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Commentaire biographique

La famille Chassiron, originaire de Saint-Denis d’Oléron, compte parmi ses membres des navigateurs, des voyageurs, des diplomates, des politiciens, etc. (Lefrançois T., 1999). Né à Nantes le 5 décembre 1818, Charles Gustave Martin de Chassiron passe son enfance à Nuaillé-d’Aunis, dans le château familial de Beauregard. Son père, Gustave de Chassiron (1791-1868) assure des fonctions législatives et municipales, et se rallie au régime impérial après le 2 décembre 1851. Charles-Gustave suit la même voie politique. Il devient maître des requêtes au Conseil d’État, puis attaché d’ambassade en Tunisie en 1848. Suite à ce séjour, il publie, en 1849, un ouvrage intitulé Aperçu pittoresque de la régence de Tunis. Il épouse en 1850 la princesse Caroline Murat (1832-1902), petite-fille du roi de Naples (Lefrançois T., 1999). Le couple vit quelques temps à Beauregard puis s’installe à Paris, rue de Douai. Parti de France en décembre 1857 et de retour fin 1860, le baron de Chassiron participe à une mission diplomatique en Extrême-Orient afin de renouer des relations commerciales avec la Chine et le Japon. Il s’agit de la première ambassade française se rendant au Japon depuis deux siècles ; elle aboutit à la signature d’un traité de paix et d’amitié entre les deux pays. Chassiron publie à son retour, en 1861, ses Notes sur le Japon, la Chine et l’Inde, 1848-1859-1860 dans lesquelles il relate sa découverte et sa fascination pour ces contrées lointaines. Il est promu Officier de la Légion d’honneur en 1863. En 1868, il succède à son père à la mairie de Nuaillé-d’Aunis. Il partage dès lors son temps entre sa vie parisienne et ses attaches charentaises. Après la débâcle de 1870, son épouse décide d’accompagner, avec son fils, l’impératrice Eugénie (1826-1920) en Angleterre. Le couple est de fait séparé. Charles Gustave de Chassiron décède à Tarbes le 20 juin 1871, vraisemblablement lors d’une cure.

Le voyage en Asie

Les Notes permettent de reconstituer les étapes de ce périple. Le baron de Chassiron est détaché, de 1858 à 1860, en Chine et au Japon. Il accompagne la mission diplomatique dirigée par le baron Jean-Baptiste-Louis Gros (1793-1870), sénateur de l’Empire, ambassadeur et haut-commissaire de France en Chine. La première étape est Hong Kong puis Tianjin, où un traité est signé le 27 juin 1858. À l’occasion de ce séjour, la mission s’aventure vers la Grande Muraille, avant de faire route en septembre vers le Japon. Après un arrêt à Shimoda, l’ambassade française arrive à Edo (Yeddo, actuelle Tokyo). Il faut quatre jours de négociations avant que la mission française ne soit autorisée à débarquer et s’installer à l’intérieur de la ville, dans un quartier très commerçant. Le séjour, d’une durée de vingt jours, aboutit à la signature d’un traité de paix, d’amitié et de commerce le 9 octobre 1858 (Chassiron Ch. de, 1861). La mission fait ensuite un arrêt à Nagasaki avant de repartir vers la Chine, en s’arrêtant en Corée. La situation est alors tendue avec la Chine : de multiples affrontements ruinent les efforts diplomatiques déployés et ne prennent fin qu’avec l’incendie du palais d’Été et la signature du traité de Pékin en 1860 (Gernet J., 2007, p. 345-350). Avant de rentrer en France, la mission passe par Singapour, Malacca et Java. C’est au cours de ce voyage que Chassiron acquiert une partie des objets qui vont constituer sa collection.

Constitution de la collection

En 1871, la ville de La Rochelle reçoit en legs la collection du baron de Chassiron, constituée de quelques peintures et mobiliers occidentaux et, surtout, d’un ensemble important et varié d’objets extrême-orientaux (La Rochelle, musée d’Orbigny-Bernon, s. c.). Ces derniers sont d’abord présentés dans le musée d’archéologie et de curiosités installé au rez-de-chaussée de l’Hôtel Crussol d’Uzès rue Gargoulleau, avant d’être transférés au musée d’Orbigny-Bernon en 1920. Une partie des objets, de type ethnographique, sont déposés au Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle dans le même temps. Cette collection constitue le socle, avec les legs d’Achille Sanier (1871) et de Jean-Christophe Gon (1883), des collections d’arts asiatiques rochelaises, complétées par des dépôts du musée de la Marine en 1923 puis du musée Guimet en 1929. La collection Chassiron est remarquable par la qualité des objets qui la composent, mais aussi par son aspect historique puisqu’on sait, grâce à ses Notes que Chassiron a lui-même voyagé en Asie où il en a acheté une partie. En effet, si les pages consacrées à son périple chinois détaillent plutôt les événements diplomatiques et politiques, les chapitres relatant son séjour au Japon sont une source d’informations précieuses sur la façon dont il a pu se procurer certains objets.

Une collection japonaise de premier plan

Laques, ivoires, livres, porcelaines, etc. ont pu être achetés lors de ses passages à Shimoda, Edo (Yeddo) ou Nagasaki, dans les bazars ou les monts de piété. Tout achat est alors contrôlé par les gardes qui escortent la mission à chaque pas : « les Yakounins […] restent quand même accolés à nos personnes, épiant tous nos gestes, prenant des notes, contrôlant notre moindre achat chez les marchands : ces derniers ont, à ce qu’il paraît, défense de nous livrer quoi que ce soit sans l’autorisation de nos surveillants » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 98). Il réussit cependant à acheter des livres et des cartes alors que ceux-ci sont normalement interdits à la vente pour les étrangers : « J’ai arraché, dans toute la vérité du mot, une liasse d’estampes coloriées, de gravures et de cartes, qui sont des plus intéressantes comme spécimens de l’art typographique et des notions géographiques du Japon » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 114). La carte de Yeddo est d’ailleurs reproduite en fac-similé dans l’ouvrage du baron, avec d’autres pages issues des livres qu’il a pu rapporter. Ces fac-similés sont d’une rare qualité à une époque où les reproductions étaient souvent déformées par l’œil occidental des graveurs. La collection Chassiron permet ainsi de faire connaître le type d’objets et de livres illustrés qui étaient alors disponibles dans les milieux artistiques parisiens juste après la réouverture du Japon au commerce occidental. Chassiron a rapporté un ensemble de romans illustrés (MAH. 1871.6.189 à 181), de recueils de modèles (MAH.1871.6.164, 172 et 180), dont les plus connus sont sans conteste les volumes de la Manga (MAH.1871.6.163 & 168) et des Cent Vues du Mont Fuji d’Hokusai (MAH.1871.6.176 & 177), ensemble qui souligne la qualité et la diversité de la production au Japon à l’époque. Chassiron a d’ailleurs parfaitement conscience de l’intérêt de ces ouvrages : « Jai pu me faire une collection assez complète de manuels de sciences, des arts, des métiers du Japon ; même de recueils de caricatures » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 115).

À l’instar de ses compagnons de voyage, Chassiron est impressionné par le raffinement des objets japonais et fait preuve d’un goût très sûr en acquérant des objets de grande qualité : « […] j’étais allé au bazar de Simoda. J’ai été ébloui, et il m’a pris une véritable fièvre d’achats, en face de toutes les choses jolies, nouvelles, pleines d’art, qu’on avait étalées à notre intention ; aussi je me suis déjà ruiné, et, prodigue endurci, je compte bien me ruiner encore à Yeddo. » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 51). Il est particulièrement intéressé par les netsuke, ces « petits ivoires travaillés, anciens, d’un fini charmant » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 98) qui, selon lui, « sont, avec les métaux appliqués aux usages de la vie, les échantillons les plus curieux et les plus intéressants de l’industrie du Japon » (Chassion Ch. de, 1861, p. 107). Il en possède d’ailleurs plusieurs de très belle facture, signés Minkoku, artisan de l’école d’Edo.

Sa collection de laques est également révélatrice de la fascination du collectionneur découvrant ces objets à la fois utilitaires et délicats, dont la technique n’a pas été égalée en Occident : « […] comme applications ou comme incrustations des métaus [sic] purs, tels que l’or, l’argent, le platine ou de leurs alliages, le Japonais fait sur la laque et sur le bois un usage dont la clef est encore introuvée en Europe » (Chassiron Ch. de, 1861, p. 117). Dans le domaine de la céramique, Chassiron acquiert plutôt des pièces destinées à l’exportation, avec par exemple un ensemble de vingt-quatre coupes et soucoupes en porcelaine de Mikawachi (Hirado) dont la finesse a pu séduire l’amateur (MAH.1871.6.14.1 à 24). Le préambule de l’inventaire après décès nous indique que la collection était présentée dans des vitrines et dans les salons de la demeure parisienne de Chassiron, rue de Douai : elle a sans doute contribué à la diffusion de l’art japonais qui, à cette époque, a suscité un formidable intérêt. Celui-ci s’est traduit par l’afflux d’objets japonais sur le marché occidental et par le succès des présentations japonaises lors des expositions universelles (Paris, en 1867), mais surtout par la vogue du japonisme qui a déferlé en Occident fin XIXe siècle et a inspiré de nombreux artistes (Lacambre G., 2017).

Un chineur en Chine

Si la collection chinoise de Chassiron est nettement moins documentée que la collection japonaise, elle n’en traduit pas moins la curiosité du baron pour les objets d’art et d’artisanat de ce pays. Constituée de céramiques, d’objets de lettrés (pinceaux, pierres à encre, sceaux, etc.) et du quotidien, d’accessoires ainsi que de peintures sur papier de moelle de sureau ou sur soie, sa diversité laisse à penser que Chassiron a pu flâner dans les factoreries et les quartiers commerçants de Hong Kong et Shanghai de la même façon que dans les bazars de Shimoda.

Les peintures sont particulièrement intéressantes : Chassiron a ainsi rapporté deux albums de gouaches sur papier de moelle de sureau, caractéristiques des objets rapportés par les voyageurs occidentaux à cette époque (De couleurs et d’encre, 2015 ; Crossman C., 1991) et qui représentent des scènes de la vie d’un mandarin et des scènes de théâtre (MAH.1871.6.157 et 158). La finesse des traits et la luminosité des couleurs ont dû séduire Chassiron, qui a également rapporté un rouleau sur soie (MAH.1871.6.183) intitulé Description illustrée des indigènes du pays de Dian, évoquant les mœurs des populations de Chine du Sud (Yunnan) à travers une alternance de textes calligraphiés et de vignettes peintes avec minutie. Il est difficile de savoir si Chassiron a acheté ce rouleau ou s’il lui a été offert lors d’une rencontre officielle, toujours est-il que cette peinture correspond au goût pour l’exotisme que le baron manifeste dans ses Notes (De couleurs et d’encre, 2015).