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Commentaire biographique

Marie Grobet est issue d’une famille de marchands, fille d’Alexandre Labadié (1814-1892), homme politique inscrit dans la mouvance républicaine, et d’Anna Eugénie Malbernat (1821-1889), sans profession. Sa biographie s’avère lacunaire.

L’héritière d’une riche famille de marchands

Comme le soulignent Bruno Coutancier et Marie-Josée Linou, conservateurs du musée Grobet-Labadié, « [On] ne sait que peu de choses sur son enfance et ses études », si ce n’est son goût pour le piano et son initiation à cet instrument par le biais de cours privés. Il en est de même pour son goût développé de la collection, dont Jean-Amédée Gibert (1869-1945) suppose qu’il viendrait du père (2018, p. 14-15, n. 11). Alexandre Labadié se trouve à l’origine de l’hôtel particulier situé à l’angle du boulevard Longchamp et de la place Henri-Dunan, faisant face au palais Longchamp, nouvellement construit en 1869. Le quartier naissant, en pleine expansion, accueille alors la bourgeoisie montante de Marseille. La cité phocéenne connaît en effet une période de prospérité, marquée pendant les années 1850-1880 par un dynamisme économique, un accroissement urbain, associé à une croissance démographique.

Alexandre Labadié est spécialisé dans le négoce de draps pour l’intérieur et l’exportation, et dispose à ce titre de nombreux contacts avec le Moyen-Orient (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 13). Il tient la maison de commerce fondée par son père dans les années 1830, située au 24, rue Longue des Capucins, dans le quartier Noailles. Catholique pratiquant, il est connu pour ses idées libérales. Il dispose d’une certaine aura politique. D’abord préfet des Bouches-du-Rhône, il est élu président du conseil général, puis devient député en 1870, après la défaite de Sedan (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 14). La conservatrice Danielle Maternati-Baldouy souligne à cet égard un comportement exemplaire auprès de ses concitoyens, relevant son « intégrité morale » et « sa haute probité politique et commerciale » (Maternati-Baldouy D., 1983 ? p. 9).

À la mort de son beau-père Georges-François Malbernat en 1872, il se sert de son héritage pour ériger la demeure, dont il confie l’élaboration des plans à l’architecte Gabriel Clauzel (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 14). Cet hôtel sera le futur écrin de la collection de sa fille Marie.

L’entreprise collectionniste

Le 6 juillet 1872, Marie épouse Bruno Vayson (1840-1896), notable comtadin, maire de Murs et conseiller général du Vaucluse, frère du peintre animalier Paul Vayson (1842-1911). Elle l’entraîne dans sa passion collectionniste, leurs rentes confortables leur permettant de se livrer à leur passion commune. Son mari commence la rédaction des Cahiers en 1873. De 1882 à 1885, ils habitent un temps le 140, boulevard Longchamp, manière de se familiariser avec les lieux, comme le soulignent Bruno Coutancier et Marie-Josée Linou (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 17).

Alexandre Labadié meurt en 1892 et lègue l’ensemble de ses biens à sa fille unique, qui devient de fait propriétaire de l’hôtel particulier en 1893. Marie Vayson s’occupe alors de son aménagement. La collection prend une tournure décorative, avec la priorisation de la sculpture dans les acquisitions réalisées en 1890 (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 38).

Le 11 avril 1896, Marie Vayson déplore la mort de son époux survenue à l’âge de cinquante-cinq ans. Le 24 août 1897, elle épouse en secondes noces Louis Grobet (1851-1917), de condition plus modeste. Après une formation au conservatoire de Marseille, Louis Grobet poursuit ses études au Conservatoire national de Paris. Les événements de 1870 l’obligent à retourner à Marseille, où il persévère dans ses activités de concertiste et de professeur de musique. C’est certainement dans ce contexte qu’il rencontre Marie (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 18). En 1894, il est admis parmi les membres de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Sa sensibilité d’artiste – il est également peintre en amateur – l’amène à soutenir son épouse dans ses projets d’acquisition. Le couple poursuit ainsi de concert la collection.

De la collection au musée Grobet-Labadié

Tous deux continuent de tenir les carnets, sorte de « chroniques de la collection » (Coutancier B., Linou M.-J., 2018). Les carnets, neuf au total, regroupés sous l’intitulé Catalogue des œuvres d’art, s’achèvent le 16 février 1917 avec la mort de Louis Grobet, mort des suites de la grippe espagnole. L’entreprise de collection prend également fin. L’hôtel est cédé du vivant de Marie Grobet, à la Ville de Marseille, afin d’en faire un musée. La donation est effectuée le 19 octobre 1919 et entérinée par le conseil municipal le 24 janvier 1920. Jean-Amédée Gibert est nommé conservateur. Marie Grobet contribue au financement de l’aménagement des locaux. Mais, à la suite de lenteurs administratives, le musée n’est inauguré que le 3 novembre 1925 par le sénateur-maire Siméon Flaissières (1851-1931 ; maire de Marseille de 1892 à 1902 et de 1919 à 1931). Marie Grobet déménage alors au 483, rue Paradis, se ménageant également un pied-à-terre à Paris.

Constitution de la collection

L’entreprise collectionniste s’achève avec la mort de son second mari, Louis Grobet. En ce sens, la collection est considérée comme un ensemble fermé, qui fait sens avec l’immeuble qui l’abrite. Elle est à comprendre comme un cycle, correspondant à des moments de vie. Les objets ne constituent pas un ensemble homogène, qui serait composé en séries ou en thématiques précises. Bruno Coutancier et Marie-Josée Linou invoquent à cet égard « un geste global » (2018, p. 9).

De la collection au musée Grobet-Labadié

Le projet de donation englobe toutes les collections du 140, boulevard Longchamp. Marie Grobet joint cependant à cette donation un certain nombre de conditions (AM Marseille, 59 R 1). Il s’agira d’en faire tout d’abord un musée accessible, identifiable sous l’intitulé de « musée Labadié-Grobet » – l’inversion sera finalement privilégiée –, qu’une plaque de marbre rappellera sur la façade. La collectionneuse veille également à l’intégrité de sa collection. « Aucun objet étranger à la collection ne pourra y être ajouté », précise-t-elle. De même, « [aucun] objet ne pourra sortir du Musée ». Elle prend soin de signaler la nécessité de placer « les bibelots fragiles », dans des vitrines prévues à cet effet. L’attention est portée sur l’identification des pièces exposées et la nécessité de présenter un catalogue des objets numérotés dans chaque salle. Le musée sera payant, et placé sous la surveillance d’une commission, sous la responsabilité d’un conservateur. Marie Grobet supervise la transformation progressive de l’hôtel en musée. Elle donne son avis sur les projets qui lui sont soumis.

La quatrième Commission de l’enseignement et des beaux-arts, au cours d’un voyage dans le sud de la France, dans les musées ayant refusé de participer à l’exposition du musée Carnavalet sur les chefs-d’œuvre des musées de province, programmée en janvier 1933, évoque « un charmant petit musée où l’on ne rencontre point de chef-d’œuvre, mais où les jolies choses abondent ». Le musée Grobet-Labadié réunit « [une] fort belle collection particulière », qui le rapproche du musée Cognacq-Jay à Paris. La délégation relève aussi la profonde diversité de cette collection (1933, p. 7).

L’art asiatique dans les collections : une présence éparse

L’art asiatique occupe ainsi une place singulière dans cette collection tout à fait éclectique, riche de plus de 5 000 objets.

Les faïences des fabriques locales de Moustiers et de Marseille, et celles de Strasbourg et de Delft marquent l’entrée et le vestiaire de l’hôtel particulier, auréolés d’objets religieux du Moyen Âge. L’horloge de parquet du XVIIIe siècle en noyer (GL 634), qui marque un temps d’arrêt dans l’escalier menant au premier étage, surmonté d’un petit Chinois en bronze, donne le ton sur l’exotisme latent de la collection. En prenant l’escalier des basses-offices, il convient de noter la présence d’éléments architecturaux du style XVIIIe siècle. Du mobilier Louis XVI garnit le Salon, dont les murs sont parés de tableaux légers de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) et de François Boucher (1703-1770). Le boudoir est tendu de tapisseries d’Aubusson et ponctué d’appliques et de potiches en faïence. Le mobilier de la salle à manger réunit différents styles, du Louis XIV au Louis XVIII, relevé par un tapis de prière, du Caucase, daté du début du XIXe siècle (inv. GL 1812).

Les faïences édifient les petits espaces. Sur le palier du deuxième étage, deux vitrines contiennent des objets de curiosité : épée, fourreaux, haches, boîtes, poignets, briquets. La sculpture du XVIe siècle, du mobilier Henri II et Louis XIII, associé à une porte gothique, compose le fumoir du premier étage. L’antichambre est garnie d’un mobilier italien, entre autres. Des portraits féminins et des scènes légères décorent le cabinet de toilette. Enfin, la salle de musique opère un rapprochement entre la Chine, le Japon, la Perse et les peintures de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Gustave Ricard (1823-1873), Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), Rembrandt (1606-1669), Honoré Daumier (1808-1879), Pierre Puget (1620-1694), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Narcisse Virgilio Díaz (1807-1876), François Marius Granet (1775-1849), Louis Grobet, Jean-François Millet (1814-1875), Charles-François Daubigny (1817-1878), Félix Ziem (1821-1911), etc. Une paire de potiches en émaux cloisonnés orne la cheminée. La salle des primitifs se remarque par l’omniprésence de l’Empire perse, avec un bassin du XVIe siècle, venant d’Iran, en cuivre incrusté d’argent ciselé (inv. GL 1375), un vase à col évasé et à corps sphérique de l’époque Qājār (1794-1925), du XIXe siècle (inv. GL 1377), deux pyxides en cuivre ciselé (inv. GL 1378 et GL 1394), une coupe hémisphérique de la même matière (inv. GL 1379) et une poudrière piriforme (inv. GL 1380). Jean-Amédée Gibert note dans la salle Fragonard la présence d’une étoile en faïence de Perse à reflets métalliques du XIIIe siècle (Gibert J.-A., Gonzalès P., 1930, p. 13), aux côtés de porcelaines chinoises et japonaises. Le cabinet des faïences du premier étage est garni de porcelaines Imari du Japon, datées de la fin du XVIIIe siècle (inv. GL 1247, GL 3332, GL 3335, GL 1246).

Cette touche d’exotisme apparaît dans la salle de musique et de façon sporadique dans le décor de certaines faïences de Delft ou de Rouen, évocatrices des tendances sinisantes ou japonisantes, qui conditionnent surtout les premières productions. L’art asiatique ponctue ainsi la décoration, de façon diffuse, par touches discrètes.

L’influence mesurée du japonisme sur les collections

Le 21 juin 1891, le couple acquiert à l’hôtel des ventes Drouot, à Paris, un album d’estampes japonaises, intitulé Les Dix-Huit Restaurants de Tokyo, identifié sous le lot no 347 du catalogue de vente d’un amateur. La vente est menée sous le marteau du commissaire-priseur Me Maurice Delestre (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 77). La collection d’estampes japonaises compte également dix feuilles de la série des « Cinquante-trois relais du Tôkaidô » réalisée par Katsushika Hokusai (1760-1849), quatorze de la « Série des trente-six fleurs » d’Hiroshige II [Utagawa Ryusho] (1829-1869) et quelques-unes de son père adoptif, Andô Hiroshige (1797-1858). Ces quelques gravures témoignent de l’influence du japonisme sur la collection. Il convient également de relever deux kozuka (inv. GL 6520, GL 6521), ou manches de poignards, qui évoquent ces petits objets gravés, dont sont tant friands les Occidentaux.

Un ensemble de bronzes chinois, évoquant les huit immortels taoïstes et d’autres symboles bouddhistes, qui ornaient une vitrine du salon de musique, ou du studio, du temps de Jean-Amédée Gibert (1930, p. 22), restent aujourd’hui confinés dans les réserves mutualisées de la Ville de Marseille.

Ainsi, convient-il de relever quelques objets collectionnés en séries, même si l’ensemble constitué reste inachevé.

La question des provenances : achats, échanges, magasins et ventes aux enchères

Les carnets tenus par Marie Grobet (Archives du musée Grobet-Labadié) nous délivrent des renseignements précieux sur les provenances de ses différentes acquisitions. Mais nombre de pièces demeurent orphelines, et le descriptif de certaines d’entre elles est tellement factuel qu’il est difficile de savoir de quelle pièce il s’agit véritablement. Les carnets n’en demeurent pas moins intéressants pour comprendre la genèse de la collection et donnent des indications sur le commerce d’objets asiatiques à Marseille, « porte de l’Orient ».

Ainsi, le 1er juin 1889, Marie Grobet se rend au Dépôt chinois, au 49, rue de la Victoire, et achète une ceinture japonaise, en soie brochée, bleu clair et marron clair, un plateau en laque avec figures de musiciens et une petite coupe en porcelaine. Chez Foa, un antiquaire situé rue de Paradis, elle devient propriétaire en juillet 1896 d’une paire de vases de Chine, à fond blanc, à décor fleuri. Marie Grobet côtoie également les grands antiquaires parisiens spécialisés dans les arts asiatiques (Coutancier B., Linou M.-J., 2018), que sont Philippe Burty (1830-1890) et Siegfried Bing (1838-1905).

Aussi, la collectionneuse fréquente assidûment les ventes aux enchères. À la vente L. Demarre, organisée le 10 novembre 1889, au château de Goult dans le Lubéron, elle fait l’acquisition d’un petit pot à lait en porcelaine de Chine, de la famille rose, de deux petites tasses en porcelaine chinoise et d’une soucoupe en porcelaine du Japon, auxquels s’ajoute une assiette de Delft, à décor Imari.

Des transactions de particulier à particulier, Marie Grobet acquiert auprès de Mme René X, habitant au 37, boulevard Chave, un lot d’assiettes de Chine et un pot du Japon.

Aussi, leurs voyages les conduisent à agrémenter leur collection, suivant leur destination. Mais d’aucuns les mènent en Asie.

La lecture des carnets, mis en forme et analysés par Bruno Coutancier et Marie-José Linou, montre une évolution des collections au grès des opportunités d’achat et de vente (2018, p. 28). Si Jean-Amédée Gibert observe un « un goût châtié », alliée à « une érudition profonde » (1930, p. 6), la collection se révèle hétéroclite dans ses composantes et « obéit pour l’essentiel à une logique d’aménagement de résidence » (Coutancier B., Linou M.-J., 2018, p. 31). L’art asiatique correspond à une touche diffuse et discrète, parure envoûtante d’un intérieur aménagé à dessein, témoignage de la curiosité d’une collectionneuse pour l’exotisme latent, caractéristique des collections du XIXe siècle.