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21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Jules Ferdinand Jacquemart (1837-1880) était un aquafortiste des plus renommés de son temps et aquarelliste de talent, également connu pour sa collection tout à fait unique de chaussures.

Les débuts de Jules Jacquemart

Jules Jacquemart est né le 8 septembre 1837 à Paris (AP, V3E/N 1193). Fils du collectionneur de céramiques et érudit Albert Jacquemart (1808-1875) et de Louise Émilie Labbé (1813?-1884), il est le troisième d’une fratrie de quatre enfants, avec ses sœurs Louise Pauline (1834-1885), Marie Louise (1835-?) qui meurt sans doute précocement et Marie Augustine (1844-1912) (D’Abrigeon P., 2019, p. 82).

La question de la formation de Jules Jacquemart reste mystérieuse. Son père, qui a peut-être étudié à l’École des Beaux-Arts et probablement dans l’atelier de Claude-Marie Dubufe (1790-1864) (D’Abrigeon P., 2019, p. 82), et sa mère qui, dans sa jeunesse, exécute des dessins inspirés des œuvres de Dubufe, ont très certainement joué un rôle important dans la sensibilisation artistique de Jules Jacquemart. Pour Alfred Darcel (1818-1893) les œuvres du père, en particulier ses aquarelles peintes pour le Muséum d’histoire naturelle ont certaines qualités communes avec les eaux-fortes du fils : « C’est la même précision dans le dessin, la même justesse dans le ton et le même sentiment de la matière » (Darcel A., 1875, p. 477). L’élève aurait cependant largement dépassé son instructeur, au point de faire dire à Georges Duplessis (1834-1899) qu’« il n’eut pas en réalité de maître » (Duplessis G., 1880, p. 5).

Un autre élément important de l’apprentissage de Jules Jacquemart est sa formation aux usages du dessin industriel. Sa carrière aurait en effet commencé en dessinant plusieurs compositions pour une entreprise de papiers peints (Duplessis G., 1880, p. 5) ou de tapis (Burty P., 1862, p. 2), quoiqu’aucune œuvre de ce type n’ait pour l’instant été retrouvée.

Ce n’est qu’ensuite que Jules Jacquemart aurait commencé à graver, pour proposer des planches à son père qui peinait à trouver un illustrateur pour l’Histoire artistique, industrielle et commerciale de la porcelaine (Jacquemart A., Le Blant E., 1862) (Duplessis G., 1880, p. 6). On ignore comment il aurait été initié à la gravure à l’eau-forte, technique encore peu usitée à l’époque (Bailly-Herzberg J., 1972 a., p. XIII-XIV) ; on retrouve en revanche dans sa bibliothèque le Traité des manières de graver en taille douce d’Abraham Bosse (1645), manuel technique de référence dont il se serait probablement servi.

En 1859, Jules Jacquemart publie ses toutes premières illustrations dans la Gazette des Beaux-arts, d’abord en fournissant un dessin pour un article sur le décor des porcelaines chinoises signé pard’Albert Jacquemart et Edmond Le Blant(Jacquemart A. et Le Blant E., 1859, p. 65-75), puis une eau-forte pour un article sur la porcelaine des Médicis (Jacquemart A., 1859, p. 285). Sans doute introduit auprès des éditeurs par son père, il collaborera toute sa vie à la revue.

Sa manière de représenter des objets d’art, très vite remarquée pour sa finesse et son exactitude (Darcel A., 1861, p. 218) fera de lui un illustrateur particulièrement apprécié et sollicité régulièrement par plusieurs revues : L’Art, la Gazette archéologique ou les Annales archéologiques.

Jules Jacquemart l’aquafortiste

À côté de ses contributions pour la presse artistique, Jacquemart réalise diverses séries gravées comme ses Compositions de fleurs ou des reliures anciennes pour l’Histoire de la Bibliophilie (Paris : J. Techener, 1861-1864).

Il expose aussi régulièrement certaines de ces planches au Salon. Pour sa première participation en 1861, il présente – outre deux gouaches, Canard sauvage (Paris, musée du Louvre, inv. RF 2713) et Courlis (Paris, musée du Louvre, inv. RF 2392) – les eaux-fortes Les joies de la vie, trois planches illustrant l’Histoire de la Bibliophilie et vingt eaux-fortes de porcelaines de la Chine et du Japon tirées de l’Histoire de la Porcelaine (Sanchez P., Seydoux X., 2004, Salon de 1861, n1617-1618 et 3756-3758).

En 1865 paraît la première partie des Gemmes et Joyaux de la Couronne de Henri Barbet de Jouy (1812-1896). Ces planches d’objets précieux de la galerie d’Apollon au Louvre sont des gravures d’une impressionnante virtuosité, où sont systématiquement rendus la texture, l’éclat et la densité propres à chaque matériau. Cette série, à laquelle travaille Jacquemart entre 1864 et 1868, est saluée comme une de ses œuvres majeures (Duplessis G., 1880, p. 7), et deux de ses planches qu’il expose au Salon de 1864 sont récompensées par une médaille (Sanchez P., Seydoux X., 2005 a., Salon de 1865, p. XIV). Jacquemart est également sollicité par le surintendant des Beaux-Arts, le comte de Nieuwerkerke (1811-1892), pour illustrer en douze planches une partie de sa collection d’armes (1868). Il s’impose désormais comme le « créateur d’un genre nouveau, le rendu des objets d’art », parvenant « à faire, de gravures que d’ordinaire on ne considère que comme de simples ‘planches explicatives’, des estampes admirables, quelquefois de pures merveilles, qui elles-mêmes seront un jour des objets de curiosité. » (Béraldi H., 1885-1892, p. 192).

Membre de la Société des Aquafortistes, fondée en 1862 autour d’Auguste Delâtre (1822-1907) et d’Alfred Cadart (1828-1875), il grave le frontispice de la première publication de la Société (Société des Aquafortistes, 1862, n.p.). Médaillé au Salon en 1866 puis en 1867 (médaille de 3e classe), il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1869 (Sanchez P., Seydoux X., 2005 b., Salon de 1870 p. XVII), quoique son dossier de légionnaire, comme celui de son père, soit manquant. Jules Jacquemart devient membre du jury d’admission et des récompenses au Salon pour la section de gravure et de lithographie de 1869 à 1873, puis en 1880 (Sanchez P. et Seydoux X., 2005 b., Salon de 1869, p. XCVIII et CI ; Sanchez P., Seydoux X., 2006 b., Salon de 1880, p. CXVIII). En 1873, il est envoyé à Vienne comme membre international du jury de l’Exposition universelle (Liste der Mitglieder der internationalen Jury, 1873, p. 29). Chevalier de l’ordre de François-Joseph, il devient correspondant de l’Académie de Vienne en France (Enault L., 1880) : sa renommée est internationale.

Elle s’étend même outre-Atlantique lorsque le Metropolitan Museum of Art lui confie en 1871 la réalisation de son premier portfolio, Etchings of Pictures in the Metropolitan Museum New York (Londres : P.&D. Colnaghi & Co., 1871), rassemblant dix eaux-fortes de toiles nouvellement acquises en Europe par le musée, ou lorsque l’Américain Joseph-Florimond, duc de Loubat (1831-1927), lui demande d’illustrer de 170 planches The Medallic history of the United States of America, 1776-1876 (New York : The author, 1878).

En 1878, Jules Jacquemart participe au Salon après quatre ans d’absence, et reçoit une médaille d’honneur dans le cadre de l’Exposition universelle (Sanchez P., Seydoux X., 2006 b., Salon de 1880, p. LXXXIII). En 1879, il expose une dernière fois au Salon en présentant La Joconde d’après Léonard de Vinci (Sanchez P., Seydoux X., 2006 b., Salon de 1879, no 5690), et s’éteint à Paris le 27 septembre 1880 (AP, V4E 4696). Malgré le grand talent de ce graveur, qui s’est principalement illustré par des reproductions d’objets, le changement de goût du public en faveur des estampes originales d’artistes fera peu à peu oublier le nom de Jacquemart (Ganz J. A., 1991, p. 3).

Jules Jacquemart l’aquarelliste

Les premières aquarelles connues de Jules Jacquemart sont les versions colorées des planches de l’Histoire de Porcelaine (Boston, Museum of Fine Arts, inv. 21.10742 à 21.10745). Il est difficile de savoir quelle fut la fonction de ces œuvres : s’agissait-il d’études préparatoires ou bien de projets aboutis destinés à convaincre l’éditeur des talents d’un jeune artiste alors inconnu ? Toujours est-il que l’aquarelle reste un médium peu utilisé par Jules Jacquemart avant la dernière partie de sa vie. Au début des années 1870, Jacquemart utilise ponctuellement ce médium pour des œuvres très personnelles telles que le Portrait en pied de sa sœur Marie-Thérèse, appelée plus tard Mme Émile Masson (Paris, musée du Louvre, inv. RF 4194) ou La chambre d’Henri Regnault après sa mort, le lendemain de Buzenval (Paris, musée du Louvre, inv. RF 5187), deux œuvres datées de 1871.

Lors de son voyage à Vienne en 1873, Jules Jacquemart contracte une maladie pulmonaire dont il ne se remettra jamais vraiment. Sa santé vacillante le pousse à passer désormais ses hivers dans le Sud de la France, à Menton, jusqu’à sa mort. Ces séjours sont l’occasion pour lui de réaliser de nombreuses aquarelles, pour capter les paysages et la lumière de « ce splendide midi, [qu’il] affectionn[e] tant » (INHA, Autographes 94/82490-82492 ; lettre de M. Bailly à Jules Jacquemart du 17 février 1878). Il utilise un nombre de tons assez restreint et une facture abrégée, qui lui permettent, en laissant le blanc du papier en réserve, d’obtenir des effets de lumière éblouissants (Gonse L., 1881a, p. 222), comme dans Le Pont Carrei à Menton (?, Paris, musée du Louvre, inv. RF 2709).

Malgré un refus des deux premières aquarelles présentées au Salon de Paris (Dreyfous M., 1880), ses œuvres connaîtront auprès du public et de ses pairs un vif succès. En 1872, 1875 et 1877, il participe à l’Exposition de la Société Belge des Aquarellistes à Bruxelles (Doc. Orsay – Boîte Jacquemart/Dépouillement des Salons Belges 1851-1900). On sait qu’il expose également des aquarelles vers 1877-1878 à Nice (INHA, Autographes 94/82490-82492 ; lettre de M. Bailly à Jules Jacquemart du 17 février 1878). Aquarelliste novateur, il est un membre fondateur de la Société des Aquarellistes en 1879. Il sera aussi considéré comme un maître dans ce domaine (Hôtel Drouot, 1881, p. VI). Le musée du Louvre dispose aujourd’hui d’un grand nombre d’aquarelles réalisées dans les environs de Menton grâce à un legs de la baronne Nathaniel de Rothschild (1825- 1899), effectué en 1899.

Jules Jacquemart et le Japonisme

Dans son article rétrospectif « Le Japon à Paris – I », Ernest Chesneau (1833-1890) mentionne Jules Jacquemart comme un japonisant de la première heure, ayant commencé à collectionner des objets japonais avant que la vogue du Japon ne s’empare du grand public (Chesneau E., 1878, p. 386-387). Il est vrai que Jules Jacquemart a pu être familiarisé très tôt avec les collections de céramiques chinoises et japonaises de son père, et, grâce à ce dernier, avec celles des quelques collectionneurs dont il a représenté les œuvres pour préparer le tome de l’Histoire de la porcelaine paru en 1862.

Jules Jacquemart est bien inséré dans des cercles d’amateurs des arts de l’Asie. Il travaille avec Philippe Burty (1830-1890), avec qui il se lie d’une grande amitié, puis Louis Gonse (1846-1921) à la Gazette des Beaux-Arts. Vers 1868, il fréquente aussi régulièrement le graveur Félix Bracquemond (1833-1914), les critiques d’art Philippe Burty et Zacharie Astruc (1833-1907), les peintres Henri Fantin-Latour (1836-1904) et Alphonse Hirsch (1843-1884), le céramiste et directeur de la Manufacture de Sèvres Marc-Louis Solon (1835-1913), Jules Nérat (?-?) et une personne non identifiée, « Prudence », avec qui il forme la Société du Jinglar, groupe d’amis d’obédience républicaine amateurs d’art japonais, qui se réunissaient une fois par mois, au moins entre août 1868 et mars 1869 (Bouillon J.-P., 1978, p. 110) chez Solon à Sèvres, pour s’amuser et boire ce petit vin aigre de pays ginglard, dont le nom a été japonisé de manière humoristique en Jing-lar (Lacambre G., 1988, p. 80).

L’intérêt de Jules Jacquemart pour l’Extrême-Orient se manifeste aussi à travers ses créations artistiques : Une exécution au Japon, aussi appelée Le supplicié Mamija Hasimé (1867), représente un fait divers contemporain japonais et a été réalisée d’après une photographie (Gonse L., 1876 a., p. 479). L’eau-forte Un éclat d’obus (date et localisation inconnue) est une anecdote pittoresque intimement liée aux événements de la Commune, présentant des œuvres de sa collection. Jules Jacquemart et sa famille se trouvaient en effet à Paris à ce moment, il s’était engagé auprès des Tirailleurs de la Seine (Darcel A., 1872, p. 425). Un projectile atteint son domicile, endommageant notamment l’endroit où devait se trouver sa collection : l’artiste immortalise cette scène, où quelques figurines chinoises semblent s’approcher des décombres et regarder l’intrus d’un air plein de reproches. Parmi ses œuvres peintes, Jules Jacquemart réalise notamment Bibelots japonais (date et localisation inconnue) qu’il envoie à l’Exposition de la Société belge des aquarellistes en 1872, sous le numéro 88 (Doc. Orsay – Boîte Jacquemart/Dépouillement des Salons Belges 1851-1900). En 1879, il réalise « deux éventails sur peau décorés d’objets japonais dont [il] a su faire des chefs-d’œuvre de goût et d’originalité » (Gonse L., 1881 a., p. 222) (localisation inconnue), puis, en 1880, « le délicieux éventail à la branche de pêcher qui appartient à Mme Georges Petit » (localisation inconnue). (Gonse L., 1881 a., p. 223)

Une autre dimension du japonisme artistique de Jules Jacquemart est liée aux estampes commanditées, illustrant des objets de collections asiatiques pour diverses publications. Jacquemart participe ainsi très tôt à une diffusion scientifique du savoir lié aux pays d’Extrême-Orient, non seulement dans la presse, mais aussi au Salon où il les présente occasionnellement. La grande majorité de ces gravures présente un objet de manière isolée, sans autre mise en scène que la légère ombre portée à leur base, à l’image du Vase chinois en émail cloisonné (1863) de la collection du duc de Morny (1811-1865) illustrant un article de la Gazette consacré à ce collectionneur (Jacquemart A., 1863, p. 411). Cette eau-forte est une de celles que Jules Jacquemart présente au Salon de Paris de 1863 (Sanchez P., Seydoux X., 2004., Salon de 1863, n2655). D’autres estampes présentent les œuvres dans une mise en scène, à l’image du Cabinet oriental de M. Jules Jacquemart (1875-1876 ?). Cette gravure, réalisée pour l’Histoire du Mobilier de son père, y trouvait pour légende « Robe impériale en satin jaune brodé au passé de dragons à cinq griffes, Anam. (Cabinet oriental de M. J. Jacquemart) » (Jacquemart A., 1876, p. 219), mais la composition, loin d’être centrée sur la robe, montre aussi bien une céramique chinoise, un chien de Fô ou une partie d’un paravent japonais.

Jules Jacquemart participe également à la diffusion de cette culture visuelle en prêtant certaines œuvres de sa collection aux expositions rétrospectives de l’Union Centrale des Beaux-arts appliqués à l’industrie, en particulier sa collection de chaussures (cf. commentaire sur la collection).

Jules Jacquemart peut donc bien être considéré, comme l’écrit Chesneau, comme un japonisant de la première heure ; toutefois cette appellation de « japonisant » ne doit pas masquer le fait que Jacquemart s’intéressait, de par sa collection, à un espace culturel plus vaste que celui du seul Japon.

Constitution de la collection

La collection de Jules Jacquemart englobe trois ensembles principaux : une collection de chaussures de tous pays et de toutes époques, un ensemble d’« objets d’art et de curiosité » (surtout originaires du continent asiatique), et enfin, faisait écho à sa carrière d’aquafortiste, une collection d’estampes d’artistes d’Europe occidentale. À côté de ces trois grands ensembles s’ajoutent notamment quelques œuvres de ses contemporains comme Femme assise (œuvre non identifiée) de son ami Giuseppe De Nittis (1846-1884) (Moscatiello M., 2008, p. 115-118) et trois tableaux de Antoine Vollon (1833-1900), Paysage (œuvre non identifiée), un autre Paysage (œuvre non identifiée) et Bords de rivière (v. 1860-1869, coll. part.). Ces toiles figuraient toutes à la vente après décès de la collection de l’artiste (Hôtel Drouot, 1881, p. 12).

La collection de chaussures

Dans l’annuaire des collectionneurs publié par la Gazette des Beaux-Arts, Jules Jacquemart est avant tout décrit comme un collectionneur de « chaussures de toutes époques » (Annuaire de la Gazette des Beaux-Arts, 1869, p. 279). Cet ensemble aurait patiemment été constitué par l’artiste pendant « plus de trente ans de sa vie » (Du Sommerard E., 1883, p. 529) ; il est en tous cas avéré que Jules Jacquemart collectionnait les chaussures au moins depuis 1863 et que cette recherche le passionnait, ainsi qu’il l’évoque dans une lettre à son ami Armand Queyroy (1830-1893) (Gonse L., 1881 b, p. 434).

Cette collection se compose de 310 numéros, correspondant soit à des paires, soit à des chaussures isolées. Elle offre une grande variété typologique et culturelle, depuis les « échasses de Taïtï [sic] » aux « hauts patins de femme » d’origine vénitienne du XVIe siècle, en passant par les sandales égyptiennes « d’origine antique », les « papousses de Pondichéry », d’« anciens mocassins de guerre des Indiens d’Amérique » et des « souliers de femme aux petits pieds » rapportés du Palais d’été de Pékin (Du Sommerard E., 1883, p. 553, 530, 539, 547, 551, 550)… L’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie sont représentées, même si plus de la moitié des chaussures proviennent d’Europe — près de 130 numéros. La collection de chaussures provenant du continent asiatique compte tout de même 111 numéros : beaucoup d’entre elles sont d’origine indienne (34) et chinoise (30), d’autres sont décrites comme « persanes » (11), « arabes » (5) et d’autres enfin proviennent de Turquie (14), du Japon (6), des Philippines (5), de Singapour (2), de Syrie (2), de Java (1) et du Vietnam (1).

Nombre de ces chaussures ont été présentées dans le cadre de l’exposition du Musée oriental de l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’industrie de 1869 (UCBAAI, 1869 c, p. 8 et 30-31). La vitrine no 5 de la salle A, consacrée aux arts de la Chine et du Japon, ainsi que la table-vitrine no 40 de la salle E, consacrée aux « Indes », présentaient toutes les deux une partie de la collection de chaussures de Jules Jacquemart (UCBAAI, 1869 c, p. 8 et 30-31).

La collection est de nouveau présentée lors de l’exposition de l’Union centrale de 1875, dédiée à l’histoire du costume. L’article qu’Albert Jacquemart écrit pour la Gazette des Beaux-Arts au sujet de la section orientale de cette exposition en décrit de nombreuses pièces, et beaucoup de ces chaussures sont également mises en valeur par des gravures d’après des dessins de Jules Jacquemart (Jacquemart A., 1875, p. 45-69). Il n’est pourtant pas le seul prêteur de chaussures mentionné : Eugène-Victor Collinot (1824-1889) a également exposé des trouvailles de ses voyages au Proche et Moyen-Orient (Perse, Empire Ottoman,…) avec Adalbert de Beaumont (1809-1869). Mais contrairement à la collection de Collinot, celle de Jacquemart est centrée sur cette typologie d’objet qu’est la chaussure, et non pas sur une région ou une culture donnée. Cela la distingue également des autres collections de son temps : « car, à Cluny et dans les collections particulières, les chaussures curieuses ne figurent qu’à l’état d’exception et en petit nombre. » (D’Hervilly E., 1880). La quantité conséquente de chaussures, ainsi que la grande variété des périodes et des provenances représentées font de la collection de chaussures de Jules Jacquemart un ensemble exceptionnel.

Cet ensemble a été acquis dès novembre 1880 par le musée des Thermes et de l’Hôtel de Cluny pour la somme de 10 000 F (Archives du musée de Cluny, s.c.), grâce à l’entremise d’Edmond du Sommerard (1817-1885) qui considérait la collection « d’un intérêt capital pour l’histoire du costume en France et à l’étranger » et pour laquelle « il y avait un intérêt sérieux à en empêcher la dispersion et à prévenir les offres qui ne pouvaient manquer de venir de la part des Musées étrangers. » (Du Sommerard E., 1883, p. XXX).

Cette collection se trouve actuellement en dépôt au musée international de la Chaussure de Romans-sur-Isère à l’exception de deux œuvres déposées au musée du château de la Malmaison et au musée des Arts décoratifs de Paris.

Les objets d’art et de curiosité

Si les chaussures étaient la grande passion du collectionneur, les objets orientaux constituent un deuxième centre d’intérêt de Jules Jacquemart. La partie des « objets d’art et de curiosité » du catalogue de vente (Hôtel Drouot, 1881, p. 13 ; Lugt no 1395) rassemble 311 numéros auxquels s’ajoutent 16 numéros correspondant à des objets européens. On y retrouve ainsi une majorité d’armes orientales (63 numéros), de céramiques (48 numéros) et de bronzes et de cuivres (47 numéros), quelques pièces sculptées en bois (15 numéros), orfévrées ou en matières précieuses (14 numéros), des œuvres en laque (9 numéros), des émaux cloisonnés et peints (6 numéros), des meubles de l’Orient (13 numéros). Il y a un assez grand nombre d’œuvres textiles, étoffes (37 numéros) et tapis (5 numéros), ainsi que de nombreuses miniatures, peintures, rouleaux ou albums de divers pays asiatiques (54 numéros). La provenance géographique est régulièrement indiquée (pour 237 numéros sur les 311 non européens considérés), permettant de constater la grande variété des origines des objets : 76 numéros sont associés à l’Inde et au Cachemire, 57 au Proche et Moyen-Orient (correspondant aux objets « orientaux », « arabes », de « Perse », d’« Asie Mineure », de Syrie) auxquels sont joints quelques objets du Maghreb (objets du Maroc, de Tunis ou kabyles), 43 numéros pour Japon, 31 pour la Chine et la Mongolie et 29 pour les pays et régions d’Asie du Sud-Est (Tonkin, Siam, Malaisie, Annam, Java, Cochinchine).

Jules Jacquemart a prêté une partie de ces objets au Musée oriental de 1869 (Archives du musée d’Arts Décoratifs, A172). Certains sont évoqués dans le Guide du visiteur qui accompagne cette exposition, témoignant par-là de leur qualité, de leur rareté ou de leur aspect pittoresque remarquable. Outre les vitrines de chaussures, les prêts de la salle des Indes sont particulièrement soulignés, avec les accessoires de théâtre (deux masques de Siam, une marionnette indienne), les miniatures indiennes et persanes, une théière en émail peint avec deux tasses en porcelaine, et, parmi les diverses armes, une « rondache en peau de rhinocéros » (UCBAAI, 1869 c, p. 30-32).

La collection d’objets orientaux de Jules Jacquemart a été dispersée après la mort de l’artiste. Le catalogue de la vente, extrêmement luxueux, rend un dernier hommage tout à la fois au talent de l’artiste et à la beauté des œuvres, à travers de nombreuses illustrations gravées par Jacquemart ou d’après ses dessins, issues de l’Histoire du mobilier ou d’autres publications.

La vente se déroule du 4 au 8 avril 1881 à l’hôtel Drouot et rassemble parmi les acheteurs Siegfried Bing (1838-1905) ou Philippe Sichel (1840-1899) (AP, D48E3 69). L’adjudication la plus haute s’élève à 1710 F, pour un « cabinet en vieux laque du Japon à fond noir et décor d’or, avec garniture en cuivre, gravé et doré [qui] repose sur sa table en bois découpé » (lot no 308). La catégorie des armes, assez populaire parmi les collectionneurs, a connu de beaux succès avec la vente d’un sabre persan (lot no 174), d’un fer de lance indien (lot no 159) et d’une lance indienne (lot no 160, illustré) à un certain M. Grandmonge pour 700, 600 et 650 F. Celle des miniatures indiennes et persanes, moins fréquente, a également été prisée, puisqu’un « Volume contenant trente-quatre miniatures indiennes très fines avec reliure du temps en maroquin rouge, gaufré et doré » (lot no 363) a été remporté par Georges Petit (1856-1920) pour la somme 800 F, et que le spécialiste Alfred de Lostalot (1837-1909) a pu acquérir de nombreuses miniatures.

La collection d’estampes

La collection d’estampes et d’albums de Jacquemart comprend 206 numéros dans le catalogue de la vente de 1881. Elle rassemble principalement des œuvres de contemporains ou quasi contemporains de Jacquemart, eaux-fortes ou lithographies, mais elle présente aussi des épreuves d’artistes plus anciens, remontant jusqu’à la Renaissance.

Jacquemart n’ayant, semble-t-il, pas eu de maître en gravure, il devait trouver à travers ces planches un répertoire de formes et de solutions graphiques livré à sa réflexion. Il a ainsi pu observer attentivement des épreuves d’eaux-fortes anciennes de Jacques Callot (1592-1635) ou de Giovanni Battista Piranèse (1720-1778), comme objets d’étude.

Cet ensemble était aussi objet de délectation : la présence d’épreuves rares, de séries complètes, de tirages de différents états (beaucoup sont « avant la lettre ») ou d’impressions sur chine, sur papier japon voire sur vélin, témoignent du soin particulier qu’a mis Jacquemart à composer sa collection. Il possède ainsi une épreuve d’essai de Kensington-Gardens, petite planche (lot no 712) de Francis Seymour-Haden (1818-1910), ainsi que sa contre-épreuve ; il possède aussi onze eaux-fortes de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) au sujet desquelles il est indiqué « épreuves très rares, de premier tirage, plusieurs sont sur chine » (lot no 734).

La forte proportion d’œuvres de graveurs et lithographes contemporains invite à s’interroger sur la dimension sociale de cet ensemble. Jacquemart connaissait, ou avait pu se lier d’amitié, avec certains artistes dont il collectionnait les œuvres. Il a ainsi un certain nombre d’œuvres de ses confrères de la Société des Aquarellistes, comme Bracquemond (48 pièces), Jules Michelin (1817-1870) (42 pièces), Léon Gaucherel (1816-1886) (30 pièces), Charles François Daubigny (1817-1878) (22 pièces) ou Alphonse Legros (1837-1911) (15 pièces). D’autres œuvres sont celles de ses amis Armand Queyroy (9 pièces) ou Hector Giacomelli (1822-1904) (3 pièces). Il possède aussi des œuvres d’aquafortistes belges, comme Félicien Rops (1833-1898) (17 pièces), qui est venu étudier l’eau-forte à Paris auprès de lui (Lemonnier C., 1908, p. 83). Plusieurs épreuves sont en outre dédicacées. Ces estampes collectionnées par Jacquemart peuvent donc aussi témoigner de liens sociaux et d’une forme de reconnaissance mutuelle entre les artistes.