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Commentaire biographique

Guillaume Eugène Louyrette est né en 1826 à Veigné, en Indre-et-Loire et mort le 14 avril 1901 à Paris, il est le fils Guillaume Louyrette et Adélaïde Victorine Malapert. Il se marie à Louise Bouthier (décédée le 11 juin 1884) à Tours le 4 septembre 1861 (AN, MC/ET/XLIV/NC/14).

Il s’est illustré dans les années 1860-1870 en organisant un grand nombre de vente aux enchères d’art asiatique, principalement à Paris, mais également, dans une moindre mesure, à Londres (cf. Annexes ventes).

Le 4 juin 1862, Eugène Louyrette effectue sa première vente à l’hôtel Drouot, sous le marteau de Charles Pillet, qui restera son commissaire-priseur attitré pour toutes ses ventes parisiennes. Pour celle-ci, comme presque toutes celles à venir, il changera l’orthographe de son patronyme pour « Louirette ». La vente de juin 1862 est suivie de deux autres en décembre de la même année, puis il disparaît durant toute une année, au cours de laquelle il part vraisemblablement s’approvisionner en Chine. C’est du moins ce que laisse penser l’important stock écoulé lors de la vente de décembre 1863 suivie des huit ventes de 1864. En un an seulement, le nom de Louirette est définitivement associé, pour les amateurs, aux plus grandes ventes d’art de la Chine et du Japon. En témoigne le compte rendu de Pierre Dubois dans le Moniteur des arts du 20 décembre 1864 : « Le nom de Louirette [sic], placé en tête d’un catalogue d’objets de la Chine et du Japon, est par lui-même, auprès des amateurs, la meilleure des recommandations. Pour peu qu’on ait suivi l’Hôtel Drouot, depuis un an ou deux, il est impossible qu’on n’ait pas au moins entendu parler de ces ventes de curiosité chinoises de premier ordre, qui à la fin de janvier et au mois de mars dernier, jetèrent dans le commerce et dans nos collections particulières quelques-uns des échantillons les plus précieux de l’art chinois » (Dubois P., 1864, n.p.).

Profitant de l’ouverture forcée de la Chine, puis du Japon par les puissances occidentales, Eugène Louyrette se fraye un chemin dans le commerce de l’art asiatique, en important lui-même les objets depuis ces pays. Les titres de ses catalogues de vente, à l’instar de quelques rares témoignages à son sujet, font effectivement mention de ces voyages en Chine où, semble-t-il, il se rendait fréquemment. Simple argument de vente, ou véritable globe-trotteur, il est cependant difficile d’attester de la présence d’Eugène Louirette en Chine autrement que par la presse, la fréquence de ses ventes et ses changements d'adresse. Si l’on observe les dates auxquelles se sont tenues ses ventes, on constate d’importantes irrégularités dans leur fréquence, ce qui pencherait plutôt en faveur d’une absence prolongée, impliquée par un voyage en Chine. On constate également qu’il change très fréquemment d’adresse au début des années 1860. La presse contient quelques indications temporelles de ses départs, ainsi un certain F. Camus d’écrire : « Le désir de revoir ce pays a décidé M. Louirette [sic] à se défaire de la dernière partie de ses collections » (18 décembre 1864, n.p.).

Le nom de Louyrette disparaît des ventes aux enchères à la fin des années 1870. On lui connaît en tout quelque 54 ventes dont 52 organisées à Paris et deux à Londres (cf. liste des ventes). En 1888, il réapparaît ponctuellement lors de la vente au profit de Marguerite Pillet, la fille de Charles Pillet, pour laquelle il fait don de plusieurs œuvres (Lugt, 47127, p. 5.). Il finit ses jours à l’abri du besoin, ayant acquis en 1876 une « maison » au 12, rue Blanche à Paris, faisant l’angle de la rue Blanche et de la rue de la Tour-aux-Dames, qu’il loue partiellement comme boutique ou lieu de résidence pour une redevance annuelle de près de 40 000 francs (AN, MC/ET/XLIV/NC/14). C’est peut-être à cette période qu’il consacre plus de temps à la peinture. Il est effectivement décrit comme « artiste » dans son acte de décès et son inventaire après décès recense plusieurs dizaines de toiles lui étant attribuées ; enfin son chevalet et son meuble à pinceau sont vendus lors de sa vente de succession (Lugt 59195, lot no 158 et 159). Eugène Louyrette s’entourait également de tableaux de maître, on en trouve un signé Eugène Delacroix (1798-1863), plusieurs autres de Jules Breton (1827-1906), Eugène Boudin (1824-1898), Jules Dupré (1811-1889), Ernest Quost (1842-1931) dans sa collection personnelle (AN, MC/ET/XLIV/NC/14, lugt 59195).

Eugène Louyrette meurt veuf et sans descendant le 13 avril 1901. Ce sont les six enfants de sa sœur Louise Amélie Louyrette qui héritent de ces biens à sa mort (AN, MC/ET/XLIV/NC/14). Il est inhumé au cimetière de Neuilly sur Seine.

Un ambassadeur de l’émail cloisonné chinois

Les comptes rendus des ventes Louyrette sont unanimes, c’est avant tout les émaux cloisonnés chinois qui ont fait le succès de ses ventes (Dubois P., 1864, n.p. ; Moniteur des arts, 13 décembre 1872, n.p.).

Objets très souvent remarqués, dans un article de 1869, Pierre Dubois signale la présence d’un « paravent à neuf feuilles, orné de plaques en émail cloisonné de grecques, de rinceaux, se détachant en tons vigoureux sur fond bleu turquoise » (Dubois P., 1869, n.p.). Il s’agit souvent de pièces monumentales, d’immenses braseros comme le no 79 de la vente d’avril 1864. Il faut reconnaître que les descriptions des lots dans ses catalogues suggèrent qu’Eugène Louyrette avait effectivement mis la main sur des pièces tout à fait exceptionnelles : des brûle-parfum monumentaux, des garnitures d’autel complètes composées de cinq pièces (Lugt 28187, lot no 8), des ensembles zoomorphes vendus par paire (Lugt 28187, lot no 9.). Les catalogues de vente trahissent dans leur organisation cette prééminence des émaux cloisonnés qui se trouvent presque toujours en tête de section. Ce sont aussi les cloisonnés qui atteignent les prix les plus importants : lors d’une vente de 1864 une paire de brûle-parfum en émail cloisonné pouvait atteindre 14 000 francs (Lugt 27718, lot no 1).

Objets rares

Outre les émaux cloisonnés chinois, Guillaume Eugène Louyrette contribua également à introduire des objets plus rares sur le marché européen pour l’époque, tels que des albums peints chinois. On trouve dans le catalogue de la vente des 1er et 2 mars 1864 pas moins de cinq albums peints (Lugt, 27718, lots nos 171-175). Les descriptions quoique succinctes donnent des indications sur l’iconographie, ou bien une traduction du titre de l’album en question. On trouve par exemple le Livre des abîmes, lequel contient « douze paysages montagneux avec cascades et bras de mer » (lot no 174). Ces courtes traductions invitent à s’interroger sur les capacités linguistiques d’Eugène Louyrette en matière de chinois. Bien que rien ne permette de vérifier sa maîtrise de la langue, le choix des objets et les séjours répétés en Chine suggèrent peut-être une certaine aisance en chinois. Dans cette même série d’albums se trouve également une série de vingt feuilles peintes (lot no 172) fort similaires à un ensemble appartenant à la collection d'Adolphe Thiers (1797-1877) aujourd'hui au musée du Louvre (inv. TH 278). Une série semblable faisant partie du fonds Florine Langweil (1861-1958) est conservé au musée des arts décoratifs de Strasbourg (inv. MAD XIII 86).

Louyrette ou la recette d’une vente bien réussie

Les ventes organisées par Eugène Louyrette sont un succès presque dès ses débuts. En plus de présenter des objets d’un type nouveau vendus comme étant importés directement de Chine, les ventes sont particulièrement bien promues.

Fait assez rare, certains de ses catalogues font l’objet d’une préface de l’expert, lequel ne manque pas de mettre l’accent sur la rareté des œuvres en évoquant les « périlleux voyages » qui ont permis de les rassembler (Febvre A.,1864, p. 1). Ces avertissements permettent aussi de rappeler aux vendeurs les anciennes ventes de Louyrette lorsque ce dernier revient après de longues années d’absence « à parcourir la Chine et le Japon » (Febvre A., 1867, p. 2). Il est certain qu’Eugène Louyrette savait s’approvisionner, non seulement en Chine, mais également, en traversant simplement la Manche, acquérant aussi des objets lors des grandes ventes londoniennes. Les catalogues de vente de la maison Christie’s sur lesquels se trouvent les annotations des commissaires-priseurs recensent également les acheteurs. Nous avons ainsi pu suivre sa trace à plusieurs ventes d’art asiatique : celles des 3-4 février 1870, du 24 janvier 1872, des 13-14 novembre 1872, 24 janvier, 23 avril et 1er juillet 1873. Il est intéressant de noter qu’il s’agit, comme un certain nombre d’autres marchands de l’époque, d’une figure de passeurs entre les deux grandes plateformes de vente de l’art asiatique dans la seconde moitié du XIXe siècle, à savoir Londres et Paris. Il collabora notamment avec un autre de ces « passeurs », le négociant Monbro dont le père tenait boutique entre Paris et Londres et avec qui il réalise une vente en commun les 15 et 16 novembre 1869 (Saint-Raymond L., 2021, p. 235-236). Cette fréquentation assidue des ventes aux enchères a très certainement aiguisé son œil tout en le rendant attentif aux attentes des collectionneurs de part et d’autre de la Manche.

Les ventes Louirette étaient aussi appréciées pour leurs catalogues en particulier leurs longues descriptions d’objets tant du point de vue de la forme que des décors (Dubois P., 1864, n.p.). Le no 7 de la vente du 22 décembre 1864 est décrit en ces termes : « Grand brûle-parfum à couvercle dômé [sic] ; anses élevées à S en bronze doré, reliées à la pièce par des rouleaux cylindriques à jour ; la panse, de forme ronde-bosse, est soutenue par quatre pieds droits non soudés. – Cette pièce splendide par la beauté de la forme, offre un décor exceptionnel : de la base des pieds, les flots de la mer montent jusqu’au milieu de la panse, entre chaque pied s’élève une montagne formant un des points cardinaux du Céleste Empire, dont les divinités protectrices apparaissent au milieu d’un ciel d’azur. – Au haut de la panse, cannelures en bronze doré, dominées par un cercle offrant une frise cloisonnée fond bleu lapis ; sur le couvercle, des chauves-souris et quatre médaillons avec caractères dorés. » À ces riches descriptions s’ajoutent parfois les dimensions des pièces.

Il ne s’agissait pas seulement de se rendre sur place pour rapporter des objets qui puissent susciter l’intérêt des amateurs, encore fallait-il les sélectionner d’un œil sûr (voir d'Abrigeon P., notice Emile Tastet). Les contemporains d’Eugène Louyrette vantent son goût et sa capacité à dénicher des objets rares : « Il a su, mieux que personne, jusqu’ici, fouiller d’une main heureuse dans les bazars de l’Extrême-Orient » (Dubois P., 1869, n.p.), certains commentateurs poussant l’éloge jusqu’à le considérer comme le plus fin connaisseur de l’art chinois : « Aucun voyageur dans l’Extrême-Orient n’a encore exploré la Chine, au double point de vue de l’art et du commerce, avec plus de persistance et de succès que M. Louirette » (Herran V., 1869). Le caractère nouveau des objets est aussi un facteur qui a son importance dans la valorisation des ventes Louyrette : « Les habitués de l’hôtel Drouot qui savent quel attrait leur promettent ces ventes et qui comptent, non sans raison, sur quelques surprises nouvelles, les attendent-ils toujours avec une certaine curiosité » (Dubois P., 16 février 1869, n.p.).

En revanche si les longues descriptions sont appréciées, l’absence de date accompagnant les noms dynastiques est critiquée parfois : « Il serait si facile pourtant de glisser une date entre deux parenthèses. Peut-être n’est-ce que pour ne pas humilier notre ignorance que MM. Les experts ne le font pas, mais en cela ils poussent trop loin la politesse » (Dubois P., 1864, n.p.). On constate également que les catalogues Louyrette font assez fréquemment usage de terminologie chinoises, notamment pour déterminer la forme des objets : les ding (鼎), alors orthographiés ting, qui sont ces vases formés d’un récipient circulaire monté sur pieds et dont la forme hérite des vases archaïques en bronze (vente du 22 décembre 1864), les pots à pinceaux, bitong (筆筒), alors orthographiés Pitong, sans pour autant préciser la fonction (Lugt 29456, lot no 64).

Ingrédient essentiel de sa réussite : ses ventes bénéficient d’une importante couverture médiatique. C’est en particulier le journal le Moniteur des arts qui annonce et donne les résultats exceptionnels de ses ventes (cf. bibliographie).

Riche d’une notoriété légitimement acquise, Eugène Louyrette se permet d’utiliser son nom comme un label de bonne qualité pour ses ventes. Les mots « collection Louirette » ou « vente Louirette » devancent même le titre de certains catalogues (ex. : Lugt 27718 et 33758). Mais ces indications sont plutôt rares si l’on considère les ventes dans leur ensemble et c’est bien souvent le procès-verbal de vente qui permet d’identifier le vendeur. Il faut croire qu’Eugène Louyrette ne s’identifiait que lorsqu’il présentait des objets de qualité supérieure. Ainsi, les ventes où le vendeur est identifié dans le titre sont parmi les plus réussies de sa carrière (ex. Lugt 29644 : 140 974 francs, Lugt 33532 : 137 969 francs).

Jusque dans les années 1890, la provenance Louyrette reste un pedigree important pour les objets d’art asiatique. On le retrouve mentionné dans plusieurs catalogues postérieurs à sa longue série de vente des années 1860-1870 (ex. Lugt 53526, 1895, lot no 93, p. 35).

Une collection personnelle

Les quelques objets restant en sa possession, et pouvant être considérés comme sa collection personnelle seront vendus en vente publique par le ministère de maître Octave Nottin les 20 et 21 mai 1901 pour la somme de 36 137 francs (AN, MC/ET/XLIV/NC/14). On y trouve, outre les peintures susmentionnées, des vases en émaux cloisonnés, en marbre, en porcelaine montés en bronze, des statuettes en ivoire et en bronze, une garniture de cheminée par Beurdeley en bronze doré, du mobilier d’agrément en bronze doré et marbre. Pour cette ultime vente, personnelle cette fois, Eugène Louyrette demande dans son testament à ce qu’il ne soit pas fait mention de son nom, restant ainsi à jamais, le fameux marchand globe-trotteur des années 1860 (AN, MC/ET/XLIV/NC/14).