913 –, Philippe Jourde lui remet en dépôt quelques œuvres. Ces objets seront réclamés par ses descendants, lors du Conseil de délibération municipale du 22 novembre 1913 (AM Marseille, 57 R 132).

Le mardi 24 août 1897, il assiste à l’union du violoniste Louis Grobet (1851-1917) et de la collectionneuse assidue Marie Labadié (1852-1944), en tant que témoin de la mariée (La Vedette, 1897, p. 605).

Philippe Jourde s’inscrit ainsi pleinement dans le cercle érudit des collectionneurs marseillais, particulièrement dense, enclin au mécénat.

Constitution de la collection

La collection constituée par Philippe Jourde évolue au cours de son existence et subit de nombreuses modifications. Versée à la Ville de Marseille, celle-ci montre un goût certain pour la céramique ; l’Asie occupant une place modeste, aux côtés des manufactures de Rouen, d’Aprey et de Montpellier. La collection n’est donc pas exclusive.

Une collection livresque

Jourde lègue à sa ville natale sa bibliothèque, regroupant exactement 8 882 volumes (bibliothèque du Puy-en-Velay, Présentation du fonds [en ligne]). Cet ensemble révèle un esprit éclairé et curieux. Elle recense notamment des manuels de géographie et d’histoire, des récits de voyages, des ouvrages spécifiques sur des sujets contemporains et des livres de fiction. Une analyse du contenu de cette bibliothèque à partir du catalogue disponible en ligne permet de dégager ces principaux centres d’intérêt. Au demeurant, si Philippe Jourde exprime une curiosité certaine pour l’Orient et l’Extrême-Orient, ces ouvrages ne représentent qu’une partie mineure, au regard de la totalité. En effet, plus de 200 ouvrages concernent l’Asie. Il faut ainsi noter l’existence d’un fond conséquent d’ouvrages de culture générale, attestant de la curiosité du collectionneur.

Une collection mouvante

La collection s’avère mouvante. À Paris, Philippe Jourde rassemble des bronzes du Barye (Antoine-Louis Barye, 1795-1875), dont il vend une partie alors qu’il s’apprête à déménager en Provence. Le collectionneur se déleste encore de quelques objets lors d’une vente aux enchères organisée à l’hôtel Drouot le 4 mai 1881. Cette vente a une grande répercussion dans le milieu de l’art. Paul Mantz (1821-1895), de la Chronique des beaux-arts, fait l’éloge de cette collection de tableaux. Le critique d’art dresse le portrait d’« un homme spirituel », « un homme de lettres qui est en même temps un homme de goût », évoquant non seulement « un goût très sain », « des morceaux de choix », « une réunion d’œuvres avant tout intéressante », « bien conçue, sérieuse », où l’art moderne est montré non pas « dans ses grandeurs […] mais dans ses familiarités » (Mantz P., 1881, p. III). On y rencontre ainsi outre les peintres Camille Corot (1796-1875), Gustave Courbet (1819-1877), Alberto Pasini (1829-1899), Jean-Barthold Jongkind (1819-1891), Antoine Vollon (1833-1900) ou encore Félix Ziem (1821-1911). Philippe Jourde est dit peu attiré par le réalisme scrupuleux, et sans doute les prémisses de l’impressionnisme et les tendances orientalisantes d’un Eugène Delacroix (1798-1863) ou d’un Pasini le poussent vers d’autres horizons. L’aquarelle de Jules Ferdinand Jacquemart (1837-1880), Jeune Femme regardant des bibelots japonais (lot 107), est peut-être l’indice d’un renversement de posture, conduisant vers un renouvellement de la collection, le collectionneur étant déterminé à « remplacer le convenable par l’exquis et le bon par le meilleur » (Mantz P., 1881, p. IX), à moins que ce ne soit les indices d’un intérêt naissant pour l’Asie.

Dans la réclame accompagnant le numéro du journal Le Siècle du 15 avril 1874, son directeur évoquait alors le Voyage en Asie de Théodore Duret (1838-1927), qui venait de paraître aux éditions Michel Lévy frères, comme une œuvre d’« un des talents les plus sympathiques et les plus populaires ».

L’Asie de Philippe Jourde dans les collections de la Ville de Marseille

L’ensemble recueilli par la Ville de Marseille présente un goût prononcé pour la porcelaine de Chine et du Japon des époques récentes. Deux objets portent la marque de la fabrique Fukagawa Seiji Kaisha. Si les premières pièces produites par l’entreprise familiale attestent d’un goût raffiné, qui suscite l’engouement de la cour impériale nipponne, la production s’oriente par la suite vers le marché de l’exportation, répondant à la demande occidentale occidentale (Jahn G., 2004, p. 216-219). La rationalisation de la production permet une fabrication en plus grande quantité, les dessins standardisés conçus pour s’adapter à toutes formes. Les deux plats sont de cette époque. Aussi, le plat en porcelaine d’Arita à décor floral, décliné selon la palette Imari (inv. GF 3701), d’une facture plutôt grossière, et l’assiette de la même facture, au décor Imari compartimenté en médaillons (inv. GF 3699), dans lesquelles figurent un grenadier contraint par une clôture, sont empreints d’un style plutôt hiératique.

La collection rend compte également d’un plat intéressant (inv. GF 3652), daté de l’époque d’Edo (1603-1868), qui constitue un témoignage de l’appropriation par le Japon de la technique de la céramique chinoise. Cette porcelaine blanc-bleu constitue une imitation de la vaisselle chinoise de type kraak de l’époque Wanli (萬曆) [1572-1620]. Ce type de porcelaine correspond aux premières commandes de la Compagnie des Indes orientales (VOC), les Hollandais cherchant à pallier les difficultés d’approvisionnement en Chine, dans cette période conflictuelle de transition dynastique. Ce type de décor, évoquant un paysage lacustre peuplé de daims, est une singularité propre à la production japonaise exportée vers l’Europe de 1679 à 1681 (Viallé, cité in : Jörg, 2003, p. 28).

Concernant la production chinoise, la collection comprend une paire de plats, de taille légèrement différente, en porcelaine blanc-bleu, de la Compagnie des Indes, qui peut être datée de l’époque Qianlong (乾隆)[1735-1796]. On compte également une paire de potiches couvertes aux « huit objets précieux », en polychromie wucai (五彩) [cinq couleurs] ; des objets destinés aussi à l’exportation.

Philippe Jourde apparaît en tous les cas comme un collectionneur de son temps, sensible aux réalités de son époque. Il est difficile en revanche d’évaluer la place que représentait l’Asie dans sa collection d’œuvres d’art, n’ayant pas de vue complète de celle-ci. Les porcelaines japonaises et chinoises complètent une collection de céramiques hétéroclites. Ces pièces, de facture récente, étaient sans doute plus accessibles sur le marché local.