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Commentaire biographique

Émile Tastet (1799-1882), « négociant en produits industriels de la Chine » (MMNS, 4W388) est né le 11 avril 1799 à Baigts dans les Landes (AN, LH/2571/84). Émile Tastet offre un exemple rare pour le XIXe siècle d’importateur qui, pendant un temps, va se consacrer essentiellement au commerce des porcelaines chinoises en lien étroit avec les armateurs faisant les trajets vers la Chine. Les sources le concernant restent cependant éparses, ce qui rend particulièrement difficile l’écriture linéaire d’un parcours pour le moins éclectique.

Les premières traces de son activité

Il semblerait qu’il commence son activité à Bordeaux où il pratique l’import-export de toute sorte de produits. Il fonde en 1823 une société du nom de « Tastet et comp. » avec un certain M. Rudelle qui perdure jusqu’en mars 1848 (Anonyme, 1848, n.p.). Une affaire du tribunal de commerce de la Seine nous renseigne sur la grande variété des produits dont il se chargeait de l’importation à cette époque. Un pharmacien du nom de Duvignau avait porté plainte contre Émile Tastet, car il était parti avec un lot de médicaments sans leur trouver de débouchés commerciaux à Manille (Anonyme, 1839, n.p.). Le tribunal acquitte finalement Émile Tastet qui ne s’était engagé que sur le transport des médicaments et non sur leur liquidation (id.). L’anecdote permet aussi d’établir qu’à cette période, Émile Tastet effectuait lui-même les trajets vers la Chine — le retour en question à bord du Grand-Duquesne se solda d’ailleurs par un naufrage dont il réchappe par chance — ce qui n’est pas forcément le cas par la suite (id.). D’autres sources rapportent qu’il fut le premier à introduire en France des cigares de Manille (Lafond de Lurcy G., 1843, T. VIII, p. 173).

Émile Tastet et la porcelaine de Chine

À partir de 1844, il fait commerce avec les navires fraîchement arrivés de Chine au port du Havre. Il acquiert des porcelaines chinoises rapportées par le Lafayette en juillet 1844 pour les revendre à Paris. En août 1844, le Musée céramique de Sèvres fait ainsi l’acquisition de dix pièces provenant de cette cargaison auprès d’Émile Tastet par l’intermédiaire d’un certain Eyriès pour un total de 397 francs (SMMN, 4W388 ; inv. MNC 3401.1 à 3401.10).

En 1846, il est également l’armateur du navire l’Édite, arrivé à Nantes chargé des échantillons envoyés à la manufacture de Sèvres par le père Joseph Ly (SMMN, U20 d.19, lettre de Stanislas Julien du 4 juin 1846 ; d’Abrigeon P., notice Joseph Ly). À plusieurs reprises, il offre des pièces au musée céramique de Sèvres, notamment en 1847 un « réchaud portatif en terre cuite, avec ses bouilloires » (SMMN, 4W388, lettre du 15/09/1847 ; seul subsiste le réchaud inv. MNC 3783), puis en 1849 une paire de vases « émaillés en couverte ombrante [sic] vert-olivâtre, remarquables par le ton, l’éclat, et l’effet produit sur les reliefs, par la dégradation de teinte de cette couverte » (SMMN, 4W388, lettre de Denis Désiré Riocreux du 15/06/1849) et il sera remercié de sa générosité par un vase Lanus de la manufacture de Sèvres (id.). Au-delà de ces échanges, il semble qu’Émile Tastet ait proposé de se mettre au service de la manufacture pour favoriser ses liens avec la Chine : à la fin d’une lettre, le conservateur du musée céramique rappelle à l’administrateur de la manufacture Jacques Joseph Ebelmen (1814-1852) « l’idée de M. Tastet sur la possibilité d’échanges à établir entre la manufacture et la Chine et ses offres de service pour les négociations d’une pareille affaire » (id.). Cette proposition resta sans suite.

Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 27 avril 1846 (AN, LH/2571/84), son dossier est cependant trop lacunaire pour comprendre réellement la raison de cette décoration.

Son nom réapparaît dans les archives de la manufacture de Sèvres en juin 1856 pour le don d’une « gargoulette réfrigérative du Kaboul [sic], province d’Afghanistan (Asie Centrale) rapportée de Bombay où on en fait un grand usage pour rafraichir l’eau à boire » (SMMN, 4W32, d. Tastet). 

En 1850 il est répertorié comme négociant commissionnaire au 43 rue du Faubourg Montmartre, 1853 il est enregistré comme « négociant-armateur, commissaire, commerce avec la Chine et les Indes orientales » au 26 bd des Italiens, puis en 1857 au 10, rue de Choiseul (Annuaire du commerce, 1850, p. 380, 1853, p. 831 et 1857, p. 759). Ces changements d’adresse fréquents sont sans doute le résultat de ses allées venues en Chine et en Inde. À partir de 1859, il organise lui-même plusieurs ventes à l’Hôtel Drouot (cf. commentaire sur la collection). Dans les procès-verbaux de ces ventes, il est simplement décrit comme « propriétaire ».

Sériciculture et botanique

En parallèle de ses activités commerciales, Émile Tastet s’intéresse de près à la sériciculture. Il est en 1854 rapporteur de la « Commission chargée d’introduire en France les vers à soie sauvages de la Chine, et des œufs de vers à soie ordinaires des meilleures races blanches et jaunes élevées dans ce même pays » (Tastet E., 1854, p. 3). À la suite à son rapport, la toute nouvelle société zoologique d’acclimatation décide de solliciter les missionnaires présents en Chine afin que soient rapportés en France des cocons et des œufs de vers à soie sauvage. L’année suivante des enquêtes sont également menées sur les bombyx indiens à l’initiative d’Émile Tastet (Duméril, 1855, p. 396) et sur la culture du riz en Inde (Tastet E., 1855, p. 224). À partir de 1855, il fait partie du conseil d’administration et restera jusqu’à la fin des années 1850 un membre très actif de cette société (Anonyme, 1855, p. XXI). C’est sans doute son intérêt pour la culture des vers à soie et la Chine qui le font entrer en contact avec le sinologue Stanislas Julien (1799-1873), traducteur d’un traité à ce sujet (Bulletin de la société zoologique, p. 225 ; Julien S., 1837). Émile Tastet sollicite aussi le sinologue afin d’obtenir des renseignements sur les pois oléagineux dans les livres chinois (Julien S., 1855, p. 221-226). Il met à profit ses activités d’armateur pour rapporter des plantes chinoises à la société, telles que des graines du rhamnus utilis (Vilmorin L., 1859, p. 521). Sa connaissance de la Chine et de l’Inde fait de lui un atout précieux pour la société d’acclimatation, non seulement pour faciliter l’acheminement de plantes et d’insectes depuis ces contrées, mais aussi pour donner des informations sur les coutumes locales. Les procès-verbaux des séances sont ainsi riches de ses interventions sur les cultures et usages locaux (Duméril, 1855, p. 236).

Aux vues des sources consultées, il n’a pas été possible pour le moment de retrouver la trace d’Émile Tastet après les années 1860 et jusqu’à sa mort le 15 novembre 1882 (AN, LH/2571/84).

Constitution de la collection

Émile Tastet offre un rare exemple de négociant armateur du XIXe siècle pour lequel quelques archives et documents subsistent. Non seulement il apparaît comme un intermédiaire essentiel entre Paris et les armateurs havrais, mais il donne aussi de précieuses informations sur les moyens d’approvisionnement en Chine.

Émile Tastet et les ventes du Havre

Dans les années 1840-1850, Émile Tastet intervient dans la distribution du catalogue à Paris des cargaisons de porcelaines chinoises débarquées et vendues au Havre. Bien que son rôle dans ces transactions ne soit pas toujours facile saisir, il est fort probable que sa seule fonction ne se soit pas limitée à la promotion de ces ventes pour une clientèle parisienne, mais qu’il fut aussi impliqué dans la vente des objets. Nous avons identifié au total huit ventes de ce type, toute de navire en provenance de Canton : le Lafayette (1844), le Maupertuis (1847), le Gustave (1847), les Dugay-Trouin et Victor (1849), la Rose (1851), le Jules César (1852), ainsi qu’un dernier navire non identifié (1854) sous la responsabilité de la compagnie d’armateurs Ferrère et Morlot et enfin le Alphonse-Nicolas-Cézard (1854) dont la vente se fait par l’entremise de E. Troteux (d’Abrigeon, P, à paraître). L’exemple de la vente du navire le Lafayette est assez révélateur : alors qu’Émile Tastet n’est pas mentionné dans titre de la vente, ni dans sa distribution, il écoule plusieurs pièces pour le musée de Sèvres en tant que « vendeur » (SMMN, 4W388, « état… août 1844 »). On imagine fort bien que pour les ventes suivantes son rôle ne s’est pas limité à la seule « distribution » du catalogue sur Paris, mais à la sollicitation de clients potentiels pour ces ventes. L’absence des procès-verbaux du Havre, disparu lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, et le caractère privé de ces transactions ne permet cependant pas d’étoffer cette hypothèse.

Ce statut d’intermédiaire se justifie peut-être par la difficulté que rencontre Émile Tastet pour s’installer comme marchand à Paris. Le journal LeCommerce rapporte que le 17 janvier 1845, Émile Tastet avait obtenu l’autorisation par un jugement du tribunal de commerce de Paris de « vendre des marchandises neuves » lesquelles consistaient en « vases chinois et curiosités ». Or, le marchand de thé M. Houasse qui tient la boutique à la Porte Chinoise ne voyant pas l’arrivé d’un concurrent d’un bon œil s’était opposé à ce jugement, au prétexte qu’Émile Tastet n’était pas « marchand sédentaire », et avait, à ce titre, obtenu gain de cause (Anonyme, 1845, n.p.).

S’approvisionner en Chine dans les années 1840-1850

Dans sa publication sur les vers à soie, il fait état des difficultés qui existaient à s’approvisionner en Chine à cette époque, autrement que par l’intermédiaire des missionnaires : « à l’exception des cinq villes du littoral ouvertes aux Européens, il est impossible, par les seules relations de commerce, de rien obtenir de vrai ni de bon de l’intérieur de la Chine, autrement qu’avec l’aide de nos missionnaires et des chrétiens chinois qui leur sont dévoués » (Tastet E., 1854, p. 4). Et pour cause, à l’instar de Stanislas Julien qui s’appuyait sur la congrégation de Saint Vincent de Paul pour faire parvenir en France des livres chinois et autres matériaux en tout genre, Émile Tastet avait également recours à l’aide de lazaristes pour l’acheminement de ses marchandises. Son nom apparaît en effet dans une lettre d’Auguste Droucel du 11 mai 1857 adressée à Ange-Michel Aymeri (connu en Chine sous le nom高幕理 1820-1880), alors procureur des missions lazaristes à Ningbo 寧波 : « les 3 caisses T S 1/3 dont vous m’entreteniez ont été retirées ici [Marseille] par le correspondant de Mons. E. Tastet, et je n’ai aucun débours à faire » (AHCM, 179.I b 3). La nature des marchandises n’est pas précisée, mais la date indique peut-être qu’il s’agit des plantes chinoises collectées à sa demande pour la société zoologique d’acclimatation.

Les quelques lettres issues de sa correspondance conservée aux archives de Sèvres rendent compte également des problèmes de communication pouvant exister entre les demandes faites par les négociants et leur exécution par les expéditionnaires. Il exprime ses craintes dans une lettre datée de janvier 1850 adressée sans doute à Denis Désiré Riocreux (1791-1872) : « J’ai expédié déjà depuis 2 mois, une fort longue note d’objets à réunir pour le navire la Rose que j’ai en cours de voyage, mais je crains bien qu’il n’y ait encore des erreurs et de fausses interprétations dans le choix, malgré la précaution que j’ai prise d’expliquer le tout en détail », (SMMN, 4W388). Cette indication montre également qu’Émile Tastet ne participait plus lui-même au voyage, mais donnait les instructions sur le type d’objet voulu. Certaines sources mentionnent le fait qu’Émile Tastet entretenait à grands frais un « connaisseur » en Chine dévolu à acquérir des porcelaines et autres objets de curiosité pour lui (Burty P., 1860, p. 178).

Heurs et malheurs des ventes d’Émile Tastet

À partir de la fin des années 1850, Émile Tastet commence à organiser des ventes par lui-même à Paris. Un croisement des catalogues de ventes conservés à la Bibliothèque nationale de France et des dépouillements de procès-verbaux de vente du commissaire Charles Pillet nous a permis d’identifier au moins quatre ventes : le 10 décembre 1859, les 26-28 janvier 1860, les 2-4 avril 1860 (AP, D48E3 51) et le 22 mars 1861 (AP, D48E3 52). Ces ventes ne se limitent plus seulement à la porcelaine, mais incluent aussi des émaux cloisonnés, des laques, des jades, divers objets en argent repoussé, des objets en ivoire, des supports de vases en bois dit « bois de fer », etc. Dans ces ventes plus tardives, il n’est pas fait mention d’Émile Tastet dans le titre du catalogue, ni même de la provenance en droiture depuis la Chine des pièces. On peut penser qu’il s’agisse d’œuvre faisant partie d’un stock peut-être accumulé lors de sa collaboration avec Ferrère et Morlot et qu’il continue d’écouler dans les années 1860.

Mais il semblerait qu’Émile Tastet, contrairement à d’autres marchands de la même époque, n’ait pas réussi à prendre le train en marche du grand développement du marché de l’art asiatique dans les années 1860. Le monde de la curiosité connaît aussi ses ratés, ses objets mal vendus, ses ventes mal promues, qui voient s’écouler à bas prix des pièces en principe très précieuses. C’est le cas de la vente organisée par Émile Tastet du 2 au 4 avril 1860.

Le critique d’art Philippe Burty (1830-1890) donne un commentaire très élogieux des pièces en vente, dont « l’importance et le choix des morceaux, ainsi que leur magnifique conservation les rendaient, pour la plupart, dignes d’entrer dans les cabinets d’élite », mais déplore longuement leur manque de mise en valeur (Burty P., 1860, p.o 177). La cause de cet échec est due, selon Philippe Burty, aux « mauvaises conditions » dans lesquelles ont été réalisée la vente : catalogue jugé trop sommaire, manque de précision dans les descriptions, absence de traduction des inscriptions... Burty souligne en particulier le décalage entre les descriptions succinctes et la véritable nature des objets : « comment, dit-il, la curiosité pouvait-elle être éveillée à la vente Tastet par les indications telles que celles-ci : 210. Bouteille forme gourde, porcelaine gris verdâtre jaspé. Ceci n’était rien moins cependant qu’un rouge soufflé, la plus rare des fabrications chinoises ». La bouteille en question sera vendue pour la somme modique de 29 francs (id., p. 177).

De nombreux lots sont rachetés par Émile Tastet lui-même (ou par son fils), sans doute lorsque les pertes sont trop importantes par rapport au prix atteint. Le procès-verbal de la vente d’avril 1860 fait état du rachat de trente-neuf lots sur les 294 numéros vendus pour un produit total de 10 572 francs (AP, D48E3 51).

Les principaux acheteurs de ces ventes sont en majorité, les principaux marchands impliqués dans le commerce de la curiosité à Paris, notamment Beuderley, Chanton, Duvauchel, Evans, Nicolas Joseph Malinet (1805-1886), Monbro, etc. (AP, D48E3 51 et 52).