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Commentaire biographique

Fils de Charles Étienne Guérard et de Marie Justine Augustine Ruel de Forge, Henri Guérard naît le 26 avril 1846 au 41 rue Bourbon Villeneuve à Paris (AP, 5Mi1 595) et meurt le 24 mars 1897 à son domicile au 4 avenue Frochot (AP, V4E 8841). À la fois peintre, graveur, dessinateur, illustrateur, modeleur, ornemaniste et collectionneur, l’artiste est notamment renommé, en son temps, pour ses gravures de reproduction, son engagement dans la reconnaissance de la gravure originale et ses expérimentations artistiques telles que la pyrogravure. En outre, il se prend de passion pour l’art japonais et, de manière plus large, pour la culture d’Extrême-Orient.

Débuts artistiques et premiers contacts avec les milieux japonisants

Henri Guérard débute officiellement sa carrière artistique en 1870. Alors âgé de 24 ans, il présente au Salon une peinture intitulée Le Puits (Salon des artistes français, 1870, p. 165). La notice du catalogue mentionne qu’il est l’élève du peintre-graveur Nicolas Berthon (1831-1888). L’artiste réalise l’une de ses premières eaux-fortes en 1867 et se consacre davantage à la gravure à partir de 1872. Entre 1874 et 1876, il collabore à la revue Paris à l’eau forte qui joue un rôle important dans le renouveau de la gravure originale en France. C’est dans ce contexte qu’il est tout d’abord amené à côtoyer un certain nombre d’artistes japonisants tels qu’Henry Somm (1844-1907), Frédéric Régamey (1849-1925), Dufour ou encore Félix Buhot (1847-1898), ami de Guérard.

Il est également très proche d’Édouard Manet (1832-1883) pour lequel il imprime des gravures, entre 1874 et 1882, et épouse, en 1879, Eva Gonzalès (1849-1883), célèbre élève du peintre de l’Olympia. Celle-ci s’éteint quelques jours après son accouchement et le décès de son maître, laissant un fils très jeune dont sa sœur, Jeanne Gonzalès (1852-1924), s’occupe alors. Guérard épouse cette dernière en 1888, cinq ans après le décès de sa première femme.

C’est aussi très probablement dans la deuxième moitié des années 1870 que Guérard fait la rencontre de l’un des premiers japonisants et collectionneurs d’art d’Extrême-Orient, Philippe Burty (1830-1890), avec lequel il entretient une amitié profonde. La correspondance conservée au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France (Dossier Henri Guérard. Z-80 [5-6]) témoigne de leur passion commune et laisse apparaître la grande complicité établie entre les deux hommes ; Burty signant l’une de ses lettres d’un mardi de novembre 1888 : « Votre frère en Japonisme, Ph. Burty-sama » (BNF, Archives Bailly-Herzberg, Henri Guérard, Z-80 [5]). Ce dernier écrit sur de délicats papiers à lettres ornés de figures japonaises et demande régulièrement à Guérard d’imprimer des gravures qu’il exécute à partir d’objets de sa collection.

Une carrière d’illustrateur et un accès privilégié aux collections d’art asiatique

Parallèlement à son activité de graveur original, Guérard débute, en 1875, une carrière d’illustrateur et plus particulièrement de graveur interprète, à partir de 1876. L’artiste collabore ainsi pendant près de dix-sept ans, de 1880 à 1897, à La Gazette des Beaux-Arts, ce qui lui donne l’occasion de participer à plusieurs grands projets de l’histoire du japonisme. Son travail est remarqué par Louis Gonse (1846-1921), rédacteur en chef de la revue, qui lui demande, en 1882, d’illustrer L’Art japonais, paru en 1883 (BNF, Archives Guérard, YB3-4158-4). Il réalise alors onze eaux-fortes et plus de deux cents dessins d’après les collections de Louis Gonse, Philippe Burty, Henri Cernuschi (1821-1896), Siegfried Bing (1838-1905), Antonin Proust (1832-1905), Auguste Dreyfus (1827-1897), Alphonse Hirsch (1843-1884), Edmond Taigny (1828-1906), José-Maria de Hérédia (1842-1905), Antoine de la Narde, Georges Petit (1856-1920) et Wakai Kenzaburō (1834-1908), vice-président de la section japonaise de l’Exposition universelle de 1878. Guérard effectue également quelques illustrations pour Le Catalogue de l’Exposition rétrospective de l’art japonais, exposition organisée par Gonse quelques mois avant la publication de L’Art japonais. Entre 1888 et 1890, il collabore, en outre, avec le marchand d’art et collectionneur Siegfried Bing à la revue Le Japon artistique par la création de seize planches hors texte signées et de planches non signées (Quoix A., 2016, p. 39-40).

L’artiste n’a pas simplement illustré des ouvrages consacrés à l’art japonais. L’Art chinois de Maurice Paléologue (1859-1844) paru en 1887 contient lui aussi cent dessins réalisés par le peintre-graveur. L’un d’eux reproduit une sculpture en bronze représentant le dieu Kui Xìng, issue de sa propre collection (Paléologue M., 1887, p. 64).

De par ses différentes collaborations, Guérard devient ainsi un acteur essentiel de l’histoire du japonisme et contribue, de manière globale, à la diffusion de l’art asiatique en Europe. Celles-ci lui donnent également l’occasion d’observer de près les objets présents dans les plus grandes collections d’art asiatique de l’époque et représentent, pour l’artiste, une source de connaissance indéniable.

Suite à la publication de L’Art japonais, Guérard acquiert une grande renommée dans le domaine de la gravure d’interprétation et est alors présenté par ses contemporains comme le successeur de Jules Jacquemart (1837-1880). L’artiste mène la double carrière de graveur original et de graveur de reproduction jusqu’en 1889. Il abandonne ensuite cette deuxième activité.

L’œuvre original

À partir de janvier 1889, Henri Guérard se consacre davantage à faire reconnaître la gravure en tant qu’expression artistique à part entière et fonde, avec Félix Bracquemond (1833-1914), la Société des Peintres-Graveurs qui œuvre pour le renouveau de la gravure originale en France. Il ne s’agit, à ce moment, pas encore d’une société à proprement parler mais d’un groupement d’artistes. Celle-ci est officialisée en décembre 1890 sous le nom de Société des Peintres-Graveurs français et Guérard en est le vice-président jusqu’à son décès en 1897.

Artiste éclectique aux nombreuses facettes, Guérard ne s’est pas simplement intéressé à la gravure. Son abondante production d’œuvres d’art comprend de surcroît des peintures à l’huile, des aquarelles, des pyrogravures, des lithographies, des sculptures, mais aussi des créations relevant des arts décoratifs telles que des paravents, des panneaux destinés à orner le dessus des portes, des vases, des assiettes, des gobelets, des gourdes ou encore des entrées de serrure, en étain, pour meubles.

Si ces différentes œuvres laissent transparaître l’attrait de Guérard pour l’art japonais, sa passion pour l’art et la culture du pays du Soleil levant se manifeste de façon frappante à travers son ensemble de peintures en forme d'éventail. Dans ce domaine, Guérard est l’un des artistes les plus productifs, puisqu’il en conçoit plus de trois cents et ce tout au long de sa carrière (Quoix A., 2021, p. 150). Il en présente ainsi à chacune de ses expositions personnelles, de la première, à la galerie de la revue La Vie moderne, en 1879, à la dernière à la Bodinière, en 1896.

Dans un hommage posthume, le critique d’art et ami de Guérard, Roger Marx (1859-1913) rappelle, à propos de l’artiste, que le « Nippon [a été] son école de Rome » et que tel un « Japonais de Paris, il [a] poursuivi sa tâche, à la manière des anciens maîtres du Soleil levant » (Marx R., 1897, p. 315 et 318).

Constitution de la collection

Les sources découvertes à ce jour ne permettent pas de connaître avec précision les objets présents dans la collection d’Henri Guérard. L’inventaire après décès de l’artiste constitue une source précieuse, offrant une vision globale des types d’objet qu’il a collectionnés (AN, MC/ET/XLI/1341). À cela, s’ajoutent des sources éparses telles que des photographies, des dessins ou des gravures permettant de visualiser certains des objets de sa collection. Pour finir, un catalogue de vente de 1975 (BNF, Archives Bailly-Herzberg, Henri Guérard, Z-80 [5]) ainsi que les pages d’un carnet ayant appartenu à l’historienne de l’art Janine Bailly-Herzberg permettent d’entrevoir les artistes japonais qui ont pu être représentés dans la collection d’Henri Guérard. Ces dernières sources sont cependant d’une fiabilité moindre étant donné que le fils de Guérard a pu enrichir la collection de son père après le décès de ce dernier (Quoix A., 2017, p. 24-27).

D’après l’inventaire des biens d’Henri Guérard, dressé environ une semaine après son décès (AN, MC/ET/XLI/1341), à son domicile au 4 avenue Frochot, à Paris, l’artiste possédait notamment : deux cents objets de vitrine, parmi lesquels se trouvaient des porcelaines, des objets orientaux, des bronzes, des netsuke, des ivoires et des grès ; une centaine de pièces de porcelaine et grès de la Chine et du Japon ; treize masques dont neuf pour lesquels il est précisé qu’ils sont japonais et deux en bois brûlé ; cinq albums japonais et un autre lot d’albums japonais ; sept sabres japonais ; quatre vases en céramique et deux théières chinoises. Guérard détenait également un vase en bronze japonais, un brûle-parfum en bronze japonais, un pot à eau en porcelaine du Japon, un vase hexagonal en porcelaine de Chine, une armure japonaise incomplète, une aquarelle de style japonais ainsi qu’un écran japonais et un écran en bambou.

Les sources des années 1970 citées ci-dessus mentionnent quant à elles : des tsuba, des netsuke et de petits masques, un plateau japonais, des tabatières, un écran, un « dieu de la longévité sur sa biche, en bronze », des masques de nō et des sculptures d’animaux tels que des crabes, une tortue, des homards, un coq, un serpent, une sauterelle ou encore une araignée.

Des albums japonais et chinois sont également cités, parmi lesquels des livres d’études de fleurs, d’oiseaux etautres animaux ; un livre renfermant quatorze portraits d’acteur par Katsukawa Shunshō (1726-1792) ; un livre inspiré de scènes de kabuki parUtagawa Kunisada(1786-1865) ou encore seize exemplaires de la Manga d’Hokusai (1760-1849) et neuf livres d’études du même artiste.

Outre ces objets extrême-orientaux, Guérard possédait également des peintures, dessins et gravures d’artistes européens, dont au moins un dessin de Rembrandt (1606-1669), des sculptures et figurines en bronze – l’inventaire après décès mentionne notamment un éléphant en bronze d’Antoine-Louis Barye (1795-1875). Le peintre-graveur détenait aussi une collection de moulages en étain, dont des médaillons et une collection de cent-vingt lanternes de différentes époques que l’artiste a commencé à rassembler autour de 1873. Celle-ci est évoquée par Richard Lesclide (1825-1892), rédacteur en chef de la revue Paris à l’eau-forte dans un article d’octobre 1874 (Lesclide R., 1874, p. 155-157). Guérard réalisait des dessins et des gravures de ses lanternes qu’il associait à un poème. Il en a gravé de 1873 à 1890. En 1976, Claudie Bertin a consacré un article à cette collection de lanternes.

La collection d’Henri Guérard est donc caractérisée par une forme d’hétérogénéité qui reflète probablement la personnalité du peintre-graveur et que l’on retrouve dans sa pratique artistique et sa production d’œuvres d’art. Il est par ailleurs probable que sa collection ait été conservée en l’état bien après sa mort, l’artiste ayant précisé dans son testament : « Je désire autant que possible qu’il ne soit pas fait de vente des objets mobiliers ou immobiliers qui feront partie de ma succession, étant persuadé que mes tableaux, gravures et objets d’art garnissant mon atelier et ma maison ne feront que prendre de la valeur […] ce qui augmentera plus tard l’avoir de mon fils » (AN, MC/ET/XLI/1341). Sa collection de lanternes aurait quant à elle été dispersée, d’après Claudie Bertin, en 1968 (Bertin C., 1976, p. 171).