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Commentaire biographique

Diplomate, Charles de Montigny embarque sur La Sirène comme chancelier de la mission Lagrené qui signe, en 1844, le traité de Whampoa avec la Chine. À son retour, en 1846, il publie un Manuel du négociant français en Chine où il n’est pas question d’objets à collectionner.

En 1847, il est nommé consul à Shanghai et Ningbo, deux des nouveaux ports ouverts aux Français. Arrivé en 1848, il obtient, le 6 avril 1849, la fondation d’une concession française à Shanghai, qui s’agrandit progressivement et existe jusqu’en 1943. En 1851, Charles de Montigny va récupérer, en Corée, vingt marins échoués sur l’île de Pigum, après le naufrage du baleinier Le Narval (Roux P-É., 2012).

Avant de reprendre le chemin de la France en 1853, il se rend deux fois par an à Ningbo, malgré les dangers du voyage, tant par mer à cause des pirates que par terre.

Les archives diplomatiques ne disent rien de la collection – totalement ignorée de tous les historiens, comme Frédet, Brizay ou Roux, qui ont travaillé sur la carrière de Charles de Montigny – qu’il constitue pendant son séjour. Elle est très certainement acquise sur ses deniers personnels et rapportée en France à la suite d’un voyage mouvementé par le cap de Bonne-Espérance. Il avait aussi embarqué vers la France, avec sa famille et ses caisses, dix « bœufs grognants » ou yaks vivants ; il en avait reçu quatre d’un évêque du Tibet, qui s’étaient multipliés dans le jardin du consulat. Lors d’une escale forcée aux Açores, un des yaks est mort. À son arrivée en France en 1854, c’est une douzaine de yaks qu’il remet au Museum d’histoire naturelle de Paris (Magasin pittoresque, 1854, p. 329-330) ; certains sont ensuite envoyés dans les régions montagneuses. Néanmoins, alors qu’il espérait que la fourrure et la queue des yaks constitueraient de nouveaux matériaux pour l’industrie textile, ces animaux, rares en Europe, devinrent pensionnaires dans les jardins zoologiques français.

La collection est présentée lors de l’Exposition universelle de 1855, dans le Palais des Beaux-Arts, avenue Montaigne, dans trois galeries latérales au sud, près de l’entrée, voisines de celles de la Belgique, selon le plan paru dans le Magasin pittoresque (1855, p. 215). Charles Baudelaire (1821-1867) et, surtout, Théophile Gautier (1811-1872) la remarquent. La collection est acquise par le ministère d’État et de la maison de l’Empereur pour le Louvre où elle entre après l’Exposition universelle ; elle enrichit la section ethnographique du musée de la Marine, alors installé au deuxième étage de la cour carrée.

Par la suite, Montigny est l’envoyé de la France auprès du roi de Siam de juin 1856 à janvier 1857. Un traité est signé le 15 août 1856 et les ambassadeurs de Siam sont reçus par Napoléon III (1808-1873) à Fontainebleau en 1861. Montigny se trouve à nouveau à Shanghai en tant que consul général de juin 1857 à juin 1859, puis président du conseil municipal de la concession en 1862. De 1863 jusqu’à sa mort en 1868, il est consul de France à Tianjin.

Lors de ses nouveaux séjours en Extrême-Orient, il a constitué une seconde collection à vendre de près de 2 000 pièces, rapportée à Paris et évoquée dans un article d’Auguste Allongé (1833-1898) dans le Monde illustré de 1860 (Le Monde illustré, 19 mai 1860, p. 331-332), avec une vue du musée chinois du Louvre. Quelques années plus tard, son nom est cité avec celui d’autres collectionneurs célèbres, le duc Charles de Morny (1811-1865) et le comte Alexandre Stroganov (1795-1891), pour la provenance d’objets de la Chine et du Japon dans une vente publique le 14 décembre 1865 à Paris (Importante collection d’objets d’art et de curiosités de la Chine et du Japon, 14 décembre 1865).

La collection de Charles de Montigny du musée de la Marine

Le 28 juillet 1854, sa collection d’objets rapportés de Chine est entreposée au musée du Louvre. Il en fait établir un catalogue par le commissaire-priseur Jules-Auguste Boussaton (1821-v. 1901), daté de 1854 (Catalogue sommaire des objets d’art antique et de haute curiosité de la Chine composant la collection de M. de Montigny, consul de France à Shang-Kaï et Ning-po, 1854). Une note du rédacteur vante le « grand nombre de ses richesses, tirées toutes des provinces centrales du nord du Céleste-Empire », même si l’on note, parmi les porcelaines, des services à thé en porcelaine de Canton (n° 244, n° 245). Le n° 146 concerne deux tableaux « provenant du trésor de l’empereur Kin-Yuen ».

Un exemplaire du catalogue établi par Jules-Auguste Boussaton en 1854, provenant du musée de la Marine, est conservé au Service d’étude et de documentation du département des Peintures du musée du Louvre. Il décrit 1 482 pièces sous 390 numéros, en comptant les socles en bois ; un objet est indiqué comme tonkinois, quelques autres comme japonais, mais d’autres le sont aussi sans que ce soit indiqué. Elle comprend vingt-deux numéros d’émaux, soixante-dix-huit de bronzes, vingt-deux de jades, quarante-trois de meubles d’art, vingt-deux de tableaux, quatre-vingt de porcelaines, vingt-cinq de pierres fines, ivoires, etc., quatre-vingt-dix de curiosités et objets d’art, un lot de monnaies, douze d’instruments de musique.

Le catalogue précise en outre quelques mentions manuscrites pour des lots oubliés et, au bas des premières pages, une liste de dons faits par Montigny au musée : cinquante-huit objets en vingt-cinq lots, dont cinq d’objets d’usage rapportés de sa mission en Corée en 1851, un pays complètement fermé aux Européens à cette époque.

Cette importante acquisition du ministère d’État et de la Maison de l’Empereur pour le musée du Louvre est notamment signalée dans les Rapports du comte de Nieuwerkerke de 1863 (p. 26) et de 1869 (p. 104). Le conservateur du musée de la Marine, Léon Morel-Fatio inclut cette collection dans le nouvel inventaire récapitulatif par techniques de ses collections, achevé le 31 décembre 1856, mais il ne signale pas l’origine de ces achats et dons, cachée sous la formule peu explicite : « entré depuis l’avènement » de Napoléon III.

La collection a un caractère différent de celle rapportée par la mission Lagrené qui n’était pas ignorée de Montigny puisqu’il en avait fait partie. Elle peut être considérée comme complémentaire, révélant la variété de l’art chinois avant l’arrivée des objets pris lors du sac du Palais d’été de Pékin en octobre 1860.

Autant Shanghai est encore une ville balbutiante, autant Ningbo, un peu plus au sud, est une ville de vieille civilisation, en étroit contact avec le Japon – il y avait un comptoir chinois dans le port de Nagasaki – et les îles Ryukyu au sud de l’archipel. La ville est spécialisée dans la fabrication de meubles de qualité. Notons que, pendant son séjour, Montigny avait des relations suivies avec les missionnaires sillonnant la Chine, que la France protégeait et qui pouvaient lui servir d’informateurs et d’intermédiaires.

Si beaucoup d’objets de cette collection ne sont plus exposés au musée de la Marine dès le début du XXe siècle et ont été envoyées dans divers lieux de dépôt, il en reste encore près de cent-quarante-deux dans les collections. Les modèles de bateaux ont bien entendu été conservés, dont le n° 1 des dons de Montigny : « […] un bateau de plaisance pour les voyages intérieurs sur les lacs et rivières, construit au dixième avec tous ses accessoires, pour servir de modèle à une semblable construction de bateau. Ce modèle, copié d’après l’un des plus richement ornementés, est en bois de sandal » et « une jonque avec personnage en bambou ancien sculpté » (n° 338). Si deux vases octogonaux chinois en ivoire (n° 279) ou de fragiles coupes en cuivre et nacre (partie du n° 370), provenant peut-être des îles Ryukyu (Okinawa), ont besoin de restauration, s’y trouvent aussi deux paires de vases chinois en porcelaine rentrées récemment du ministère de la Marine. Le musée conserve également un luth à quatre cordes (sans doute l’un des violons [chinois] sur peau de requin, n° 385), tandis que les autres instruments de musique ont été répartis entre le musée de La Rochelle et le musée de l’Homme (actuellement au musée du quai Branly-Jacques Chirac). Des panneaux (des « tableaux » ornés de bas-reliefs en pierre ou en bois sombre, l’un en bois laqué jaune avec un paysage et des travaux des champs (n° 159), l’autre sur fond bleu avec des chevaux noirs (n° 166), faisant partie de paires, ainsi que de nombreux autres sont déposés à la Rochelle.

Dès 1901, les plus beaux objets d’art de la collection sont transférés dans la section du musée du Louvre consacrée, depuis 1893, à l’Extrême-Orient, avant d’entrer en 1945 au musée Guimet de Paris. Les transferts à l’intérieur du Louvre ne donnant pas lieu à des décisions administratives (comme les arrêtés de dépôt), certains sont inventoriés seulement en 1915, d’autres, ayant perdu leur historique, ne sont inscrits que plus tard à la fin de l’inventaire du MNAAG et leur identification est encore en cours, notamment pour les bronzes (n° 27, 28, 29, 36, 55, 57, 73, 81 du catalogue) ainsi que pour certains éléments de mobilier chinois. Le musée des arts asiatiques-Guimet conserve ainsi les trente objets décorés d’émaux cloisonnés qui avaient été transmis à l’« Extrême-Orient » (n° 1 à 17 et 19 à 22). L’un d’eux a été considéré comme « exceptionnel » et daté du XVIIIe siècle par Catherine Delacour dans un récent article (Delacour C., 2019). Claire Déléry a pu retrouver deux objets en jade, à savoir un petit groupe sculpté sur une base carrée (n° 88, « Une chimère et ses petits ») et un petit vase carré long à anse et goulot (n° 94), six tasses en agate orientale (partie du n° 272, cinq autres étant à La Rochelle), un poussah en cornaline tacheté de blanc (n° 263, « Le Dieu du Plaisir »), une « précieuse table en bois d’aigle incrusté de filets d’argent » (n° 145). Portées sur l’inventaire de la collection Grandidier, des porcelaines ont pu également y être localisées : trois bols (n° 176, n° 177, n° 218), un plateau, « feuille de nénuphar garnie d’insectes à l’intérieur et de fleurs à l’extérieur » (n° 213) et des pièces décrites comme modernes : une garniture de toilette (partie du n° 246 ?), ainsi que cinq coupes et quatre soucoupes (partie du n° 249). Un vase en cristal de roche qui ne correspond pas au n° 278, est peut-être le n° 287.

En 1920, la préfecture maritime de Cherbourg reçoit vingt-six meubles de la collection Montigny : après la Seconde Guerre mondiale, certains, endommagés, ont disparu, d’autres auraient été vendus en 1951. Il reste actuellement neuf meubles chinois, toujours en usage, dont le n° 126 : « Une armoire de Ningbo, en pako et bois impérial, à deux portes pleines, et deux tiroirs en bas, couverte d’un paysage en relief d’une composition bizarre très artistement sculpté », en différentes pierres de couleur.

En 1923, la ville de La Rochelle reçoit, en deux envois, un très important dépôt du musée de la Marine, tant pour le Museum d’histoire naturelle que pour le musée d’Orbigny-Bernon (actuel musée d’art et d’histoire), dont probablement plus de cinquante objets provenant de la collection Montigny, certains ayant perdu de longue date leur historique.

Parmi les objets conservés à La Rochelle, et notamment les nombreux « meubles d’art », le n° 106, spectaculaire, est « un grand lit de Ning-po, forme cerceau... », le n° 109, « deux tables à ouvrage... », le n° 110 « un petit paravent ancien à six feuilles, en laque rouge, garni de plaques en porcelaine du nord décorées de paysages », avec cet ajout manuscrit : « on a remis deux feuilles en sus ». Divers panneaux avec décor en relief, décrits dans la rubrique des « tableaux » s’y trouvent également. Une pièce surprenante est en forme de « deux giroles formant cornets, en porcelaine rouge foncé » (n° 190). Citons également, parmi les porcelaines, des bols particulièrement remarquables qui ont été publiés par Thierry Lefrançois (1991, n° 67, repr. et pl. en couleurs XXVI et n° 68, repr.) : ils correspondent, respectivement, aux n° 195 et 194 du catalogue de 1854. Le n° 194 est « un bol ancien, décoré de canards mandarins et de fleurs » ; le n° 195 « [u]n autre bol décoré de feuilles et insectes » ; ils ont tous deux perdu leur socle en bois. Deux « petites cornes sculptées » (n° 343) désignent deux coupes en corne de rhinocéros, plus petites que celle de la mission Lagrené, également à La Rochelle. Cinq tasses en agate orientale (partie du n° 273) sont de la même série que celles du musée des arts asiatiques-Guimet. Quant au n° 22 des dons de Montigny, « un grand chapeau Coréen en tissu de bambou délicatement travaillé et un serre-tête en crin noir d’un travail très remarquable », considéré alors à tort, comme « chinois », il s’agit sans doute du premier objet venant de ce pays fermé identifié dans un musée français.

La Rochelle a aussi reçu deux cabinets japonais à tiroirs et compartiments à portes coulissantes (n° 111) en laque décorée de paysages en nacre de couleurs, d’un style typique de la production de Nagasaki à cette période (L’Or du Japon, 2010, n° 104, repr ; D’or et de nacre, 2011, n° 39, repr ; À l’aube du japonisme, 2017, n° 28, repr.), ainsi que deux bols en laque noir et or, rouge à l’intérieur (partie du n° 368), sans doute d’usage courant à Shanghai ou Ningpo, que Montigny ne savait pas non plus être de fabrication japonaise (L’Or du Japon, 2010, n° 105, 106, 107 ; D’or et de nacre, 2012, n° 10, repr. ; À l’aube du japonisme, 2017, n° 33, 34, repr.). Six petits plateaux carrés en laque noire décorée de nacre (n° 373) sont sans doute du travail des îles Ryukyu (Okinawa) (L’Or du Japon, 2010, n° 105, repr. ; D’or et de nacre, 2012, n° 35, repr.).

En 1924, le musée des Beaux-Arts de Brest obtient le dépôt, après une exposition organisée l’année précédente en hommage aux victimes du tremblement de terre à Tokyo, de seize objets provenant de Montigny. On y trouve le n° 2 de ses dons : « Modèle de palanquin ou chaise à porteurs officielle à quatre hommes », correspondant au palanquin dont devait se servir Montigny pour rendre ses visites protocolaires aux autorités chinoises et dont il se plaignait, dans sa correspondance diplomatique, que les quatre porteurs lui coutaient fort cher. Parmi divers objets chinois en laque rouge sculptée, le n° 89 est ainsi décrit : « deux lanternes antiques de forme carrée, montants en laque rouge sculpté, ornements en cuivre doré et laque, carreaux en jade vert et blanc décorés de grecques à jour » (Brest-Asie, 2004, p. 31, repr.). Citons encore le n° 70, un brûle-parfum en bronze en forme de chien de Foe, la patte posée sur une boule ajourée, avec un petit sur le dos (Brest-Asie, 2004, p. 57, repr. sans son socle en bois, conservé alors en réserve...), le n° 91, deux « écrans de forme ronde en jade vert sculpté sur les deux faces avec garniture en bois sculpté, avec leur support en bois découpé » (Brest- Asie, 2004, p. 60, repr.), le n° 333, un écran rectangulaire « en pierre à trois couches représentant un paysage avec jonque sur un fleuve », dont le support est à La Rochelle.

En 1946, le musée de l’Homme a reçu en dépôt, outre des instruments de musique, six bols japonais du même type que ceux de La Rochelle, en laque noir et or avec intérieur rouge, sans couvercle (partie du n° 348) ou avec couvercle (partie du n° 349). Ils se trouvent aujourd’hui au musée du quai Branly-Jacques Chirac (L’Or du Japon, 2010, n° 106-1 et 2 et n° 107 ; À l’aube du japonisme, 2017, n° 29 à 32).

Mais sans doute reste-t-il encore à identifier bien des objets rapportés par Montigny qui ont perdu, dès la fin du XIXe siècle, la trace de leur provenance historique.