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Commentaire biographique

Lors de l’exposition de la collection de Paul Ginier à Paris, Henri Nicolle indique que « ce riche musée est le fruit de trente ans de travaux et de huit voyages aux Indes, au Japon et en Chine entrepris par M. Paul Ginier de Marseille » (Musée des familles, 1841, p. 213). Quant au Bulletin de la Société de géographie, dans le procès-verbal de sa séance du 18 février 1841, il rapporte avec plus de réalisme : « M. Jomard signale ensuite la collection sino-japonaise de M. Paul Ginier, de Marseille, qui a fait plusieurs voyages à la Chine [sic] et dans la mer des Indes. » Le Japon était alors inaccessible pour les Français, mais des objets japonais pouvaient se trouver dans les ports ouverts de la Chine et de l’Asie du Sud-Est.

Après une exposition à Marseille en 1839, la collection de Paul Ginier est présentée à Paris au Bazar Bonne-Nouvelle, 26 boulevard Bonne-Nouvelle, en 1840-1842. Le catalogue imprimé nous apprend qu’elle a été acquise par M. Deschaux et Cie (s’agit-il d’un parent de Marie-Magdeleine Deschaux, troisième épouse de Paul Ginier depuis le 28 octobre 1837 ?). On y apprend qu’il a « entrepris plusieurs voyages dans les Indes » pour réunir cette collection (Catalogue du musée chinois et japonais créé par M. Paul Ginier, de Marseille et acquis par M. Deschaux et Cie, 1845).

Collection acquise par les musées royaux

Outre les échantillons de matière première catalogués à la fin, le catalogue du Bazar Bonne-Nouvelle de 1840 (Ginier P., Paris, 1845) décrit 2 612 objets de la collection chinoise et japonaise de Paul Ginier sous les numéros 1 à 866 (ou plutôt, sous 822 numéros car une erreur typographique fait que 40 numéros manquent).

La provenance des objets est précisément indiquée : 995 objets viennent de Chine, 941 du Japon. Les 875 autres objets viennent d’autres pays d’Asie du Sud-Est dont beaucoup de Java, d’îles du Pacifique, voire de la côte orientale de l’Afrique. En voici la liste par ordre d’arrivée dans le catalogue : Bengale, Java, Mascate (sultanat d’Oman), Cochinchine, Moluques, Macassar, Amboine (Ambon, Moluques), Perse, Manille (Philippines), Nouvelle Guinée, Célèbes, Palimbang (Philippines), Pegu [Birmanie], Ternate (Moluques), Sumatra, Bornéo, Madura (île voisine de Java), Sandwich (îles Hawaï), Ceylan, Bombay, Inde, Siam, Madagascar, Manado (Célèbes), Nouvelle Hollande (Australie), Bailly, Arabie, Côte Mozambie, Wanikoro (îles Salomon).

Collections dans les musées

Par décision du 20 novembre 1842, les musées royaux dépensent le prix convenu de 8 250 francs pour l’acquisition de 98 lots. Ce sont plus de 200 objets ou œuvres graphiques qui entrent dans les collections du musée de la Marine, installé au deuxième étage de la cour carrée du Louvre avant son transfert au palais de Chaillot après 1939. Au moins vingt-huit numéros sont décrits comme chinois, douze comme japonais, quinze comme javanais, cinq proviennent de Ternate, d’autres de divers pays d’Asie du Sud-Est ou de Vanikoro (MMAR, inventaires, s. c.).

La présence d’objets japonais (ce pays n’étant accessible qu’aux commerçants hollandais ou chinois qui ont des comptoirs à Nagasaki) intéresse particulièrement l’administration des musées royaux. C’est probablement du côté de Batavia (actuelle Jakarta) qu’ils ont été acquis, car ils sont proches de ceux que l’on trouve au Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leyde.

Parmi les vingt-quatre objets actuellement conservés au Musée national de la Marine, outre une extraordinaire « cage à oiseaux en forme de maison flottante » chinoise (Catalogue du musée chinois et japonais créé par M. Paul Ginier, de Marseille et acquis par M. Deschaux et Cie, 1845, n° 158), se trouvent plusieurs modèles de bateaux : un bateau en clous de girofle vient des îles Moluques (n° 778) ; une jonque est chinoise (n° 637), mais cinq modèles sont japonais : deux caboteurs (n° 669 et 670) ; un « bateau plat, espèce de chaland dont se servent les japonais à Nangasakki [sic] pour le débarquement des marchandises hollandaises et chinoises » (n° 673) et deux petits canots avec voile (n° 674) ou sans voile (n° 675). Ont été acquises à la même vente plusieurs peintures sur papier, également conservées au musée national de la Marine. Certaines sont chinoises : l’une représente une jonque chinoise, neuf autres, représentant différents types de bateaux chinois, sont actuellement montées en un seul cadre, mais proviennent peut-être d’un album typique de la production de Canton. Trois autres, « encadrées sous verre », sont japonaises : l’une représente Deshima (n° 677), l’îlot artificiel où est alors installé le comptoir hollandais à Nagasaki, deuxpaysages montrent la ville et la rade de Nagasaki (n° 677 bis et 677 ter). Ces trois œuvres, anonymes, peuvent être attribuées à Kawahara Keiga (1786-v. 1860), un peintre de Nagasaki spécialiste de ce genre de vues (L’Or du Japon, 2010, n° 99, 100, 101, repr. ; À l’aube du japonisme, 2017, cat. n° 9, 10, 11.).

Les collections ethnographiques, qui ne sont plus du programme du musée de la Marine à partir du début du XXe siècle, sont pour la plupart dispersées en différents lieux de dépôt.

Une partie est envoyée au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye en 1907 et 1911, en vue d’une salle d’ethnographie comparée qui n’a, semble-t-il, jamais été organisée. De nombreux objets reviennent en 1930 enrichir les collections du musée de l’Homme en préparation au palais de Chaillot et sont maintenant au musée du quai Branly-Jacques Chirac. Citons, provenant de Paul Ginier, quatre modèlesde maisons japonaises de Nagasaki ainsi décrits en 1840 : « 665. Une maison de la classe inférieure qui avait des parois en papier ; 666. Une maison japonaise de la classe distinguée qui contenait trois personnages “dans le costume vrai de leur état” ; 667. Une boutique japonaise pour les étoffes de soie ; 668. Un corps de garde japonais “tel qu’il s’en trouve dans les grandes villes du Japon”. » Ils ont maintenant perdu leurs accessoires et leurs personnages (À l’aube du japonisme, 2017, cat. n° 12. ; Cluzel, Gautier, Nishida, 2018, fig. 1 à 4, p. 139 à 141, repr.).

C’est au musée des Beaux-Arts de Brest qu’a été déposé, en 1924, un palanquin miniature japonais en laque noir et or (1840, n° 248), le plus luxueux de trois proposés à la vente, contenant une poupée à la coiffure et au costume masculins que l’on avait pris à tort pour une des « dames japonaises assises sur des coussins », l’autre poupée ayant disparu : il s’agit d’un objet exposé au Japon le jour de la fête des filles (Lacambre G., 2008 , p. 174, fig. 62 ; L’Or du Japon, 2010, n° 102, repr. ; Lacambre G., 2012, p. 59 fig. 5 (liste p. 15) ; À l’aube du japonisme, 2017, n° 13, repr.).

Sous la Seconde République, une « salle de la sauvagerie » fut organisée au Louvre dont la description, datée du 1er mai 1848 et conservée dans les archives du musée de la Marine (MMAR, inventaires, s. c.), fait état de quatre-vingt-trois civilisations du monde entier. La Chine (53 objets) et le Japon y figurent, avec, pour ce dernier, une quinzaine d’objets parmi lesquels le modèle de palanquin, maintenant au musée de Brest, ainsi que, provenant également de Paul Ginier, deux boîtes contenant, l’une « des épingles doubles pour coiffure de femme », l’autre « des fleurs pour parure de dame », dont certaines semblent avoir été envoyées au musée de l’Homme en 1946 (actuellement au musée du quai Branly-Jacques Chirac).

Collection acquise par Sèvres

Pour sa part, le musée de la manufacture de Sèvres achète sept pièces en céramique pour ses collections montrant la variété des techniques utilisées : parmi les objets japonais, la plus chère (150 francs) est une sculpture en terre blanche vernissée de brun représentant une tortue et son petit sur un rocher (À l’aube du japonisme, 2017, cat. n° 14), une verseuse en grès à couverte « peau de requin » (À l’aube du japonisme, 2017, n° 15, repr.), une jatte couverte en forme de chrysanthème de 25 cm de diamètre en faïence polychrome (À l’aube du japonisme, 2017, cat. n° 16), une théière en grès cérame, décorée d’un paysage en émaux polychromes en léger relief sous une couverte incolore (À l’aube du japonisme, 2017, cat. n° 17).

Autres objets...

Les autres objets proposés à la vente se retrouvèrent dans le commerce de curiosités : le musée d’Ennery conserve, en effet, plusieurs objets à rapprocher de ceux qui sont décrits dans la collection de Paul Ginier. Ils ont dû entrer tôt dans la collection de Clémence d’Ennery, car aucune facture n’est conservée ; citons deux damiers japonais décrits ainsi dans le catalogue de 1840 : « 592. Un damier japonais en bois jaune, carré, porté par quatre pieds, 324 cases tracées par des raies noires », mais il manque les 360 pions en agate noire et blanche ; « 593. Un id. [damier] japonais en carré de 36 c 2 p., divisé en 9 cases de côté par des lignes noires » : là aussi les 41 pions en bois en forme de petite pyramide avec caractères japonais sont absents.