Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

La biographie de Nicolas Zarifi s’avère lacunaire. En l’absence d’archives personnelles, nos recherches s’appuient sur la parole de ses descendants indirects. On sait en effet peu de choses sur cet homme plutôt discret, en retrait de la vie mondaine et des affaires familiales.

Un membre de la communauté hellénique de Marseille

D’origine grecque, il est un des représentants de la colonie hellénique installée à Marseille, incarnation d’une aristocratie libérale, intégrée et pleinement active dans l’économie de la cité. Son père, Périclès Zarifi (1844-1927), est né à Constantinople. Il rejoint en 1857 son oncle Étienne Zafiropulo (1817-1894), arrivé dans la capitale phocéenne en 1845. Envoyé par son père Georges Zarifi (1806-1884), directeur d’une importante société de négoce de blé, notamment avec la Russie, afin d’établir une succursale marseillaise, Périclès Zarifi associe son nom à celui de la famille Zafiropulo. Ensemble, ils fondent en 1852 la société « Z & Z », spécialisée dans le même domaine d’activité, pour se diversifier par la suite, en investissant dans l’armement, la communication, la banque et l’industrie, ainsi que dans différents domaines de production. Après la mort d’Étienne Zafiropulo, ses descendants décident de se retirer de la société, qui disparaît en 1906. Dès lors, outre différentes opérations immobilières et commerciales, Périclès Zarifi mise plus particulièrement sur les entreprises capables de lui fournir du fret. Les Zarifi et les Zafiropulo incarnent ainsi ce « modèle de la polyvalence », caractéristique des grandes dynasties industrielles de Marseille (Américi L., Daumalin X., 2010, p. 68).

À l’origine d’un vaste réseau, englobant l’Europe, l’Asie et les Échelles du Levant, dont ces derniers contacts s’avèrent privilégiés, les Zarifi participent du dynamisme de l’économie marseillaise. Ainsi, le 5 janvier 1927, Périclès Zarifi est promu au rang de commandeur de la Légion d’honneur, par décret du ministère des Affaires étrangères, pour ses œuvres de bienfaisance et d’hygiène sociale. Son action pendant la guerre de 1870 est particulièrement saluée. Il approvisionne alors la ville en blé et facilite l’achat d’armes et de munitions, pour tenir face à l’ennemi allemand.

Les années de formation

Périclès Zarifi épouse en 1871 Fanny Rodocanachi, issue d’une riche famille de négociants, grecque orthodoxe, originaire de la ville de Chio. De cette union naîtront cinq enfants : Théodore, Nicolas, Georges, Olga et Marika. Nicolas se révèle en marge du cercle familial. Danielle Maternati-Baldouy le définit comme une « personnalité attachante, en retrait des mondanités, montrant plus d’attirance pour les arts que pour les affaires » (bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 2). Il fait ses études au lycée Thiers de la ville et développe un goût pour la musique et le piano en particulier, qu’il joue en amateur (bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 2). Il se serait familiarisé au monde des arts grâce à son père, lui-même grand amateur d’art, actif dans la vie artistique de la ville, en tant que membre du Cercle artistique de Marseille. En sa compagnie, il visite ainsi les expositions de la Société des amis des arts (bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 2).

À la fin de ses études, Nicolas rejoint l’entreprise familiale (bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 2). Il s’initie au commerce du blé jusqu’en 1906, date à laquelle son père s’établit à son compte et fonde la société « Périclès Zarifi et fils ».

Le conflit des Balkans éclate en 1912 et l’oblige à prendre part aux combats, du fait de sa nationalité (Maternati-Baldouy, 1994, p. 11). À la fin de la Première Guerre, entérinée le 30 mai 1913 par la signature du traité de Londres, il « reprend ses activités au sein de l’entreprise familiale » (bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 3). Un an après la mort de son père, survenue en 1927, Nicolas Zarifi, devenu maître-verrier, crée Les verreries du Midi (Maternati-Baldouy, 1994, p. 11). La fabrique, établie dans le quartier de la Valentine, produit des bouteilles en verre destinées à l’industrie pharmaceutique. La production est spécialisée, mais il semble que Nicolas Zarifi développe une véritable fascination pour la technique du verre, comme en témoigne sa collection.

Il meurt en 1941, sans descendance ; son frère, Théodore, désigné comme son héritier.

Constitution de la collection

Le goût de la collection lui a certainement été transmis par son entourage : son cousin Polybe Zafiropulo (1868-1951), son père et sa mère, les Rodocanachi étant eux-mêmes de grands collectionneurs. Lors de fêtes mondaines et autres bals costumés, les invités ont tout loisir d’admirer ces objets qui parent les intérieurs luxueux de l’hôtel particulier du 14, allée des Capucines. Ainsi, lors d’une réception donnée le samedi 14 février 1903, La Vedette, qui se fait l’écho de ces mondanités, s’enthousiasme pour cet « hôtel princier ». « Les salons qui sont splendides, ainsi que le vestibule et le monumental escalier avaient été ornés de plantes vertes les plus rares et les plus belles. […] Des milliers de lampes électriques répandaient leur blanche clarté sur ce décor de féérie, sur les mille et mille objets précieux, qui en font un vrai musée, sur les tableaux des grands maîtres et sur les riches tentures » (La Vedette, 1903, p. 118).

Un goût pour le bouddhisme ésotérique

Si son père le familiarise au monde de l’art, son voisin, un certain Dr Fournier, versé dans l’art asiatique, lui aurait prodigué de nombreux conseils (Guillevic J. C., 1967), d’où peut-être ce prime intérêt pour l’Extrême-Orient. L’Exposition coloniale de Marseille de 1906 encourage certainement cette inclination personnelle. Nicolas Zarifi montre une fascination pour le bouddhisme et plus particulièrement pour le bouddhisme d’obédience lamaïque. Il s’agit néanmoins d’un bref « aperçu du panthéon lamaïque » (Guillevic J. C., 1967, p. 2).

En effet, la notion de série n’est pas envisagée par le collectionneur. Il s’agit certainement de réunir des objets emblématiques de cette religion considérée à l’époque comme mystique, associant aux divinités de bronze, autres vajra et stupa. Certaines de ces sculptures sont représentatives de l’art sino-tibétain allant du XVIeau XVIIIe siècle. Une analyse iconographique permet d’identifier l’origine de ces pièces, dont l’inventaire présente une image parfois faussée. Il convient ainsi de noter la diversité des pays représentés dans la collection, englobant la Birmanie, la Chine, l’Inde, le Vietnam, le Japon, la Mongolie, le Tibet, la Thaïlande et le Laos.

Les recherches en cours sur ces bronzes montrent néanmoins une datation plutôt récente de ces objets, « sans doute plus faciles à se procurer » chez les antiquaires, comme le souligne Jeanne Guillevic dans son mémoire d’étude (Guillevic J. C., 1967, p. 2). Il est difficile en ce sens de retracer la provenance de ces objets, faute d’archives. Nicolas Zarifi s’approvisionnait certainement auprès des antiquaires de la ville, localisés plus particulièrement dans le quartier de l’Opéra, rue Paradis et rue Saint-Ferréol, dans le 6e arrondissement de Marseille. De passage dans la capitale, il devait également rendre visite à quelques antiquaires parisiens (Guillevic J. C., 1967, p. 2).

L’importance du verre

À l’avènement de son commerce de verrerie en 1928, Danielle Maternati-Baldouy, ayant recueilli le témoignage d’un de ses proches descendants, observe un tournant dans sa collection. Il s’agirait d’un déclencheur ; le collectionneur se prenant de passion pour les objets en verre de toutes provenances, de toutes formes et de toutes techniques. Le journal La Liberté, évoquant le don effectué au musée Cantini à son ouverture en 1936, présente effectivement des « verreries de tous âges et de toutes provenances » et « une suite non moins rare, probablement de peintures sur verre », comme le résultat de « ses plus récentes trouvailles » (C. R., 1938, p. 2).

Nicolas Zarifi a rassemblé une collection importante de peintures fixées sous verre de plus de 250 pièces, représentatives des productions italiennes, anglaises, espagnoles et françaises du XVIeau XIXe siècle. Étrangement, les peintures sous verre de Chine se révèlent plus anecdotiques. Il faut noter un paysage chinois sur fond noir (MAD Marseille, inv. C 1770), deux miniatures indiennes – un portrait féminin (MAD Marseille, inv. C 2152) et un portrait masculin (MAD Marseille, inv. C 2153) – et deux portraits féminins d’Occidentales (MAD Marseille, inv. C 2367, C 2376), confectionnés dans un atelier cantonnais, qui forment pendants.

La collection présente également un ensemble de flacons à tabac biyanhu (鼻煙壺), dit « verres de Pékin » dans l’inventaire de la donation du 13 janvier 1936. Le document mentionne la préciosité d’une pièce en particulier, qui serait une des premières tabatières à sortir de la manufacture de verrerie pékinoise (AD 13, 4 O 58 78). Dans cette continuité, il est possible d’observer des opalines françaises du XVIIeet XVIIIe siècle, aux décors de la Compagnie des Indes.

Le verre est également présent dans les ustensiles nécessaires à la préparation du chandoo (烟土), yantu (opium). Le chandoo, symptomatique de l’opiomanie qui gagne à cette époque l’Occident, renvoie à une pratique sociale, de nature élitiste, par opposition au laudanum, plus courante en Europe au XXe siècle. La collection compte ainsi huit fourneaux à opium en faïence polychromée, une lampe à opium, une boîte à opium en verre, et une pipe du même matériau.

Un attrait pour l’œuvre de Théodore Deck

Au cours d’un voyage à Paris, dans les années 1930, Nicolas Zarifi découvre l’art du faïencier Théodore Deck (1823-1891) [bibliothèque du musée Grobet-Labadié, Maternati-Baldouy D., p. 3]. L’œuvre du céramiste puise son inspiration particulièrement dans les créations japonaises et chinoises et dans l’art persan d’Iznik (actuelle Nicée, en Turquie). La collection de Nicolas Zarifi compte plus de 170 pièces. L’une en particulier est intéressante (MAD Marseille, inv. C 1411), évoquant une filiation directe avec un bronze japonais, daté du XVIIe siècle, représentant un des huit immortels taoïstes, Han Zhongli (漢鍾離) [musée Cernuschi, inv. MC 949] ; statuette que nous avons retrouvée dans la collection d’Henri Cernuschi (1821-1896).

Ses collections attestent d’un goût tout à fait éclectique. Bouddhas, tabatières, vajra, stupa et autres miroirs en bronze prennent place aux côtés de peintures sur verre de l’École française du XVIIIe siècle et de l’école italienne des XVIe et XVIIIe siècle ; la collection comptant plus de 300 fixés sous verre.

L’importance de la transmission

Nicolas Zarifi fera bénéficier les Marseillais de ses collections de son vivant, faisant donc une première donation à la ville en 1936. L’acte stipule que l’ensemble ne saurait être modifié sans l’accord du donateur ou de ses ayants cause, « pour ne pas nuire à l’harmonie de l’ensemble des collections » (AD 13, 4 O 58 78). Le donateur demande aussi à ce que lui soit réservée « la totalité de la salle du deuxième étage, côté Midi » du musée Cantini. Il se porte également garant du financement de l’installation des objets mentionnés (AD 13, 4 O 58 78). Cette implication personnelle du collectionneur démontre la pensée d’une homogénéité de l’ensemble des objets collectionnés et offerts, et atteste d’une volonté de maîtrise de la chaîne opératoire. Une deuxième donation suit en 1937, mettant en exergue un verre doré du Quattrocento vénitien (Leveau H., 1937). Un troisième versement adressé au musée Cantini est effectué l’année suivante, comme le relate La Liberté, louant l’acte de mécénat du collectionneur qui entretient « le feu sacré » (C. R., 1938, p. 2). C’est dire aussi la volonté de transmission qui anime l’âme de ce dernier, qui ne collectionne pas seulement pour lui, mais aussi pour les autres. Pour autant, les Archives municipales ne contiennent aucune trace de ces donations ultérieures. Enfin, Théodore Zarifi, frère et héritier de Nicolas Zarifi, mort sans enfant, fait une dernière donation en 1941. En hommage au collectionneur, le musée Cantini inaugure en 1964 une salle portant son nom.

Force est de constater que Nicolas Zarifi se trouve finalement en décalage par rapport au goût artistique de sa famille. Il partage néanmoins cette passion pour le céramiste Théodore Deck et l’art asiatique avec son cousin Polybe Zafiropulo.