Madame Victoire (FR)
Commentaire biographique
Victoire de France est le septième enfant et la cinquième fille de Louis XV (1710-1774) et de Marie Leszczyńska (1703-1768). Contrairement à ses aînés, Madame Victoire n’est pas élevée ni éduquée à Versailles, mais envoyée, avec ses sœurs cadettes, à l’abbaye de Fontevrault, de juin 1738 jusqu’en 1748. Le cardinal de Fleury (1653-1743), alors principal ministre de Louis XV, estime en effet que le coût de son éducation et de celle de ses sœurs à Versailles aurait été trop élevé. Selon madame Campan (1752-1822), lectrice de Mesdames, il en coûte aux jeunes princesses une éducation insuffisante : « Le cardinal de Fleury, qui, à la vérité, eut le mérite de rétablir les finances, poussa ce système d’économie au point d’obtenir du roi de supprimer la maison et l’éducation des quatre dernières princesses. Elles avaient été élevées, comme simples pensionnaires, dans un couvent, à quatre-vingts lieues de la Cour. [Le cardinal] aima mieux confier l’éducation de Mesdames à des religieuses de province. Madame Louise m’a souvent répété qu’à douze ans elle n’avait point encore parcouru la totalité de son alphabet, et n’avait appris à lire couramment que depuis son retour à Versailles. Madame Victoire attribuait des crises de terreur panique qu’elle n’avait jamais pu vaincre aux violentes frayeurs qu’elle éprouvait à l’abbaye de Fontevrault, toutes les fois qu’on l’envoyait, par pénitence, prier seule dans le caveau où l’on enterrait les religieuses » (Jeanne-Louise-Henriette Campan, Mémoires sur la vie de Marie-Antoinette […] suivis de souvenirs et anecdotes historiques sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI, Édition Didot Frères, 1849, p. 51).
Le 24 mars 1748, Madame Victoire écrit à son père et obtient la permission de revenir à Versailles. En novembre 1750, elle y est rejointe par ses sœurs Sophie (1734-1782) et Louise (1737-1787). Elles ne vivent pas dans les appartements de Mesdames aînées, mais on leur octroie les appartements de Mesdames cadettes, aux soins de Marie-Angélique-Victoire de Burnonville, duchesse de Duras (1686-1787). Pour améliorer l’éducation médiocre qu’elles ont reçue au couvent, Madame Victoire et ses sœurs s’adonnent, dès leur retour à Versailles, à l’étude : « Elles se livrèrent avec ardeur à l’étude, et y consacrèrent presque tout leur temps ; elles parvinrent à écrire correctement le français et à savoir très bien l’histoire. […] L’italien, l’anglais, les hautes mathématiques, le tour, l’horlogerie, occupèrent successivement les loisirs de ces princesses » (J.-L.-H. Campan, 1849, p. 52). À la suite de son séjour à Versailles, du 24 décembre 1763 au 8 janvier 1764, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) dédie à Madame Victoire l’opus 1 (K6-7) de ses sonates pour clavier avec accompagnement éventuel au violon, publiées au printemps de 1764.
En raison de son aimable personnalité Madame Victoire est bien reçue à la Cour, comme l’atteste madame Campan : « Madame Victoire était belle et très gracieuse ; son accueil, son regard, son sourire étaient parfaitement d’accord avec la bonté de son âme » (J.-L.-H. Campan, 1849, p. 52). À la différence de sa sœur Adélaïde, aux manières plus dures, Victoire, « bonne, douce, affable, vivait avec la plus aimable simplicité dans une société qui la chérissait : elle était adorée de sa maison » (J.-L.-H. Campan, 1849, p. 57). En 1753, il lui est proposé d’épouser son beau-frère, le roi Ferdinand VI (1713-1759) d’Espagne, dont la femme, Barbara (1711-1758) de Portugal est gravement malade ; cette dernière survit toutefois et, faute de parti catholique de son rang, Victoire ne se marie pas. Avec le temps, elle prend du poids, et Louis XV la surnomme affectueusement « Coche », pour « petit cochon ».
Madame Victoire suit sa sœur, Madame Adélaïde dans ses intrigues contre madame de Pompadour (1721-1764) et plus tard contre madame du Barry (1743-1793). Lorsque Marie-Antoinette (1755-1793) devient la dauphine en 1770 et au cours de ses premières années en France, elle se lie d’amitié avec Mesdames, qui portent à leur neveu, le dauphin Louis, une grande affection. Madame Adélaïde, soutenue par Mesdames Victoire et Sophie, s’attache à gagner Marie-Antoinette à sa cause contre madame du Barry, encourageant fréquemment la dauphine à des rebuffades envers la maîtresse du roi. En 1772, cette situation a tendu à ce point les rapports entre le roi et Marie-Antoinette que la mère de celle-ci, l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780) et son ambassadeur, inquiets des conséquences politiques de cette inimitié pour les relations entre la France et l’Autriche, contraignent la dauphine de s’entretenir avec madame du Barry, ruinant ainsi les intrigues de Madame Adélaïde et mettant un terme à l’amitié entre Mesdames et Marie-Antoinette.
D’avril 1774 à la mort de Louis XV, le 10 mai 1774, Madame Adélaïde et ses sœurs veillent leur père, malade de la variole. Les sœurs contractent la maladie et sont placées en quarantaine près du château de Choisy, puis guérissent. À partir de ce moment, Victoire et sa sœur Adélaïde s’éloignent de la Cour et préfèrent demeurer dans leur château de Bellevue, à Meudon. Après la désagrégation de leurs relations avec Marie-Antoinette, le salon de Mesdames devient le lieu de rencontre des ennemis de la reine ; il est fréquenté par le ministre Maurepas (1701-1781), dont Adélaïde avait soutenu la position, par le prince de Condé (1727-1776) et par le prince de Conti (1717-1776), tous membres du parti anti-autrichien, et Beaumarchais y lit ses satires contre l’Autriche.
Madame Victoire et sa sœur Adélaïde sont présentes à Versailles lorsque les femmes parisiennes marchent sur le château, le 6 octobre 1789, et parmi celles et ceux qui se réfugient dans les appartements du roi la nuit où est attaquée la chambre à coucher de Marie-Antoinette. Lorsque la Cour quitte Versailles pour les Tuileries, leur voiture se sépare du convoi et prend la route du château de Bellevue. Après avoir obtenu leurs passeports pour Rome, Victoire et Adélaïde s’apprêtent à partir, le 3 février 1791. Mais leur intention s’est ébruitée ; le départ prévu provoque des protestations à l’Assemblée nationale et, le 19 février, une foule de femmes se rassemble au Palais-Royal dans le but de marcher sur Bellevue afin d’empêcher Mesdames de quitter le royaume. Elles partent néanmoins le 20 février 1791, mais elles sont à nouveau arrêtées par des manifestations à Moret et détenues quelques jours, à partir du 21 février, à Arnay-le-Duc. À Paris, les protestations contre leur départ reprennent ; les protestataires marchent sur les jardins des Tuileries, demandant au roi le retour de ses tantes. Après un débat à l’Assemblée nationale, il est décidé que la défection de Mesdames aura peu de conséquences sur la cause générale de la Révolution. Après que de nouvelles protestations ont encore retardé le départ d’Arnay-le-Duc, Mesdames quittent finalement la ville, le 3 mars, pour la Savoie, où le roi de Sardaigne les héberge dans son château de Chambéry. Adélaïde et Victoire sont accueillies le 16 avril 1791 à Rome, où elles demeurent cinq ans. Lorsque l’Italie est envahie par la France révolutionnaire, en 1796, elles quittent Rome pour Naples, et lorsque Naples est envahie par la France, en 1799, elles partent pour Corfou. Elles s’installent enfin à Trieste. Madame Victoire y meurt d’un cancer du sein, le 7 juin 1799. Son corps, avec celui de sa sœur, morte en 1800, est ramené en France sur ordre du roi Louis XVIII lors de la Restauration des Bourbons, et elle est enterrée à la basilique de Saint-Denis.
Constitution de la collection
Mécénat
Des inventaires des collections de Madame Victoire établis de son vivant ressortent surtout les meubles et les pièces ou objets d’ameublement, ce qui pourrait laisser penser qu’elle ne s’intéressait guère aux arts visuels – à la peinture ou à la sculpture – ni aux objets d’art. Toutefois, malgré le peu de documentation disponible, nous savons que Madame Victoire, aux côtés de sa sœur Madame Adélaïde, joua un certain rôle de mécène. Toutes deux soutiennent avec enthousiasme la peintre Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803). Si Marie-Antoinette protège Anne Vallayer-Coster (1744-1818) et Elisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842), Mesdames Adélaïde et Victoire sont déterminées à cultiver leur identité propre, tenant leur cour au Château de Bellevue, et non à Versailles, et soutenant Adélaïde Labille-Guiard (M. Sprinson de Jesús, 2008, p. 157). En 1787, Labille-Guiard réalise deux études préparatoires au pastel pour des portraits de Mesdames Adélaïde et Victoire, aujourd’hui conservées, avec les portraits achevés, au Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Apprenant qu’un portrait de Marie-Antoinette et ses enfants a été commandé à Vigée Le Brun pour le Salon de 1787, Marie Adélaïde, soucieuse des prérogatives de son rang, passe commande à Labille-Guiard de portraits peints en pied d’elle-même, de sa sœur Madame Victoire et de sa nièce Madame Elisabeth, qui doivent être exposés au Salon aux côtés du portrait de Marie Antoinette (le portrait de Madame Victoire ne fut achevé qu’en 1788 et exposé au Salon de 1789). Mesdames sont tellement satisfaites du résultat qu’elles demandent à Louis XVI d’accorder à l’artiste le titre de premier peintre de Mesdames, qui doit figurer accolé au nom de Labille-Guiard dans le livret du Salon (M. Sprinson de Jesús, 2008, p. 162). Cette galerie de portraits révèle les divisions de la famille royale à la veille de la Révolution. Selon Jean Cailleux, « Dans l’opposition à l’extravagance de la reine, à sa nature capricieuse, à ses amis, dans l’opposition à la faiblesse du roi qui cédait aux demandes de son épouse, il y avait la coalition des filles de Louis XV, Mesdames. Elles représentaient l’esprit de la vieille Cour, la morale rigide et les principes chrétiens de leur mère et du dauphin leur frère » (J. Cailleux J., 1969, p. iv [trad. originale]).
Porcelaine dans la collection
Mesdames furent parmi les plus fidèles clientes de la Manufacture royale de Sèvres, où elles acquirent de nombreuses pièces : Madame Victoire y dépense plus de 15 000 livres entre 1766 et 1788 (C. Baulez, 2001, p. 13). Dans l’inventaire de 1786 du château de Bellevue (AN, O/1/3379) ressortent certaines pièces en porcelaine de Sèvres de la collection de Madame Victoire, dont des vases avec figures et fleurs, des vases à anses en forme de serpents et plusieurs figures féminines en biscuit de Sèvres.
Livres dans la collection
Mesdames possédaient aussi une vaste bibliothèque. Leurs reliures se différenciaient par leur couleur : la collection de Madame Victoire était reliée de vert, celle de Madame Adélaïde de maroquin rouge, et celle de Madame Sophie de citron. Toutes ces reliures sont aux armes, identiques, de fille de France. La collection de Mesdames comportait un exemplaire d’une œuvre bien connue du père Jean-Baptiste Du Halde (1674-1743), la Description géographique, historique, chronologique, politique, et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, enrichie des cartes générales et particulières de ces pays, publiée pour la première fois à Paris en 1735 et rééditée en 1770. L’ouvrage, commun aux plus riches bibliothèques du XVIIIe siècle, comprend des journaux de voyage, de grandes cartes, et des descriptions détaillées des provinces chinoises et de leurs principales villes, mettant l’accent sur les succès des missions jésuites françaises en Chine, pour le plus grand plaisir des esprits cultivés qui s’intéressaient à la Chine (M.-L. de Rochebrune, 2014, p. 7-8).
Objets asiatiques dans la collection
En comparaison de sa sœur Madame Adélaïde, les inventaires de Madame Victoire témoignent d’un grand intérêt pour les meubles et pièces d’ameublement asiatiques ou de goût oriental. Parmi ses possessions au château de Versailles figuraient une chaise indienne, un lit de taffetas chiné orné de guirlandes florales et d’un galon vert pomme, ainsi qu’une pendule de Charles Baltazar (v. 1700-1773), qui avait reçu le titre d’horloger de Mesdames filles de France, ornée d’une figure chinoise tenant un parasol. La collection de Madame Victoire au château de Choisy comprenait un pare-feu (« grille à quatre branches ») orné de deux figures masculines chinoises, une tapisserie indienne en bazin, un fauteuil de toilette indien matelassé à points d’or, un tabouret couvert de tissu indien, un prie-Dieu couvert de brocart de Siam, un lit et des chaises siamois, un ensemble constitué d’une commode, d’un secrétaire, et d’une encoignure en laque chinois ancien et en marbre du Tholonet ou Brèche d’Alep. Parmi ses possessions au château de Bellevue furent notés une chaise avec des housses siamoises, un paravent pliant d’acajou tendu de papier chinois et un secrétaire marqueté d’essences indiennes. Au château de Compiègne, elle avait une tapisserie des Gobelins représentant des animaux, des fleurs et des fruits indiens, un lit à la duchesse en impériale, des fauteuils et un paravent pliant tendu de taffetas chiné à décor de bouquets de fleurs ainsi qu’un ensemble comprenant une grande ottomane, un fauteuil, quatre autres chaises, un repose-pied, un paravent, tendus de taffetas chiné à décor de bouquets de fleurs, de rinceaux en arabesque, de fruits et d’oiseaux sur fond blanc. Le chiné est une étoffe obtenue avec des fils de chaîne préteintés ou imprimés d’un motif, de façon à créer un effet doucement brouillé lorsque chaîne et trame sont finalement tissées ensemble. Le chiné devient de plus en plus prisé en Europe au milieu du XIXe siècle, avec la vogue que connaissent les objets venus d’Orient. Si les premières pièces viennent effectivement de Chine, la France produit dans les années 1760 ses propres tissus chinés. On ne peut déduire des inventaires de Madame Victoire que ses taffetas chinés aient été des originaux chinois ou des copies françaises. Sa collection témoigne néanmoins d’un intérêt manifeste pour les objets asiatiques et orientaux, quoique les mélanges y soient assez excentriques.
Notices liées
Collection / collection d'une personne
Personne / personne